Chapitre 3
facteurs obstétricaux et transmission maternofoetale du virus de l'immunodéficience
humaine (VIH1)
J.Y. GILLET ET A. BONGAIN
introduction
L'infection à VIH chez l'enfant est essentiellement la conséquence
d'une transmission dite verticale ou périnatale, c'est-à-dire de la mère au foetus ou
au nouveau-né.
La contamination au cours de la grossesse est admise et plusieurs
arguments plaident en faveur d'une contamination tardive au 3ème trimestre de la
grossesse et lors de l'accouchement.
La contamination de l'enfant par l'allaitement maternel est certaine.
Van de Perre au Rwanda estime que le taux de la transmission post-natale pendant
l'allaitement est de 25% (1).
Le taux de transmission materno-foetale est variable selon les études
et selon les régions du globe.
La dernière enquête collaborative européenne (2) donne une fréquence
de 14,4%. L'enquête française estime le taux de transmission à 18,3% (3). En Afrique,
le taux est estimé à 35%Ê; dans certaines régions du Centre Afrique, au Congo par
exemple, à 40,4% (M. Lallemant, 1994) (4).
Dans la cohorte de 110 enfants du CHU de Nice, le taux d'infectés est
de 27%, donc plus élevé que la moyenne nationale (14,4%), ce phénomène étant déjà
observé par S. Blanche qui a pu constater une diminution du taux de transmission
avec l'augmentation du couple mère-enfant inclus dans sa cohorte.
Certains facteurs favorisant la contamination materno-foetale sont
désormais connus : le statut biologique et clinique de la mère (3), CD4 inférieurs
à 200/mm3, charge virale élevée, antigénémie P24 positive, plus accessoirement et
éventuellement contestés, l'hypovitaminose A et le déficit en oligo-éléments (5) ou
le rôle de l'anticorps anti-boucle V3 (6), enfin le stade évolutif de la maladie de la
future mère.
D'autre part, l'intervention de co-facteurs viraux de la transmission
est également retenue : CMV, HTLV1, HVB et HVC.
Les mécanismes de transmission et le moment de la contamination au
cours de la grossesse et du travail de l'accouchement permettent d'individualiser des
facteurs obstétricaux de la transmission materno-foetale du VIH.
mécanismes de transmission et le moment de la contamination au cours de la grossesse
et du travail de l'accouchement
La transmission verticale du VIH survient à différents moments de la
grossesse, lors du travail de l'accouchement et lors de l'expulsion du foetus. Nous avons
vu plus haut que la transmission par l'allaitement est maintenant admise. L'infection
transplacentaire du VIH peut survenir au cours d'une virémie maternelle ou par
l'intermédiaire de cellules maternelles infectées par le virus. Le virus peut passer
sous forme libre ou de complexes immuns; il est phagocyté par les cellules macrophagiques
du placenta (7). Les systèmes cellulaires et humoraux du placenta protègent normalement
le foetus contre l'infection. La structure de la barrière trophoblastique évolue au
cours de la grossesse et, en particulier, les dernières semaines de la gestation où le
passage de cellules maternelles est un événement quasi-physiologique. Enfin, les
contractions utérines (dans les menaces d'accouchement prématuré ou lors du travail de
l'accouchement) pourraient faciliter le passage du virus. Plusieurs arguments plaident en
faveur d'une contamination tardive qui pourrait correspondre à plus de 70% des cas
(8) : l'allure bimodale de la maladie chez l'enfant, l'apparition de signes
biologiques et cliniques après 6 mois de vie dans 70% des cas. On peut néanmoins
admettre la possibilité d'une contamination au deuxième trimestre et plus rarement au
premier trimestre à la suite des travaux de Courgnaud (9), Brossard (10), Lewis (11) et
Mano (12). Cela représenterait 20 à 30% des cas. La contamination lors de
l'accouchement par les voies naturelles relève de mécanismes différents:
microtransfusions materno-foetales, contact direct avec les sécrétions cervicales
contenant le VIH que l'accouchement soit par voie basse ou par voie haute (13).
facteurs obstétricaux favorisant la transmission
1. Altérations du placenta
La structure de la barrière trophoblastique évolue au cours de la grossesse et
en particulier les dernières semaines de la gestation : une altération histologique
et/ou fonctionnelle du placenta en cas de grossesse pathologique (toxémie, diabète,
infection, dépassement de terme) pourrait faciliter la contamination foetale. Ainsi P.
Hofmann, à Nice, observe au niveau de 306 placentas de femmes séropositives pour le VIH,
une fréquence plus importante de chorioamniotite, quelques cas d'infection à CMV, à
toxoplasma gondii et à cryptococcus neoformans (14).
2. Rôle des contractions utérines et de la prématurité
Newell, Dunn et Peckham ont montré dans l'étude collaborative européenne (2)
un taux de transmission plus élevé si l'accouchement se fait avant 34 semaines. Les 33
enfants nés avant 34 semaines ont un taux de transmission de 33%. La contamination à ce
stade de grossesse serait facilitée par la faible immunocompétence des foetus, le faible
taux d'anticorps acquis transmis et éventuellement, par les infections responsables de
l'accouchement prématuré (15) comparé au taux de 14% pour les enfants nés après
34 semaines.
