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Titre: Les enfants extraits avant 32 semaines dans un contexte de toxémie gravidique : devenir à court et moyen terme
Année: 1995
Auteurs: - Lequien P.
Spécialité: Néonatologie
Theme: prématurité

les enfants extraits avant 32 semaines dans un contexte de toxémie gravidique.
devenir à court et moyen terme

P. LEQUIEN, V. PIERRAT, P. TRUFFERT ET S. KLOSOWSKI

introduction

L'extraction avant 32 semaines d'enfants de mères toxémiques a été dans un premier temps la réponse à des situations d'extrême urgence où l'intérêt de la mère était exclusivement pris en compte. Les indications étaient alors purement maternelles. Le souci du devenir de l'enfant passait alors franchement au second plan. Une évolution favorable était alors considérée comme un événement heureux. Défavorable, elle ne remettait nullement en cause les décisions ni les stratégies qui en avaient découlé.

La situation a évolué radicalement depuis une dizaine d'années(1) pour deux raisons essentielles.

Les progrès spectaculaires de la médecine foetale ont permis une appréciation de plus en plus pertinente des risques encourus par l'enfant in utero. Elle repose sur la précision de l'appréciation de la croissance de la taille, de la masse céphalique par la mesure du diamètre bipariétal, et désormais du poids grâce à des abaques dont la précision est maximum chez des enfants plus petits comme dans le contexte qui nous occupe(2). A une analyse de plus en plus fine du rythme cardiaque foetal et de sa variabilité s'est ajoutée l'étude de la circulation foetale (3). Cette liste n'est pas limitative. Certaines équipes y adjoignent l'évaluation du "bien être foetal" (4) par les études comportementales, la réactivité du foetus à des stimulations extérieures et enfin une quantification des échanges placentaires et de l'activité métabolique du foetus par la mesure des gaz du sang et des lactates, reflets des modalités aérobies ou anaérobies du métabolisme du glucose(5).

La prise en charge des enfants très immatures a dans le même temps progressé sur un mode suffisamment spectaculaire pour que les obstétriciens croient en leurs chances de survie à des termes très précoces(6, 7), au moment où on voit publier, en Scandinavie notamment, des taux de mortalité extraordinairement faibles à des termes de plus en plus bas, dès lors notamment qu'ont été exclus de la statistique les enfants porteurs de malformations léthales (8). Le néonatologiste s'autorisera même à une esquisse discrètement provocatrice des mentalités obstétricales. A un scepticisme excessif de l'aptitude à la survie des grands prématurés se substitue parfois une confiance parfois tout aussi excessive dans la capacité des néonatologistes à leur offrir toutes les chances d'un avenir de bonne qualité.

La situation actuelle, à savoir l'extraction délibérée sur indication materno-foetal et foetale exclusive, est la résultante logique de ces deux évolutions. Il est de plus en plus souvent considéré que la décision de l'interruption de la grossesse par une extraction délibérée est celle qui offre le meilleur pronostic à un foetus menacé in utero.

Le risque n'est pourtant pas négligeable d'une sous-estimation des risques inhérents à la prématurité induite, a fortiori quand elle s'accompagne d'un retard de croissance intra-utérin. On ne saurait oublier entre autres que, même en dehors de toute complication spécifique, l'adaptation de toutes les fonctions du prématuré à la vie extra-utérine est particulièrement longue et difficile. La tolérance aux apports nutritionnels, par voie parentérale aussi bien que par voie entérale nécessite de longs jours et parfois semaines avant que ne redémarrent anabolisme et croissance. Il y a parfois quelque paradoxe à faire naître un enfant pour le soustraire aux risques d'un retard de croissance intra-utérin  en l'exposant à la certitude d'un retard de croissance extra-utérin, dans un environnement qui est loin d'être dénué de dangers. La dernière série d'arguments qui incitent à une analyse critique des politiques actuelles est apportée par les études dont le nombre et la qualité se sont accrues qui rapportent le devenir à moyen et à long terme des "grands prématurés". Elles incitent à la plus grande circonspection à l'égard d'attitudes extrêmes, comme celles qui consistent à légitimer la césarienne pour souffrance foetale aiguë dès 25 semaines (9).

