Métrorragies prépubertaires et
métrorragies pubertaires
J.-E. TOUBLANC
Dans la pathologie gynécologique de l'enfance
et de l'adolescence, la puberté marque une frontière qui modifie l'appréhension
d'une pathologie : avant l'âge de celle-ci, toute hémorragie même
minime entraîne une situation de stress et une prise en charge immédiate.
Alors qu'après celle-ci, en dehors d'hémorragies cataclysmiques lors de
la ménarche, ce n'est que devant la répétition des saignements que
la jeune fille est amenée en consultation. Alors dans l'urgence, il convient
de faire à la fois le bilan des répercussions du saignement, la recherche
de la cause et la mise en route d'une thérapeutique la plus polyvalente possible
car le diagnostic étiologique n'est pas toujours réalisable en urgence.
Les métrorragies prépubertaires
Clinique
Ce sont des saignements anormaux du fait de leur
âge de survenue, est exclue l'hémorragie contemporaine de la crise génitale
néonatale, mais une hémorragie génitale apparaissant isolée
sans contexte clinique ou comme le premier élément d'une puberté
précoce évolutive ou d'une maladie générale. La survenue à
cet âge est pathologique et impose donc un examen gynécologique car il
permet de faire le diagnostic dans plus des trois quarts des cas et d'en rechercher
la cause (9).
Aspect clinique
Il convient d'apprécier l'importance variable
des saignements, tachant les sous-vêtements (spotting) ou les couches chez
l'enfant plus jeune ou véritable hémorragie. Le saignement peut être
d'origine vulvaire habituellement spotting : vulvite entraînant un prurit féroce,
qui explique les lésions de grattage, les plaies des petites lèvres, les
enfants à peau noire ont volontiers un prolapsus de l'urètre.
Si l'hémorragie est plus abondante
et sort de la cavité vaginale, on pensera avant tout aux corps étrangers
entraînant une forte réaction inflammatoire sans infection : il s'agit
de sang pur soit s'il y a une surinfection associée, mêlant pus et sang
dans un écoulement d'odeur nauséabonde. Le corps étranger (CE) ne
peut être retrouvé autrement que par l'examen gynécologique car souvent
il n'est pas radio-opaque ni échogène. Il s'agit le plus souvent de petits
jouets en plastique, de capuchon de stylo ou de fragments de papier ou de couches
etc... Néanmoins une vulvo-vaginite sans CE peut entraîner le même
type d'écoulement sanieux (9).
Les tumeurs loco-régionales sont
les autres grandes causes toujours à redouter surtout dans le jeune âge
(5). De façon simple, on peut dire que les tumeurs malignes vont saigner souvent
et les tumeurs bénignes très rarement. Ainsi comme cela apparaît
dans la littérature, les tumeurs malignes : (rhabdomyosarcome botryoïde
et embryonnaire) et tumeurs du sinus endodermique (ou du sac vitellin) surviennent
bien avant l'âge de la puberté. Les sarcomes botryoïdes peuvent se
manifester par un spotting rouge vif sur les couches chez l'enfant très jeune
(<3ans). Le diagnostic est délicat : car ces tumeurs sont peu détectables
par le TR, la cytologie vaginale ou même l'échographie, l'examen gynécologique
révèle une tumeur développée, au départ, sous la paroi
vaginale antérieure qui peut avoir plusieurs aspects : petit polype, masse
hémorragique sombre ou tumeur charnue en grappe de raisin qui peut, parfois,
s'extérioriser à la vulve. Le diagnostic doit être fait le plus précoce
possible, car le pronostic est redoutable dans les formes avancées. Les tumeurs
issues du sac vitellin surviennent encore plus tôt (<1 an), elles sont dures
et perçues au TR, elles sécrètent de l'alphaftoprotéine. Très
exceptionnellement, une tumeur peut naître de reliquats méso-néphrotiques
chez l'enfant très jeune (5), de même les adénocarcinomes à
cellules claires peuvent arriver avant la puberté, elles se voient en majorité
après la puberté ou à l'adolescence (5, 9).
L'examen gynécologique est négatif,
il n'y a pas de cause locale, mais l'hémorragie génitale n'est pas isolée,
elle s'accompagne de signes de précocité sexuelle. Cependant des hémorragies
génitales peuvent demeurer isolées un certain temps, habituellement moins
d'un an. Il est évident que l'hyperestrogénie retentit aussi sur la croissance
et la maturation osseuse par une avance de maturation, à côté des
signes sexuels : développement mammaire et stimulation vulvaire.
