Prévention des grossesses multiples
: aspects cliniques
Joëlle BELAÏSCH-ALLART
Depuis quelques années, les néonatalogistes
attirent notre attention sur l'augmentation de la prématurité liée
aux grossesses multiples dues aux traitements inducteurs de l'ovulation. Les risques
liés aux grossesses multiples sont bien démontrés et nul gynécologue
ne songe à les nier, mais peut on vraiment prévenir les grossesses multiples
sans diminuer les taux de succès en stimulation de l'ovulation classique hors
fécondation in vitro (FIV) ou en FIV telle est la vraie question.
La situation est totalement différente
selon que la stimulation de l'ovulation est effectuée en vue d'une ponction
folliculaire ou que l'on prévoit une rupture spontanée du follicule. En
cas de fécondation in vitro, le but est d'obtenir de nombreux ovocytes ; un
recrutement multifolliculaire est donc indispensable. En revanche, en cas de stimulation
de l'ovulation classique (sans ponction de follicules), le but est de recruter au
maximum 2 ou 3 follicules matures et, avec un monitorage soigneux par dosages rapides
d'stradiol plasmatique et échographies, l'hyperstimulation ovarienne et les
grossesses multiples devraient être rares.
1. Peut-on prévenir les grossesses multiples en
stimulation de l'ovulation classique hors FIV ? (ou plus précisément
dans les cycles de stimulation non suivis de ponction folliculaire)
Les travaux de Blondel et al. (6) montrent
que la majorité des grossesses multiples proviennent de ces stimulations hors
FIV et non PRéVENTION
DES GROSSESSES MULTIPLES : ASPECTS CLINIQUES 311
de FIV. Il serait donc fondamental de réussir
à limiter, sinon à prévenir, ces grossesses multiples par le bon
choix des médicaments utilisés et de leur dose et par une surveillance
de la stimulation de l'ovulation adaptée aux thérapeutiques utilisées.
1.1. Médicaments utilisés et grossesses multiples
Avec le Citrate de clomifène seul, le taux
de grossesses multiples se situe aux environs de 8 % (18) avec, selon les séries,
des extrêmes allant de 4,8 (15) à 12,8 % (1). Les grossesses triples sont
exceptionnelles et les hyperstimulations rares. Ceci avait conduit à considérer
qu'un monitorage de l'ovulation n'est pas indispensable au cours de ce type de stimulation.
Actuellement le monitorage est préconisé pour apprécier l'efficacité
du traitement. Avec les hMG utilisés seules, les taux de grossesses multiples
sont beaucoup plus élevés allant de 11 à 44 % selon les séries
(16). Avec l'association citrate de clomifène-hMG, sur de courtes séries
les taux de grossesses multiples rapportées seraient de 8 à 10 %, mais
des séries plus importantes rapportant les résultats des associations
stimulations de l'ovulation-insémination intra-utérine font état
d'un taux de grossesses multiples de 20 % (4, 17) chiffre qui semble plus près
de la réalité. L'utilisation de FSH purifiée au lieu d'hMG n'a pas
modifié le taux de grossesses multiples (14), pas plus que l'utilisation de
FSH recombinantes. Les taux de complication observés avec le citrate de clomifène
sont toujours inférieurs à ceux rapportés lors de l'utilisation des
gonadotrophines, il est donc impératif de commencer chaque fois que possible
par le citrate de clomifène.
Les indications respectives des anti-strogènes
et des gonadotrophines dans les anovulations et dysovulations sont théoriquement
clairement définies, les anti-strogènes représentant le traitement
de première intention, sauf dans les déficiences ovariennes ou dans les
anovulations, qui relèvent d'un traitement spécifique (hyperprolactinémie,
hyperandrogénie surrénalienne, etc.) et dans les anovulations hypothalamo-hypophysaire
à test à la progestérone négatif.
En réalité, hyperstimulation
et grossesses multiples surviennent rarement au cours des stimulations de l'ovulation
pour dysovulation (exception faite des ovaires polykystiques), mais s'observent
essentiellement dans les stimulations de l'ovulation réalisées chez des
patientes normo-ovulantes pour essayer d'améliorer la rencontre ovocyte-spermatozoïde,
en cas d'infertilité inexpliquée ou de stérilité masculine ou
en vue d'insémination intra-utérine (IIU).
312 J.
BELAÏSCH-ALLART Quant
aux analogues agonistes du GnRH, s'ils présentent un intérêt en cas
d'échec des stimulations classiques, leur usage de première intention
hors FIV ne semble pas actuellement justifié.