Le meilleur exemple est apporté par la cohorte décrite par Hack et coll. depuis la période néonatale jusqu'à l'âge scolaire dans des articles successifs(10, 11). D'autres auteurs n'ont pas manqué d'attirer l'attention sur les difficultés rencontrées par ces enfants bien au delà de la période néonatale, et même en dehors de toute séquelle handicapante sur le plan sensori-moteur, quand il s'agit pour eux de s'intégrer dans la première et déterminante collectivité que représente l'école (12, 13, 14). Dans ces conditions, l'évaluation des politiques périnatales exige, au delà des résultats à court terme, une évaluation du devenir à moyen et long terme des enfants nés dans le contexte qui nous occupe. Les pédiatres doivent reconnaître les particularités des complications de ce type de prématurité. Ils doivent aux obstétriciens des informations sur le devenir des enfants qu'ils ont ainsi extraits. Et pourtant, on ne trouve dans la littérature qu'un nombre limité d'études consacrées à ce sujet(15, 16, 17, 18).

Trois questions nous paraissent essentielles. La prématurité provoquée dans ce contexte est-elle en tous points superposable à la prématurité spontanée, et les données générales sur le devenir de la prématurité lui sont-elles applicables? Quel est le devenir à court et long terme des enfants extraits avant 32 semaines dans un contexte de pathologie maternelle vasculo-rénale? Quelle est la participation du retard de croissance surajouté chez nombre d'entre eux dans le devenir ?

prématurité spontanée et provoquée

Les différences entre ces deux mécanismes se décantent progressivement. Certaines sont évidentes et induites par les modalités même de la naissance. Spontanée, la naissance peut être suffisamment rapide pour que ne puissent être réalisées les conditions optimales de l'accueil de l'enfant. Il convient de placer ici au premier plan la naissance dans une Unité dotée des moyens en personnel et en matériel et possédant le savoir faire dans ces circonstances et avec ce type d'enfants. En dépit de quelques études discordantes, l'intérêt du transfert in utero de ces enfants jusqu'à des centres tertiaires, pour reprendre la terminologie anglo-saxonne, n'est actuellement plus discutable(19, 20, 21). Un autre aspect essentiel résulte des travaux les plus récents sur la pathogénie d'un certain nombre de lésions cérébrales de la prématurité. Sur un plan purement épidémiologique, un auteur au mis en évidence l'absence de leucomalacies périventriculaires - dont on sait le rôle essentiel comme pourvoyeuses de séquelles sensori-motrices majeures - chez les enfants extraits en raison d'une pathologie maternelle (22) :notre propre expérience nous permet d'adhérer globalement à cette conclusion, sans être toutefois aussi péremptoires. Des arguments très séduisants ont été résumés par Leviton (23) pour étayer cette constatation. Dans le schéma qu'il propose, les lésions cérébrales ischémiques ne sont pas la conséquence de la prématurité mais du mécanisme qui en est responsable. Par l'intermédiaire des endotoxines, l'infection maternelles est responsable de la production de cytokines et particulièrement de Tumor Necrosis Factor. Directement, et par l'intermédiaire de l'immaturité vasculaire, celui-ci est responsable d'une vasodilatation des artères cérébrales qui conduit naturellement à l'ischémie. Tout concourt ainsi à distinguer clairement , comme d'autres l'avaient fait précédemment, la prématurité imputable à l'infection materno-foetale et celle secondaire à la vasculopathie placentaire (24).

Est-ce à dire que le foetus extrait pour toxémie se situe exclusivement en situation d'avantage par rapport aux prématurés de même âge gestationnel nés dans d'autres contextes et notamment infectieux? Sûrement pas et l'étude de la morbidité et de la mortalité néonatale le démontreront. On peut néanmoins conclure de ce chapitre que la prématurité ne peut plus actuellement être considérée comme une entité homogène. La caractérisation d'un prématuré implique toujours l'âge gestationnel et la qualité de la croissance intra-utérine, mais il faut désormais leur adjoindre la cause de la prématurité et le mécanisme de la naissance, ces deux derniers paramètres étant étroitement corrélés dans la majorité des cas.

devenir à court terme des enfants extraits avant 32 semaines dans un contexte de pathologie vasculo-rénale