Il convient d'en préciser la cause
de cette précocité :
1 - point de départ ovarien
: tumeurs, ou syndromes d'activation gonadiques : kystes fonctionnels ou autonomie
ovarienne par syndrome de Mc Cune-Albright, il existe des liens entre ces 2 entités
(6) ;
2 - c'est exceptionnellement
qu'une puberté précoce vraie débute par une hémorragie. Les
pubertés précoces centrales (PPC) vraies reproduisent le schéma habituel
d'une puberté normale. Donc la séquence : hémorragie puis développement
mammaire correspond pour 90 % des cas à une tumeur endocrine. À côté
de l'examen gynécologique, l'échographie précisera les caractéristiques
de l'ovaire : tumeur kystique (kyste fonctionnel ou syndrome de Mc Cune-Albright),
tumeur solide volumineuse maligne, tumeur en nid d'abeille de la granulosa et ovaire
d'aspect pubère normal, avant l'heure, d'une puberté précoce centrale.
La biologie montrera l'hyperstrogénie liée à une activité ovarienne
primitive, la présence de marqueurs tumoraux dans les tumeurs ovariennes enfin
la réaction hypothalamo-pituitaire dans les PPC. Le traitement variera en fonction
de l'étiologie.
Dans quelques cas, les signes associés
peuvent évoquer une hypothyroïdie sévère avec premature thelarche,
l'hémorragie génitale peut être importante avec retentissement grave
sur l'état général (4). La biologie montre une TSH hyper secrétée,
une T4L effondrée avec une PRL et une FSH modérément augmentées
et une LH impubère. La présence de kystes ovariens pose le problème
d'une mutation des récepteurs ovariens aux gonadotrophines qui deviennent sensibles
à la TSH. Ceci survient surtout dans des hypothyroïdies auto-immunes depuis
la mise en place du dépistage néonatal (4).
L'examen gynécologique est négatif,
il n'y a pas de cause locale, ni de signes cliniques associés ; l'hémorragie
génitale est isolée.
Le diagnostic reste en suspend, la
période d'observation doit durer au moins un an car le saignement peut se reproduire
à intervalles variables. Lors de chaque épisode, on recherchera des signes
d'activité ovarienne : intumescence mammaire et modifications échographiques.
Ces pubertés précoces régressives peuvent s'interrompre habituellement
après un temps variable. Dans d'autre cas, l'épisode reste unique. Les
causes ne sont pas univoques : infection, fragilité muqueuse, intoxication
médicamenteuse ou autres etc..., Mais, toutes ces étiologies sont aussi
difficiles à démontrer (9).
Les métrorragies pubertaires
Clinique
Ce sont des saignements anormaux soit par leur
abondance, leur fréquence ou leur durée et elles peuvent s'intégrer
à minima dans les cycles courts (<21 jours). Habituellement, ce sont des
événements survenant lors de la première année suivant les premières
règles. On peut distinguer plusieurs tableaux de gravité (2) :
- L'adolescente est pâle
et fatiguée, car l'évolution dure sur plusieurs mois par des règles
abondantes et prolongées.
- L'adolescente est livide et
l'état général particulièrement altéré par une hémorragie
cataclysmique sans tendance à l'arrêt survenant dès les 3 premiers
cycles. Elle entraîne une anémie aiguë, hémoglobine< 8 g/dl
nécessitant une prise en charge rapide.
Des prélèvements sont faits
d'emblée pour rechercher à la fois une cause et mesurer le retentissement
de l'hémorragie. Ils doivent comporter en débrouillage : Numération
formule sanguine: (hémoglobine, plaquettes), ferritine et fer sérique,
TCA (temps de céphaline activé), TQ (temps de Quick) et cofacteurs (V,VII+X,
II), Temps de thrombine, Fibrinogène.
Étiologie des métrorragies
L'étiologie doit éliminer une cause
anatomique exceptionnelle : tumeur maligne du tractus génital, tumeurs de l'ovaire
sécrétant, infection génitale, complication hémorragique d'une
grossesse de l'adolescente (b___ hCG au moindre doute).
Habituellement, dans 80 % on ne retrouve
aucune cause. Les métrorragies sont fonctionnelles du fait de l'absence d'ovulation
donc elles sont liées à l'absence de progestérone avec hyperestrogénie
relative. L'absence d'une séquence endocrine normale ne permet pas une hémostase
de la muqueuse. La durée de cette immaturité peut persister près
de 5 ans (2, 7, 8).
