JOURNEES DE TECHNIQUES AVANCEES EN GYNECOLOGIE OBSTETRIQUE ET PERINATALOGIE PMA, Fort
de France 11 - 18 janvier 1996
Peut-on prévenir les grossesses multiples ?
J. BELAISCH-ALLART et J.-M. MAYENGA
Les grossesses multiples représentent l'une des principales préoccupations actuelles
des praticiens de l'infertilité. Depuis quelques années, les néonatalogistes attirent
notre attention sur l'augmentation des pathologies et, plus particulièrement, de la
prématurité liée à ces grossesses multiples dues aux traitements inducteurs de
l'ovulation. Les risques liés à ces grossesses sont bien démontrés et nul gynécologue
ne songe à les nier, mais peut-on vraiment prévenir les grossesses multiples sans
diminuer les taux de succès en stimulation de l'ovulation classique hors fécondation in
vitro (FIV) ou en FIV, telle est la vraie question.
La situation est totalement différente selon que la stimulation de l'ovulation est
effectuée en vue d'une ponction folliculaire ou que l'on prévoit une rupture spontanée
du follicule. En cas de fécondation in vitro ou de transfert tubaire d'ovocytes ou
d'embryons (GIFT ou TET), le but est d'obtenir de nombreux ovocytes ; un recrutement
multifolliculaire est donc indispensable. En revanche, en cas de stimulation de
l'ovulation dite classique (non suivie de ponction de follicules), le but est de recruter
au maximum 2 ou 3 follicules matures et, avec un monitorage soigneux par dosages rapides
d'estradiol plasmatique et échographies, l'hyperstimulation et les grossesses multiples
devraient être rares. En fait, des traitements excessifs souvent inspirés de la
fécondation in vitro, sans tenir compte du fait qu'il n'y aura pas de ponction de
follicules ou une hypersensibilité de certaines patientes aux gonadotrophines, font que
hyperstimulation ovarienne (HSO) et grossesses multiples, souvent associées, restent
fréquentes.
I - Peut-on prévenir les grossesses multiples en stimulation de l'ovulation classique
hors FIV ?
Les travaux de Blondel et coll. [6] ont démontré que la majorité des grossesses
multiples proviennent des stimulations hors FIV et non des procréations médicalement
assistées (PMA) comme on l'a longtemps cru. Seuls 4 % des jumeaux et 25 % des triplés,
nés en France entre 1985 et 1989, provenaient de FIV ou de transferts tubaires (tableau
I). Il serait donc fondamental de réussir à limiter, sinon à prévenir, ces grossesses
multiples par le bon choix des médicaments utilisés et de leur dose et par une
surveillance de la stimulation de l'ovulation adaptée aux thérapeutiques utilisées.
Médicaments utilisés et grossesses multiples
Avec le citrate de clomifène utilisé seul le taux de grossesses multiples se situe
aux environs de 8 % [22] avec selon les séries des extrêmes allant de 4,8 [17] à 12,8 %
[1]. Les grossesses triples sont exceptionnelles et les hyperstimulations rares. Ceci
conduit à considérer qu'un monitorage de l'ovulation n'est pas indispensable au cours de
ce type de stimulation ou, seulement de manière ponctuelle pour apprécier l'efficacité
du traitement et la sensibilité individuelle de la patiente. Avec les hMG utilisées
seules, les taux de grossesses multiples sont beaucoup plus élevés allant de 11 à 44 %
selon les séries [19]. Avec l'association citrate de clomifène-hMG, sur de courtes
séries les taux de grossesses multiples rapportées seraient de 8 à 10 % [13], mais des
séries plus importantes rapportant les résultats des associations stimulation de
l'ovulation-insémination intra-utérine font état d'un taux de grossesses multiples de
