Chapitre 3
vieillissement de l'ovocyte : mythe ou réalité
M. PLACHOT
introduction
S'il est possible de répondre à cette
question aujourd'hui c'est grâce au développement de la
fécondation in vitro (FIV) qui permet d'analyser les ovocytes
recueillis environ 36 heures après l'injection d'hCG, c'est
à dire au moment présumé de l'ovulation. Les informations
disponibles concernent donc des ovocytes provenant d'ovaires
stimulés et il serait dangereux d'extrapoler les résultats aux
ovocytes ovulés lors d'un cycle naturel.
Le vieillissement de l'ovocyte peut être
évalué de 2 manières : d'une manière directe
(maturation, atrésie, structure de la zone pellucide, anomalies
chromosomiques) et d'une manière indirecte (effet sur la
fécondance, le timing et les anomalies de la fécondation, le
développement et la viabilité embryonnaire). Pour ce
dernier point, l'analyse des paramètres biologiques et
cliniques du don d'ovocyte (à une femme plus jeune ou plus
âgée) permet de faire la part de la qualité ovocytaire (et
donc embryonnaire) et de la réceptivité utérine.
Les données présentées dans cet article
proviennent des centres de FIV de l'Hôpital de Sèvres (J.
Belaisch-Allart) et de l'Hôpital Tenon (J. Salat-Baroux).
i les méthodes directes d'analyse
1. Maturation et atrésie
Il est généralement impossible de connaître le stade de
maturité des ovocytes au recueil car ils sont entourés de la
masse nuageuse du cumulus oophorus qui empêche toute
visualisation du 1er globule polaire.
Dans le cadre de la fécondation assistée (microinjection
d'un spermatozoïde directement dans le cytoplasme ovocytaire) -
technique qui s'adresse à des couples dont la femme est à
priori fertile - il est indispensable de retirer par une action
enzymatique (la hyaluronidase) les cellules de la corona radiata
et du cumulus de manière à contrler l'injection
du spermatozo de. Ainsi sur 366 ovocytes nous avons pu observer
que le taux d'ovocytes immatures (au stade de vésicule
germinative ou métaphase I) (14 à 17%) ne variait pas
en fonction de l'âge de la patiente (tableau 1). Ces ovocytes
sont capables de reprendre ou poursuivre leur méïose puisque
seulement 2 à 4% d'entre eux resteront immatures en fin de
culture.
L'atrésie de l'ovocyte représente le stade ultime de
l'atrésie folliculaire. Elle commence par une pycnose des
cellules de la granulosa, suivie par la disparition progressive
du cumulus et la dégénérescence de l'ovocyte qui apparait
rétracté, vacuolisé avec un élargissement de l'espace
périvitellin. Ces ovocytes ne sont pas fécondables. Nous avons
observé une augmentation du taux d'ovocytes atrésiques (8 à
10% vs 1%) en fonction de l'âge de la femme. Il en résulte donc
une augmentation du taux d'ovocytes mûrs et fécondables
chez la femme jeune (tableau 1). Des résultats identiques
ont été observés chez la souris (Nogues et al,
1988). En effet, le taux d'ovocytes atrésiques, stable chez
les femelles jeunes de 1 à 3 mois (11%), atteint 29% chez
les femelles âgées de 6 mois.
2. La zone pellucide
Les mêmes auteurs (Nogues et al, 1988) ont étudié chez la
souris l'effet de l'âge maternel sur la structure de la zone
pellucide (ZP). Ils ont décrit 4 types de structure :
type A : surface fibreuse et poreuse
type B : surface fibreuse, aplatie comprenant
des pores de petit diamètre
type C : surface rugueuse dépourvue de pores
type D : surface aplatie et amorphe
Ils observent que la structure de la zone pellucide est
polymorphique et change en fonction de l'âge de la mère. Le
type A s'observe chez les femelles jeunes de 1 à 3 mois et
semble correspondre à des ovocytes immatures. Le type B, le
plus fréquent diminue avec l'âge de la mère en
même temps que le type C augmente et semble
précéder la dégénérescence de l'ovocyte.