Il existe une cause hématologique
dans 13 % ou une maladie générale à un stade avancé hépatique
ou rénale qui recouvre <10 % des cas (2). Certaines séries (1) ont
une proportion plus importante de troubles hématologiques 20 % des cas dont
50 % des formes débutant à la ménarche, 33 % des formes nécessitant
une transfusion et 25 % de ceux qui ont une hémoglobine inférieure à
10 g/dL auraient une anomalie de ce type (1).
Les anomalies de l'hémostase sont
de 2 types.
Les maladies constitutionnelles : déficit
en facteur de la coagulation dont les principales sont la maladie de Willebrand,
le déficit en facteur XI et la thrombasthénie de Glanzmann plus rarement,
X, V, VII. (Le déficit de ces facteurs pouvant aussi être liés à
une insuffisance hépatique ou rénale, Cf. infra).
Les affections acquises dominées
par les thrombopénies : elles-mêmes idiopathiques, médicamenteuses
(patientes suivies en Oncologie), ou hémopathiques (leucémies).
Diagnostic
Pour la maladie de Willebrand l'occasion de la
reconnaître peut avoir eu lieu antérieurement lors de saignements ou d'interventions
ou du fait d'une histoire familiale informative, bien souvent cette hémorragie
est l'occasion d'en faire le diagnostic. Il faut savoir qu'en l'absence de forme
sévère, ce diagnostic peut être difficile à porter car les examens
de débrouillage de la coagulation sont normaux (3) (tableau 1).
Mais en raison de la très grande
fréquence de l'affection, c'est avant tout le premier déficit à envisager
(10), sans contexte ethnique particulier. Certains recommandent le dosage systématique
de l'activité du facteur vW en présence d'une hémorragie eu égard
à une fréquence touchant 1 % de la population (10).
Il faut donc demander une évaluation
des facteurs de v. Willebrand, de l'activité antigénique et de coagulation
du F VIII. Une activité du cofacteur de la Ristocétine, voire une étude
en biologie moléculaire, qui permet de caractériser les sous-groupes de
la maladie. Celle-ci n'est pas habituellement réalisable en urgence et n'est
capitale que pour l'utilisation thérapeutique ultérieure du DDAVP. (Tableau
n°2). Le dosage fonctionnel des autres facteurs précisera les différents
déficits. L'ethnicité de l'anomalie du déficit en facteur XI est
assez spécifique des populations juives Ashkénazes, expliquée par
une fréquence élevée du gène de l'ordre de 5 % chez eux (3).
Le traitement
Dans tous les cas il faudra réconforter et
rassurer la jeune fille (7). À la sortie de la phase aiguë, il faudra
reconstituer son capital martial par prescription de sels de fer (2, 7).
Le traitement est exceptionnellement
chirurgical : dilatation et curetage (7, 8), l'hystérectomie est réservée
à des cas extrêmes où la fonction de reproduction n'est plus envisageable
(8).
L'abord du traitement médical
peut être schématisé en fonction du taux d'hémoglobine (2).
• Taux d'hémoglobine >11
g/dl un seul progestatif suffit : Luteran®, 2 comprimés du 16 e au 25
e jour du cycle pendant 6 mois à 1 an.
• Taux d'hémoglobine <11
g/dl, mais >8 g/dl : prescription d'une pilule estroprogestative normo dosée
Stédiril®, qui sera maintenue au moins 6 mois à un an.
• Dans les formes graves, taux
d'hémoglobine <8 g/dl. Une action sur la cause est souhaitable en collaboration
avec les hématologistes, si elle est possible.
• Nous présentons ici le
schéma thérapeutique en usage à Paris (2), sachant qu'il existe des
variantes prenant en compte d'autres limites pour le taux d'hémoglobine décisionnel
(<10Gg/dL) (7, 8).
• Les méthodes générales
sont semblables pour toutes les étiologies, mais ces traitements ne peuvent
se faire qu'en l'absence de contre-indications aux estrogènes. Assurer une
hémostase grâce aux estrogènes puis aux progestatifs à forte
dose.
Depuis peu, il n'est plus possible
d'utiliser le traitement utilisant une ampoule de Prémarin® 20 mg IV et
non IM, à renouveler 4 heures plus tard au besoin. Le traitement ne peut plus
être donné que par comprimé stroprogestatif contenant 50 μg
d'EE2 (Stédiril®) donné 4 fois par jour puis 3 fois par jour jusqu'à
arrêt de l'hémorragie. L'adjonction d'antiémétique est nécessaire
pour améliorer la tolérance digestive.