20 % [4, 21] chiffre qui semble plus près de la réalité. L'utilisation de FSH purifiée
au lieu d'hMG ne semble pas modifier le taux de grossesses multiples [13]. Bien qu'il
n'existe pas d'étude comparant hMG et clomifène, les taux de complication observés avec
le citrate de clomifène sont toujours inférieurs à ceux rapportés lors de
l'utilisation des hMG, il est donc impératif de commencer chaque fois que possible par le
citrate de clomifène. Les indications respectives des anti-estrogènes et des
gonadotrophines ménopausiques humaines dans les anovulations et dysovulations sont
théoriquement clairement définies, les anti-estrogènes représentant le traitement de
première intention, sauf dans les déficiences ovariennes ou dans les anovulations, qui
relèvent d'un traitement spécifique (hyperprolactinémie, hyperandrogénie
surrénalienne, etc.) et dans les anovulations hypothalamo-hypophysaire à test à la
progestérone négatif. En réalité, hyperstimulation et grossesses multiples surviennent
rarement au cours des stimulations de l'ovulation pour dysovulation (exception faite des
ovaires polykystiques), mais s'observent essentiellement dans les stimulations de
l'ovulation réalisées chez des patientes normo-ovulantes pour essayer d'améliorer la
rencontre ovocyte-spermatozoïde, en cas d'infertilité inexpliquée ou de stérilité
masculine. Quant aux analogues du GnRH, s'ils présentent un intérêt en cas d'échec des
stimulations classiques, leur usage de première intention hors PMA ne semble pas
actuellement justifié.
Surveillance
Il est élémentaire de rappeler que le citrate de clomifène peut être prescrit sans
surveillance hormonale ni échographique, mais qu'il ne devrait plus exister de
prescription d'hMG ou de FSH sans dosages hormonaux ni échographies, afin de
n'administrer l'hCG que si le nombre de follicules est inférieur à 3 ou 4 et le taux
d'estradiol plasmatique inférieur à 1 000-1 200 pg/ml, sauf exception. Seule
l'association des dosages rapides de l'estradiol plasmatique et de l'échographie permet
de surveiller correctement une stimulation de l'ovulation par les gonadotrophines
ménopausiques humaines seules ou associées au citrate de clomifène. En effet, un même
taux d'estradiol de 400 pg/ml n'a pas la même valeur selon qu'il existe un follicule mûr
unique de 18 mm ou 4 à 5 petits follicules de 12 mm. A l'inverse, le monitorage
échographique seul ne suffit pas, car il peut exister des discordances entre les images
échographiques et les dosages d'estradiol, liées à la présence de kystes ou de
dérivés embryonnaires kystiques (hydatide sessile) [10]. Un monitorage précoce permet
non seulement d'adapter les doses d'inducteur utilisé, mais aussi d'arrêter la
stimulation en cas de recrutement folliculaire excessif, et de ne pas administrer l'hCG.
Les critères cités ci-dessus peuvent être modifiés dans certains cas : trompes
uniques perméables, échecs répétés des stimulations ou syndromes des ovaires
micropolykystiques (PCO). S'il ne reste qu'une seule trompe fonctionnelle et deux ovaires,
on peut négliger les follicules recrutés sur l'ovaire sans trompe, les fécondations
croisées étant assez rares. Il peut alors être parfaitement légitime de déclencher
l'ovulation sur 6 ou 7 follicules matures, lorsque seuls 2 à 3 sont situés du côté de
la trompe perméable. Dans le même ordre d'idée, après un certain nombre d'échecs de
stimulations de l'ovulation " raisonnables ", il est admis
d'hyperstimuler la patiente pour augmenter ses chances de grossesses, en l'informant du
risque de grossesse multiple, avant le recours à la FIV.
