La crise d'asthme aiguë grave
de l'enfant : traitements, facteurs de risque
Jacques de BLIC, Pierre SCHEINMANN
Il s'agit du danger majeur de l'enfant
et de l'adolescent asthmatiques. La crise d'asthme aiguë, grave (AAG) peut
frapper inopinément tout jeune asthmatique ; bien souvent elle est le reflet
d'un asthme persistant, sévère. La méconnaissance de la sévérité
réelle de l'asthme et/ou le défaut d'adhérence thérapeutique,
autrement dit l'insuffisance de traitement anti-inflammatoire « de fond »,
favorisent la survenue d'AAG. Ces mêmes facteurs interviennent dans la mort
par asthme. L'efficacité préventive des corticoides inhalés doit
de nouveau être soulignée (2,6).
1. L' asthme aigu grave
1.1. Une crise « banale » peut précéder l'AAG
Son déroulement est le plus souvent stéréotypé.
Le début est rarement brutal. Le plus souvent, la crise s'installe progressivement
le soir ou en fin d'après-midi, souvent précédée de prodromes.
La dyspnée, d'abord silencieuse puis bruyante et surtout sifflante, prédomine
à l'expiration. La toux, parfois émétisante, peut devenir productrice
et ramener une expectoration hypervisqueuse. A l'examen, l'enfant est souvent angoissé,
assis ou debout, penché en avant ou encore couché en chien de fusil. Les
sifflements peuvent être perçus à distance, c'est le wheezing.
Le thorax est distendu en inspiration, hypersonore. L'expiration est active,
freinée, bruyante. L'auscultation est caractéristique, avec de nombreux
râles ronflants bronchiques et surtout les râles sibilants qui prédominent
à l'expiration. La température est en règle normale.
Une fièvre doit faire rechercher
une infection associée. 652 J.
de BLIC, P. SCHEINMANN Il
faut rapidement d'évaluer la sévérité de la crise (tableau)
et traiter. La réponse aux premières mesures thérapeutiques a une
importance majeure: une réponse insuffisante en précocité, en qualité
et/ou en durée est un signe d'alarme capital.
1.2. Asthme aigu grave
Plutôt qu'état de mal asthmatique il
est préférable de parler d'asthme aigu grave.
Il s'agit d'une crise qui résiste
au traitement bronchodilatateur initial bien conduit ou d'une crise sévère
voire dramatique d'emblée.
Certains enfants nécessitent une
vigilance extrême (voir fig 2).
Il nécessite une prise en charge
thérapeutique urgente. Tableau
1 : Evaluation de la sévérité d'une crise d'asthme.
|
˙Symptômes |
˙Légère |
˙Modérée |
˙Sévère |
˙Dramatique |
|
˙Dyspnée |
˙Modérée |
˙Modérée mais |
˙Intense |
˙Extrême |
|
˙ |
˙ |
˙Elocution aisée |
˙présente au repos |
˙Elocution difficile, |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙Phrases plus courtes |
˙dyspnéisante |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙Difficultés |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙d'alimentation |
|
˙Tirage |
˙ |
˙Absent |
˙Modéré |
˙Intense |
˙Balancement |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙sus et sous sternal |
˙thoraco |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙abdominal |
˙Fatigue |
˙ |
˙Nulle ou |
˙Modérée |
˙Intense |
˙Extrême |
˙ |
˙ |
˙modeste |
˙ |
˙ |
˙Troubles de la |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙conscience |
˙Coloration |
˙Normale |
˙Pâleur |
˙Cyanose discrète |
˙Cyanose et |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙sueurs |
˙Auscultation |
˙Sibilants |
˙Sibilants aux 2 temps |
˙Thorax peu |
˙Silencieux |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙bruyant, |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙peu mobile, |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙distendu |
|
˙FR |
˙Peu modifiée |
˙> 40/min avant |
˙> 40 /min avant |
˙Pauses |
|
˙ |
˙ |
˙2 ans |
˙2 ans |
˙ |
|
˙ |
˙ |
˙> 30/min après |
˙> 30/min après |
| |
˙ |
˙ |
˙2 ans |
˙2 ans |
| |
˙FC |
˙Peu modifiée |
˙>120-130/min |
˙> 120-130/min |
˙Bradycardie |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙HTA ou |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙collapsus |
Réponse b2 Rapide et stable Bonne
: mais Insuffisante Très médiocre parfois
brève : en durée méfiance
et en intensité
DEP* > 80 % 60 à 80
% < 60 % Non mesurable
SaO2 > 95 % 91 à 95
% < 90 % < 90 % * La
valeur (par rapport à la valeur attendue ou la meilleure valeur de l'enfant)
est celle obtenue après les premiers bronchodilatateurs.
