LA RECONSTRUCTION MAMMAIRE OU LES FAUX-SEMBLANTS
G. FLAGEUL* Paris.
INTRODUCTION
Dans bien des cas, le traitement des cancers du sein laisse derrière lui des
séquelles morphologiques, soit parce que l'amputation du sein a été nécessaire, soit
parce que le traitement conservateur a provoqué une déformation ou une asymétrie
résiduelles.
La chirurgie plastique et reconstructrice, pour peu que ses indications et sa technique
soient correctes, offre aux patientes la possibilité d'atténuer notablement les
séquelles morphologiques du traitement, ce qui apporte un bénéfice esthétique,
fonctionnel et psychologique très appréciable.
Le service ainsi rendu doit permettre aux patientes de mieux accepter l'idée d'une
thérapeutique dont les séquelles ne sont plus aujourd'hui totalement irréversibles et
de mieux vivre après le traitement, avec une image du corps préservée, ce qui atténue
l'angoisse de la maladie et de son évolution et facilite la préservation d'une vie que
l'on peut qualifier de normale.
Avant d'étudier la manière dont la patiente va vivre AVEC et APRES son cancer du
sein, nous allons faire un bref rappel des principaux aspects de cette chirurgie
reconstructrice mammaire, rappel indispensable pour bien comprendre ce que peut apporter
cette chirurgie.
1. LES PRINCIPAUX ASPECTS DE LA CHIRURGIE RECONSTRUCTRICE MAMMAIRE
CONCERNENT:
1.1. La Reconstruction Mammaire Différée.
1.2. La Reconstruction Mammaire Immédiate.
1.3. La chirurgie plastique lors du traitement conservateur du cancer du sein.
1.1. La Reconstruction Mammaire Différée
Malgré les progrès des traitements conservateurs, l'amputation du sein, ou
mammectomie demeure parfois inévitable.
Il peut s'agir d'une mammectomie de première intention, ou bien d'une
mammectomie rendue nécessaire par la récidive après un traitement conservateur.
La reconstruction du sein permet de restaurer un volume et une symétrie mammaire,
parfois dans le même temps que l'intervention de mammectomie (c'est la Reconstruction
Mammaire Immédiate que nous envisagerons lors du chapitre suivant), sinon, dans un second
temps, c'est la Reconstruction Mammaire Différée.
Une telle reconstruction peut être proposée à toutes les patientes qui en formulent
la demande, hormis les cas où il existe une récidive locale en cours d'évolution.
Mais elle ne devra bien sûr en aucun cas gêner ou infléchir le traitement
carcinologique curateur, ni entraver la surveillance ultérieure.
Les techniques de reconstruction
1.1.1. La reconstruction d'un volume mammaire.
1.1.2. La symétrisation du sein controlatéral.
1.1.3. La reconstruction de la plaque aréolo-mamelonnaire.
1.1.1 - La reconstruction d'un volume mammaire
En fonction de la qualité et de la quantité des plans de couverture restants (peau,
graisse, muscle), on peut être confronté à deux cas de figure :
- la mammectomie a laissé suffisamment de tissu et les téguments locaux peuvent être
utilisés pour abriter la prothèse;
- la mammectomie n'a pas laissé suffisamment de tissu localement pour permettre la
couverture tégumentaire indispensable à la reconstruction : c'est l'indication d'un
lambeau musculo-cutané.
La reconstruction mammaire par prothèse, sans lambeau
C'est l'hypothèse la plus satisfaisante, qui correspond d'ailleurs à la majorité des
reconstructions mammaires. L'intérêt majeur d'une telle solution est sa simplicité. De
plus, ne requérant pas l'apport d'un lambeau, elle n'augmente pas la rançon
cicatricielle.
Le principe consiste à créer une loge rétro-musculaire, précostale, dans laquelle
sera introduite la prothèse. La voie d'abord correspond à une reprise de la partie
externe de la cicatrice de mammectomie que l'on excisera.
La capacité des téguments loco-régionaux peut encore être augmentée par
l'utilisation d'une prothèse d'expansion pour distendre les plans de couverture
musculo-cutanés.
Cette prothèse d'expansion peut être soit une prothèse temporaire qui sera
remplacée ultérieurement par une prothèse mammaire à conception classique à volume
fixe, soit une Prothèse d'Expansion à Implantation Définitive, conçue spécialement à
cet effet et dont la valve et le raccord de gonflement seront simplement ôtés une fois
le volume désiré atteint.
