Les XXIIe JTA
> Présentation
> Programme
> Comité scientifique
> Intervenants
> Contacter les JTA

En pratique
> S'inscrire
> Renseignements
> Hébergement
> Programme social
> Post-congrès

Les archives
> Andrologie
> Biologie
> Gynécologie
> Infertilité
> Médecine foetale
> Néonatologie
> Nutrition
> Obstétrique
> Pédiatrie
> Périnatalité
> Périnéologie
> Phlébologie
> Psychosomatique

Rechercher

Titre: Demande d'IAD et séropositivité : expérience du CECOS Paris Bicêtre
Année: 1995
Auteurs: - Jouannet P.
Spécialité: Infertilité
Theme: VIH

Chapitre 5

demande d'IAD et séropositivité ; expérience du CECOS Paris Bicêtre

P. JOUANNET ET J.M. KUNSTMANN

Quels sont les risques de contamination de la femme et de l'enfant en programmant les rapports sexuels au strict minimum pour tenter de concevoir un enfant ? Est-il possible de traiter le sperme pour supprimer ou diminuer tout risque de contamination ? Une conception avec sperme de donneur est-elle envisageable? Telles sont les questions souvent posées par les couples souhaitant un enfant quand l'homme est séropositif et la femme séronégative.

Certain couples choisissent d'avoir des rapports sexuels non protégés. Bien qu'il ne soit pas chiffré, le risque de contamination de la femme et de l'enfant est certain. Certains médecins recommandent de limiter strictement les rapports sexuels non protégés à la période d'ovulation. Dans ces conditions, d'après R. HENRION1, le risque de contamination de la femme est inférieur à 5% quand le partenaire est asymptomatique.

Il a aussi été proposé de réaliser des inséminations avec les spermatozoïdes de l'homme séparés du plasma séminal et des autres cellules du sperme. Une équipe italienne utilisant ce type de méthode a publié des résultats qui ont connu un certain retentissement2. Aucune séroconversion n'aurait été observée chez les femmes après les inséminations artificielles qui par ailleurs ont conduit à un taux de grossesse très élevé. Ces données doivent être interprétées cependant avec beaucoup de prudence. Les résultats donnés par cette équipe pour démontrer l'absence de virus dans les préparations de sperme utilisées pour l'insémination sont peu convaincants car la méthodologie de détection du virus qui a été utilisée ne semble pas la plus pertinente. Par ailleurs, d'autres observations indiquent que tout risque de contamination n'est pas écarté par insémination artificielle des spermatozoïdes sélectionnés3. Enfin différents travaux expérimentaux ont démontré que le virus pouvait se fixer sur les spermatozoïdes et même pénétrer à l'intérieur4. Il n'existe aucun argument solide actuellement pour penser que l'insémination des spermatozoïdes sélectionnés d'un homme séropositif entraînerait moins de risque de contamination de sa femme ou de sa compagne qu'un rapport naturel. Il n'y a donc pas de raison de recommander ce type d'assistance médicale à la procréation.

Depuis 1986, des couples dont l'homme était séropositif et la femme séronégative ont sollicité l'aide des CECOS pour concevoir un enfant par sperme de donneur. Ces demandes ont suscités de longs débats au seins des CECOS par les questions médicales et éthiques qu'elles soulevaient.

Peut-on, doit-on aider un homme à devenir père avec l'aide d'un tiers donneur alors qu'il n'est pas stérile, alors qu'il est porteur d'une affection virale qui ne peut être traitée efficacement et dont le pronostic est fatal dans bien des cas ? Quel est l'avenir de l'enfant? Comme réagira-t-il face à la maladie de son père?

