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Titre: La contraception 20 ans après ou l'avenir d'une mutation*
Année: 2005
Auteurs: - Cohen J.
Spécialité: Gynécologie
Theme: Contraception

La contraception 20 ans après ou l'avenir d'une mutation*

Jean COHEN

Pendant longtemps, les catastrophes naturelles, les famines, les épidémies, les invasions, les guerres ont contribué à régler le nombre des vivants. Depuis plusieurs décennies la mortalité par catastrophe diminue et l'humanité s'oriente vers l'utilisation de techniques contraceptives pour contrôler les naissances. Cette mutation a été « réclamée » avant même qu'aucune découverte scientifique ne le permette : dès 1798 Thomas Robert Malthus propose l'abstinence pour lutter contre une démographie qu'il juge galopante en occident. Puis une série de mouvements qu'on baptise du nom de « néo-malthusianisme » propose et réclame un contrôle des naissances essentiellement basé sur des méthodes mécaniques (préservatifs, diaphragmes et spermicides) : ils aboutissent vers 1950 au considérable développement aux USA et en Grande-Bretagne de mouvements féminins en faveur de la planification familiale. Dès le début du XXe siècle on commençait à entrevoir le rôle des hormones sexuelles dans la formation des gamètes et dans la fécondation. En 1911 KLEIN décrit la « folliculin », en 1935 on reconnaît l'existence de la « progestérone » et on fabrique la première hormone féminine synthétique. Pendant la dernière guerre, les laboratoires pharmaceutiques américains synthétisent des composés artificiels qui obtiennent les mêmes effets que la progestérone naturelle, et un groupe de chercheurs de la Worcester Foundation for Experimental Biology, auquel appartiennent M.C. CHANG et G. PINCUS s'intéresse à l'action de ces nouvelles hormones sur la fécondation. CHANG montre d'abord qu'il est possible d'inhiber la fécondation chez la rate et PINCUS évoque en 1955 la possibilité d'utiliser les mêmes composés chez la femme en vue d'une contraception orale. Lors de son retour aux USA il se voit offrir publiquement par Margaret Sanger, présidente du Planning Familial américain, les moyens financiers de cette recherche... La première pilule contraceptive naissait. La nouveauté était qu'elle apportait l'arme absolue efficace à 100%, et qu'elle laissait ce moyen dans les propres mains des femmes. Le concept « contraception » se transformait brutalement et entraînait de nouveaux comportements sexuels, de nouveaux statuts sociaux. Le triomphe de la pilule rejaillit sur la contraception en général et conduisit à rechercher de nouvelles méthodes (stérilets, injections, nouveaux composés, etc...) Toutefois depuis 50 ans, la contraception a été déterminée par cette première empreinte. Toutes les recherches - ou presque - ont concerné la pilule et les hormones, alors qu'à l'évidence il s'agit de méthodes lourdes qui agissent en permanence dans le but d'empêcher un événement qui dure quelques heures seulement. On a pu dire qu'on « voulait tuer une mouche avec un marteau piqueur » !

Quoi qu'il en soit, en 50 ans, une révolution s'est opérée dans les pays développés. Grâce à la diffusion de la contraception, la femme conquiert la fécondité et la liberté sexuelle. La société change. De nouveaux statuts naissent, ainsi que de nouveaux comportements et les relations de pouvoir entre l'homme et la femme évoluent... sans que l'on puisse prévoir jusqu'où !

Où en est-on aujourd'hui ?

Jusqu'à maintenant, les espoirs étaient tournés vers la technologie qui était censée résoudre tous les problèmes. On croyait que des innovations technologiques apporteraient des produits parfaitement adaptés aux utilisateurs et faciles à administrer par les organisations sanitaires. En fait, chaque avance technologique s'est jusqu'ici seulement avérée capable de remplacer un produit par un autre. Des effets secondaires sont apparus. Force est d'admettre qu'il n'existe pas de méthode parfaite, et plusieurs critiques s'adressent aux méthodes actuelles :

•   elles mettent plus l'accent sur la limitation des naissances que sur la santé des femmes ;

•   on a abouti à des méthodes qui reflètent plus l'intérêt des chercheurs ou des firmes que la préférence des femmes et des couples ;

•   on ne connaît pas ou on ne veut pas voir les risques liés à la fourniture ou à l'emploi des méthodes autres que locales.

Aujourd'hui, tout le monde est d'accord pour penser qu'il y a trois facteurs classiques qui conditionnent toute intervention réussie en planning familial :

1)   la technologie disponible,

2)   les besoins et,

3)   les attentes des utilisateurs et l'adéquation des services offerts.

J'y ajouterais un quatrième facteur essentiel : la décision politique de la société et des pouvoirs en place.