Déclenchement de l'ovulation et phase lutéale
L'abstention de toute injection d'hCG lorsque les ovaires ont été trop stimulés est
une méthode de prévention efficace de l'hyperstimulation et des grossesses multiples
[5], à la condition de recommander à la patiente de s'abstenir de rapports sexuels pour
éviter une grossesse multiple due à la rupture de plusieurs follicules après décharge
spontanée de LH. L'administration répétée d'hCG en phase lutéale est également à
proscrire. Cette pratique trouvait sa justification soit dans l'absence d'ovulation
visible à l'échographie pratiquée après une injection d'hCG, soit dans un
hypothétique soutien de la phase lutéale. En réalité, il est impossible d'affirmer
échographiquement que l'ovulation n'a pas eu lieu. S'il est parfois légitime de conclure
à un aspect compatible avec une ovulation récente devant la disparition d'un follicule
unique pré ovulatoire, il n'existe en revanche aucun signe spécifique constant de
l'ovulation [10]. De plus, il est démontré que l'administration répétée d'hCG en
phase lutéale, si elle augmente le risque d'hyperstimulation n'augmente pas le taux de
grossesse après stimulation par clomifène-hMG [2]. En revanche, cette administration
répétée peut induire la rupture successive de plusieurs follicules et le développement
d'une grossesse multiple. Cette pratique est donc à éviter, si l'on veut soutenir la
phase lutéale l'administration de progestérone est nettement préférable.
En dernier recours, devant un recrutement plurifolliculaire non recherché lors d'une
stimulation de l'ovulation en dehors de la fécondation in vitro, on peut proposer une
réduction ovocytaire sélective [3]. Cette technique consiste à administrer l'hCG
malgré le recrutement folliculaire excessif dès que les critères de maturité
folliculaire exigés en FIV sont réunis, les patientes sont averties qu'elles peuvent
avoir des rapports sexuels le lendemain soir de l'hCG, puis une ponction échoguidée des
follicules est réalisée 36 ± 1 h après l'administration de l'hCG , ne laissant que 2
à 3 follicules intacts sur les ovaires, une insémination intra-utérine peut être
réalisée en fin de ponction. Les contenus folliculaires ainsi ponctionnés sont remis au
laboratoire de FIV, et les ovocytes recueillis mis en fécondation avec le sperme du
conjoint ; les embryons éventuellement obtenus sont congelés et conservés au cas
où le cycle d'hyperstimulation n'entraînerait pas de grossesse. En cas de grossesse, les
patientes peuvent choisir, après l'accouchement, de reprendre ces embryons ou d'en faire
don à un autre couple infertile ou à la science. Cette technique a pour avantage de
s'assurer que les ovocytes ont bien été retirés des follicules ; elle est donc
préférable à une simple aspiration des follicules sans administration d'hCG ; elle
permet de plus d'utiliser cette production ovocytaire excessive chez des patientes qui,
souvent, avaient antérieurement mal répondu aux stimulations ovariennes. Cette technique
ne se conçoit que si l'on dispose d'un laboratoire FIV avec possibilité de congélation
et n'est pas sans poser quelques problèmes pratiques et parfois financiers à l'heure où
il faut un agrément de la Sécurité Sociale pour chaque tentative de FIV. Mais les
exceptions existent...Bien qu'elles soient rarement publiées, nous connaissons tous des
cas de déclenchement de l'ovulation sur un taux d'E2 à 340 pg/ml avec 2 beaux
follicules, où la première échographie révèle une grossesse triple (Belaisch-Allart,
données non publiées) ou de pompe à LHRH avec décharge spontanée de LH sur un taux
d'E2 de 375 pg/ml avec un follicule de 17 mm et 3 de 13 mm suivie d'une grossesse
quadruple [7]. Cette dernière observation démontre bien que même la pompe à LHRH ne
met pas à l'abri de grossesses multiples.
Usage des analogues du GnRH pour déclencher l'ovulation au lieu de l'hCG
L'usage de la LH endogène au lieu de l'hCG pour déclencher l'ovulation a été
rapporté dès 1988 par Itzkovitz et coll [18]. Sur 7 cycles FIV après stimulation par
clomifène-hMG ou hMG seule, après déclenchement de l'ovulation par busereline, il a
obtenu des ovocytes fécondables et une grossesse. Ces résultats ont été confirmés par
l'étude prospective randomisée d'Emperaire comparant l'effet de la triptoreline (0,1 mg
3 fois à 8 heures d'intervalle) à celui de l'hCG pour déclencher l'ovulation dans un
protocole de FIV après stimulation par clomifène et hMG avec des taux équivalents de
recueil ovocytaire, de clivage et de transfert et des taux de grossesse supérieurs dans
le groupe triptoreline [11]. Il est donc démontré que la décharge de LH endogène
provoquée par l'administration d'un agoniste de la GnRH à courte durée d'action est
capable d'induire une maturation ovocytaire finale adéquate permettant d'obtenir des
ovocytes fécondables, des embryons capables de s'implanter et des grossesses évolutives.