Les avantages d'une telle stratégie sont évidents :
- elle est simple ;
- elle ne génère aucune cicatrice supplémentaire sur le corps ;
- la durée d'hospitalisation est courte (de 2 à 5 jours) ;
- elle est grevée d'une très faible morbidité (coque fibreuse péri-prothétique,
dégonflement de la prothèse, persistance fréquente d'une asymétrie résiduelle malgré
le geste de symétrisation sur le sein controlatéral).
Compte tenu de l'importance des prothèses mammaires dans la restauration du volume du
sein, nous nous proposons d'étudier plus longuement ce sujet.
Les prothèses mammaires
Si l'on excepte les cas où l'on a recours à un lambeau de grand droit, la
restauration du volume mammaire sera obtenue par inclusion d'une prothèse.
Le thème des prothèses mammaires a fait couler beaucoup d'encre ces dernières
années, et ce dossier est loin d'être clos.
Sans entrer dans la polémique, on peut cependant faire le point sur un certain nombre
d'éléments incontestables. Toutes les prothèses dites modernes se caractérisent par un
contenant, l'enveloppe, et un contenu, fait d'un produit de remplissage.
a) L'enveloppe : les enveloppes des prothèses mammaires actuellement utilisées
sont toutes constituées d'élastomère de silicone. La surface externe de ces enveloppes
peut être lisse ou texturée. La préférence va de plus en plus vers les prothèses
texturées : celles-ci sont caractérisées par une modification de leur surface externe,
ce qui a pour effet de désorganiser la réaction fibreuse péri-prothétique et de
diminuer notablement le risque de coque.
b) Les produits de remplissage
- Le gel de silicone fut le premier utilisé. Il se caractérise par une consistance
voisine de celle du tissu mammaire, une grande stabilité chimique et une très faible
biodistrubtion. Il a pour inconvénient d'être radio-opaque et de pouvoir diffuser au
travers de l'enveloppe.
C'est le gel de silicone utilisé en tant que produit de remplissage qui a été à
l'origine de la polémique concernant l'utilisation des prothèses mammaires.
De nombreuses études épidémiologiques publiées notamment dans le New England
Journal of Medecine et par de prestigieux établissements, comme la Mayo Clinic ou la
Harward Medical School sont tout à fait rassurantes, quant à l'absence de risque
potentiel de cancers ou de maladie auto-immunes éventuellement liés à l'implantation de
telles prothèses.
En ce qui concerne le cancer notamment, il a été prouvé scientifiquement et
définitivement que ce risque n'était nullement augmenté par l'implantation de
prothèses pré-remplies de gel de silicone.
Cependant, la France demeure le seul pays en Europe à conserver des mesures
restrictives concernant l'utilisation de ces produits. Le rapport du 13 mai 1996 de
l'Agence Nationale pour le Développement des Evaluations Médicales (ANDEM) indique que
" le risque de complications générales est faible ".
Bien que le dernier arrêté ministériel concernant les prothèses mammaires
implantables du 16 mai 1996 constitue vraisemblablement une ouverture pour la mise sur le
marché français, à cours terme, d'autres solutions de remplissage que le sérum
physiologique, celui-ci demeure aujourd'hui le seul produit autorisé en France, en tant
que matériel de remplissage des prothèses mammaires.
- Le sérum physiologique constitue une bonne alternative au gel de silicone pour le
remplissage des implants mammaires. Il peut être utilisé soit dans le cas d'une
prothèse gonflable, où celle-ci est remplie en cours d'opération à l'aide d'une
valve et d'un raccord de gonflement, soit sous forme d'une prothèse pré-remplie, livrée
prête à l'emploi, avec une enveloppe scellée, sans modification de volume possible,
comme cela est le cas pour les prothèses pré-remplies de gel de silicone.
Son inconvénient essentiel est son caractère aqueux, susceptible de rendre ce type de
prothèse plus visible et un peu moins naturel à la palpation. Ces inconvénients
esthétiques sont cependant très atténués par le site d'implantation rétro-musculaire
: or, c'est ce type d'implantation qui est toujours utilisé en chirurgie reconstructrice
mammaire, où par définition il n'existe plus de tissu glandulaire.
De ce fait, les contraintes liées à l'interdiction transitoire du gel de silicone en
France constituent un handicap tout à fait relatif dans le domaine de la chirurgie
reconstructrice mammaire, handicap en tout cas incomparable à celui qui pèse dans le
domaine de la chirurgie esthétique.