Le type D, observé chez les femelles immatures (8 jours) est
également présent dans les ovocytes atrésiques. L'aspect de la
ZP est donc identique aux 2 extrémités de la période fertile
des femelles.
Chez la femme, il n'existe aucune analyse de la structure de
la zone pellucide en fonction de l'âge. En revanche, il est
possible d'apprécier la fragilité de la zone qui
quelquefois se trouve endommagée de manière
irréversible lors de la ponction ovocytaire. Nous n'avons
observé aucun effet de l'âge de la femme sur le
pourcentage de zones pellucide endommagées (3%).
3. Les anomalies chromosomiques
La corrélation entre l'âge de la mère et la survenue d'un
enfant anormal était connue avant même que ne soit connue la
cause du syndrome de Down. Pourtant, les causes réelles en
sont encore inconnues.
Plusieurs hypothèses tentent d'expliquer ce phénomène. La
première hypothèse prend en compte la fréquence des chiasmas
qui unissent les chromosomes et permettent les échanges
(crossing-over) au cours de la méiose ovocytaire : le
nombre de chiasmas diminue avec l'âge de la mère et il
se forme alors des univalents qui peuvent migrer anormalement au
cours des divisions mé otiques et conduire à des
aneuploidies (Henderson et Edwards, 1968). Plus récemment,
Zheng et Byers (1992) ont postulé qu'il existerait dans l'ovaire
un faible pourcentage d'ovocytes aneuploïdes, provenant
d'ovogonies aneuploïdes, et qu'un mécanisme de sélection
favoriserait la maturation et l'ovulation des ovocytes euploïdes
de préférence aux ovocytes aneuplo des. Avec l'âge, le
nombre d'ovocytes normaux diminuant, la pression de
sélection contre les ovocytes aneuplo des serait plus
faible.
En microscopie électronique Stalh avait fait une observation
intéressante. Les chromosomes acrocentriques (les plus souvent
impliqués dans les non-disjonctions) sont en quelques sorte
"soudés" à la membrane nucléaire au
cours de la prophase mé otique puis se détachent et
migrent au cours de la mé ose. Il a été
observé que les chromosomes ont tendance à rester
"soudés" ensemble et à la membrane nucléaire au
fur et à mesure du vieillissement, conduisant ainsi à des
migrations anormales et à des aneuploïdies.
D'autres hypothèses prennent en compte le vieillissement
physiologique du système reproducteur. Ainsi, une ovulation
retardée et des troubles hormonaux pourraient conduire
à la formation de zygotes anormaux.
Aymé et Lippman-Hand (1982) interprètent différemment le
rôle de l'âge maternel. Ils observent que l'âge de la mère
des enfants trisomiques est élevé, et cela que le chromosome
surnuméraire soit d'origine maternelle ou paternelle. Selon les
auteurs, cette observation pourrait s'expliquer par la double
contribution de l'augmentation du taux de foetus trisomiques et
la diminution du risque d'élimination spontanée des
foetus affectés chez les femmes de plus de 29 ans. Or, ceci
devrait conduire à une diminution du taux de fausses couches
spontanées d'origine chromosomique chez les femmes âgées, ce
qui n'est pas le cas.
Finalement, seule l'analyse chromosomique des ovocytes
pourrait permettre de vérifier l'une ou l'autre des ces
hypothèses.
Ceci a été rendu possible là encore grâce au
développement de la fécondation in vitro. Cependant, à de
rares exceptions près, seuls les ovocytes non fécondés
provenant de patientes ayant subi une superovulation ont
été analysés, ce qui pourrait constituer un biais.
Treize études (comprenant au total 2530 ovocytes) ont
été rapportées dans la littératureÊ: quatre
montrent une augmentation du taux d'aneuplo dies avec l'âge
maternel, qui passe de 18 - 24% chez les patientes de moins de 35
ans à 34 - 38% chez les patientes plus âgées (Bongso et al,
1988 ; Plachot et al, 1988 ; Macas et al 1990).