Depuis 20 ans, les CECOS ont l'habitude d'être confrontés à des questions difficiles touchant l'intimité de chacun, interrogeant le médecin sur les limites de son devoir et de sa responsabilité mais perturbant aussi quelquefois les modes de pensée traditionnelle de la société. Les CECOS sont aussi confrontés à des convictions, à des émotions, à des prises de positions où le passionnel l'emporte souvent sur le rationnel. En l'occurrence de nombreuses réactions se sont exprimées allant de la nécessité d'aider sans réserve les couples concernés (les médecins n'ayant pas à intervenir dans le choix personnel des couples) jusqu'à l'obligation de refuser ce type de demande au nom de l'intérêt de l'enfant (les CECOS ne devant pas aider à concevoir de "futurs orphelins").

Reconnaissant la complexité du problème et les difficultés à définir une attitude consensuelle, la Fédération Française des CECOS qui regroupe l'ensemble des centres a proposé un "moratoire actif". Elle a accepté que quelques centres volontaires considèrent la demande de ces couples dans le cadre d'une étude cherchant à analyser tous les aspects de la prise en charge pour en définir les modalités spécifiques si nécessaire.

Au CECOS Paris-Bicêtre, un groupe multidisciplinaire a été formé pour réaliser l'étude qui a reçu par ailleurs le soutien de l'Agence Nationale de Recherche sur le SIDA. Ce groupe réunit un interniste spécialiste du SIDA, deux psychiatres et les médecins du centre. Des critères minima ont été définis pour considérer la demande des couples: outre le fait que le couple doit accepter les exigences médicales et éthiques habituelles en matière d'IAD, l'homme doit être asymptomatique et suivi régulièrement pour son infection virale et le couple doit respecter des conditions très strictes de protection dans sa vie sexuelle.

Une procédure de prise de décision a été mise en place. Le couple est reçu très longuement par un médecin du CECOS qui peut répondre à toutes les questions, envisager avec lui les différents aspects et les différentes conséquences de sa démarche et lui expliquer les modalités de la prise en charge. Comme pour toute demande d'IAD quelqu'en soit le motif, le couple a ensuite un entretien psychologique. Par ailleurs sont réunis les avis du ou des médecins traitants de l'homme et du gynécologue susceptible de réaliser les inséminations. Les résultats des examens biocliniques faits pour l'homme sont aussi pris en compte. Une première synthèse est faite avec le couple en fonction de tous les éléments ainsi réunis et la procédure n'est pas poursuivie s'il y a des raisons de l'arrêter. Dans le cas contraire, les différents avis médicaux et résultats des bilans biocliniques faits entre temps sont à nouveau réunis après 1 an, délai d'attente identique à celui existant pour tous les couples demandeurs d'IAD. La décision de débuter ou non les inséminations est prise par le CECOS à ce moment en liaison avec le couple.

De 1986 au 1er janvier 1994, 128 couples se sont adressé au CECOS Paris-Bicêtre (voir tableau). Au début, les demandes étaient peu nombreuses. Depuis le début des années 90, elles sont d'une trentaine environ chaque année. Dans les 2/3 des cas, les couples étaient mariés.

Plus de la moitié vivaient ensemble depuis moins de 5 ans au moment de la demande, 75% des hommes et 82% des femmes avaient moins de 35 ans. Le mode de contamination identifié par l'homme était lié à une pratique toxicomane dans 42% des cas, à les relations sexuelles avec un partenaire de sexe diffèrent dans 32% des cas et avec un partenaire de même sexe pour 14%. Enfin, la contamination était due à une transfusion dans 9% des cas. Le mode de contamination était inconnu ou non dit chez 20% des hommes. Le temps écoulé depuis la date connue ou présumée de la contamination était supérieur à 5 ans pour 75% des hommes et même supérieur à 10 ans dans 20% des cas.

