Indications obstétricales chez
les femmes enceintes porteuses d'une maladie de Crohn anopérinéale
(MdCAP)
P. ATIENZA
Les femmes enceintes présentant des structures
de la continence anale déficientes ont suscité, ces dix dernières
années, de nombreux travaux permettant de mieux appréhender les indications
proctologiques de la césarienne. Au sein de cette population, les parturientes
atteintes par une maladie de Crohn (MdC) reste un sous-groupe à risque remarquable
par plusieurs aspects :
- la fréquence et la gravité
de leurs lésions anopérinéales (LAP),
- la difficulté accrue de
poser les indications thérapeutiques médicales ou chirurgicales durant
la grossesse chez ce type de patientes,
- le caractère critiquable
et rétrospectif des rares travaux suggérant la conduite obstétricale
à adopter chez ces parturientes atteintes d'une MdC avec localisations anopérinéales
(MdCAP).
Positionnement du problème
Il doit prendre en compte quatre aspects :
• La fertilité au cours
de la MdC.
• L'influence de la MdC sur la
grossesse.
• Les localisations anopérinéales
au cours de la MdC.
• L'influence de la grossesse
sur la MdCAP.
La fertilité au cours de la MdC
Le pic initial de la MdC est contemporain du développement
de la reproduction chez la femme. La fertilité de ces patientes conditionne
la proportion d'entre-elles devant affronter une telle situation obstétricale.
Les différentes études concordent pour admettrent une fertilité normale
au cours des Maladies Inflammatoires Chroniques Intestinales (MICI) avec quelques
réserves concernant la MdC. Un risque accru de stérilité semble rapporté
si la MdC est en phase d'activité ou a justifié une intervention chirurgicale.
Le rôle d'adhérences intra-abdominales dans l'apparition d'une stérilité
tubaire est signalé chez ces malades. Ce problème clinique, de la survenue
d'une grossesse au cours d'une MdC n'est donc pas exceptionnel, pour les gastroentérologues,
proctologues et obstétriciens.
L'efficacité des mécanismes
contraceptifs chez ces patientes est également normale; la diminution de protection
des dispositifs intra-utérins par les molécules anti-inflammatoires utilisées
apparaît théorique. L'action des contraceptifs oraux a fait l'objet d'interrogations
en cas de malabsorption sévère ou de résection iléale. Les rares
études sur ce sujet ne remettent nullement en cause l'efficacité de cette
forme de contraception, seules les pilules mini-dosées sont l'objet de réserves.
La programmation dans le temps d'une grossesse chez ces femmes est donc possible
et souhaitable.
L'influence de la MdC sur la grossesse
Un risque accru de prématurité (1) et
d'hypotrophie est toujours observé au cours de la MdC (peut-être secondaire
à un traitement insuffisant lors de la grossesse ?). Le risque de dystocie
mécanique se trouverait ainsi peut-être diminué lors de délivrances
par voie vaginale.
L'activité de la MdC au moment
de la conception accroît le risque d'activité persistante pendant la grossesse.
Ce risque de rechute durant la grossesse passe pour la MdC de 25 à 50 % selon
que l'activité est absente ou présente lors de la conception.
Les LAP au cours de la MdC
Elles sont révélatrices de la MdC dans
5 à 36 % des cas. Dans un délai inférieur à 1 an, 60 % des malades
verront apparaître des lésions intestinales (2). Les LAP sont plus fréquentes
et plus graves en cas d'atteinte intestinale distale (lésions Crohniennes rectales
associées aux LAP dans plus de 90 % des cas).
Plusieurs classifications ont été
proposées, celle dite de « Cardiff » permet une description
précise et standard des lésions. Elle associe une classification principale
(ulcération, fistule ou abçès et sténose) et une classification
annexe (lésions anales non spécifiques associées, atteinte intestinale,
degré d'activité). Ces lésions peuvent être asymptomatiques
dans 50 % des cas justifiant un examen proctologique rigoureux.
Le recours aux explorations d'imagerie
anorectale par échographie endo-anale voire par résonance magnétique
peut être nécessaire, sans danger au cours de la grossesse, afin d'effectuer
un bilan précis de lésions anopérinéales complexes.
Leur prise en charge implique une coopération
étroite entre gastroentérologues, proctologues, chirurgiens digestifs
et obstétriciens.
Le traitement médical vise à
diminuer l'activité de la MdC et de ses LAP éventuelles.
Les traitements proctologiques ou chirurgicaux
intéressent les suppurations en phase active voire les sténoses en dehors
des poussées ; ils se veulent les plus conservateurs possibles.