• Le relais étant pris par
le même produit à la dose d'un comprimé en continu 3 semaines/4 soit
par un norstéroïde (Primolut Nor®), 10 à 15 mg/jour selon le
même schéma.
• Les formes hyper sévères
n'auront pas d'interruption mensuelles et donc le traitement sera donné en
continu.
• En un autre schéma est
proposé aux Etats-Unis sous forme d'une pilule, dosée pour l'EE2 à
30-35 μg, 4 fois /jour 4 jours, puis 3 fois /jour 4 jours, puis 2 fois par
jour enfin 1 fois par jour jusqu'à la fin de 2 plaquettes (7). Ici aussi, un
apport de médication antiémétique est nécessaire en cas d'intolérance
au traitement.
• L'enfant sera contrôlée
quasi quotidiennement jusqu'à arrêt du saignement (8).
• Les prises en charge spécifiques.
• Le type 1 de la maladie de
von Willebrand (vW) répond à la Desmopressine (Minirin®), Les autres
formes ne peuvent être améliorées que par des fractions enrichies
en facteur vW, tableau N°2. Cette thérapeutique spécifique n'est
pas toujours nécessaire. Le déficit en facteur XI se traite aussi par
perfusion de facteur spécifique, la maladie de Glanzmann par des transfusions
de plaquettes fraîches. Toutes ces préparations de fractions exposent
à des risques viraux connus qui peuvent êtres prévenus, mais ils
ne sont pas tous recensés à l'heure actuelle.
• Les petits moyens sont aussi
à connaître : acide tranéxamique (Spotof Gé ou Exacyl®),
l'acide epsilon-amino-caproïque est recommandé pour les purpuras thrombopéniques
et le déficit en facteur XI (3). Mais l'hémocaprol n'est plus disponible
en France. Les inhibiteurs des prostaglandines modifient l'équilibre entre
le thromboxane et la prostacycline et peuvent ainsi diminuer de 20 à 50 % le
flux hémorragique. Ils sont volontiers prescrits aux Etats Unis (7).
Conclusion
Les hémorragies génitales prépubères
sont toujours pathologiques, le plus souvent une cause locale de gravité très
variable est présente, mais c'est aussi un mode de révélation de
puberté précoce.
La majorité des hémorragies
génitales pubères sont liées à une immaturité de l'axe
hypothalamo-hypophyso-ovarien, elles sont limitées dans le temps. Les formes
secondaires à une diathèse hémorragique sont volontiers en rapport
avec une maladie de von Willebrand, s'exprimant dans les formes modérées
par des métrorragies isolées, les autres formes de la maladie étant
exceptionnelles. Les déficits en autres facteurs de coagulation l'étant
aussi. La compliance au traitement à long terme est souvent problématique
de même la prise en charge hématologique de la période de la grossesse
et l'accouchement. 542 J.-E.
TOUBLANC MéTRORRAGIES
PRéPUBERTAIRES ET MéTRORRAGIES PUBERTAIRES 543
544 J.-E.
TOUBLANC MéTRORRAGIES
PRéPUBERTAIRES ET MéTRORRAGIES PUBERTAIRES 545
Tableau 1 : Principaux marqueurs hématologiques
dans les diathèses hémorragiques (TS = temps de saignement, TCA =
temps de céphaline activée, TQ = temps de Quick, TT = temps de thrombine).
Déficits constitutionnels Num.
plaquettes TS TCA TQ TT
Maladies
de von Willebrand |
˙N |
| | | |
˙ |
˙(sauf 2B) |
˙N/± ¤ |
˙N/± ¤ |
˙N |
˙N |
˙F X ou F V ou F II |
˙N |
˙N |
˙¤ |
˙¤ |
˙N |
˙F VIII |
˙N |
˙N |
˙N |
˙¤ |
˙N |
˙F XI |
˙N |
˙N |
˙¤ |
˙N |
˙N |
˙Anomalies du fibrinogène |
˙N |
˙N / ¤ |
˙N / ¤ |
˙N / ¤ |
˙¤ |
546 J.-E.
TOUBLANC MéTRORRAGIES
PRéPUBERTAIRES ET MéTRORRAGIES PUBERTAIRES 547
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