LA
CRISE D'ASTHME AIGUë GRAVE DE L'ENFANT : TRAITEMENTS,
FACTEURS DE RISQUE 653
1.3. Complications
• troubles de ventilation.
Ils sont liés à des bouchons muqueux obstructifs dont l'organisation réalise
au maximum un moule bronchique (ou impaction mucoïde). Ils se traduisent par
des atélectasies ou des emphysèmes obstructifs ;
• pneumomédiastin,
emphysème sous-cutané et pneumothorax (7) ;
• paralysies
pseudo-poliomyélitiques, exceptionnelles, avec amyotropie, sans atteinte sensitive,
au cours d'asthme aigu grave. Elles ne régressent jamais. L'étiologie
demeure mystérieuse.
1.4. Traitement
Il est résumé figures 1 et 2. Les points
essentiels sont les suivants :
• au domicile,
il repose sur l'inhalation de b2 adrénergiques et en l'absence d'amélioration
ou devant une crise plus sévère l'institution d'une corticothérapie
orale (2 mg/kg en une prise). Des parents bien éduqués peuvent également
injecter un b2 par voie sous cutanée (figure 1) ;
• en milieu
hospitalier, il faut dans un premier temps évaluer la sévérité
de la crise et l'existence de facteurs de risque d'asthme aigu grave. La prise en
charge est résumée figure 2 :
Le traitement
repose sur les nébulisations répétées de b2-adrénergiques
Trois à six nébulisations sont réalisées à 20 minutes d'intervalle,
puis toutes les 4 heures. L'adjonction d'atropiniques de synthèse est proposée
dans les formes sévères avec hypoxie (SaO2 < 90 %) ;
Dans les formes modérément
sévères les nébulisations peuvent être remplacées par les
aérosols doseurs administrés avec une chambre d'inhalation (1 dose pour
2 kg/poids, max 10 bouffées) ;
l'adaptation
de l'oxygénothérapie nasale en fonction de la SaO2 ;
l'instauration
ou la poursuite de la corticothérapie orale ;
L'antibiothérapie
n'est pas systématique, moins de 15 % des crises d'asthme sont associées
ou déclenchées par une infection bactérienne ;
Les apports hydriques
doivent être de l'ordre de 2,2 l/m2, favorisant la diminution des
bouchons muqueux.
Traitement en réanimation
Figure 1 654 J.
de BLIC, P. SCHEINMANN Lorsqu'il
existe des signes de gravité initiaux ou en cas d'aggravation, le transfert
en réanimation est nécessaire. Le traitement comporte :
A. Bronchodilatateurs
soit nébulisations
toutes les 20 minutes (cf supra) ;
soit nébulisation
en continu avec le mélange suivant pour 2 heures :
LA
CRISE D'ASTHME AIGUë GRAVE DE L'ENFANT : TRAITEMENTS,
FACTEURS DE RISQUE 655
s 0,2 ml/kg de salbutamol
à 0,5 % ;
s 3
ampoules (= 6ml) de dibromure d'ipratropium ;
s QSP 30 ml
de sérum physiologique ;
soit salbutamol
IV : Figure 2
656 J.
de BLIC, P. SCHEINMANN s dose
de charge : 15 g/kg en 10 min (peut être associé au premier aérosol)
;
s Perfusion : 3 g/kg/min, puis
1 g/kg/min dès l'amélioration
B. Corticoïdes
IV : Solumédrol 2 mg/kg (max 60 mg) puis 1 mg/kg/6 heures
C. Intubation et
ventilation
• uniquement
si épuisement avec pauses respiratoires et troubles de la conscience ;
• z pour but
de maintenir une SpO2 >92 % et d'éviter l'hyperinflation dynamique. On tolère
une hypercapnie jusqu'à 80 mmHg et une acidose (pH 7,10) ;
• la ventilation
est associée à une sédation soit par curarisation + remifentanyl
soit par ketamine+midazolam.