Certains couples n'ont pas maintenu leur demande. Trois d'entre eux ont eu un enfant par conception naturelle, la grossesse étant attribuée à un "incident de préservatif" deux fois sur trois. Les autres ont soit renoncé à leur projet d'enfant soit ont été perdus de vue par le CECOS. Les médecins du CECOS ont été amenés à refuser la demande 19 fois que ce soit d'emblée ou après l'année d'attente. Le plus souvent ce sont l'état de santé de l'homme et les résultats des bilans biocliniques qui ont motivé ce refus. Une décision de ce type est toujours très difficile à prendre et est encore plus difficile à annoncer au couple. Non seulement elle va contre le désir profond du couple, mais elle peut être perçue comme un "arrêt de mort" confirmant un pronostic évoqué d'habitude de manière plus ou moins précise. Notre annonce contribue à concrétiser une crainte toujours présente, mais rarement formulée expressément par l'homme ou dans le couple. La collaboration entre le médecin traitant et le CECOS, la sensibilisation de l'entourage au projet du couple peuvent jouer un rôle déterminant pour affronter cette épreuve.

Une aide à la conception avec tiers donneur a effectivement débuté pour 40 couples. Au 31 mai 1994, il y avait eu 311 cycles de traitement et 28 grossesses pour 24 couples. Le taux moyen de grossesses par cycle était de 9%, chiffre tout à fait comparable aux IAD faites dans les indication habituelles. Il y a eu 5 fausses couches spontanées précoces et 18 accouchements de 19 enfants. Le plus âgé des enfants a 5 ans. A notre connaissance, tous les enfants sont séronégatifs ainsi que leur mère, d'ailleurs aucune séroconversion de femmes ne nous a été rapportée pour l'ensemble des couples. Les inséminations n'ont pas été toujours poursuivies. 3 couples ont abandonné et pour 3 autres elles ont dû être interrompues du fait de l'évolution de l'état de santé de l'homme. A notre connaissance, tous les hommes qui sont devenus pères avec l'aide du CECOS de Bicêtre sont encore vivants aujourd'hui.

Qu'est-il possible de conclure après ces quelques années de travail ? De nombreuses questions posées au départ sont restées sans réponse. Il est très probable qu'elles le resteront longtemps. Il est néanmoins possible de retenir quelques observations et de formuler quelques réflexions.

Désirer un enfant est une aspiration banale mais aussi fondamentale de bien des êtres humains. Elle peut s'exprimer consciemment ou non et sous des formes multiples, qu'il n'est pas toujours aisé de transcrire en mots. Pourtant, formaliser ce désir et l'organiser est une nécessité pour tous ceux qui sont amenés à envisager une procréation médicalement assistée.

Ce nouveau domaine de la médecine suscite beaucoup de réactions passionnelles autant qu'irrationnelles. Elles ne sont que le reflet des questions éthiques, philosophiques, sociales et médicales que suscite ce nouveau pouvoir offert à l'homme. Elles prennent peut-être un relief particulier quand elles s'appliquent à un homme séropositif souhaitant un enfant avec l'aide d'un donneur.

On pourrait dresser un portrait robot des couples qui nous ont consulté. D'abord bien sûr, un désir d'enfant très affirmé accompagnant un refus absolu de l'homme de faire courir le moindre risque de contamination à sa femme. Cette détermination conduit le couple à renoncer à toute forme de procréation avec le sperme de l'homme. Cette même détermination explique les règles de protection très strictes que s'est donné le couple pour ses relations sexuelles. C'est avec la même volonté que l'homme accepte le suivi régulier de sont état de santé dans un centre spécialisé et il n'hésite pas à participer à un protocole thérapeutique quand on lui propose. L'homme a généralement rompu sans ambiguïté avec un passé qui a pu être responsable de sa contamination. L'homme et la femme sont bien insérés socialement, ils forment un couple stable qui s'est affirmé au travers de l'épreuve imposée par le virus. Dans ce contexte le projet d'enfant ouvre une perspective de vie contrariant ou sublimant la perspective de mort.