1.2. Surveillance
Il est élémentaire de rappeler qu'il
ne devrait plus exister de prescription de gonadotrophines sans dosages hormonaux
ni échographies, afin de n'administrer l'hCG que si le nombre de follicules
est inférieur à 3 ou 4 et le taux d'stradiol plasmatique inférieur
à 1 000-1 200 pg/ml, sauf exception. Seule l'association des dosages rapides
d'stradiol plasmatique et de l'échographie permet de surveiller correctement
une stimulation de l'ovulation par les gonadotrophines seules ou associées
aux analogues du GnRH. En effet, un même taux d'stradiol de 400 pg/ml n'a
pas la même valeur selon qu'il existe un follicule mûr unique de 18 mm
ou 4 à 5 petits follicules de 12 mm. A l'inverse, le monitorage échographique
seul ne suffit pas, car il peut exister des discordances entre les images échographiques
et les dosages d'stradiol, liées à la présence de kystes ou de dérivés
embryonnaires kystiques (hydatide sessile) (9). Un monitorage précoce permet
non seulement d'adapter les doses d'inducteur utilisées, mais aussi d'arrêter
la stimulation en cas de recrutement folliculaire excessif, de ne pas administrer
l'hCG et de préconiser des rapports sexuels protégés.
Les critères cités ci-dessus
peuvent être modifiés dans certains cas : trompe unique perméable,
échecs répétés de stimulations ou syndrome des ovaires micropolykystiques
(PCO). S'il ne reste qu'une trompe fonctionnelle à une patiente possédant
ses deux ovaires, on peut négliger les follicules recrutés sur l'ovaire
sans trompe, les fécondations croisées étant assez rares. Il peut
alors être parfaitement légitime de déclencher l'ovulation sur 6
ou 7 follicules matures, lorsque seuls 2 à 3 sont situés du côté
de la trompe perméable. Dans le même ordre d'idée, après un
certain nombre d'échecs de stimulations de l'ovulation «raisonnables»,
il est admis d'hyperstimuler la patiente lors du dernier cycle d'insémination
intra utérine pour augmenter ses chances de grossesses avant le recours à
la FIV.
1.3. Déclenchement de l'ovulation et phase lutéale
L'abstention de toute injection d'hCG lorsque
les ovaires ont été trop stimulés est une méthode de prévention
efficace de l'hyper PRéVENTION
DES GROSSESSES MULTIPLES : ASPECTS CLINIQUES 313
stimulation et des grossesses multiples (5),
à la condition de recommander à la patiente de s'abstenir de rapports
sexuels non protégés pour éviter une grossesse multiple due à
la rupture de plusieurs follicules après décharge spontanée de LH.
L'administration répétée d'hCG
en phase lutéale est également à proscrire. Cette pratique trouvait
sa justification soit dans l'absence d'ovulation visible à l'échographie
pratiquée après une injection d'hCG, soit dans un hypothétique soutien
de la phase lutéale. En réalité, il est impossible d'affirmer échographiquement
que l'ovulation n'a pas eu lieu. S'il est parfois légitime de conclure à
un aspect compatible avec une ovulation récente devant la disparition d'un
follicule unique pré ovulatoire, il n'existe en revanche aucun signe spécifique
constant de l'ovulation (9). De plus, il est démontré que l'administration
répétée d'hCG en phase lutéale, si elle augmente le risque d'hyperstimulation
n'augmente pas le taux de grossesse après stimulation par clomifène-hMG
(2). En revanche, cette administration répétée peut induire la rupture
successive de plusieurs follicules et le développement d'une grossesse multiple.
Cette pratique est donc à éviter, si l'on veut soutenir la phase lutéale
l'administration de progestérone est nettement préférable.
Le déclenchement de l'ovulation
par analogue du GnRH au lieu d'hCG semble avoir un effet réducteur sur l'hyperstimulation
mais l'effet protecteur sur les grossesses multiples reste à démontrer
(10). En dernier recours, devant un recrutement plurifolliculaire non recherché
lors d'une stimulation de l'ovulation en dehors de la fécondation in vitro,
on a pu proposer une réduction ovocytaire sélective (3). Cette technique
consistait à administrer l'hCG malgré le recrutement folliculaire excessif
dès que les critères de maturité folliculaires exigés en FIV
étaient réunis, les patientes étaient averties qu'elles pouraient
avoir des rapports sexuels le lendemain soir de l'hCG, puis une ponction échoguidée
des follicules était réalisée 35 + 1 h après l'administration
de l'hCG, ne laissant que 2 à 3 follicules intacts sur les ovaires, une insémination
intra-utérine étant réalisée en fin de ponction. Les contenus
folliculaires ainsi ponctionnés sont remis au laboratoire de FIV, et les ovocytes
recueillis mis en fécondation avec le sperme du conjoint ; les embryons éventuellement
obtenus congelés et conservés au cas où le cycle d'hyperstimulation
n'entraînerait pas de grossesse. Cette technique avait pour avantage de s'assurer