Michaeli et al (1990) montrent que 100% des ovocytes prélevés
chez des femmes de 39 ans et plus sont aneuploïdes,
comparé à 17% chez les femmes de 25 à 29 ans. Angell et al,
(1993) observent une correlation entre le taux de cassures
chromosomiques et l'âge de la mère (32.3 ans en moyenne lorsque
le caryotype est normal et 35.0 ans lorqu'il existe des cassures
chromosomiques). Ces cassures peuvent être limitées aux
régions centromériques d'1 ou 2 chromosomes ou bien,
dans les cas extrêmes, intéresser
l'intégralité du génome. La fragmentation
chromosomique pourrait donc être liée au vieillissement
de l'ovocyte et serait une des conséquences de
l'élévation de la FSH chez les femmes âgées.
D'un point de vue clinique, les patientes dont la majorité des
ovocytes non fécondés présentent une fragmentation
chromosomique auront des chances de grossesses réduites dès
lors que leurs propres ovocytes seront utilisés lors des cycles
de FIV ultérieurs.
Dans toutes les autres études il n'a été relevé aucune
différence statistiquement significative. Il est possible que la
petite taille des séries quelquefois publiées empêche
d'atteindre le seuil de signification pour une variation some
toute limitée. Le problème reste entier et à ce
jour n'est donc pas résolu.
ii les méthodes indirectes d'analyse
1. Fécondation et développement embryonnaire
L'étude des paramètres biologiques de la FIV en fonction de
l'âge de la femme (chez des couples ayant une stérilité
tubaire définitive et un sperme normal) montre que
(tableau 2) :
il n'existe aucune variation du taux de
fécondation (76-80%) ni du taux de fécondation anormales
(9-10%) (fécondations bloquées ou retardées)
les ovocytes des femmes de plus de 38 ans sont
moins souvent activés (1.3% vs 4.2%), c'est à dire moins
sensibles aux stimuli (chimiques, thermiques, enzymatiques,
mécaniques) induisant la parthénogénèse.
il n'existe pas de différence statistique dans le
taux d'embryons morphologiquement normaux (blastomères égaux et
réguliers) (27-34%) ni dans le taux d'embryons fragmentés
(11-14%) 42 heures après l'insémination. Cependant, on observe
une légère tendance vers une diminution du taux d'embryons
réguliers et une augmentation du taux d'embryons fragmentés
lorsque l'âge de la femme augmente.
La culture prolongée des embryons sur un tapis de cellules de
rein de singe (appelées cellules "Vero") permet
d'atteindre 5 à 7 jours plus tard le stade blastocyste. Nous
avons analysé la capacité des embryons à poursuivre leur
développement in vitro en fonction de l'âge de la patiente.
En raison du faible effectif, 2 classes d'âge ont
été comparéesÊ: <Ê38 ans etÊ> 38
ans. Ainsi, 32% des embryons se développent jusqu'au stade
blastocyste quel que soit l'âge maternel (jusqu'à 43
ans) (tableau 3). Bien que ce ne soit pas statistiquement
significatif, on observe une tendance vers un ralentissement du
développement embryonnaire chez les femmes plus âgées. En
effet seulement 21% des embryons sont en blastocyste à J5 chez
les femmes de plus de 38 ans vs 43% chez les plus jeunes.
2. Les dons d'ovocytes
Le seul moyen de dissocier la qualité des ovocytes et la
réceptivité utérine consiste à analyser les résultats du
don d'ovocyte. Vingt trois dons de femmes jeunes à des
femmes plus âgées ont été réalisés
à l'Hpital Tenon, ayant conduit à 25 transferts
d'embryons frais ou congelésÊ: 7 grossesses ont
été obtenues (28% /transfert).
