Place de l'hormone anti-Müllérienne
dans l'exploration du couple infertile
Paul COHEN-BACRIE
Actuellement, un couple sur six consulte
pour un désir d'enfant et un bilan clinique et biologique s'impose pour décider
de la conduite thérapeutique en vue d'une assistance médicale à la
procréation (AMP). De nouveaux marqueurs biologiques de l'infertilité
féminine sont constamment étudiés pour évaluer chez la femme
la réserve ovarienne, la facilité ou la difficulté de la stimulation
ovarienne, la qualité ovocytaire, la qualité embryonnaire et la prédictivité
de grossesse. De même, chez l'homme, des marqueurs sont développés
pour apprécier la fécondance du sperme, la qualité embryonnaire et
chez les hommes azoospermiques la probabilité de réaliser une ponction
testiculaire permettant à coup sûr de ramener des spermatozoïdes
et d'éviter un geste chirurgical inutile. L'hormone anti-Müllérienne
est l'un des derniers marqueurs en cours d'évaluation dans le bilan d'infertilité
du couple.
Qu'est-ce que l'hormone anti-Müllérienne
?
L'hormone anti-Müllérienne (AMH), ou
Müllerian inhibiting substance (MIS), a été découverte
par Alfred Jost dans les années 50. Cet auteur a montré qu'une substance
testiculaire non encore identifiée mais différente de la testostérone
était capable de faire régresser les canaux Müllériens lors
de l'organogenèse fœtale. En effet, la testostérone synthétisée
par le tissu testiculaire fœtal est indispensable à la différenciation
sexuelle pour masculiniser les organes génitaux externes du fœtus, mais elle
est incapable de faire régresser les canaux Müllériens. L'AMH a ainsi
pour rôle principal de réprimer le développement des canaux de Müller,
qui 332 P.
COHEN-BACRIE représentent
l'ébauche de l'utérus, des trompes et de la partie supérieure du
vagin chez la femme.
L'AMH a été purifiée seulement
en 1984 ; son gène a été cloné en 1986 et celui de son récepteur
en 1994 l'activité biologique de l'hormone a longtemps été appréciée
grâce à un test qualitatif reposant sur sa capacité à faire
régresser des canaux de Müller de fœtus de rat in vitro. Plus récemment,
un test quantitatif fondé sur l'inhibition de l'activité aromatase d'ovaires
fœtaux a été développé. Actuellement il existe une analyse immuno
enzymatique de type sandwich (capture de l'AMH par un anticorps monoclonal, liaison
d'un deuxième anticorps, fixation d'un conjugué,activité déterminée
par addition d'un substrat chromogène, lecture colorimétrique). Les valeurs
de l'AMH sont exprimées en ng/mL ou pmol/L (3.5 ng/mL= 25 pmol/L).
L'AMH appartient à la superfamille
du transforming growth factor (TGF-b) qui comprend de nombreux facteurs agissant
sur la croissance et la différenciation cellulaire. L'AMH est une glycoprotéine
dimérique dont les deux chaînes sont reliées par des ponts disulfure.
Elle est synthétisée sous forme d'un précurseur qui nécessite
un clivage protéolytique près de l'extrémité C-terminale pour
acquérir une activité biologique. L'AMH dimère non clivée a
une masse de 140 kD, seul le fragment C-terminal de 25 kD est biologiquement actif,
le fragment N-terminal potentialise l'activité biologique du fragment C-terminal
au lieu de l'inhiber. Le site cellulaire où se produit le clivage protéolytique
de la protéine est controversé soit dans la cellule productrice, soit
au niveau des organes cibles.
Origine de l'AMH
L'AMH est synthétisée exclusivement
par les cellules somatiques de la gonade dans les deux sexes, à des moments
bien définis.
