Chapitre 1
la chute de la fertilité avec l'âge est-elle
inéluctable ?
J. BELAISCH-ALLART ET J.M. MAYENGA
introduction
La littérature de 1994 a été
riche en publications concernant la réversibilité
de la chute de la fertilité avec l'âge. Navot (1)
a spectaculairement écrit dans Fertility and Sterility
"The age related decline in female fertility appears to be
completely reversible through the use of ova obtained from young
donors". De même Polson et Sauer (2), dans Human Reproduction,
ont tout aussi tranquillement affirmé "At present,
it appears that oocyte donation makes pregnancy possible in virtually
any woman with an uterus". Allant encore plus loin Edwads
(3) renchérit "pregnancy is established more successfully
in post menopausal women by oocyte donation and hormone replacement
therapy than in women of 35-45 using their own embryos".
Il est donc devenu absolument évident que
grâce aux Procréations Médicalements Assistées
(PMA) et plus précisément au don d'ovocytes, la
fertilité ne chute plus avec l'âge, voire, au contraire,
remonte après 40-45 ans grâce à l'usage
d'ovocytes provenant de jeunes donneuses!
Depuis la publication initiale de Lutjen et coll.
(4) en 1984 à propos de la première grossesse obtenue
par don d'ovocyte chez une patiente de 25ans présentant
une ménopause précoce, la littérature montre
un vieillissement progressif des receveuses en ménopause
dite précoce. C'est ainsi qu'en 1989 Serhal et coll (5)
rapportent leurs résultats sur 61 dons d'ovocytes
dont 21 femmes de plus de 42 ans. La lecture attentive
de leur article montre certes un taux de grossesse par cycle de
36,5% (de quelle grossesse s'agit-il ? ce n'est pas précisé)
après 42 ans, mais aussi 38% de toxémie gravidique
sur l'ensemble des patientes, dont une patiente en insuffisance
rénale et actuellement en cours de dialyse après
sa grossesse tardive. En 1990, une grossesse à terme chez
une femme de 49 ans a fait l'objet d'une lettre à
l'éditeur dans la revue Fertility and Sterility (6), depuis
les médias nous ont appris les "prouesses" d'Antinori
à Rome sur des femmes de 60ans et, plus surprenant dès
1992 l'équipe de Sauer a annoncé de façon
scientifique et public en 1993 l'obtention de grossesses après
50ans chez des femmes naturellement ménopauses (7).
On ne peut nier que l'idée que les femmes
puissent concevoir à tout âge, tout comme les hommes,
ait quelques aspects séduisants. Le droit au libre choix
à la planification de sa vie et à l'égalité
avec les hommes ne peuvent que plaire à toutes les féministes.
Il est certain que la société actuelle, toujours
judéo-chrétienne, permet mieux la réalisation
des hommes que celle des femmes, les grossesses et les enfants
jouant souvent un rôle négatif dans les carrières
féminines. Le chômage actuel, les conditions socio-économiques
difficiles ne favorisent pas la natalité comme l'atteste
la chute actuelle plus marquée du taux de la natalité.
L'interruption du travail pour grossesse, ne s'intègre
pas facilement dans une carrière et pour toutes ces raisons,
repousser sa grossesse à un moment où il n'y aurait
plus d'inquiétude pour la carrière voire plus de
carrière peut paraître séduisant. Comme le
déclarait R.G. Edwards lors du dernier congrès de
l'ESHRE (Thessalonique, 1993) (3), la femme libérée
de ses problèmes professionnels est enfin libre de se consacrer
à ses enfants, (il ne précisait pas pour combien
de temps...). L'égalité homme-femme enfin totale
est le rêve de bon nombre de féministes qui ont pris
au pied de la lettre le slogan "un enfant quand je veux"
alors qu'il fallait seulement comprendre "pas d'enfant tant
que je n'en veux pas". De tout temps, les hommes ont eu la
possibilité et le droit de procréer à l'âge
d'être grand père voire arrière grand père.