Ainsi, lorsque la donneuse a moins de 30 ans, le taux de
grossesses ne varie pas avec l'âge la receveuse : 25% si
< 35 ans et 31% si > 35 ans (35-43 ans). On n'observe
donc pas la classique diminution du taux de grossesses/transfert
en fonction de l'âge de la mère qui passe de 24.4% à
18.9%, 16.0%, 10.3% lorsque l'âge de la mère passe de < 37
ans à 38-39, 40-41, > 42 ans (FIVNAT 1992). La
qualité de l'ovocyte semble donc diminuer avec l'âge de la
mère.
Des résultats similaires ont été obtenus par Flamigni et al
(1993). Ainsi lorsque la donneuse a moins de 35 ans le taux de
grossesse par transfert est de 45% si la receveuse a de 21 à 35
ans. Puis le taux reste stable de 23 à 29% quel que soit l'âge
de la receveuse, de 36 à 61 ans. En revanche, Check et al
(1993) montrent une diminution du taux de grossesse chez les
receveuses de plus de 40 ans : 8.5% vs 25.4% chez les femmes
plus jeunes, et mettent l'accent sur la nécessité de bien
préparer l'endomètre chez les femmes âgées.
conclusion
Pour conclure, seuls 2 paramètres semblent varier en fonction
de l'âge de la femme : une augmentation de l'atrésie
ovocytaire et une diminution de sa capacité à répondre à des
stimuli extérieurs lorsque l'âge avance. Un autre paramètre et
non l'un des moindres ne fait pas aujourd'hui l'objet d'un
consensus : l'augmentation du taux d'anomalies
chromosomiques dans les ovocytes. La difficulté à obtenir des
ovocytes humains et les considérations éthiques qui s'y
rapportent font que les séries publiées sont courtes et souvent
ne permettent pas de conclure. Cependant, une augmentation du
taux d'ovocytes aneuplo des avec l'âge de la femme avec pour
conséquence une augmentation du taux d'embryons aneuplo des
pourrait expliquer la tendance vers une moindre qualité
morphologique et un ralentissement du développement
embryonnaire observé dans notre étude. Mythe ou
réalitéÊ? Le doute demeure.
TABLEAUX
Tableau 1 : Effet de l'âge de la
femme sur la maturation et l'atrésie ovocytaires.
|
< 30 ans |
31 - 37 ans |
> 38 ans |
Immatures |
14% |
17% |
15% |
Murs |
85%a |
73%b |
77%c |
Atrésiques |
1%d |
10%e |
8%f |
a - b : p < 0.05 d -
e p < 0.01
a - c : NS d - f p <
0.01
Tableau 2 : Effet de
l'âge de la femme sur la fécondance des ovocytes, les anomalies
de la fécondation et le développement embryonnaire.
|
Age de la femme |
|
< 30 |
31 - 37 |
> 38 |
Ovocytes |
378 |
1096 |
381 |
Fécondés totaux
|
303 (80%) |
829 (76%) |
296 (78%) |
Fécondés anormaux
|
34 (9%) |
107 (10%) |
35 (9%) |
Activés Embryons totaux
|
16 (4.2%) 269
|
35 (3.2%) 716
|
5 (1.3%) p < 0.05
262
|
Embryons réguliers
|
90 (34%) |
198 (28%) |
71 (27%) |
Embryons fragmentés
|
30 (11%) |
86 (12%) |
37 (14%) |
Tableau 3 :
Développement des embryons jusqu'au stade blastocyste en
fonction de l'âge de la femme.
|
Age maternel |
|
< 38 ans |
> 38 ans |
Nb. d'embryons |
114 |
60 |
Nb. blastocystes
|
37 (32%) |
19 (32%) |
J5 |
16/37 (43%) |
4/19 (21%) |
J6 |
20/37 (54%) |
14/19 (74%) |
J7 |
1/37 (3%) |
1/19 (5%) |
X2 = NS
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Michelle PLACHOT
Labo de FIV Hôpital Necker Enfants Malades
Paris
: JOURNÉES DE TECHNIQUES
AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET PÉRINATALOGIE PMA,
Fort de France 12 - 19 Janvier 1995
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