Cependant ces premières études étaient réalisées en FIV où la ponction folliculaire
remplace la rupture du follicule induite par l'hCG, et ne démontraient donc pas la
réalité de l'ovulation après analogue du GnRH, d'autre part la très grande majorité
des protocoles FIV utilisant les analogues du GnRH pour prévenir la décharge de LH,
l'usage d'analogues pour déclencher l'ovulation est impossible, une fois la
désensibilisation hypophysaire obtenue. En stimulation classique hors FIV et donc sans
ponction folliculaire, Emperaire et coll ont démontré que l'on pouvait également
utiliser les analogues pour déclencher l'ovulation. Tous les auteurs adeptes de ce type
de déclenchement de l'ovulation insistent sur la diminution du risque d'hyperstimulation,
les taux de stéroïdes obtenus en phase lutéale étant plus proches des taux
physiologiques que ceux observés après administration d'hCG. Une diminution du risque de
grossesse multiple est également rapportée, la LH, du fait de sa brève durée d'action,
ne déclenchant l'ovulation que du ou des follicules ayant atteint une phase de maturation
critique, alors qu'après administration d'hCG un nombre plus important de follicules
peuvent devenir matures pendant la période d'activité de l'hCG. L'usage des analogues du
GnRH pour déclencher l'ovulation présente cependant de réels inconvénients au premier
rang desquels vient le coût par rapport à celui de l'hCG. La perturbation de la phase
lutéale est démontrée par le raccourcissement de la phase lutéale rapporté par tous
les auteurs utilisant ce type de déclenchement de l'ovulation [11]. L'hCG administrée
pour déclencher l'ovulation joue un rôle de soutien de la phase lutéale qui n'existe
pas avec l'administration d'analogues du GnRH, une supplémentation de la phase lutéale
est donc indispensable. Enfin la réduction du nombre d'HSO et surtout des grossesses
multiples grâce à cette technique de déclenchement de l'ovulation est contestée par
certains auteurs [23].
Dans l'état actuel, le déclenchement de l'ovulation par analogue du GnRH doit être
réservé à des cas particuliers, il ne peut s'envisager en fait que devant un cycle à
haut risque d'HSO, en alternative à l'annulation du cycle. Hors PMA, s'il est certain que
le respect d'un certain nombre de règles permet de limiter le nombre de grossesses
multiples, il apparaît clairement qu'on ne peut totalement les éviter.
II - Peut-on prévenir les grossesses multiples en PMA(ou plus précisément dans les
cycles avec ponction de follicules et transfert d'ovocytes ou d'embryons) ?
Il est beaucoup plus facile de contrôler le taux de grossesses multiples en PMA, en
jouant sur le nombre d'embryons transférés, que hors PMA où l'on ne peut maîtriser que
le nombre de follicules recrutés et où l'on est réduit à supposer le nombre d'embryons
qui seront obtenus. Cette hypothèse est confirmée par le fait que la majorité des
grossesses multiples provient de stimulations hors FIV.
Nombre d'embryons transférés in utero
Il serait simple de ne déposer in utero qu'un embryon, le risque de grossesses
multiples étant alors extrêmement faible (mais non nul, puisque plusieurs cas de
division embryonnaire après le transfert in utero ont été rapportés) , le problème
est que le taux de grossesses serait également extrêmement faible : 8,9 % par
transfert selon les données de FIVNAT 1992 alors que le taux moyen de grossesses
cliniques par transfert en France en 1992 était de 23,7 % [12].