- Les produits de remplissage alternatifs qui ont été récemment proposés (dérivés
cellulosiques, dérivés de l'huile de soja, acide hyaluronique, ...) ne seront pas
étudiés ici dans la mesure où ils demeurent aujourd'hui eux aussi interdits en France,
comme le gel de silicone.
La reconstruction mammaire par lambeau musculo-cutané
L'apport d'un lambeau musculo-cutané pour " habiller " la reconstruction est
nécessaire chaque fois que la mammectomie et les traitements complémentaires n'ont pas
laissé suffisamment de tissu localement, pour permettre la couverture tégumentaire
indispensable à la reconstruction.
La mise au point des lambeaux musculo-cutanés a permis d'élargir notablement le champ
des indications de la reconstruction mammaire. Ces lambeaux reposent sur le concept de
l'unité vasculaire musculo-cutanée : le segment cutané en regard du muscle considéré
reçoit sa vascularisation à partir des vaisseaux perforants issus du muscle sous-jacent
; le muscle vascularise la peau qui repose sur lui.
Deux lambeaux sont couramment utilisés en chirurgie reconstructrice mammaire :
- Le lambeau de grand dorsal : on utilise l'excédent cutanéo-graisseux du dos. Le
choix quant à l'orientation du fuseau cutané prélevé (horizontal, oblique ou vertical)
sera adapté au mieux à chaque cas, en fonction principalement de la cicatrice de
mammectomie.
Il s'agit d'un lambeau remarquablement fiable dont le prélèvement est assez facile à
réaliser. Il permet de résoudre pratiquement tous les problèmes de couverture, mais il
apporte très peu de volume et une prothèse est donc le plus souvent nécessaire.
Ses inconvénients se résument à la rançon cicatricielle dorsale et à la légère
différence concernant la pigmentation de la peau transposée par rapport à la peau
mammaire.
- Le lambeau de grand droit : son principe consiste à utiliser l'excédent
cutanéo-graisseux de la paroi abdominale pour reconstruire le sein, sans qu'il soit
nécessaire d'utiliser une prothèse mammaire.
On utilise en fait un fuseau cutanéo-graisseux transversal comparable à la pièce
d'exérèse des plasties abdominales. Ce lambeau est vascularisé par le pédicule
musculaire que constitue le muscle grand droit controlatéral et par les artères
perforantes qui se rendent du muscle au tissu graisseux.
Le principal avantage de ce lambeau est de permettre une reconstruction du sein sans
prothèse mammaire, en assurant la reconstruction simultanée du volume et des plans de
couverture.
Si le principe théorique d'une telle méthode est particulièrement séduisant
(reconstruction totale d'un sein, sans implant, en utilisant une chute de la chirurgie
plastique abdominale) et si le sein reconstruit offre volontiers un aspect très naturel,
une telle stratégie est cependant limitée par un certain nombre d'inconvénients :
elle n'est réalisable qu'en cas d'excédent cutanéo-graisseux abdominal ;
il s'agit d'une chirurgie lourde dont la morbidité n'est pas négligeable, avec
augmentation de la durée opératoire, de la durée d'hospitalisation et de la période
d'invalidité ;
les complications ne sont pas rares (nécrose cutanéo-graisseuse, cytostéatonécrose,
lymphocèle, et à distance éventration ou voussure abdominales) ;
elle impose une réparation du plan musculo-aponévrotique abdominal au-dessous de
l'ombilic par la mise en place d'une plaque prothétique ;
enfin, sa rançon cicatricielle n'est pas négligeable.
1.1.2. La symétrisation du sein controlatéral
D'un point de vue morphologique, il est fréquemment nécessaire de modifier le sein
controlatéral, notamment lorsque la reconstruction a été faite à l'aide d'une
prothèse, car dans ce cas, le sein reconstruit apparaît rond et non ptôsé.
Cette symétrisation peut se faire soit dans le même temps que la reconstruction, soit
dans un deuxième temps. Le choix du mode opératoire dépend de la morphologie de ce sein
controlatéral :
- si le sein restant est trop volumineux, il sera nécessaire de réaliser une plastie
mammaire de réduction ;
- si le sein restant est trop petit, il sera possible d'augmenter son volume par la
mise en place d'une prothèse ;
- enfin, si ce sein controlatéral est ptosé, mais de volume satisfaisant, il
conviendra de le remodeler par une mastopexie.