Nous recourrons pour ce chapitre aux données de la littérature, mais aussi à notre expérience personnelle. Celle-ci concerne dans le cas particulier 117 enfants hospitalisés dans le Service de Médecine Néonatale du CHRU de Lille entre le 01/01/1983 et le 31/12/89, dont la naissance a été provoquée sur indication maternelle, materno-foetale ou foetale exclusive avant 32 semaines d'aménorrhée dans un contexte de syndrome vasculo-rénal, à l'exception de ceux porteurs d'un syndrome malformatif. Ils étaient tous "outborn" et ont donc fait l'objet d'au moins un transfert. A cette époque aucun n'a bénéficié d'un traitement par les surfactants exogènes. Le retard de croissance intra-utérin(RCIU) a été défini par un poids de naissance(PN) inférieur au dixième percentile des courbes de Lucas et coll.(25). Quarante et un étaient eutrophiques, 76 avaient un poids inférieur au dixième percentile. Leurs caractéristiques sont résumées dans le tableau 1.

Tableau 1 : Caractéristiques de la population

  TOTAL EUTROPHIQUES RCIU
Nombre d'observations 117 41 76
Âge gestationnel (semaines) 29.9 ± 1.1 29.8 ± 1.2 29.9 ± 1
Poids de naissance (grammes) 1106 ± 280 1361 ± 300 * 969 ± 134*

* p < 0.001

Ils ont été extraits par voie haute à deux exceptions près, dans lesquelles l'indication était maternelle et les chances de survie n'a pas paru justifier une intervention césarienne. L'indication de l'extraction a été à la fois maternelle et foetale dans la moitié des cas, maternelle pure pour 37 enfants, exclusivement foetale chez les 23 derniers (tableau 2).

 

Tableau 2 : Indication de l'extraction prématurée..
Devenir en fonction de l'indication et de la croissance intrautérine


TOTAL (n = 117)
EUTRO
PHIQUES
(n = 41)

RCIU
(n = 76)
Indication n A.G. P.N. Décès
n (%)
n Décès
n (%)
n Décès
n (%)
Maternelle 37 29.5 ± 1.2 1095 ± 297 7 (19) 13 3 (23) 24 4 (17)
Materno-foetale 57 28 ± 0.7 1062 ± 222 18 (32) 23 7 (30) 34 11 (32)
Foetale 23 30.3 ± 0.8 1094 ± 233 3 (13) 5 1 (20) 18 3 (17)

Il apparaît ainsi des différences sensibles entre ces trois groupes, en termes d'âge gestationnel et de poids de naissance :les enfants extraits sur indication materno-foetale sont plus immatures à poids égal, et donc moins souvent porteurs d'un RCIU.

L'incidence de la maladie des membranes hyalines (MMH) a été globalement de 61.5 % (tableau 3).

Tableau 3 : Incidence de la maladie des membranes hyalines dans l'ensemble de la population et en fonction de la croissance intra-utérine

A.G. n Maladie des Membranes Hyalines
  Total
(n = 117)
Eutrophiques
(n = 41)

RCIU
(n = 76)

    n % n % n %
27 3 3 100 1 100 2 100
28 10 9 90 5 100 4 80
29 26 20 77 7 87.5 13 72
30 36 20 56 8 73 12 48
31 42 20 48 9 60 11 41
27-31 117 72 61.5 30* 73 42* 55

* p < 0.05

Le risque est significativement diminué chez les RCIU (O.R. = 0.4 [0.17 -  0.92], p = 0.031). Les résultats sont homogènes quel que soit l'âge gestationnel et l'ajustement sur ce dernier ne les modifie pas.

Une ou plusieurs échographies transfontanellaires(ETF) ont été réalisées chez 103enfants(tableau 4).

 

Tableau 4 : Incidence des hémorragies intra et périventriculaires et des leucomalacies périventriculaires chez les éxaminés et en fonction de la croissance foetale

E.T.F. n A.G. EUTROPHIQUES RCIU  
      n % n %  
Normale 61 30.1 ± 1 22 62 39 57  
Hémorragie 1-2 31 29.5 ± 1.2 10 29 21 31  
Hémorragie 3-4   9 29.4 ± 0.9 2 6 7 10
Leucomalacies   2 30.5 ± 0.7 1 3 1 2
  103   35 100 68 100  

L'ETF est restée normale tout au long de l'évolution dans 61 observations(59%);il a été observé une hémorragie de grade I ou II(Papile) chez 31enfants(30%);l'aspect a été celui d'une hémorragie au grade III dans 8 cas, au grade IV une fois ;deux enfants enfin étaient porteurs de lésions excavées de leucomalacie périventriculaire. La fréquence et la gravité de ces complications ne sont pas corrélées dans cette population à l'âge gestationnel. La croissance intra-utérine n'influe pas sur le risque (O.R. = 1.26 [0.54 - 2.91] ;p = 0.59) ni sur la gravité (O.R. = 1.42 [0.35 - 5.74] ; p = 0.62).