D. Autres mesures très en retrait
• sulfate de
Magnésium : 25 mg/kg (max 2 gr) en IV lente (20 min) une seule fois ;
• aminophylline
IV : Beaucoup moins utilisée actuellement. Se méfier des risques de surdosage
par erreur de dilution dans la préparation ;
• dose de charge
: 7,5 mg/kg en 20 min ;
• puis perfusion
de 1 mg/kg/h adaptée pour obtenir des théophyllinémies entre 10 et
16 mg/l.
Toute crise d'asthme ayant justifié
d'une hospitalisation et a fortiori d'un séjour en réanimation
doit être adressée au décours dans un service de pneumologie pédiatrique
pour réévaluer la prise en charge : éducation, traitement de fond,
ordonnance détaillée en cas de crise (plan d'action) (3,16).
2. La mort dans l'asthme
On peut la considérer comme la forme extrême
d'un crise d'AAG. Il est difficile d'avoir une idée précise du nombre
absolu de décès annuels par asthme chez l'enfant et l'adolescent. Récemment
l'INSERM (in 9) évalue la fréquence des décès par asthme
à un décès toutes les deux semaines chez les moins de 19 ans : essentiellement
des adolescents et de sexe masculin pour les deux tiers. Certains auteurs ont observé
des décès par asthme chez des asthmatiques modérés. Dans notre
expérience, la mort n'est à redouter que chez les asthmatiques sévères,
surtout chez les grands adolescents et les jeunes adultes. Il avait été
observé que la mort survenait le plus souvent au terme d'une détérioration
res LA
CRISE D'ASTHME AIGUë GRAVE DE L'ENFANT : TRAITEMENTS,
FACTEURS DE RISQUE 657
piratoire sous-estimée, négligée
aux plans clinique, fonctionnel respiratoire et thérapeutique pendant une durée
variant de quelques jours à quelques semaines. Plus rarement, la mort survenait
très brutalement dans les premières demi-heure ou heure d'une crise. Il
est vraisemblable que les lésions anatomo-pathologiques sont comparables à
celles retrouvées chez l'adulte avec l'infiltration neutrophilique dans la
mort rapide et éosinophilique quand la mort est moins brutale (4,5,15).
L'essentiel est bien la détermination d'une
population à plus haut risque (tableau 2).
On constate que les facteurs de risque recoupent
ceux de l'AAG, avec un accent particulier sur l'adolescence, la méconnaissance
de la diminution d'efficacité des bronchodilatateurs ; l'isolement géographique
est combattu par le développement des services ambulants d'urgence. L'essentiel
est de transmettre la notion que la grande majorité des décès aurait
pu être prévenue grâce à une prise en charge adéquate,
comme le montre une récente étude, menée en Australie (2). En trois
ans, à partir d'une population de 4 millions d'habitants, les auteurs ont relevé
89 décès par asthme chez des malades âgés de moins de 60 ans.
Par comparaison avec 202 asthmatiques qui avaient survécu à un asthme
aigu grave, les asthmatiques décédés avaient eu des crises beaucoup
plus fréquentes et un asthme plus sévère, leur surveillance médicale
et leur recours à l'hospitalisation étaient moindres ; les asthmatiques
décédés se servaient moins souvent d'un débitmètre de pointe.
Lors de leur dernière crise, ils avaient utilisé beaucoup plus de bêta
2 adrénergiques, ce qui dans un contexte d'hypoglycémie et d'hypokaliémie
avait pu favoriser des tachyarythmies mortelles. Cependant, cette sur-utilisation
de bêta 2 adrénergiques reflétait Tableau
2 : enfants à haut risque de décès par asthme.