Les exemples des pères célèbres et âgés
ne manquent pas des temps bibliques à nos jours :
d'Abraham à Charlie Chaplin, sans oublier Yves Montand,
et la photographie de ces derniers avec leur progéniture
est largement diffusée par les médias. A l'inverse,
des enfants orphelins ou du retentissement de l'âge du père
sur ces enfants nul ne parlait jusqu'à ces derniers temps.
Grâce à la possibilité de grossesse tardive,
le désir d'immortalité de la femme est en voie de
réalisation, la malédiction de la ménopause
effacée, et le dernier enfant toujours possible.
Il existe cependant de nombreux arguments contre
ces grossesses tardives :
- l'égalité homme-femme n'est
qu'un mythe,
- les grossesses à partir de 40 ans présentent
plus de complications obstétricales que les grossesses
plus jeunes,
- le retentissement de l'âge des pères
sur les fils est désormais démontré,
- l'avenir de l'enfant prête à
discussion,
- la provenance des ovocytes donnés n'est
pas claire,
- enfin le coût de telles pratiques s'intègre
mal dans le contexte actuel de la maîtrise des dépenses
de santé.
1. La similitude homme-femme n'est qu'un
mythe, les différences physiologiques de la spermatogenèse
à l'ovogenèse, de force musculaire, ou de la grossesse
le démontrent bien. Nulle femme ne peut raisonnablement
envier aux hommes certaines de leurs prédominances :
dans les prisons, pour les cas de séropositivité
ou le maladie cardio-vasculaire! La grossesse masculine n'existe
toujours pas. L'argument égalité peut donc être
laissé de coté, le rêve des femmes ne peut
pas être de tout faire comme les hommes (mais de faire mieux... ?)
2. Plus sérieux et en prise plus
directe avec la préoccupation des gynécologues,
mais plus difficile à prouver, les complications des grossesses
tardives.
Certes, il existe quelques rares cas de grossesses
spontanées à 50 ans ou au delà, comme le
démontre les chiffres fournis par Toulemon(cf tableau 1)
(8). Toulemon estime qu'il y a par en an en France près
de 40 naissances, 45 IVG, 25 fausses couches spontanées
chez des femmes de plus de 50 ans. Ces effectifs sont insuffisants
pour connaître les déroulements et les risques de
ces grossesses. C'est donc à partir des chiffres des grossesses
de 40 ans et au delà (9) que l'on peut déduire les
risques de procréer à 50 ans : risques
maternels avec augmentation des hypertensions artérielles
(HTA) et des toxémies gravidiques, des diabètes
gestationnels, du placenta praevia et des hématomes rétroplacentaires,
des taux de césarienne (30%) et donnée souvent méconnue
de la mortalité maternelle (cf tableau 2) qui passe de
6,1 pour 100000 naissances entre 25 et 29 ans à 37 pour
100000 à partir de 40 ans. L'enfant né de mère
de plus de 40ans court des risques accrus de prématurité,
d'hypotrophie in utero, de mort in utero et néonatale.
L'attribution des risques des grossesses de 40 ans à celles
de 50 et plus est-elle justifiée ? L'utérus
et les vaisseaux des femmes de 50 ans et au delà sont plus
âgés, donc plus altérés et toutes les
complication liées au système cardio-vasculaire
et à l'utérus ne peuvent qu'augmenter après
50 ans : HTA, accidents cardio-vasculaires, mauvaise nutrition
du foetus. Par contre, l'ovocyte dont provient l'embryon est toujours
un ovocyte de femme jeune dans les grossesses post-ménopausiques.
Est-ce que cela empêcherait ou diminuerait. l'hypotrophie
ou la mortalité périnatale accrue, c'est peu probable
mais faute de chiffres impossibles à affirmer. Cependant,
l'analyse des 69Êgrossesses obtenues après don d'ovocytes,
par Pados et coll, de l'équipe de VanÊSteirteghem
et Devroey (10), montre que les grossesses après don d'ovocytes
sont des grossesses à haut risque avec 32,7% d'hypertension
gravidique et 11% de retard de croissance in utero, et ce malgré
un âge moyen des receveuses de 33ans (âge des donneuses
non précisé).
On peut donc considérer comme infiniment probable
que ces grossesses au delà de 50 ans seront grevées
des complications obstétricales maternelles élevées.