Chez l'homme, l'AMH est produite
par les cellules de Sertoli dès la différenciation de la gonade, puis
pendant toute la vie foetale et ce jusqu'à la puberté. L'inhibition de
la synthèse de l'AMH au moment de la puberté est essentiellement due à
l'augmentation de la concentration de testostérone dans le testicule et dans
une moindre mesure, à l'entrée en méiose des spermatocytes qui bloque
la synthèse d'AMH dans les tubes séminifères. La FSH a un effet inverse,
elle stimule la transcription de l'AMH, mais son action n'est visible que si l'effet
contraire des androgènes est annulé, par exemple en cas d'insensibilité
aux androgènes PLACE
DE L'HORMONE ANTI-MüLLéRIENNE DANS L'EXPLORATION
DU COUPLE ... 333
Après la puberté, l'AMH continue
à être exprimée dans les tubes séminifères par les cellules
de Sertoli, en quantité beaucoup plus faible mais néanmoins détectable
dans le liquide séminal où elle représente un marqueur de spermatogenèse.
La synthèse d'AMH a également été détectée dans les
cellules de Leydig chez les hommes adultes.
Chez la femme, l'AMH est produite par les cellules
de la granulosa des follicules ovariens en croissance uniquement après
la naissance et en quantité faible. La production ovarienne d'AMH, et par conséquent
sa concentration sérique, est fortement augmentée en cas de cancer de
la granulosa.
Origine génétique de l'AMH
Le gène humain de l'AMH cloné en 1986
est formé de 5 exons et comporte 2,75 kb, il est situé sur le bras court
du chromosome 19. La fin du 5e exon, qui code pour la partie C-terminale,
biologiquement active, de la protéine, est la seule à présenter des
homologies avec les autres membres de la famille du TGF-b. Le promoteur humain a
été cloné en 1990 ; récemment la présence d'un gène
« de ménage », codant pour un spliceosome, une protéine intervenant
dans l'épissage, a été localisée très près du site
d'initiation, 679 pb chez l'homme et 328 chez la souris. Un site de liaison
à la protéine de différenciation testiculaire SRY a été
décrit à 64 pb, mais son intégrité n'est pas nécessaire
à l'expression de l'AMH et son intérêt physiologique est donc douteux.
En revanche, il existe à 154 pb un site canonique de liaison à Sox9. In
vivo, Sox9 initie la transcription et SF-1 joue un rôle régulateur
Les séquences régulatrices permettant l'action des androgènes et
de la FSH n'ont pas encore été identifiées.
Le récepteur de l'AMH
Les membres de la famille du TGF-b transduisent
leur signal par l'intermédiaire de deux types de récepteur. Le récepteur
primaire, dit récepteur de type II, une sérine/thréonine kinase à
un seul domaine transmembranaire, est capable de lier son ligand, mais par lui-même,
il ne peut transmettre un signal biologique. Pour ce faire, il doit recruter et
activer une deuxième sérine/thréonine kinase, le récepteur de
type I, qui à son tour active une protéine effectrice cytoplasmique,dite
protéine Smad 334 P.
COHEN-BACRIE Seul le
récepteur de type II de l'AMH a été cloné. Il s'exprime dans
le mésenchyme autour du canal de Müller, dans les cellules de Sertoli
et de Leydig et dans les cellules de la granulosa.
Rôle physiologique de l'AMH
L'AMH réprime le développement de l'ébauche
des organes génitaux internes féminins, les canaux de Müller, qui
initialement sont présents dans les deux sexes. Chez le fœtus mâle, la
régression des canaux de Müller s'effectue très tôt au cours
de la vie fœtale, entre 8 et 10 semaines.
L'AMH inhibe l'expression des enzymes
de la stéroïdogenèse.
Au niveau ovarien l'AMH inhibe la production
d'aromatase par les cellules de la granulosa, et joue un rôle dans la régulation
de la folliculogenèse.
Chez l'homme l'AMH inhibe la production
d'androgènes par les cellules de Leydig.
Intérêt du dosage de l'AMH dans le
bilan d'infertilité du couple
L'expression cellulaire spécifique par les
cellules de Sertoli chez l'homme ou par les cellules de la granulosa chez la femme
fait suggérer que l'AMH est un marqueur d'un grand intérêt pour évaluer
l'activité gonadique de l'homme ou de la femme lors d'un bilan de stérilité
du couple. Quelques études préliminaires avaient souligné l'importance
de ce dosage pour évaluer la réserve folliculaire de la femme ou l'activité
testiculaire de l'homme.
Intérêt du dosage d'AMH chez la femme
Chez la femme, Themmen et al. (2002) ont
montré que les taux d'AMH étaient corrélés avec la réserve
folliculaire qui détermine le taux de succès lors des tentatives d'AMP.