Il est toutefois évident que le deuxième sein ne peut être considéré uniquement du
point de vue morphologique et que dans le choix de l'attitude à opter à son égard, il
faut prendre aussi en considération le risque de bilatéralisation du cancer.
Ce risque devra être évalué avec les Cancérologues et la patiente en sera informée
avant toute décision thérapeutique.
Il est des cas en effet où lorsque le deuxième sein apparaît " à haut risque
néoplasique ", on peut envisager à son égard un geste prophylactique et il peut
s'agir, soit d'une mammectomie sous-cutanée, soit d'une amputation avec reconstruction
mammaire immédiate.
1.1.3. La reconstruction de la plaque aréolo-mamelonnaire
Elle est nécessaire pour parfaire la reconstruction et éviter l'aspect de " sein
borgne ". Elle se fait à distance de la reconstruction du volume et de la
symétrisation, en général à partir du 3e mois.
Dans la très grande majorité des cas, elle est réalisée par dermo-pigmentation.
Nous disposons aujourd'hui d'une gamme de pigments chirurgicaux correspondants aux
différentes carnations des patientes.
La dermo-pigmentation est menée sous anesthésie locale, habituellement en deux temps,
de manière à ajuster parfaitement la taille et la coloration de l'aréole ainsi
reconstruite. Quand la couleur de l'aréole est difficile à imiter, il est parfois utile
de compléter par un tatouage au niveau de l'aréole du sein controlatéral.
En ce qui concerne le mamelon, la dermo-pigmentation permet de créer une impression de
relief, en " trompe-l'oeil ", par un effet d'ombre en utilisant des pigments
plus foncés.
Dans l'hypothèse où la patiente désire un relief effectif, notamment en cas de
mamelon controlatéral assez volumineux, ce relief peut être obtenu soit par inclusion
sous la peau pigmentée du mamelon d'une prothèse taillée sur mesure extemporanément
dans un bloc de silicone, soit par une greffe de la partie inférieure du mamelon du sein
controlatéral, soit par une petite autoplastie locale.
1.2. La Reconstruction Mammaire Immédiate
L'amputation du sein impliquant une mutilation à grand retentissement psychologique,
il est logique d'envisager la reconstruction du volume mammaire en même temps que la
mammectomie. D'un point de vue technique, il s'agit habituellement de l'implantation d'une
prothèse dans une loge rétro-musculaire.
Une telle solution peut être envisagée, à la condition de ne pas interférer avec le
traitement carcinologique nécessaire. Le principal avantage est que la patiente n'aura
pas à vivre sa mutilation . Ce qui implique en revanche une plus grande exigence de la
patiente, qui n'a connu que son sein naturel, et non mutilé.
Nous y reviendrons.
Il est maintenant admis que la Reconstruction Mammaire Immédiate a sa place dans la
stratégie du traitement du cancer du sein, mais ses indications ne sont pas encore
absolument codifiées. On a tendance à se limiter actuellement, aux patientes dont on
pense qu'elles n'auront pas à subir de radiothérapie : en effet, l'expérience montre
que l'irradiation est tout à fait possible, mais une telle irradiation peut induire
une dégradation du résultat, notamment en favorisant l'apparition d'une coque fibreuse
péri-prothétique secondaire, du fait de la réaction inflammatoire induite par les
rayons.
Comme dans le cas de la Reconstruction Mammaire Différée, le sein controlatéral
nécessite fréquemment un geste de symétrisation, geste qui pourra être réalisé soit
d'emblée, soit secondairement, en fonction du contexte anatomo-clinique.
La reconstruction de la plaque aréolo-mamelonnaire, quant à elle, sera réalisée
secondairement, et en ambulatoire.
1.3. La chirurgie plastique lors du traitement conservateur du cancer
du sein
Les progrès déterminants des associations thérapeutiques dans le domaine du cancer
du sein permettent aujourd'hui d'envisager, dans plus de la moitié des cas un traitement
conservateur.
Un tel traitement a deux objectifs :
- assurer les mêmes résultats, en termes de survie, que ceux obtenus par une
mammectomie ;
- laisser un sein d'aspect normal.
Au décours d'un traitement conservateur, 75 % des patientes environ gardent un sein
d'aspect normal, ou sub-normal. 25 % conserveront une déformation ou une asymétrie
résiduelle, plus ou moins invalidante.