1. L'évolution de la technologie

a) A court terme

Très schématiquement on peut envisager :

•   l'utilisation de nouveaux stéroïdes mieux tolérés ;

•   l'apport hormonal par des voies différentes (cutanés, vaginal, implants, etc.) ;

•   une stérilisation tubaire réversible ;

Aucune méthode n'est vraiment « supérieure » à une autre. Aucune n'est exempte d'effets secondaires.

b) A long terme

•   empêcher la production de gamètes mûrs ;

•   empêcher la reprise de la meiose dans l'ovocyte ;

•   prévenir l'apparition de la meiose dans le testicule ;

•   empêcher la fécondation ;

Ceci serait révolutionnaire... mais on en est loin !

2. Les besoins des utilisateurs

-   une contraception sans effets secondaires ;

-   une contraception sans modification de la physiologie ;

-   une contraception masculine simple ;

-   une contraception mensuelle ;

-   une contraception post-coïtale « récidivante » ;

-   association à la protection contre les MST.

3. Adéquation des services offerts

•   gratuité ou remboursement des produits contraceptifs surtout chez les jeunes ;

•   obtention facile des produits (sans consultation médicale par exemple) ; exemple des pilules du lendemain dans les écoles.

4. Les décisions politiques de la société

La contraception est l'endroit d'une médaille dont la FIV est l'envers.

Les mutations que sont en train de vivre les sciences de la reproduction associent les procréations nouvelles et les méthodes anticonceptionnelles : elles sont les unes et les autres le résultat d'une même volonté de maîtrise et c'est d'un même élan que les chercheurs ont découvert la pilule et ont fécondé les gamètes en laboratoire. Cent ans après la première insémination artificielle, cinquante ans après la première pilule, vingt ans après le premier bébé-éprouvette, cet élan est-il irrésistiblement établi ou bien rien n'est-il encore acquis ? Autrement dit, la progression des sciences objectives mises au service de la biologie de la reproduction, malgré les éventuels aléas de parcours, leurs arrêts momentanés, va-t-elle poursuivre sa fuite en avant ; ou bien les réactions, qu'elles touchent ou non au domaine du sacré, vont-elle freiner, voire arrêter cette course ?

Les évolutions ne se font pas partout dans le même sens : en Europe, en général, contraception et avortement ont atteint un seuil de diffusion maximal. La contraception est remboursée parfois, favorisée partout.

Aux USA, on sait la part prise par les mouvements religieux « pro life » contre l'IVG et aussi contre le principe de la contraception.

En Chine la contrainte liée à la pression sociale par l'instauration du mariage tardif et les pénalités entraînées par une deuxième naissance imposent la contraception plus qu'elles ne la favorisent.

Au Japon, la contraception orale n'a été introduite qu'en 2002.

Dans les pays islamiques il existe une considérable résistance à la diffusion de la contraception.

Ces exemples laissent à penser que certaines morales ou certaines religions incarnées dans un pouvoir politique peuvent freiner l'accès à la contraception.

Je vois trois scénarios possibles : trois hypothèses peuvent schématiquement être faites pour discerner l'avenir de la maîtrise de la procréation et des développements des sciences qui y contribuent :

•   un scénario utopique où l'évolution se ferait d'une seule tenue, depuis l'épicentre occidental, vers l'humanité toute entière et vers une maternité choisie ;

•   un scénario intégriste décrit un retour en arrière qui conduirait à une interdiction de la contraception et à un abandon des procréations assistées ;

•   un scénario médian décrit une évolution plus ou moins rapide, faite d'avancées et de reculs, avec une pénétration des pays du Tiers Monde, gagnant lentement une maîtrise orientée de la procréation qui n'irait sans doute pas sans un certain eugénisme.

L'utopie d'un monde conquis par les progrès de la science de la reproduction et de la génétique paraît exclue dès à présent. Ce qui se passe aujourd'hui, où des résistances à la contraception ne cessent de se faire jour, vient déjà inquiéter le monde européen lui-même. Les résistances à la PMA en Italie, en Allemagne et dans certains pays de l'Est indiquent les limites que certains veulent fixer à la maîtrise de la reproduction humaine. Dans le reste du monde, malgré des efforts sporadiques et des succès localisés, la contraception se heurte le plus souvent aux traditions, aux religions et aux particularismes. L'échec de la contraception en Inde est ainsi dû en grande partie à la crainte éprouvée par des minorités - comme la musulmane - d'être submergées par d'autres groupes ethniques. Il est également dû à un défaut de moyens financiers qui permettraient d'étendre les efforts sur une échelle suffisamment grande.

La croissance démographique continue du Tiers Monde crée à elle seule avec les pays européens et les Etats-Unis un déséquilibre qui pourrait conduire à des prises de positions radicales des gouvernements occidentaux en faveur du natalisme.

Le scénario intégriste d'un retour au « naturel » ne peut être écarté sans examen, en raison de la situation qu'on vient de décrire. La réduction différentielle de la fécondité des sociétés occidentales ne préoccupe pas seulement les pouvoirs publics, elle risque d'engendrer une véritable panique des individus de race blanche. Elle les conforte aussi dans une certaine image de la décadence, même si cette faible fécondité n'est pas la seule ni peut-être la première cause de ce déclin. Contre cette crainte, quelques arguments existent ; et tout d'abord le pouvoir technologique qui reste l'apanage exclusif des peuples de l'Europe et des Etats-Unis auxquels s'adjoint ici le Japon. Il se produit aussi des migrations de populations de plus en plus larges, qui peuplent d'ethnies différentes ou d'enfants de mariages mixtes les territoires de la vieille Europe comme de la jeune Amérique. Ces mouvements compensent d'une certaine manière et pour une part la baisse des naissances autochtones, mais ils introduisent une situation instable, les pouvoirs nationaux oscillant entre une politique d'intégration et une politique de ségrégation, cette dernière n'allant pas sans connotation eugénique.