Les données hématologiques de la première semaine sont disponibles dans toutes les observations (tableau 5).

 

Tableau 5 : Résultat des hémogrammes réalisés pendant la première semaine

  TOTAL
(n = 117)
EUTROPHIQUES
(n = 41)
RCIU
(n = 116)
   
  n % D % n % D % n % D % p  
Thrombopénie isolée 43 38 11 25 12 29* 2 17 31 41* 9 29 0.017  
Neutropénie isolée 6 5 0   0   0   6 8* 0   0.02  
Thrombopénie + neutropénie   32 27 15 47 10 25* 6 60 22 29* 9 41 0.075
Hémogramme "normal" 36 30 3 8 19 46* 3 30 17 22* 0   0.008  

D : Décès

L'incidence des perturbations hématologiques est significativement plus élevée (p = 0.025) chez les RCIU que chez les eutrophiques. Quarante-trois enfants ont présenté une thrombopénie isolée(<150000/ mm3), six une neutropénie isolée (<1500 / mm3) ;32 présentaient à la fois une thrombopénie et une neutropénie. Toutes anomalies confondues, le risque de perturbations graves de l'hémogramme est trois fois plus élevé chez les RCIU (O.R. = 3, I.C. [1.4 - 6.7] ; p = 0.008). C'est seulement dans ce groupe que s'observe une neutropénie isolée. Le risque de décès en outre varie très significativement en fonction de l'hémogramme. L'odds ratio est de 3.8en cas de thrombopénie isolée(I.C [1.02- 14.04]; p=0.046);il est de 9.7si la thrombopénie est associée à une neutropénie (I.C. [2.79 - 33.8] ;p < 0)

Vingt-huit enfants - 24% - sont décédés en période néonatale. Dans le même temps, la mortalité néonatale des enfants de même caractéristiques hospitalisés dans le service, toutes causes de prématurité confondue et une fois les malformations létales exclues, a été strictement comparable: 23.9%. La mortalité est la même chez les eutrophiques et les RCIU. L'âge moyen des 28 enfants au moment du décès était de 7.8jours avec des extrêmes comprises entre J0 et J27. Elle est plus élevée chez les enfants extraits sur indication mixte, materno-foetale. Surinfections systémiques, maladie des membranes hyalines et hémorragies intracrâniennes sont les principales causes de la mort (tableau 6). Les différences n'atteignent pour aucun paramètre le seuil de significativité.

 


Tableau 6 : Caractéristiques des enfants décédés et description de la cause principale du décès

  TOTAL EUTROPHIQUES RCIU  
  (n = 117) (n = 41) (n = 76)  
  n % n % n %  
Morts néonatales 29 24 11 27 18 24  
A.G. des enfants décédés 29.7 ± 1   29.6 ± 1.2   29.7 ± 0.9    
A.G. des enfants vivants   29.1 ± 1.1   29.9 ± 1.2   30 ± 1.1  
P.N. des enfants décédés   1077 ± 292   1330 ± 304   922 ± 138  
P.N. des enfants vivants   1116 ± 276   1385 ± 310   983 ± 131  
Cause principale du décès              
Infection systémique   11 8.5 4 9.8 7 9.2
Syndrome hémorragique   7 5.9 1 2.4 6 7.9
Hémorragie intracranienne   2 1.7 2 4.8 0 0
MMH   8 6.8 4 9.8 4 5.3
Insuffisance rénale 1 0.9 0   1 1.3  