que les ovocytes ont bien été retirés des follicules ; elle était
donc préférable à une simple aspiration des follicules sans administration
d'hCG ; elle permettait de plus d'utiliser cette production ovocytaire excessive
chez des patientes qui, souvent, avaient antérieurement mal répondu aux
314 J.
BELAÏSCH-ALLART stimulations
ovariennes. Cette technique ne se conçoit que si l'on dispose d'un laboratoire
FIV avec possibilité de congélation et n'est pas sans poser quelques problèmes
pratiques et parfois financiers à l'heure où il faut un agrément
de la Sécurité sociale pour chaque tentative de FIV. D'autres équipes
proposent devant un recrutement folliculaire excessif la transformation du cycle
d'IIU en cycles FIV ce qui pose également en France des problèmes administratifs.
1.4. Mais les exceptions existent...
Bien qu'elles soient rarement publiées, nous
connaissons tous des cas de déclenchement de l'ovulation sur un taux d'E2
à 340 pg/ml avec 2 beaux follicules, où la première échographe
révèle une grossesse triple (Belaisch-Allart, données non publiées)
ou de pompe à LHRH avec décharge spontanée de LH sur un taux d'E2
de 375 pg/ml avec un follicule à 17 mm et 3 à 13 mm suivie d'une grossesse
quadruple (7). Cette dernière observation démontre bien que même
la pompe à LHRH ne met pas à l'abri de grossesses multiples.
Hors FIV, s'il est certain que le respect
d'un certain nombre de règles permet de limiter le nombre de grossesses multiples,
il apparaît clairement qu'on ne peut totalement les éviter.
2. Peut-on prévenir les grossesses multiples en
PMA (ou plus précisément dans les cycles avec ponction de
follicules et transfert d'ovocytes ou d'embryons) ?
Il est beaucoup plus facile de contrôler
le taux de grossesses multiples en FIV, en jouant sur le nombre d'embryons transférés,
que hors FIV où l'on ne peut maîtriser que le nombre de follicules recrutés
et où l'on est réduit à supposer le nombre d'embryons qui seront
obtenus. Cette hypothèse est confirmée par le fait que la majorité
des grossesses multiples proviennent de stimulations hors FIV.
Il serait simple de ne déposer
in utero qu'un embryon, le risque de grossesses multiples étant alors extrêmement
faible (mais non nul, puisque plusieurs cas de division embryonnaire après
le transfert PRéVENTION
DES GROSSESSES MULTIPLES : ASPECTS CLINIQUES 315
in utero ont été rapportés),
le problème est que le taux de grossesse serait faible : 10,2 % si un seul
embryon est transféré et qu'il n'y a pas d'embryon supplémentaire
à congeler ; 16,7 % si un seul embryon est transféré volontairement
alors qu'il reste des embryons à congeler, contre 19 et 32 % avec 2 embryons
dans les mêmes situations (FIVNAT 2001).
La tentation d'augmenter le nombre d'embryons
transférés est donc grande pour les équipes de FIV mais si l'on augmente
effectivement le taux de grossesses en augmentant le nombre d'embryons transférés,
on augmente également le taux de grossesses multiples qui passe de 1,4 % avec
le transfert de un embryon à 14,6 % avec 2 embryons, 26,9 % avec 3, 35,9 %
avec 4 et 41,1 avec 5 embryons ou plus ! (12) D'autres paramètres que le nombre
d'embryons transférés interviennent sur le taux de grossesses multiples.
Plusieurs équipes ont essayé de cerner au mieux ces paramètres afin
d'adapter la politique de transfert et de diminuer le nombre d'embryons transférés
dans les cas les plus exposés aux risques de grossesses multiples. L'analyse
de FIVNAT (12) a mis en évidence le rôle de l'âge sur les grossesses
multiples, le taux global de grossesses multiples (gémellaires, triples et
plus) passe de 32,8 % avant 30 ans à 14,6 % après 40 ans. De même
l'indication de la FIV intervient de façon évidente, dans la FIV d'indication
masculine (sperme altéré ou échec d'IAD) 1/3 des grossesses sont
multiples. Le taux de grossesses multiples est également très significativement
lié au taux de fécondation (nombre d'embryons obtenus par rapport au nombre
d'ovocytes mis en fécondation), le taux de grossesses multiples passe de 20,3
% lorsque le taux de fécondation est inférieur à 50 % à 30,5
% si le taux de fécondation est supérieur à 50 %. Les éléments
à prendre en compte au moment du choix du nombre d'embryons transférés
sont donc l'âge de la patiente, l'origine de l'infécondité et le
taux de fécondation. Un dernier critère est également pris en compte
au niveau de chaque équipe, mais est difficilement quantifiable faute de définition
précise, la qualité embryonnaire. Cette politique de transfert adapté
est effectivement appliquée en France comme le démontre la diminution
des transferts au-delà de 3 embryons qui représentaient 20,8 % des transferts
en 1993, 10,2 % en 1997 et 5,2 % en 2000 (11). En 2000, le nombre moyen d'embryons
transférés était de 1,88 en FIV et 2,12 en ICSI contre 2,03 et 2,38
en 1996 (FIVNAT 2001, 11), ce qui atteste la volonté des équipes de lutter
contre les grossesses multiples.