La plupart de ces séquelles observées après le traitement conservateur sont en
rapport avec le geste chirurgical initial de tumorectomie, qui laisse des déformations,
qui seront figées et souvent aggravées par l'irradiation postopératoire.
Il convient donc que la technique de tumorectomie soit irréprochable, non seulement du
point de vue carcinologique, mais aussi dans l'optique du résultat morphologique. C'est
ainsi que l'exérèse, qui passera macroscopiquement au large de la tumeur devra être
suivie d'un temps de remodelage de la glande : ce remodelage est le corollaire
indispensable de la tumorectomie. Il fait appel à la confection de lambeaux glandulaires,
qui vont venir combler la perte de substance laissée par la tumorectomie.
Il est des cas où de tels gestes s'avèrent impossibles ou insuffisants : on peut
être amené alors à réaliser, dans le même temps que la tumorectomie, une véritable
plastie mammaire, afin de remodeler un sein sans déformation. Les techniques utilisées
sont comparables à celles qui ont été décrites classiquement dans le domaine des
plasties mammaires de réduction pour hypertrophie.
La réalisation d'une telle association : tumorectomie + plastie mammaire ne
gênera pas l'irradiation postopératoire qui sera réalisée dans les délais
habituels.
Habituellement, cette association : plastie mammaire + tumorectomie laisse derrière
elle un sein moins volumineux que le sein controlatéral : une plastie mammaire de
symétrisation du sein controlatéral sera alors fréquemment indiquée et pourra être
réalisée soit dans le même temps, sois secondairement au décours de l'irradiation.
Il est incontestable que de telles techniques permettent actuellement d'élargir les
indications du traitement conservateur du cancer du sein. Il n'en demeure pas moins que
dans environ 25 % des cas où un traitement conservateur a été réalisé on observe
après celui-ci des déformations séquellaires plus ou moins importantes et volontiers
disgracieuses.
Une demande de correction chirurgicale est alors fréquemment formulée, d'autant que
dans l'esprit de la patiente, l'indication du traitement conservateur était en général
synonyme de la notion de résultat esthétiquement satisfaisant.
Les formes anatomo-cliniques des seins soumis à la reconstruction après traitement
conservateur sont extrêmement variables. Il faut savoir que la perte de substance
tégumentaire totale correspond à la somme de la perte de substance induite par la
chirurgie et de la perte de substance consécutive à l'irradiation. Ainsi, la morphologie
est-elle plus ou moins perturbée selon la nature du traitement subi, mais l'aspect
séquellaire est aussi fonction, pour une large part, du volume mammaire antérieur.
L'indication d'une chirurgie reconstructrice dépendra de l'aspect séquellaire
apprécié 12 mois au moins après la fin de l'irradiation et des motivations de
la patiente.
Selon la forme anatomo-clinique observée, il peut s'agir de techniques assez simples,
réalisant un remodelage glandulaire, selon une méthode de plastie mammaire classique
adaptée à ce contexte chirurgical particulier.
Dans d'autres cas, on devra faire appel à des techniques plus lourdes, nécessitant le
recours à un lambeau musculo-cutané, voire à une mammectomie avec Reconstruction
Mammaire Immédiate.
Quoi qu'il en soit, il s'agit toujours d'une chirurgie particulièrement délicate, à
deux titres :
- l'intervention a lieu au sein de tissus irradiés, donc fragilisés ;
- la patiente sera toujours très exigeante quant au résultat, car à ses yeux, la
notion d'un résultat esthétiquement satisfaisant était inscrit dans le contrat
thérapeutique initial, lorsque l'indication d'un traitement conservateur a été posée.
2. VIVRE AVEC ET APRES UN CANCER DU SEIN
2.1. AVANT la Chirurgie Reconstructrice
Seule sera traitée ici la question de la mammectomie.
En effet en cas de traitement conservateur, le chirurgien plasticien ne trouve sa place
que secondairement, à distance du traitement, dans le cas où celui-ci n'a pas été
satisfaisant.
Dans l'hypothèse où une amputation du sein est envisagée, la connaissance des
possibilités de la Chirurgie Reconstructrice Mammaire, le fait de savoir que la
mutilation suite à la mammectomie n'est pas définitive mais peut faire l'objet d'une
réparation chirurgicale aide la patiente à accepter le diagnostic et le traitement
qu'il implique.
Dans un certain nombre de cas, la patiente sera adressée au chirurgien plasticien
avant même le début du traitement du cancer.