Dans leur première étude chez des femmes volontaires ces auteurs ont montré
que les taux sériques d'AMH diminuaient dans le temps, et qu'il existait une
étroite corrélation entre ce taux et le nombre de follicules déterminés
lors d'échographie transvaginale. Dans une seconde étude chez des patientes
en protocole de stimulation ovarienne pour AMP, ils ont observé une bonne corrélation
entre les taux PLACE
DE L'HORMONE ANTI-MüLLéRIENNE DANS L'EXPLORATION
DU COUPLE ... 335
sériques d'AMH et le nombre d'ovocytes
ponctionnés et le succès de la tentative d'AMP.
Dans une étude longitudinale parmi 41 femmes
en pré-ménopause normoovulantes et 13 femmes ménopausées, De
Vet et al. (2002) ont observé que les taux d'AMH diminuaient significativement
au cours du temps (p < 0,001). Les concentrations d'AMH variaient de
2,1 ng/mL (écart 0,1-7,4 ng/mL) à 1,3 ng/mL (écart 0,0 - 5,0 ng/mL)
entre les deux dosages successifs chez les femmes en pré-ménopause contrairement
aux autres marqueurs de l'ovulation (FSH, inhibine B, estradiol). Les concentrations
d'AMH sont corrélées avec le nombre de follicules antraux détectés
à l'échographie et l'âge de la patiente, mais pas avec les taux de
FSH ou d'inhibine B. Pour ces auteurs le dosage d'AMH représenterait un marqueur
prédictif de l'âge ovarien.
Dans une étude rétrospective
sur des sérums congelés provenant de femmes ayant eu une tentative d'AMP,
Seifer et al. (2002) ont montré l'intérêt des dosages d'AMH
au 3e jour du cycle. Les 28 femmes ayant moins de 6 ovocytes ponctionnés
présentaient des concentrations sériques d'AMH de 1,0 + 0,4 ng/mL.
En comparaison les taux d'AMH chez les 79 patientes ayant plus de 11 ovo
Schéma 1. AMH à J3/ovocytes totaux
des femmes non enceintes. Schéma
2. AMH à J3/ovocytes totaux pour les femmes enceintes.
336 P.
COHEN-BACRIE cytes ponctionnés
étaient 2 à 2,5 fois plus élevés (2,5 + 0,3 ng/mL). Ces
données préliminaires montrent la relation possible entre le taux d'AMH
au 3ème jour et le nombre d'ovocytes ponctionnés, et un taux élevé
d'AMH est corrélé au nombre d'ovocytes ponctionnés.
Dans une étude récente présentée
au dernier congrès de l'ASRM en octobre 2002 à Seattle, Fanchin et al.
ont montré qu'un taux d'AMH au troisième jour du cycle était mieux
corrélé avec le nombre de follicules antraux que les taux d'inhibine B
ou de la FSH.
Dans une série préliminaire
de dosages d'AMH réalisés au 3e jour chez 35 patientes (85
cycles, 11 grossesses évolutives, une fausse couche spontanée, une grossesse
extra utérine) présentée en octobre 2002 à la Société
de Médecine de la Reproduction, Hazout et Cohen-Bacrie ont montré une
corrélation entre les taux d'AMH et le nombre d'ovocytes totaux et le nombre
d'embryons et le taux de grossesses lors d'une tentative de procréation assistée
ultérieure (schémas 1 et 2 )
Intérêt du dosage d'AMH chez l'homme
Chez l'enfant, l'équipe pédiatrique
de Lee a montré l'intérêt pratique du dosage de l'AMH parmi des garçons
avant la puberté. Parmi 116 enfants sans testicules palpables cliniquement
les taux sériques d'AMH étaient détectables chez 81 garçons
avec testicules secondairement identifiés sauf chez deux enfants qui présentaient
un syndrome de persistance des canaux Müllériens. Parmi le groupe de 35
enfants explorés chirurgicalement pour anorchidie, les taux d'AMH étaient
indétectables. Les auteurs concluaient que la présence détectable
d'AMH dans le sérum est prédictive de l'existence de tissu testiculaire,
alors que l'absence d'AMH suggère fortement une anorchidie. Chez les enfants
avec des taux d'AMH proches de ceux retrouvés chez la femme le problème
d'une dysgénésie testiculaire ou la persistance de tissu ovarien est fortement
suggérée.