Le taux de grossesses obtenues augmente avec le nombre d'embryons transférés :
en 1992 avec un embryon le taux de grossesses cliniques par transfert était de 8,9 %,
avec 2 de 20,4 %, avec 3 ou 4 de 29,4 % et avec 5 de 28,7 % [12]. La tentation d'augmenter
le nombre d'embryons transférés est donc grande pour les équipes de FIV mais si l'on
augmente effectivement le taux de grossesses en augmentant le nombre d'embryons
transférés, on augmente également le taux de grossesses multiples qui passe de 1,4 %
avec le transfert de un embryon à 14,6 % avec 2 embryons, 26,9 % avec 3, 35,9 % avec 4 et
41,1 avec 5 embryons ou plus ! (tableau II) [13]. D'autres paramètres que le nombre
d'embryons interviennent sur le taux de grossesses multiples. Plusieurs équipes ont
essayé de cerner au mieux ces paramètres afin de définir une politique de transfert
adaptée à chaque patiente et de diminuer le nombre d'embryons transférés dans les cas
les plus exposés aux risques de grossesses multiples. L'analyse de FIVNAT [13] a mis en
évidence le rôle de l'âge sur les grossesses multiples, le taux global de grossesses
multiples (gémellaires, triples et plus) passe de 32,8 % avant 30 ans à 14,6 % après 40
ans. De même l'indication de la FIV intervient de façon évidente, dans la FIV
d'indication masculine (sperme altéré ou échec d'insémination artificielle avec sperme
de donneur) 1/3 des grossesses sont multiples. Le taux de grossesses multiples est
également très significativement lié au taux de fécondation (nombre d'embryons obtenus
par rapport au nombre d'ovocytes mis en fécondation), ce taux passe de 20,3 % lorsque le
taux de fécondation est inférieur à 50 %, à 30,5 % si le taux de fécondation est
supérieur à 50 %. L'utilisation des analogues du GnRH en protocole long est également
liée à une augmentation du taux de grossesses multiples mais on ignore actuellement si
cette augmentation est liée au protocole de stimulation lui-même ou au simple fait que
ce protocole fournit un nombre d'embryons plus important. Il n'y a par contre dans cette
étude aucune relation entre le taux de grossesses multiples et le rang de la tentative de
FIV, la stérilité primaire ou secondaire et la durée de l'infécondité, paramètres
qui ne semblent donc pas à prendre en compte pour déterminer le nombre d'embryons à
transférer. Les éléments à prendre en compte au moment du choix du nombre d'embryons
transférés sont donc l'âge de la patiente, l'origine de l'infécondité et le taux de
fécondation. Un dernier critère est également pris en compte au niveau de chaque
équipe, mais est difficilement quantifiable faute de définition précise, la qualité
embryonnaire. Cette politique de transfert adapté est effectivement appliquée en France
comme le démontre la diminution des transferts de plus de 3 embryons qui représentaient
38,5 % des transferts en 1988 et ne représentaient plus que 22,9 % des transferts en 1992
[12].
Les grossesses gémellaires sont en général bien acceptées par les patientes et sous
réserve d'une surveillance obstétricale rigoureuse donnent des résultats acceptables en
termes de prématurité [20], ce sont essentiellement les grossesses triples que l'on veut
prévenir. Une analyse sophistiquée de FIVNAT [13] a permis de calculer le nombre
théorique d'embryons à transférer dans chaque situation pour que le taux de grossesses
triples ne dépasse pas 3 % (tableau III). Dans cette même analyse a été calculé le
taux de grossesses que l'on aurait obtenu en appliquant ces critères : pour l'année
1991, le taux global de grossesses aurait été de 15,0 %, alors que le taux réel a été
de 17,7 % ce qui signifie qu'une politique restrictive volontaire du nombre d'embryons
transférés aurait fait perdre 2,7 % de grossesses mais le taux de jumeaux serait passé
de 2 022,4 à 14,9 % et le taux de triplés de 6,0 à 2,1 %. Si ces embryons non replacés
avaient été congelés avec les taux de grossesses obtenus, la même année, en
congélation, 2,6 % de grossesses supplémentaires auraient été obtenus. Le taux global
de grossesses n'aurait donc pas changé, tout en réduisant le nombre de grossesses
multiples.