1. Asthme grave
2. Hospitalisations fréquentes pour crises
sévères
3. Dépendance des corticoïdes oraux.
Sevrage récent d'une corticothérapie générale prolongée
4. Abus d'aérosols adrénergiques (témoin
d'une mauvaise prise en charge thérapeutique
5. Patient non compliant
6. Contexte familial défavorisé
7. Grandes variations circadiennes du DEP qui
est un très bon moyen de surveillance chez l'enfant de plus de 6 ans
8. EFR intercritiques montrant une obstruction
et/ou une forte hyperréactivité bronchique
9. Eloignement d'un centre de soins d'urgence
658 J.
de BLIC, P. SCHEINMANN surtout
la plus haute sévérité de leur asthme. Aussi bien chez les asthmatiques
décédés que chez ceux qui avaient survécu à leur crise
d'asthme, on notait, comme dans notre expérience, une grande fréquence
des problèmes psychosociaux, du tabagisme et du déficit de surveillance
médicale (11,14).
Surtout les auteurs déploraient un défaut
d'utilisation des corticoïdes systémiques en temps utile, c'est-à-dire
en pratique, à partir du moment où les premières doses de bêta
2 adrénergiques s'étaient révélées insuffisantes. Il est
donc essentiel d'apprendre aux enfants et à leurs parents à reconnaître
une détérioration de leur asthme, à évaluer la sévérité
de la crise, à interpréter les symptômes clés et à se servir
d'un débitmètre de pointe. Un plan d'action écrit peut diminuer la
mortalité de 70 % et la corticothérapie systémique lors d'une crise
sévère peut diminuer la mortalité de 90 %.
Les asthmes persistants (ou asthmes
sévères) nécessitent donc une surveillance médicale très
régulière. Ce sont ces enfants qui, logiquement, bénéficieront
le plus des écoles de l'asthme. La nécessité d'un traitement anti-inflammatoire
prolongé doit être sans cesse soulignée. Il est bien démontré
que la corticothérapie inhalée au long cours diminue la mortalité
dans l'asthme. Il est à noter également que l'avènement de la corticothérapie
inhalée a coïncidé avec la quasi disparition des grandes déformations
thoraciques (avec distension des sommets, protrusion sternale et coup de hache sous
mammaire) qui caractérisaient, cliniquement et radiologiquement, les asthmes
sévères et chez qui on redoutait AAG et mort.
Le traitement antiinflammatoire pharmacologique
doit être complété par l'éviction des facteurs précipitants
des crises. Les infections virales sont difficilement évitables. Le bilan de
la vaccination antigrippale est favorable (12); nous la proposons à nos asthmatiques.
L'éviction des allergènes impliqués dans l'asthme est important.
Chez le grand enfant, les allergènes le plus souvent en cause sont les acariens,
suivis par les phanères d'animaux (principalement le chat), les pollens de
graminées, puis les blattes avec peut-être une mention spéciale pour
les moisissures (8,10). Les allergies alimentaires sont rarement des causes isolées
de crises d'asthme. Mais l'allergie alimentaire complique la prise en charge des
enfants asthmatiques. Le risque de choc anaphylactique est plus élevé
(1). Il faut en tenir compte dans le projet d'accueil individualisé qui vise
à faciliter l'intégration de l'enfant en milieu scolaire.
LA
CRISE D'ASTHME AIGUë GRAVE DE L'ENFANT : TRAITEMENTS,
FACTEURS DE RISQUE 659
Conclusion
Les enfants asthmatiques doivent être soumis
à une surveillance médicale prolongée. Cette surveillance doit être
clinique et fonctionnelle respiratoire. Il faut lutter contre le mythe de la guérison
de l'asthme à la puberté et contre l'idée que les médicaments
sont plus dangereux que la maladie. Le courant actuel vise à prescrire des
traitements tôt dans la vie qui non seulement rendraient l'enfant asymptomatique
mais également normaliseraient ses fonctions respiratoires. Il ne faut pas
négliger le contrôle de l'environnement tant sur le plan allergique que
sur celui des irritants tels que le tabac. Il faut tenir compte des conditions socio-économiques
qui, si elles sont défavorables, compliquent la prise en charge globale de
l'enfant asthmatique et de sa famille. Il faut développer les « Ecoles
de l'asthme » et uvrer pour que l'acte éducatif soit reconnu et honoré
(13)
Mais il est vraisemblable que l'essentiel
reste le médecin lui-même, sa disponibilité, son écoute et les
liens qui se sont tissés entre l'enfant — qui deviendra un adolescent
—, sa famille et leur médecin.
Bibliographie
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