Deux cas de figures sont à envisager ici, selon qu'une Reconstruction Mammaire
Immédiate est envisagée ou non.
2.1.1. Une reconstruction Mammaire Immédiate est envisagée
Dans l'hypothèse où une telle éventualité est possible d'un point de vue
carcinologique, la consultation avec le chirurgien plasticien est indispensable avant
toute décision thérapeutique définitive.
Il conviendra d'exposer à la patiente les deux temps qui se succéderont au cours de
la même intervention : l'amputation, puis la reconstruction.
La technique de la chirurgie Reconstructrice sera expliquée dans ses grandes lignes :
ceci permettra de souligner, pour cette patiente qui n'aura pas à " vivre " la
mutilation, qu'il ne s'agit pas d'une quelconque magie mais bien d'une technique
chirurgicale avec ses limites : certes le sein reconstruit aura une morphologie voisine du
sein précédent, il sera habillé de téguments vivants et sensibles, sa consistance sera
dans bon nombre de cas voisine du naturel.
Cependant, il ne s'agit pas de chirurgie esthétique mais bien d'une reconstruction qui
ne pourra rendre à la patiente un sein absolument idéal.
Il est important de bien souligner d'emblée les limites de cette Chirurgie
Reconstructrice Mammaire, car l'expérience prouve que ces patientes qui ne connaîtront
jamais ce qu'est la mutilation consécutive à une mammectomie, s'avèrent volontiers
particulièrement exigeantes, plus même que dans le cadre d'une vraie indication
esthétique pour hypoplasie ou hypotrophie mammaire.
Or les méthodes et donc les résultats ne sont pas comparables.
Dans l'hypothèse où la patiente ne semble pas bien entendre les limites de ce projet
thérapeutique, il nous semble préférable de renoncer à l'idée d'une reconstruction
Mammaire Immédiate, de laisser réaliser une mammectomie simple dans l'attente d'une
reconstruction mammaire différée qui pourra toujours être réalisée secondairement.
2.1.2. La Reconstruction Mammaire ne sera pas faite dans le même temps que la
mammectomie, mais secondairement : Reconstruction Mammaire Différée
Même dans le cas où une Reconstruction Mammaire Immédiate n'est pas envisagée, il
peut être souhaitable que la patiente ait un entretien avec le chirurgien plasticien,
avant l'intervention d'exérèse. Une telle consultation aidera cette patiente à
affronter la mammectomie.
Ainsi, la reconstruction n'est plus une idée hypothétique, métaphorique et lointaine
: elle devient une réalité potentielle dont le calendrier peut déjà être évoqué.
Les principaux éléments du contrat de soins de la reconstruction mammaire sont alors
exposés : modalité opératoire et technique, contraintes et limites de cette chirurgie,
rançon cicatricielle, suites opératoires.
La patiente pourra poser les principales questions qui viennent à son esprit à propos
de cette future chirurgie reconstructrice.
Selon son désir, les résultats photographiques de reconstructions peuvent lui être
présentés afin de rendre ce projet visible, mieux compréhensible et plus objectif.
La malade sera le plus souvent rassérénée, et pourra affronter la chirurgie
d'exérèse dans de meilleures conditions psychologiques, en acceptant mieux la mutilation
qui lui semblera comme effectivement transitoire : la mutilation n'apparaît plus comme
une sanction définitive, ce n'est qu'une étape, un passage en attendant la
reconstruction.
2.2. APRÈS la Chirurgie Reconstructrice
Il faut distinguer ici les trois cas de figures préalablement évoqués selon qu'il
s'agisse d'une Reconstruction Mammaire Différée ou Immédiate, ou bien d'une Chirurgie
Plastique après un traitement conservateur.
Il existe cependant un point commun à ces trois chapitres, celui de la surveillance :
en effet, si la chirurgie plastique implique dans ses suites une surveillance qui lui est
propre, assurée par le chirurgien plasticien pendant au moins un an, il est important que
dans l'esprit de la patiente, ce suivi morphologique ne se substitue pas à la
surveillance carcinologique proprement dite, qui devra toujours être poursuivie
parallèlement par les cancérologues.
2.2.1. APRÈS une reconstruction Mammaire Différée
Chez cette femme qui a connu l'épreuve de vivre mutilée après une mammectomie, le
bénéfice psychologique est majeur et à peu près constant.
Il est incontestable que la reconstruction du sein constitue bien plus qu'une chirurgie
esthétique, qu'elle concerne un besoin fondamental, presque vital d'intégrité physique
et corporelle de la femme.