Traitement médical des MdCAP au cours de la grossesse
Son but principal est de contrôler la MdC
dans l'espoir de ne pas voir apparaître ou garder quiescente les LAP, condition
nécessaire à une possible délivrance par voie vaginale. Les principaux
médicaments utilisés dans le traitement de la MdC traversent, en général,
le placenta. Leur sécurité d'emploi durant la grossesse est résumée
sur le tableau I.
Quelques rappels sont utiles concernant
les principaux groupes de molécules efficaces sur les LAP et leur possibilité
d'emploi durant la grossesse.
Corticostéroïdes
Prednisone et prednisolone peuvent être
employés sans restriction particulière pour traiter la MdC chez la femme
enceinte. Concernant les LAP leurs indications semblent plus restreintes et imposent
d'avoir guéri préalablement toute suppuration anopérinéale.
Antibiotiques
Le métronidazole est employé largement
au cours de la MdCAP à la dose de 20 mg/kg/j. Son efficacité discrète
ne repose que sur des séries ouvertes. Sa durée de prescription doit être
courte chez la femme enceinte, de l'ordre de dix jours (risque mutagène en
cure prolongée chez l'animal). La ciprofloxacine a été signalée
par plusieurs études comme une molécule efficace sur la MdCAP malheureusement
son arthropathogénicité potentielle la contre-indique durant la grossesse.
Immunosuppresseurs
L'azathioprine (imurel) et la 6-mercaptopurine
ont une efficacité démontrée dans les LAP. Ils présentent un
risque important de poussée chez la mère en cas d'arrêt du traitement
et ont des effets secondaires à type d'immuno-suppression sur le fœtus. On
retiendra les notions suivantes :
- un traitement immunosuppresseur
doit être systématiquement associé à une contraception.
- une grossesse peut être
tentée après une rémission supérieure à 2 ans sous Imurel
avec absence de rechute 3 mois après son arrêt.
- si la grossesse se déclare
sous Imurel, ce médicament peut être maintenu.Un contrôle régulier
biologique et de la leucocytose s'impose chez la mère ; la surveillance du
fœtus est accentuée et une amniocentèse à discuter.
Infliximab
L'étude multicentrique randomisée
de1999 (3) a rapporté l'efficacité de l'anticorps monoclonal chimérique
anti-TNF alpha dans le traitement des fistules de la MdC. Le début du traitement,
comprenant 3 perfusions, nécessite l'absence de tout état infectieux et
le drainage préalable des abçès. Un protocole de maintien de la rémission
(réadministration d'infliximab ou coprescription d'un immunosuppresseur) doit
être institué. Une étude de surveillance post-marketing (Katz, Orlando
2003), (n=141) révèle que la fréquence des fausses couches ou des
complications de la grossesse n'était pas significativement différente
d'une population contrôle non traitée par l'infliximab. Cette étude
incite à ne pas conseiller d'avortement systématique lorsque l'infliximab
a été utilisé durant la grossesse.
Méthotrexate : Il est tératogène
et responsable d'anomalie chromosomique ; il est donc contre-indiqué au cours
de la grossesse. Son emploi ne se conçoit qu'associé à une contraception
efficace. Son efficacité sur les LAP mérite confirmation. Il doit être
arrêté par les femmes au moins un mois avant la conception.
Traitement chirurgical des MdCAP au cours de la grossesse
La nécessité d'un geste proctologique
ou chirurgical au niveau périnéal (drainage d'une fistule ou d'une suppuration)
en cours de grossesse traduit une MdCAP active. En l'absence de contrôle strict
par le traitement médical et d'extinction durable des LAP, l'indication d'une
césarienne s'imposera.
Nous signalons dans ce chapître,
la pratique depuis quelques années d'anastomoses iléo-anales avec réservoir
réalisées sur des malades atteints de MdC et sélectionnés (sans
lésion anopérinéale passée ou présente et sans lésion
de l'intestin grêle) (4). En l'absence de toute apparition de localisation
anopérinéale évolutive il ne semble pas que sur un tel terrain la
césarienne soit impérative. Plusieurs travaux de la Mayo Clinic de Rochester
nous informent du caractère non systématique de la césarienne chez
ces patientes avec absence d'effet significatif de la primiparité, du nombre
de naissance, de la durée du temps de travail, du poids de naissance et des
modalités d'accouchement sur la capacité ultérieure du réservoir
(5).
L'influence de la grossesse sur la MdCAP
A ce jour, aucune étude scientifique n'a
été publiée sur ce sujet très focalisé néanmoins certaines
recommandations peuvent raisonnablement être transférées à partir
de travaux évaluant l'influence de la grossesse sur l'histoire naturelle des
MICI.