Cette expérience prête à un certain nombre de commentaires. Les complications respiratoires de la prématurité ont tenu une place prédominante dans la morbidité et la mortalité néonatales, d'autant plus importante que les enfants sont plus prématurés. Il a été longtemps attribué un effet "protecteur" de la maladie hypertensive maternelle sur la maturation pulmonaire(26). Non seulement il n'a pas été retrouvé par d'autres auteurs (27, 28) mais c'est le constat inverse qui a été rapporté, récemment  (18) : dans une population d'enfants nés de mère hypertendue, avec un âge gestationnel inférieur à 34 semaines ou un poids inférieur à 1500 grammes, l'incidence était de 65% contre 51% chez les enfants de mère normotendue, comparables pour le poids mais plus immatures. Notre expérience corrobore ces conclusions. De la même façon il est classique d'affirmer que le RCIU accélère la maturation pulmonaire : non seulement l'incidence de la MMH est plus faible chez les RCIU de cette série, mais la différence n'est pas significative (p < 0.05). L'efficacité même de la prévention par les corticoides a été controversée dans ce contexte :constatée par Lamont (29), elle n'a pas été vérifiée ailleurs(30). On peut expliquer les divergences relevées dans la littérature par la prématurité plus importante des enfants rapportés dans les études les plus récentes, y compris celle-ci. Cette question a cependant sensiblement évolué depuis 1989: l'adjonction de la TRH aux corticoïdes (31), le recours systématique aux surfactants exogènes, la sophistication des techniques de ventilation (32) constituent autant d'avancées sensibles tant préventives que thérapeutiques.

La part élevée des infections systémiques relève de plusieurs explications. Une neutropénie est présente chez 38 enfants sur 117, comme chez la moitié des enfants nés de grossesses compliquées d'hypertension sévère dans l'étude de Koenig (33). Elle n'est isolée que chez les RCIU. Elle est associée à une thrombopénie avec une égale fréquence chez les eutrophiques et les RCIU (25 vs 29 %). Le pronostic de cette association est péjoratif puisque la mortalité s'élève alors à 47 %. La discussion pathogénique la mieux argumentée plaide en faveur d'une inhibition de la production des granulocytes par un facteur d'origine placentaire qui reste à identifier  (34). On constate tout aussi fréquemment dans ce contexte (15, 35, 36) des ileus prolongés que nous avons constatés à maintes reprises sans les répertorier. Ils sont un facteur favorisant de la prolifération dans la lumière intestinale de germes gram-négatifs exprimant l'écologie bactérienne des unités de néonatalogie. Le tube digestif dans ces conditions est le point de départ de bactériémies qui contribuent aux formes graves d'infections systémiques. Ils ne sauraient être imputés comme l'a fait Brazy à un passage transplacentaire de sulfate de magnésium puisqu'il n'a été utilisé dans aucune observation. On peut par contre invoquer encore le rôle d'une diminution prolongée du flux mésentérique, au delà de la naissance (37) analogue à celle observée au niveau des artères rénales (38). Cette dernière a été fréquemment à l'origine d'insuffisances rénales transitoires dans la population qui fait l'objet de cette étude :elles n'ont pas été inventoriées en raison de la difficulté de quantifier leur gravité dans une éude rétrospective. Tout au plus peut-on noter que l'insuffisance rénale n'a été la cause principale du décès que dans une observation. Quant aux complications cérébrales ischémiques et hémorragiques, leur incidence à l'échographie n'est pas plus élevée que dans la population générale de même âge gestationnel : ce constat a déjà été fait par d'autres (39). Avant même le travail de Leviton, on tendait à considérer que naissance avant travail par voie haute et toxémie gravidique sont associées à un moindre risque d'HIV(40) et de nécrose hémorragique de la substance blanche(41).

La thrombopénie parait extrêmement banale dans ce contexte puisqu'elle est présente dans 75 observations. Le décès n'est imputable directement à un syndrome hémorragique que dans sept cas. Par contre la thrombopénie est hautement corrélée à la mortalité :celle-ci est de 35% en cas de thrombopénie, alors qu'elle n'est plus que de 5% quand le taux des plaquettes est supérieur à 150 000 (p < 0.001).