Là aussi les exceptions existent,
les grossesses triples après 40 ans sont rarissimes (1 %) mais non nulles et
plusieurs équipes ont 316 J.
BELAÏSCH-ALLART rapporté
sinon publié des grossesses triples après transferts de 2 embryons et
quadruples après transfert de 3 embryons !
Quant aux FIV en cycle spontané, elles ne
sont pas le remède miracle contre les grossesses multiples que l'on croit parfois.
Certes la première publication de l'équipe de Port-Royal rapportait un
taux de grossesse de 17,5 % par cycle (13) mais ce taux n'a pas été retrouvé
par d'autres équipes. Au contraire Claman et coll. ont rapporté un taux
de grossesses de 5 % par ponction en cycle spontané avec un taux d'annulation
de 47 % (8). De plus la surveillance quotidienne de la LH, l'angoisse de la décharge
spontanée de la LH, la nécessité pour l'équipe de travailler
les jours fériés, le taux élevé de ponction sans recueil ovocytaire
ne plaident pas pour les FIV en cycle spontané. Ces inconvénients pourraient
en théorie être supprimés par l'usage des antagonistes du GnRH.
Le transfert d'un ou deux embryons
au stade de blastocyste a soulevé de grands espoirs non confirmés par
les problèmes des milieux de culture.
La notion de politique de transfert
adaptée utilisée en FIV, technique où l'on maîtrise le nombre
et la qualité des embryons transférés in utero et où
il est aisé d'établir une corrélation entre le nombre d'embryons
transférés et le nombre d'embryons qui s'implantent, pourrait être
utilisée avec succès hors PMA, en l'extrapolant. En cas d'induction de
l'ovulation chez les femme normo-ovulantes, en cas d'infertilité inexpliquée
ou d'infertilité masculine, il est logique d'appliquer les mêmes critères
et de viser un recrutement folliculaire plus élevé chez une femme de 40
ans ou en cas d'infertilité masculine (paradoxalement, pour l'infertilité
masculine, la situation hors FIV doit probablement être l'inverse de la PMA,
car on essaie de compenser le faible taux de fécondation Tableau
1 : Analyse des grossesses multiples selon le nombre d'embryons transférés
|
˙Nb
d'embryons |
˙Simples |
˙Gémellaires |
˙Triples ou plus |
˙Effectifs |
|
˙ |
˙transférés |
˙(%) |
˙(%) |
˙(%) |
|
˙ |
˙1 |
˙98,6 |
˙ 1,4 |
˙ 0,0 |
˙ 287 |
˙ |
˙2 |
˙85,4 |
˙13,7 |
˙ 0,9 |
˙ 569 |
˙ |
˙3 |
˙73,1 |
˙21,6 |
˙ 5,3 |
˙1 472 |
˙ |
˙4 |
˙64,1 |
˙27,8 |
˙ 8,1 |
˙1 499 |
˙ |
˙> 5 |
˙58,8 |
˙27,7 |
˙13,4 |
˙ 430 |
p < 0,001
(FIVNAT 92) PRéVENTION
DES GROSSESSES MULTIPLES : ASPECTS CLINIQUES 317
attendu par un recrutement pluri-ovocytaire).
De plus lorsque le risque de grossesses multiples est excessif devant des ovaires
répondant toujours trop bien à la stimulation de l'ovulation on peut légitimement
se demander s'il ne serait pas plus logique de diriger directement la patiente vers
la FIV même si l'état de ses trompes permettait une fécondation naturelle.
Au prix d'indications bien posées, d'un bon
usage des inducteurs de l'ovulation et d'un monitorage soigneux, il est possible
aujourd'hui de réduire le taux de grossesses multiples dans les stimulations
de l'ovulation suivies ou non de ponctions folliculaires, sans trop diminuer pour
autant le taux global de grossesses, mais la médecine n'étant pas une
science exacte, il faudra toujours s'attendre à des grossesses multiples inattendues
!
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