Enfin la mortalité maternelle qui atteint 37 pour 100 000 naissances
à partir de 40 ans ne peut aller qu'en augmentant. Les
données non publiées mais collectées par
Edwards (11) sur 4 cliniques en Europe réalisant des grossesses
post-ménopausiques semblent confirmer nos craintes :
avec une augmentation de la morbidité maternelle dans 2
cliniques sur 4. Quant aux données publiées, elles
portent sur trop peu de cas pour en tirer des conclusions valables.
Sauer et al sur 8 grossesses évolutives après
50 ans rapportent 2 césariennes avec pré-éclampsie
sur 3 naissances, mais concluent que jusqu'à présent,
ils n'ont pas observé de complication sérieuses
(7). Antinori et coll sur 11Êfemmes de 50ans à 60ans
rapportent 4grossesses, 1placenta accreta avec naissance et décès
à 29 semaines d'aménorrhée et 3naissances
à termes, et sur 32femmes de 45-49ans, 12grossesses cliniques,
2 avortements, 1 toxémie grave avec décès
de l'enfant et 9 grossesses menés à terme,
mais donnent peu d'information sur les déroulements de
ces grossesses et l'état des enfants (12).
3. Le retentissement de l'âge de la mère
sur le devenir de l'enfant est encore ignoré, mais celui
de l'âge du procréateur n'est pas totalement méconnu.
Les travaux d'Auroux (13) ont démontré la diminution
des capacités d'apprentissage des petits rats nés
de pères rats âgés et l'enquête sur
les tests réalisés auprès des conscrits confirme
qu'il vaut mieux ne pas être né d'un père
trop jeune (< 17 ans) ou trop âgé (plus
de 45 ans). On ignore actuelle si l'effet néfaste provient
des vieux spermatozoïdes ou de l'environnement vieillissant
pendant l'enfance. Les enfants nés de mère ménopausées
vivront dans un environnement de vieux mais bénéficieront
d'un jeune héritage génétique, l'inné
l'emportera-t-il sur l'acquis ?
4. L'avenir de ces enfants
Des affaires récentes rapportées par
les médias laissent à penser que certaines femmes
s'offrent à la soixantaine un enfant comme elles s'offriraient
un petit chien ou un manteau de vison. Mais le petit chien peut
se confier à un chenil, que faire d'un enfant lorsque devant
l'énergie parfois dévastatrice des jeunes enfants,
la soixantaine aidant, la fatigue se fera sentir ? Il n'y
aura pas plus de grands parents valides, (si tant est qu'il y
ait des grands parents même invalides). L'importance des
grands parents est admise par tous les sociologues et leur manque
serait une anomalie de plus pour ces enfants. Certes l'espérance
de vie moyenne des femmes augmente mais l'espérance de
vie sans incapacité reste autour de 75 ans, ce qui laisse
25 ans si l'on conçoit (il serait plus légitime
de dire si l'on reçoit un embryon) à 50ans, mais
seulement 15 ans si l'on se décide à 60ans.
Enfin, la cruauté des enfants entre eux, la
volonté d'être semblable aux autres (si bien révélée
par la volonté de similitude des vêtements) feraient
de ces enfants attendus à la sortie de l'école par
des femmes d'un certain âge, des enfants à part.
Quant au bouleversement des générations et à
leur allongement (60ans d'écart au lieu de 30ans) il n'est
pas possible actuellement d'en deviner les conséquences,
mais elles seront de toute façon limitées car ces
désirs tardifs de grossesse ne concernant que de très
rares femmes et ne sont qu'un épiphénomène
trop diffusé par les médias.