Si nous avons rencontré tous les traits décrits ci-dessus chez les couples s'adressant au CECOS, aucun de ces derniers cependant ne se reconnaîtrait dans cette description trop caricaturale. Chez eux nous avons aussi rencontré désarroi, émotion, douleur, révolte, pudeur. Chaque couple a son histoire, ses angoisses, son entourage, ses interrogations, ses limites et ses certitudes. Il ne peut donc y avoir de réponse univoque à sa demande.

Chaque demande doit être considérée attentivement pour conduire à la meilleure décision possible avec une part de risque inévitable quand sa conséquence est la naissance d'un enfant dont l'avenir et les intérêts ne peuvent être ignorés. Ce processus doit être guidé par des principes qui encadrent la démarche et que notre expérience ne nous conduit pas à remettre en cause: bonne compréhension par le couple des enjeux et des conséquences d'une paternité par don de sperme, absence de signes cliniques ou biologiques indiquant une évolution rapide vers la maladie, acceptation de l'homme d'être suivi régulièrement sur le plan médical, efficacité des mesures prises par le couple pour prévenir une contamination de la femme.

Pour le médecin, il ne s'agit ni de se substituer au désir ou à la responsabilité du couple, ni d'intervenir dans son intimité ou de se donner bonne conscience. Sans chercher à imposer ses propres convictions ou interrogations, il doit accepter ou refuser l'assistance médicale qui lui est demandée sans ignorer les conséquences pour l'enfant qui en sera peut être issu. L'éventualité de la mort est bien entendu au centre de ses réflexions et de sa décision. Si le médecin a pour objectif en l'occurrence d'aider un homme séropositif à devenir père, il peut aussi souhaiter que l'enfant ait un père autant que possible. Il s'agit d'une responsabilité médicale particulière et difficile à exercer dont bien des aspects sont encore mal perçus.

La loi Bioéthique votée récemment par le parlement français éclaircira-t-elle l'exercice de cette responsabilité ? La loi prévoit que l'assistance médicale à la procréation (AMP) "peut avoir pour objet d'éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité". Elle autorise donc l'AMP pour les couples dont l'homme est séropositif. La loi sort cependant cet acte du colloque singulier entre le médecin et son patient puisqu'elle exige que les couples donnent leur consentement devant un juge ou un notaire. Cette nouvelle situation va-t-elle déresponsabiliser le médecin, va-t-elle gêner le processus d'élaboration d'une décision dont les enjeux ne sont pas seulement juridiques ou sociaux ? Voici de nouvelles questions qui nous incitent à poursuivre notre étude et nos réflexion.

Demandes de conception par don de sperme
faites au CECOS Paris-Bicêtre par les couples
dont l'homme est séropositif et la femme séronégative

Nombre de couples reçus de 1986 au 1.1.94 128
- demandes abandonnées ou couples perdus de vue 36
- demandes refusées par le centre 19
- demandes en attente 25
- demandes acceptées 42
Nombre de couples ayant débutés les IAD* 40
Nombre de cycles de traitements* 311
Nombre de grossesses* 28
Nombre de naissances* 18

* Résultats au 31.05.94.

BIBLIOGRAPHIE

1. HENRION R. - Désir d'enfant quand l'homme est séropositif, le rôle du médecin -
Le Journal du SIDA, 1991, 29 : 27-28.

2. SEMPRINI A.E. et al. - Insemination of HIV negative women with processed semen of HIV positive partners - Lancet, 1992, 340 : 1317-19.

3. CDC - HIV1 infection and artificial insemination with processed sperm - MMWR 1990, 39 : 249-56.

4. DUSSAIX E. et al. - Spermatozoa as potential carriers of HIV - Res. Virol, 1993, 144 : 487-95.

P. JOUANNET et J.M. KUNSTMANN

CECOS Paris-Cochin Groupe Hospitalier Cochin Port-Royal, 123, boulevard de Port-Royal 75014 Paris

 : JOURNÉES DE TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 12 - 19 Janvier 1995