Le désordre culturel dans lequel nous nous trouvons pourrait aussi trouver sa limite. Peut-être verrait-on refleurir alors une morale et des valeurs qui ne seraient pas éloignées de la volonté d'un retour au « naturel ». Ce phénomène pourrait d'autant plus facilement se produire que se développerait, comme c'est le cas, des maladies sexuellement transmissibles... A condition cependant que les sciences biologiques très performantes qui sont les nôtres ne parviennent pas à venir à bout de cette situation, en trouvant le remède rapide et en enlevant ainsi ses bases à la peur. On peut donc, en faveur du scénario intégriste, imaginer une coalition des « démographes », des « sanitaires » et des « moralistes » pour faire opérer à la société, en Europe et aux Etats-Unis, un retour en arrière. Le véritable rempart contre ce « vendredi noir » de la contraception et de la reproduction humaine assistée semble être constitué par les femmes elles-mêmes et par la prise de conscience qui est la leur de leur domination théorique et pratique sur les processus de la fécondité. Il est peu vraisemblable que les femmes acceptent de perdre cet avantage - dans les sociétés du moins où cet avantage est entré dans leurs mœurs. Pour en venir là, il faudrait, me semble-t-il, que les femmes perdent jusqu'à la mémoire de leur pouvoir.

La troisième hypothèse semble la plus probable. L'humanité tirerait lentement profit des techniques récemment mises au point pour éliminer les grossesses non désirées et les embryons anormaux, avant de s'orienter vers des choix plus positifs, où la génétique entrerait activement en jeu. On passerait ainsi des grossesses programmées dans le temps, puis dans le nombre, aux grossesses de qualité choisie : certains caractères transmis seraient acceptés ou refusés, d'autres, plus tard, pourraient être acquis. Il faudra des générations pour parcourir cette route. Il a fallu 40 ans pour que les filles des premières utilisatrices de la pilule contraceptive commencent à utiliser elles-mêmes des pilules contraceptives peu de temps après leur puberté, avec le propos de le faire jusqu'au moment de leur ménopause. Cette même génération consulte un médecin dès qu'un enfant programmé tarde à venir, demande spontanément une amniocentèse et une échographie pour s'assurer que l'enfant attendu est normal. C'est cette même génération qui voit aussi s'estomper le rôle de l'homme dans toute cette affaire : il n'est plus sollicité que pour contribuer à faire l'enfant, assister éventuellement aux cours d'accouchement sans douleur, puis à la naissance, ou encore pour bien vouloir accepter un sperme de donneur si ses propres gamètes sont insuffisants. Ces changements d'attitudes se sont inscrits dans les mentalités et sont, en fait, déjà considérables dans les couches les mieux informées, les plus aisées de la société. Le processus a été tantôt accéléré tantôt ralenti par le jeu des médias traduisant les investissements des partisans de tous bords, par des traditions, par des mouvements de mode...

L'éducation et, en particulier celle des femmes, joue un rôle-clé en contraception. L'éducation doit parvenir à convaincre les femmes et les hommes de l'importance des risques encourus par les enfants et les mères en cas de grossesses chez les adolescentes, de naissances trop rapprochées, de grossesses tardives et de parité très élevées.

En fait, les meilleures militantes du développement de la mutation en cours sont sans doute les femmes. Hier, les mouvements féministes incarnaient la volonté de changement : de maîtrise de son corps et de sa descendance. Aujourd'hui, en notable perte de vitesse, ils cèdent la première place à l'action de chaque femme prise individuellement. Dans tout pays où le « sentiment » féminin est libre de s'exprimer, il s'appuie sur la diffusion et le perfectionnement de la maîtrise par la femme de la conception. Cette perception et cette volonté féminines nouvelles sont peut-être le phénomène culturel le plus notable de notre époque.

Mais elles se connaissent encore peu, elles se cernent mal elles-mêmes, et on peut les dire en quête d'une identité féminine nouvelle, qui fasse définitivement - et légitimement - sortir la femme de ses vieux équivalents de mère et de putain.

* Une partie de cet exposé est inspirée du livre « Tous des mutants » de Jean Cohen et Raymond Lepoutre (Seuil).

   LA CONTRACEPTION 20 ANS APRèS OU L'AVENIR D'UNE MUTATION   381

382   J. COHEN

   LA CONTRACEPTION 20 ANS APRèS OU L'AVENIR D'UNE MUTATION   383

384   J. COHEN

   LA CONTRACEPTION 20 ANS APRèS OU L'AVENIR D'UNE MUTATION   385