Chapitre 1
Les pilules : 50, 30, 20 mcg d'éthinyl-estradiol, et après ?
H. ROZENBAUM
introduction
L'éthinyl-estradiol (e.e.) constitue à l'heure actuelle le seul
estrogène contenu dans les contraceptifs oraux (c.o.).
Depuis l'apparition des premiers c.o., leur contenu en estrogène a
considérablement diminué : 100 à 150 mcg/comprimé initialement, 50 mcg par la suite,
20 à 30 mcg d'e.e. dans les "minipilules" actuelles.
I pourquoi une telle évolution
1. Raisons d'ordre épidémiologique
Le risque de thrombose vasculaire pendant la prise d'un c.o. est essentiellement
attribué aux estrogènes de synthèse qu'ils contiennent.
Lors de l'apparition des premiers c.o. lourdement dosés en estrogènes, la
constatation de quelques cas d'accidents thrombo-emboliques suscita la mise en route
d'études épidémiologiques systématiques. Celles-ci aboutirent à la constatation d'une
élévation du risque de thrombose, avec ou sans embolie pulmonaire, chez les
utilisatrices de contraceptifs oraux par rapport à une population témoin.
Deux phénomènes importants survinrent par la suite :
- La constatation que, faute de moyens diagnostiques perfectionnés, le Doppler
n'existait pas à cette époque, le diagnostic de thrombose veineuse était souvent
établi en excès dès que le médecin savait la femme sous c.o. (2);
- La nette diminution de la posologie d'estrogènes contenus dans les c.o.,
s'accompagnant d'une chute drastique du nombre de phénomènes thrombotiques ou
thrombo-emboliques.
Ce phénomène, constaté dès la publication princeps d'Inman et coll. (9) en
1970 avec des posologies d'estrogènes de 150 à 50 mcg/cp provoqua le retrait des c.o.
contenant plus de 50 mcg d'estrogènes par comprimé.
Il s'ensuivit une nette diminution de fréquence des accidents thrombo-emboliques (4)
(cf. fig. 1).
Il n'existe malheureusement pas d'études épidémiologiques comparant des
utilisatrices de c.o. dosés à moins de 50 mcg d'e.e./cp à des femmes-témoins : étant
donné la rareté des accidents observés, un tel travail impliquerait un nombre trop
important de sujets d'études pour être réalisable.
On constatera toutefois sur la fig. 1 que le nombre d'accidents vasculaires rapportés
en Suède chez les utilisatrices de c.o. diminua nettement lorsqu'apparurent les c.o.
minidosés en e.e.
D'autre part, lors d'une étude de cohorte portant sur 200 000 femmes, Gerstman et
coll., en 1991 (6), ont pu comparer le risque relatif d'accident thrombotique veineux en
fonction du contenu en e.e. des c.o. : ce dernier s'avéra plus faible chez les
utilisatrices de c.o. contenant moins de 50 mcg d'e.e./cp : 1 contre 1,5 avec les produits
dosés à 50 mcg et 1,7 avec ceux encore plus lourdement dosés.
2. Raisons d'ordre métabolique
L'e.e. contenu dans les c.o. induit de discrètes modifications de certains facteurs de
la coagulation.
Sans entrer dans le détail des nombreuses études effectuées sur ce sujet, on peut
résumer la situation ainsi :
- Les modifications observées concernent à la fois certains éléments de la cascade
de la coagulation et des facteurs favorisant au contraire la fibrinolyse. Discrètes, ces
modifications s'équilibrent en principe et ne retentissent pas sur le risque de
thrombose;
- Ces modifications sont dose-dépendantes (5), et par conséquent beaucoup plus
discrète avec les c.o. faiblement dosés en estrogènes.
Il en est de même des modifications d'autres paramètres métaboliques provoquées par
l'e.e. :
- Synthèse hépatique des protéines,
- Métabolisme des glucides.
Citons à ce propos le récent travail de Basdevant et coll. (3) étudiant 58 femmes en
bonne santé réparties de façon randomisée en deux groupes :
- L'un traité par l'association de 150 mcg desogestrel (Dg) + 30 mcg e.e.,
- L'autre recevant 150 mcg Dg + 20 mcg e.e.
Les auteurs n'observent aucune différence significative entre les deux groupes en ce
qui concerne les lipides: il se produisit une élévation des triglycérides, du HDL
cholestérol et de l'apolipoprotéine A1, les taux de cholestérol total et d'Apo B
demeurant inchangés.
Avec le c.o. dosé à 30 mcg d'e.e. la glycémie à jeun s'éleva légèrement au 3ème
cycle, alors qu'elle ne se modifia pas avec le produit dosé à 20 mcg. Au 6ème cycle,
les glycémies étaient normales dans les deux groupes.
L'insulinémie s'éleva légèrement dans les deux groupes.
L'activité anti-thrombine III et l'antigène anti-thrombine III diminuèrent
légèrement mais de façon significative dans le groupe prenant 30 mcg e.e. alors
qu'aucune modification ne se produisit avec 20 mcg.
Une légère augmentation du plasminogène fut observée de façon similaire dans les
deux groupes.