La mammectomie entraîne, chez la femme qui l'a subie, un traumatisme émotionnel
profond, un bouleversement de son image corporelle et de son identité. L'un des buts de
la chirurgie reconstructrice mammaire est d'aider la patiente dans sa lutte contre la
maladie.
Dans un tel contexte, la qualité de l'information donnée avant toute tentative de
reconstruction est essentielle, expliquant clairement à la patiente ce qu'elle est en
droit d'attendre d'une telle intervention, quelles en sont les contraintes, les aléas et
les limites.
Ainsi, et contrairement à ce qui s'est passé au moment de la chirurgie d'exérèse,
ce n'est pas le chirurgien qui décidera ici de l'opportunité de l'intervention, mais la
patiente elle-même. Cela ne sera jamais facile, d'autant que l'entourage, familial
notamment, peut émettre des avis discordants voire franchement hostiles et défavorables.
Dans tous les cas, la femme devra disposer pour faire son choix de tout le temps
nécessaire et de toute l'information désirée. La reconstruction mammaire apporte un
bénéfice psychologique majeur, à peu près constant, et pas toujours fondé
objectivement.
Il faut être vigilant cependant, et savoir qu'au décours d'une phase initiale souvent
euphorique, que l'on pourrait qualifier de jubilatoire, on peut observer une période
dépressive où les imperfections techniques et la marge qui sépare le nouveau "
sein du sein antérieur sont plus cruellement ressenties.
Le plus souvent néanmoins, la femme accédera au travers de ses doutes et des
remaniements de sa propre histoire, à un nouvel équilibre, une nouvelle façon de vivre
avec elle-même.
Ainsi dans la forte majorité des cas où l'indication et la technique auront été
correctes, la patiente se déclarera satisfaite du résultat et le nouveau " sein
" sera investi comme faisant partie intégrante du corps.
Les motifs de satisfactions, tels qu'ils sont énoncés par les femmes sont d'ailleurs
remarquablement stéréotypés, quels que soient l'âge et les caractéristiques
individuelles des patientes, et concernent plus particulièrement :
- le sentiment et l'impression d'être redevenues normales ;
- le soulagement d'être débarrassées de la prothèse externe, de l'inconfort et des
rites qu'imposait son port ainsi que de la crainte que cette prothèse ne soit décelée
par l'entourage, démasquant ainsi la mutilation ;
- l'impression fréquente que cette reconstruction constitue la première étape qui
permettrait d'oublier la maladie, ce qui va de pair avec une diminution de l'anxiété;
- une amélioration de la vie relationnelle, sexuelle notamment ;
- l'acquisition par les patientes d'une meilleure confiance en elles-mêmes et une
atténuation du sentiment de honte.
L'un des éléments qui atteste du service réellement rendu par la chirurgie
reconstructrice à ces patientes, réside dans le fait que souvent, ces femmes
confrontées à un chirurgien plasticien un peu contre leur gré et dans un contexte
pathologique tragique, s'avèrent, au décours de la reconstruction mammaire candidates à
d'autres interventions de chirurgie plastique, à orientation volontiers esthétique.
On est ainsi assez fréquemment amené à réaliser chez ces patientes reconstruites,
dans les mois ou les années qui suivent, des interventions sur la sphère abdominale
(lipoaspiration, ou plastie abdominale) et aussi au niveau du visage (chirurgie des
paupières, lifting cervico-facial).
Indépendamment même d'une nouvelle intervention les concernant directement, ces
patientes témoignent volontiers leur reconnaissance en devenant certaines de nos
meilleures et de nos plus crédibles correspondantes.
Il convient cependant de savoir tempérer ce légitime optimisme : si la chirurgie
reconstructrice mammaire permet et doit aider considérablement une patiente dans sa lutte
contre la maladie et pour retrouver une vie agréable, comme toujours en chirurgie
plastique la déception potentielle est à la hauteur des espoirs investis.
C'est pourquoi toute reconstruction mammaire requiert non seulement compétence et
expérience, mais aussi une très grande prudence dans l'indication et dans le contrat de
soins qui sera passé avec la patiente.
Il faut toujours prendre tout le temps nécessaire pour exposer les contraintes et les
limites de cette chirurgie qui ne saurait rendre un sein absolument naturel ni identique
à ce qu'il était.