Mok (16) et Chioddo (17) il y a quelques années et plus récemment Goedert (13)
ont attiré l'attention sur le rôle préventif de la césarienne avant le début du
travail.
3. L'amniocentèse et la cordocentèse
Le diagnostic prénatal par analyse du liquide amniotique ou du sang prélevé
au cordon est théoriquement possible mais très difficile à réaliser. De plus, un
résultat rassurant au deuxième trimestre n'exclut pas la possibilité d'une
contamination à une date plus tardive de la grossesse ou lors de l'accouchement.
D'après R.R. Viscarello, le risque de contamination du foetus ne serait pas augmenté
par amniocentèse ou ponction de sang foetal (18).
4. Rôle de la rupture des membranes, du mode d'accouchement et autres facteurs
obstétricaux
Marpeau constate une corrélation significative entre durée totale du travail
et taux de transmission ; l'accouchement par les voies naturelles, la rupture
prématurée des membranes, l'épisiotomie, l'application de forceps, sont des facteurs le
plus souvent associés à la transmission materno-foetale du VIH (19).
Le débat sur la césarienne prophylactique avant rupture des membranes et avant
le travail est donc relancé.
Goedert, dans son étude sur les accouchements gémellaires, observe que le
premier jumeau est le plus souvent infecté, que l'accouchement se fasse par voie basse ou
voie haute ; ceci fait donc intervenir la possibilité d'une contamination par
contact direct à partir des sécrétions cervicales infectées (13).
5. Rôle du monitorage foetal par électrode au scalp et du prélèvement de
sang foetal au scalp
R.R. Viscarello, dans une étude récente de 31 patientes séropositives ayant
bénéficié d'un prélèvement au scalp et/ou d'un monitorage par scalp électrode, ne
montre aucune différence statistiquement significative dans le taux de transmission
materno-foetale (29% contre 25,6% du groupe contrôle) (20).
Ces résultats demandent, bien sûr, à être confirmés.
6. Intérêt de la césarienne
A propos de l'étude collaborative européenne (Lancet, 1994)
Cette étude concerne 1254 femmes enceintes. Elle a pour but de préciser le
rôle du mode d'accouchement sur le taux de transmission materno-foetale (21).
Les indications de césariennes dans cette série multicentrique sont portées
le plus souvent chez des femmes ayant un stade avancé de leur maladie, ce qui est un
facteur favorisant connu de la contamination.
Ainsi, dans cette étude, l'effet protecteur de la césarienne pourrait etre
sous-évalué. Le taux de transmission est respectivement de 17,5% en cas d'accouchement
par voie basse sans extraction, de 19,6% en cas d'extraction instrumentale; il est de
12,2% en cas de césarienne avant le travail, de 10,4% en cas de césarienne réalisée en
urgence.
Compte-tenu des importantes disparités des différentes séries de l'étude
collaborative (notamment concernant les indications de la césarienne et l'état variable
clinico-biologique des accouchées), il est impossible de proposer une conduite
thérapeutique sur le mode d'accouchement de la femme VIH séropositive.
la prévention de la contamination foetale : aspect obstétrical (22 - 23)
A partir des considérations plus théoriques que pratiques qui viennent d'être
exposées, on peut faire quelques propositions :
u scalp électrode et prélèvement foetal sont pour le moment contre indiqués.
u il faut éviter épisiotomie, déchirure et extraction instrumentale
u en cas de rupture prématurée des membranes, R. Henrion propose le
déclenchement du travail si les conditions locales sont bonnes, la césarienne dans le
cas contraire.
u on peut avec lui proposer la césarienne en cas de dystocie de démarrage, de
non progression de la présentation à dilatation complète pour éviter de faire un
forceps difficile.
u nous rappelons le protocole de Port Royal-Baudelocque en cas d'accouchement par
voie basse : désinfection du tractus génital inférieur de la mère par le
badigeonnage du vagin avec une solution de Benzalkonium à 0,1% au début du travail,
toutes les 4Êheures et lors de la phase expulsive.
u il est recommandé de procéder à une désobstruction atraumatique du
nouveau-né sans créer de lésions muqueuses.
u certains auteurs proposent à la naissance un bain de l'enfant dans une
solution de Dakin ou dans de l'eau tiède contenant du chlorure de Benzalkonium.
L'efficacité de ces mesures obstétricales proposées dans le but de
diminuer la contamination foetale est difficile à évaluer réellement, contrairement à
la prévention de la contamination effectuée au cours de la grossesse par
l'administration de Zidovudine (AZT) qui permet de réduire de deux tiers la transmission
du VIH de la mère à l'enfant (ACTG 076).
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J.Y. GILLET et A. BONGAIN
Service de Gynécologie-Obstétrique et Médecine de la Reproduction, CHU
de Nice-Sophia-Antipolis - Hôpital Saint-Roch B.P. 319 06006 Nice Cedex
: JOURNÉES DE
TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 12
- 19 Janvier 1995
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