Les taux de protéine S et de fibrinogène ne furent modifiés qu'avec 30 mcg e.e.
Les taux de SBP et de CBG s'élevèrent de façon sensiblement identique dans les deux
groupes. En revanche l'élévation du substrat de la rénine fut nettement plus important
avec 30 qu'avec 20 mcg e.e.
Il existe donc manifestement une différence entre les effets métaboliques observés
avec 30 ou avec 20 mcg e.e.
Des préparations contenant 15 mcg d'e.e./cp sont actuellement à l'étude. Il n'est
pas évident qu'une diminution de 5 mcg d'e.e. se traduise par des avantages décisifs, et
il est possible que la fréquence des saignements par thérapeutique s'élève avec de
tels c.o.
II utilisation du 17 ß estradiol (e2) en contraception
Diminuer la posologie de l'e.e. contenu dans les c.o. est certainement utile, ce
produit étant le principal responsable du risque vasculaire encouru par les
utilisatrices, et un effet-dose étant désormais admis. Toutefois le vrai progrès serait
de substituer à l'e.e. du 17 §E2.
Les premières tentatives d'utilisation d'un contraceptif oral contenant du 17 ßE2
datent des années 77-80 : 4 mg de 17 ßE2 étaient alors associés à un progestatif de
synthèse de 1ère génération, la norethindrone (1-12). Puis de timides essais furent
tentés avec le norgestrel (7). Mais il ne s'agissait pas réellement de produits mis au
point pour la contraception, mais d'une modification d'un séquentiel utilisé en
hormonothérapie substitutive.
Plus prometteurs en revanche apparurent les essais menés avec une association
biphasique associant 17 ßE2 et acétate de cyprotérone (8). Lors de ce travail, un
certain nombre de facteurs de la coagulation modifiés par un c.o. triphasique contenant
l'e.e. ne subirent pas de changement avec l'association acétate de cyprotérone + E2.
Malheureusement il n'y eut pas d'autres travaux publiés avec ces produits.
Plus récemment, un contraceptif oral associant 150 mcg de desogestrel et 1 mg de 17 ß
estradiol micronisé a été expérimenté chez 20 femmes âgées de 21 à 36 ans (11). Le
contrôle du cycle menstruel s'avéra médiocre : le nombre moyen de jours de saignements
fut de 9,5 et de 8 aux 1er et 2ème cycles de traitement auxquels il faut ajouter 4,8 et
6,4 jours d'hémorragie de privation. 2 femmes arrêtèrent le traitement en raison des
saignement jugés inacceptables lors du 1er cycle.
Ce fait provient de la posologie utilisée. Avant de commercialiser un c.o., plusieurs
posologies sont testées ; seules sont retenues les formules les mieux supportées,
c'est-à-dire celles induisant le minimum de saignements per thérapeutiques. On sait que
pour le desogestrel, la posologie adéquate d'e.e. est de 20 ou 30 mcg. Cette posologie
correspond à une dose de 17 ß E2 nettement plus élevée que celle étudiée ici.
D'autre part la 1/2 vie plasmatique de l'e.e. est nettement plus longue que celle du 17
ß E2 ; par conséquent le contrôle du cycle menstruel sera plus difficile à obtenir
avec ce dernier.
La solution sera certainement d'étudier des préparations bi ou triphasiques seules
capables d'assurer un contrôle satisfaisant du cycle menstruel lorsque la posologie de
l'estrogène utilisé est réduite.
Rappelons enfin que dans un c.o. contenant du 17 ßE2, l'inhibition de l'ovulation est
assurée par le progestatif. L'estrogène ne sert qu'à compenser l'inhibition des
sécrétions ovariennes.
conclusion
Si d'importants progrès ont été accomplis en ce qui concerne les progestatifs de
synthèse utilisés en contraception orale puisque trois générations se sont
succédées, il est consternant que l'e.e. soit toujours l'estrogène utilisé.
La réduction des posologies prescrites a constitué un progrès, mais seule
l'apparition d'un estrogène naturel pourrait permettre la mise au point d'un contraceptif
oral dénué de risque vasculaire (10).
BIBLIOGRAPHIE
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3. BASDEVANT A., CONARD J., PELISSIER C. et coll.: Hemostatic and metabolic effects of
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8. HIRVONEN E., STENMAN U.H., MALKONEN M. et coll. : New natural oestradiol/cyproterone
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contraceptive : a report to the committee on safety of drugs. Br Med J 1970, 2,
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10. ROZENBAUM H. : Effet protecteur des estrogènes vis-à-vis du risque vasculaire. Reprod
Hum Horm. n° special, sous presse
11. WENZL R., BENNINK H.C., VAN BEEK et coll. : Ovulation inhibition with a combined
oral contraceptive containing 1 mg micronized 17 ß-estradiol. Fertil Steril 1993,
60, 616-619
12. WORLD HEALTH ORGANIZATION TASK FORCE ON ORAL CONTRACEPTIVES : A randomized
double-blind study of two combined oral contraceptives containing the same progestogen,
but different estrogens. Contraception 1980, 21, 445-460
: JOURNÉES DE TECHNIQUES AVANCÉES EN
GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 12 - 19 Janvier 1995
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