Cette analyse, théorique certes, démontre que l'on peut appliquer une politique de
transfert adaptée sans diminuer réellement le taux de grossesses si l'on dispose d'une
technique de congélation correcte. Les derniers résultats FIVNAT (tableau IV) [14]
montrent une diminution du taux des grossesses triples avant réduction embryonnaire de
1988 à 1992, ce qui prouve l'attention portée aux problèmes des grossesses multiples
mais de façon encore insuffisante puisque en 1992 6,3 % des grossesses PMA étaient des
grossesses triples avant réduction et 2,8 % après réduction embryonnaire. Mais les
exceptions existent, les grossesses triples après 40 ans sont rarissimes (1 %) mais non
nulles et plusieurs équipes ont rapporté sinon publié des grossesses triples après
transfert de 2 embryons et quadruples après transfert de 3 embryons et tout récemment
nous venons de rapporter une grossesse triple monochoriale issue du transfert d'un embryon
congelé (J. Belaisch-Allart, Hum. Reprod.).
Les cycles spontanés
Quant aux FIV en cycle spontané, elles ne sont pas le remède miracle contre les
grossesses multiples que l'on croit parfois. Certes la première publication de Foulot et
coll rapportait un taux de grossesses de 17,5 % par cycle [15] mais ce taux n'a pas été
retrouvé par d'autres équipes. Au contraire Claman et coll. viennent de rapporter un
taux de grossesses de 5 % par ponction en cycle spontané avec un taux d'annulation de 47
% [8]. De plus la surveillance quotidienne de la LH, l'angoisse de la décharge spontanée
de la LH, la nécessité pour l'équipe de travailler les jours fériés, le taux élevé
de ponction sans recueil ovocytaire ne plaident pas pour les FIV en cycle spontané.
Les réductions embryonnaires
Il est désormais démontré que les réductions embryonnaires améliorent le pronostic
des grossesses quadruples, et même triples, entraînant une baisse de la prématurité,
de la mortalité et de la morbidité périnatale [9]. La réduction embryonnaire n'est pas
une technique de prévention des grossesses multiples, elle ne doit être utilisée qu'en
dernier recours après échec de monitorage de l'ovulation bien conduit et application
d'une politique de transfert adaptée à chaque patiente. Elle est alors préférable aux
conséquences désastreuses physiques et psychiques, pour les enfants et les parents, des
grossesses multiples. La notion de politique de transfert adaptée utilisée en FIV,
technique où l'on maîtrise le nombre et la qualité des embryons transférés in utero
et où il est aisé d'établir une corrélation entre le nombre d'embryons transférés et
le nombre d'embryons qui s'implantent, pourrait être utilisée avec succès hors PMA, en
l'extrapolant. En cas d'induction de l'ovulation chez les femmes normo-ovulantes, en cas
d'infertilité inexpliquée ou d'infertilité masculine, il est logique d'appliquer les
mêmes critères et de viser un recrutement folliculaire plus élevé chez une femme de 40
ans ou en cas d'infertilité masculine (paradoxalement, pour l'infertilité masculine, la
situation hors PMA doit probablement être l'inverse de la PMA, car on essaie de compenser
le faible taux de fécondation attendu par un recrutement pluri-ovocytaire). De plus
lorsque le risque de grossesses multiples est excessif devant des ovaires répondant
excessivement bien à la stimulation de l'ovulation classique on peut légitimement se
demander s'il ne serait pas plus logique de diriger directement la patiente vers la FIV
même si l'état de ses trompes permet une fécondation naturelle.
Au prix d'indications bien posées, d'un bon usage des inducteurs de l'ovulation et
d'un monitorage soigneux, il est possible aujourd'hui de réduire le taux de grossesses
multiples dans les stimulations de l'ovulation suivies ou non de ponctions folliculaires,
sans diminuer pour autant le taux global de grossesses, mais la médecine n'étant pas une
science exacte il faudra toujours s'attendre à des grossesses multiples inattendues !
Source : Peut-on prévenir les grossesses multiples ? Reproduction humaine et
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J. BELAISCH-ALLART et J.-M. MAYENGA Service de
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