5. Le coût de telles pratiques et la provenance
des ovocytes
Les adversaires des PMA ne cessent de reprocher la
pratique de FIV sur des couples non infertiles. De façon
générale, cette critique est vaine, mais faire une
FIV à un couple qui aurait pu concevoir naturellement plus
tôt dans sa vie est parfaitement critiquable sur le plan
économique. Les grossesses après la ménopause
passent obligatoirement par le don d'ovocyte et la fécondation
in vitro (prix minimum de la tentative FIV en secteur hospitalier
15 000 fr.). Entre le taux moyen de succès des
dons d'ovocyte chez les femmes âgées (de l'ordre
de 20% (2)) et le surcoût de la grossesse pathologique,
il est évidemment plus économique de faire soi même
son enfant un peu plus jeune! Que la société paye
pour satisfaire un caprice n'est guère logique dans le
contexte actuel. De telles pratiques pourraient donc peut être
exister mais sûrement ne pas être remboursées
ce qui introduirait immédiatement la critique de la médecine
à deux vitesses.
La provenance des ovocytes est un autre problème.
Le nombre de donneuses d'ovocytes est déjà notoirement
insuffisant et la récente loi sur la bioéthique
va encore les restreindre en interdisant le don non anonyme et
en punissant d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de
200Ê000Êfrancs, quiconque subordonnera le bénéfice
d'un don de gamète à la désignation par le
couple d'une personne ayant volontairement accepté de procéder
à un tel don. Le don d'ovocyte chez les femmes jeunes va
probablement disparaître puisque les seuls ovocytes qui
pourront légalement être utilisés proviendront
des femmes en cours de FIV qui accepteraient de perdre quelques
chances supplémentaires de grossesse en donnant leurs ovocytes
au lieu de garder des embryons congelés supplémentaires
en réserve pour leur propre compte. Qui donc va donner
des ovocytes pour des femmes ménopausées? On comprendrait
mal les motivations du praticien qui ayant réussi à
obtenir légalement quelques ovocytes les donnerait à
une femme ménopausée plutôt qu'à une
jeune femme sans ovaires! Les dons aux femmes âgées
rapportés dans la littérature anglo-saxonne (Navot
(1), Sauer(3)) font clairement état d'une rétribution
de 2000 dollars pour les jeunes donneuses. Cette rétribution
éventuelle tombant également sous le coup de la
loi (cinq ans d'emprisonnement et 500 000 francs d'amende !),
il est probable que le combat s'arrêtera faute de combattant,
en France du moins (les femmes riches pourront toujours s'expatrier
temporairement...).
Au total, l'idée de l'enfant à tout
âge chez la femme comme chez l'homme est certes séduisante
et parfois souhaitable après un décès d'enfant,
mais ses conséquences semblent dangereuses pour la mère
et pour l'enfant. Il est regrettable que de tels excès,
en fait rarissimes en France soient probablement à l'origine
d'une loi trop restrictive qui risque d'aboutir à l'arrêt
de tout don d'ovocytes dans notre pays.
La chute de la fertilité avec l'âge
est donc techniquement parfaitement éluctable. Est-il anodin,
est-il souhaitable d'utiliser cette possibilité, tout le
problème est là.
Tableau 1
Naissances spontanées chez les
femmes de plus de 50 ans
Age (ans) | 1980
| 1982 | 1984
| 1986 | 1988
| 1990 |
50 | 22
| 16 | 21
| 23 | 12
| 20 |
51 | 4
| 8 | 8
| 11 | 9
| 6 |
52 | 4
| 8 | 1
| 3 | 7
| 3 |
53 | 4
| 0 | 5
| 8 | 4
| 3 |
54 | 1
| 4 | 4
| 6 | 5
| 5 |
50-54 | 35
| 36 | 39
| 51 | 37
| 37 |
(sur environ 760 000 naissances par an) Ined
1991 et 1992
Tableau 2 : Mortalité maternelle
selon l'âge en France
Décès pour 100 000 naissances
|
Age (ans) | 1980-1985
| 1986-1990 |
15-19 | 13,4
| 6,9 |
20-24 | 8,9
| 5,4 |
25-29 | 10,3
| 6,1 |
30-34 | 17,9
| 13,6 |
35-39 | 35,6
| 20,9 |
40 et plus | 74,0
| 37,9 |
Bouvier-Colle (Inserm, Service Information
sur les causes médicales de décès)
BIBLIOGRAPHIE
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J. BELAISCH-ALLART et J-M. MAYENGA
Service de Gynécologie-Obstétrique, CHI Jean Rostand,
141 Grande Rue, 92311 Sèvres Cedex
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