A cet égard, il est indéniable que l'on voit depuis quelques années, dans le cadre
de nos expertises, le nombre de procédures judiciaires augmenter assez rapidement en
matière de chirurgie reconstructrice mammaire après cancer.
Mais c'est dans le domaine des reconstructions mammaires immédiates que cette question
de l'indication et du contrat de soins se pose avec le plus d'acuité.
2.2.2. APRÈS une Reconstruction Mammaire Immédiate
Ici en effet, si les techniques de chirurgie reconstructrice sont voisines, l'histoire
de la maladie est tout à fait différente.
Nous sommes en présence d'une patiente qui a, et qui a toujours eu deux seins, qui ne
saura jamais ce que c'est que de se réveiller et de vivre avec un sein amputé et qui,
dans le contexte particulièrement déroutant et angoissant de l'annonce d'une maladie
néoplasique ne doit pas céder aux sirènes médiatiques ou faussement amicales qui
pourraient lui laisser penser que grâce à une médecine tout puissante, magique et
miraculeuse, elle s'endormira avec un sein malade et se réveillera avec un sein guéri,
naturel et morphologiquement idéal.
Dans ce cas plus encore, l'indication doit être rigoureuse et les explications
pré-opératoires détaillées et complètes.
Tout en ménageant la sensibilité de la patiente, il convient de lui expliquer en quoi
consiste la mammectomie, puis la reconstruction ce qui permet de bien faire comprendre les
limites de la chirurgie plastique.
Il faut obtenir un consentement tout à fait éclairé de la patiente avant de poser
l'indication de reconstruction mammaire immédiate, en sachant bien que quelles que soient
la précision et l'honnêteté de l'information qui lui est donnée, la patiente n'aura en
dernier lieu comme point de comparaison, que le sein naturel qui était le sien avant la
maladie.
C'est cette réelle difficulté, plus que des motifs techniques, qui nous ont amenés
à limiter depuis deux à trois ans nos indications de reconstructions mammaires
immédiates au profit d'une mammectomie simple suivie ultérieurement d'une reconstruction
différée.
2.2.3. APRÈS un traitement conservateur
Au décours d'un traitement conservateur, 25 % environ des patientes conservent une
déformation séquellaire ou une asymétrie résiduelle.
Certaines, parmi ces patientes, seront amenées à consulter un chirurgien plasticien
pour envisager le traitement de ces séquelles morphologiques.
Nous avons vu que, d'un point de vue technique, la solution thérapeutique était des
plus variables : il peut s'agir d'un simple remodelage glandulaire uni ou bilatéral ;
parfois le recours à un lambeau musculo-cutané s'avère indispensable pour compenser les
pertes de substances tégumentaires et de volume.
Il est des cas où les séquelles sont telles, qu'il serait illusoire d'espérer
remodeler un joli sein à partir d'un petit reliquat mammaire déformé et
radio-dystrophique : il est alors logique, et en fait assez simple d'un point de vue
technique, de proposer et de réaliser une amputation du sein résiduel avec
reconstruction mammaire immédiate, associée à une plastie mammaire du sein
controlatéral.
Il faut remarquer qu'une telle stratégie, est toujours difficile à comprendre et à
admettre par une patiente qui a beaucoup espéré et investi dans le traitement
conservateur : quel que soit l'aspect inesthétique du sein conservé, son amputation sera
toujours vécue comme un échec, même transitoire, et il conviendra d'être pédagogue
pour aider cette patiente déçue par le traitement conservateur à passer ce moment
difficile et permettre ainsi l'acceptation et la réalisation d'une reconstruction
mammaire complète.
CONCLUSION
Quel que soit le contexte où la chirurgie plastique intervienne dans le domaine du
cancer du sein, il nous faut insister sur la qualité de l'information donnée à la
patiente avant l'intervention, lui expliquant clairement ce qu'elle est en droit
d'attendre d'une telle reconstruction chirurgicale.
C'est ainsi qu'elle bénéficiera au mieux de la chirurgie reconstructrice mammaire
dans sa lutte contre la maladie et la reconquête d'une vie tout à fait normale.
A bien des égards, les progrès accomplis font qu'aujourd'hui cette chirurgie
reconstructrice confine dans bon nombre de cas à une chirurgie véritablement esthétique
avec ce que cela suppose de qualité morphologique et de minimisation de la rançon
cicatricielle.
Mais cela implique aussi des contraintes et des devoirs très importants et une
exigence accrue y compris au plan médico-légal.
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