Fugisawa et al. ont constaté
que les concentrations d'AMH dans le plasma séminal de l'homme adulte représentaient
un bon marqueur de la spermatogenèse. Les concentrations d'AMH dans le liquide
séminal (149,0 + 254,0 pmol/L) parmi 39 hommes présentant une oligozoospermie
étaient significativement plus basses que celles observés chez 10 hommes
normaux (249,0 + 167,7 pmol/L) (p < 0,033). Les concentrations d'AMH dans le
liquide séminal étaient également corrélées avec le nombre
de spermato PLACE
DE L'HORMONE ANTI-MüLLéRIENNE DANS L'EXPLORATION
DU COUPLE ... 337
zoïdes (p = 0,0350) et le volume testiculaire
(p = 0,246). La concentration sérique de LH était aussi corrélée
avec la concentration d'AMH dans le plasma séminal, à l'inverse des concentrations
sériques de FSH, testostérone ou d'estradiol. Le dosage de l'AMH dans
le liquide séminal pourrait être ainsi un bon marqueur du développement
des cellules de Sertoli et ainsi de la spermatogenèse.
Fenichel et al. ont également démontré
que la concentration en AMH dans le plasma séminal était significativement
plus basse voire indétectable chez des patients azoospermiques par rapport
à un groupe de 18 donneurs de sperme fertiles. Parmi les 9 patients azoospermiques
obstructifs (après vasectomie ou agénésie des canaux déférents)
les concentrations d'AMH dans le liquide séminal étaient indétectables,
ce qui confirme bien l'origine testiculaire de l'AMH. Parmi les 23 patients présentant
une azoospermie non obstructive (hypospermatogénèse avec caryotype normal)
les concentrations d'AMH dans le liquide séminal étaient significativement
plus basses que celles des donneurs (p < 0,003), il n'existait pas de corrélation
avec les concentrations sériques de FSH. La comparaison des taux d'AMH dans
le plasma séminal et les résultats histologiques des biopsies testiculaires
de ces 23 patients a révélé que les taux indétectables
d'AMH étaient associés à une absence de spermatozoïdes, alors
que de faibles taux d'AMH étaient détectés chez les patients avec
spermatogenèse conservée. Ainsi, la recherche d'AMH dans le plasma séminal
de l'homme adulte au cours d'un bilan d'infertilité représenterait un
intérêt tout particulier chez des patients azoospermiques non obstructifs
avec spermatogenèse conservée, et ce marqueur non invasif serait prédictif
de la présence ou non de spermatozoïdes testiculaires.
Barrière et al. ont également
démontré l'intérêt des dosages d'AMH dans le liquide séminal
comme valeur prédictive chez les patients azoospermiques non obstructifs. Les
auteurs ont comparé les taux d'AMH dans le liquide séminal parmi 24 hommes
azoospermiques non obstructifs et 6 hommes azoospermiques obstructifs avec ceux
obtenus chez 14 donneurs fertiles. Dans le groupe des 24 hommes les résultats
des biopsies testiculaires ont été comparés avec les résultats
des dosages d'AMH. Les valeurs prédictives d'isoler ou non des spermatozoïdes
dans la biopsie testiculaire étaient respectivement de 62,5 % pour une valeur
positive et de 75 % pour une valeur négative.
Ces différents résultats
permettent d'attribuer au dosage de l'AMH dans le liquide séminal un rôle
prédictif de l'existence ou non d'une 338 P.
COHEN-BACRIE spermatogenèse
conservée chez les patients présentant une azoospermie non obstructive
et consultant pour un bilan d'infertilité.
Conclusion
Toutes ces données préliminaires montrent
l'intérêt du dosage plasmatique de l'AMH pour évaluer le statut ovarien
et mesurer son éventuel vieillissement chez la femme. Il doit être associé
aux autres marqueurs habituels (œstradiol, FSH, LH, Inhibine B) et à l'échographie.
Chez l'homme, le dosage d'AMH représente
un marqueur plasmatique séminal intéressant pour évaluer une spermatogenèse
déficiente.
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