• Les femmes atteintes d'une
MdC doivent éviter, dans la mesure du possible, une conception durant une phase
active de leur maladie.
• La réduction ou l'arrêt
du tabagisme durant la grossesse s'accompagne d'une diminution de l'activité
de la MdC (6).
Si la littérature est abondante
sur la grossesse au cours de la MdC et la spécificité des localisations
anopérinéales de la MdC, en revanche, les études concernant le mode
d'accouchement, sur un tel terrain, restent sporadiques et le fruit de travaux rétrospectifs
à la méthodologie discutable.
MdCAP et accouchement
Peu d'études sont malheureusement disponibles
et n'autorisent que les idées directrices suivantes.
L'épisiotomie chez les malades
atteintes d'une maladie de Crohn exposerait au risque de fistule recto-vaginale
(7).
La présence d'une activité
de ces lésions périnéales lors de l'accouchement impose un accouchement
par césarienne.
Une étude rétrospective de1995
recommande une césarienne chez les porteuses de MdC particulièrement si
il existe des LAP (8).
Une étude rétrospective de1999
rapporte que les femmes porteuses d'une MdC ont un taux de césariennes augmenté
de 33 % par rapport à la population générale. Toutes les parturientes
atteintes d'une MdCAP active et ayant eu une délivrance vaginale ont rapportées
une aggravation de leurs symptômes anopérinéaux dans le post-partum
(9). Il en ressort la règle princeps suivante.
La MdCAP en poussée est une indication
à la césarienne.
La MdC sans localisation anopérinéale
ou avec localisation anopérinéale quiescente ne justifie pas césarienne
systématique.
Il subsiste de l'analyse de cette maigre
littérature, l'intérêt de parvenir, chez les femmes atteintes d'une
MdC au terme d'une grossesse, à un périnée indemne de LAP ou avec
LAP quiescentes sous traitement médical. Tous les facteurs pouvant prévenir
la survenue ou contenir ces LAP doivent être utilisés. Cette démarche
impose une réflexion en amont de l'accouchement et même de la grossesse.
Pour la pratique, on retiendra l'intérêt des
mesures suivantes
• Procréer durant une phase quiescente
de la MdC.
• Arrêter tout tabagisme
dès le début de la grossesse.
• Devant des LAP actives au terme
de la grossesse poser l'indication d'une césarienne systématique.
• Devant des LAP absentes ou
quiescentes les indications de la césarienne seront essentiellement obstétricales.
L'épisiotomie ne sera pas systématique. Concernant le choix entre voie
haute et voie basse, la décision ne sera prise au niveau proctologique qu'après
évaluation de la continence anale et recours aux explorations périnéales
postérieures, comme chez les patientes à risque indemnes de MdC (tableau
II).
• Rassurer en informant la malade
de l'absence d'influence de sa grossesse sur l'activité ultérieure de
sa MdC.
• Antécédent de chirurgie
colo-proctologique (pour incontinence anale, malformation anale congénitale
opérée, anastomose iléo-anale ou iléo-rectale, fistulotomie,
sphinctérotomie, ...).
Bibliographie
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ATIENZA INDICATIONS
OBSTéTRICALES CHEZ LES FEMMES ENCEINTES... 421
Tableau 1 : Sécurité des traitements
médicamenteux des MICI pendant la grossesse [10].
Autorisés Innocuité
moins bien établie Contre-indiqués
Prednisone-prednisolone Budésonide
Sulfasalazine
5-ASA ( 2g/j) 5-ASA (> 2g/j) Azathioprine Méthotrexate* Ciclosporine Thalidomide* Infliximab
Lopéramide Métronidazole Ciprofloxacine*
422 P.
ATIENZA INDICATIONS
OBSTéTRICALES CHEZ LES FEMMES ENCEINTES... 423
424 P.
ATIENZA INDICATIONS
OBSTéTRICALES CHEZ LES FEMMES ENCEINTES... 425
Tableau 2 : Parturientes chez qui un accouchement
par césarienne doit être discuté pour des raisons proctologiques
[11]. - Antécédent
de lésion anopérinéale sévère de la Maladie de Crohn,
- Incontinence anale avérée,
- Antécédent de pathologie neurologique touchant
le périnée,
- Secondipare avec :
• Premier accouchement traumatique (forceps, déchirure
du périnée, incontinence anale transitoire du post-partum)
• Déficit significatif à la manométrie ou
à l'échographie endo-anale.
• Association de deux indications relatives obstétricale
et proctologique
• Demande de la parturiente après information des risques
d'un accouchement par voie basse. INDICATIONS
OBSTéTRICALES CHEZ LES FEMMES ENCEINTES... 427 |