La mortalité globale est élevée si on ne prend pas en compte l'hétérogénéité d'une cohorte qui inclut des enfants ayant tous fait l'objet d'un transfert, primaire ou secondaire. C'est la raison pour laquelle elle a été comparée à celle de l'ensemble de la population relevant de la même définition hospitalisée dans le Service dans la même période - et relevant de la même hétérogénéité. Il apparaît alors que les taux sont strictement superposables et que, globalement, la pathologie maternelle ne modifie pas fondamentalement le pronostic néonatal, à âge gestationnel égal. Un travail récent comparant la mortalité périnatale des enfants nés dans un contexte de prématurité spontanée et provoquée avait abouti à la même conclusion(42).

le devenir à moyen terme

Ces enfants font l'objet d'un suivi régulier à la consultation du Service. Le suivi des plus anciens a été abandonné à l'âge de sept ans. Les plus jeunes ont été revus à l'âge de trois ans et demi. Deux enfants sont décédés au delà de la période post-néonatale, dont une à 5 ans d'un état de mal convulsif imputable aux séquelles neurologiques de la période périnatale. Des 87 enfants survivants, quatre seulement ont été perdus de vue à deux ans et tous les autres ont été examinés à deux ans d'âge corrigé de la prématurité. Soixante neuf, soit 83.1 %, sont indemnes de toute séquelle. Même s'il existe globalement chez les enfants porteurs de séquelles une sur-représentation des RCIU, les différences ici encore sont en dessous du seuil de significativité (tableau 6).

Le nombre d'enfants perdus de vue dans la série que nous rapportons est remarquablement faible et plusieurs explications peuvent être proposées. Nous n'en retiendrons qu'une :ces enfants ont fait l'objet de la part de leurs parents d'un investissement tel que la surveillance régulière en consultation est perçue plus comme un service que comme une contrainte supplémentaire, bien que le rayon d'habitation de ces familles soit de 120 km.

Le nombre absolu des séquelles est d'appréciation difficile et tout au plus peut-il etre considéré comme relativement faible, comme dans une étude antérieure(Huisjes). Il nous parait préférable de considérer celui des séquelles "mineures" qui représentent la majorité des cas. Elles concernent dans leur grande majorité des RCIU sans que la différence toutefois soit significative. Le qualificatif "mineur" n'autorise pas à les sous-estimer dans la mesure où il a été démontré qu'elles sont souvent prédictives de difficultés ultérieures et notamment scolaires (43). On a démontré par ailleurs qu'il était abusif d'être rassuré par le quotient de développement chez les RCIU (44). Malgré les réserves émises plus, tout plaide en faveur d'un suivi plus prolongé de ces enfants. Ses résultats seront rapportés lors de la présentation orale de ce travail.

En tout état de cause la mortalité néonatale, les séquelles qui grèvent le pronostic d'un certain nombre des enfants survivants incitent à un traitement aussi "conservateur" que possible(17, 45):les indications d'extraction aussi précoces doivent etre discutées cas par cas et les décisions argumentées rigoureusement. On conçoit dès lors l'intérêt des perspectives de prévention efficace des complications vasculaires de la grossesse par l'aspirine (46), en dépit des conclusions discordantes des études les plus récentes (47).

en conclusion

Dans la mesure où l'indication d'interruption de la gestation parait indiscutablement justifiée parce que la viabilité du foetus est sûrement et définitivement compromise, le pronostic à court et moyen terme à partir de cette expérience justifie une politique agressive dès avant 32 semaines. L'existence d'un retard de croissance intra-utérin ne constitue pas un élément de pronostic péjoratif. A partir de l'analyse de la mortalité et de la morbidité, le recours aux surfactants exogènes, aux concentrés plaquettaires et aux transfusions de globules blancs devrait permettre une amélioration du pronostic immédiat. La fréquence relative des séquelles "mineures" à deux ans impose un suivi prolongé de ces enfants.

TABLEAUX

Tableau 7 : Devenir à 2 ans des 89 enfants survivants au delà de la période néonatale

  TOTAL EUTROPHIQUES RCIU  
  n % n % n %  
Vivants à J 28 89   31   58    
Morts post-néonatales 2   1   1    
Perdus de vue   4   3   1  
Revus à 2 ans   83   27   56  
Normaux   69 83.1 25 92.1 44 78.5
Séquelles majeures   1 1.2 1 3.7 0 0
Séquelles modérées   4 4.8 0 0 4 7.1
Séquelles mineures 9 10.8 1 3.7 8 14.2  

BIBLIOGRAPHIE

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Service de Médecine Néonatale. Centre Hospitalier Régional Universitaire. Lille