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Titre: Grossesse chez une femme hypertendue
Année: 2001
Auteurs: - Uzan S.
Spécialité: Gynécologie
Theme: Hypertension et grossesse

Grossesse chez une femme hypertendue

E. Mathieu (1), M. Beaufils (2), P. Merviel (1,3), N. Berkane (1,3), S. Uzan (1,3)

(1) Service de Gynécologie, Obstétrique et Médecine de la Reproduction, Hôpital Tenon, 4 rue de la Chine, 75020 Paris
(2) Service de Médecine Interne, Hôpital Tenon, 4 rue de la Chine, 75020 Paris
(3) UPRESS EA 2396. Physiologie de l’implantation et du développement

La grossesse chez une femme hypertendue était considérée, il y a peu encore, comme une aventure périlleuse. De fait, Chesley, en 1947, rapportait une série dans laquelle la mortalité périnatale était de 38%, et la mortalité maternelle de 4%. En 1952, Dieckmann [1] contre-indiquait la grossesse dans ce contexte... Vingt ans plus tard, Kincaid Smith rapportait des données plus optimistes avec une mortalité périnatale de 9%. Elle était à 2.8% dans les années 80 puis 1,1% dans les années 90, pour Sibai. Si la grossesse chez une hypertendue n’est donc plus l’aventure de naguère, elle continue néanmoins de receler des pièges et le risque n’en saurait être tenu pour négligeable. Un suivi particulièrement attentif reste donc nécessaire.
Notre discussion se limitera aux hypertensions essentielles.

DEFINITION

Il s’agit d’une situation relativement fréquente, puisque 20% des femmes en âge de procréer seraient hypertendues dans les pays développés [2].
L’ACOG [3] en 1972 définissait une classification des hypertensions artérielles (HTA) de la grossesse, en distinguant :
* Type I : HTA induite par la grossesse
* Type II : HTA chronique précédent la grossesse
*Type III : HTA chronique et pré éclampsie surajoutée.
La définition de l’HTA chronique pendant la grossesse, est basée sur 2 critères:
* La présence d’une HTA persistante, quelle qu’en soit la cause, avant la 20ème semaine de gestation (en l’absence de môle hydatiforme)
* La persistance d’une HTA au-delà de 6 semaines de post-partum. [4].

Sont définies l’HTA modérée ( Tension Artérielle Systolique (TAS) comprise entre 140 et 159 mmHg; Tension Artérielle Diastolique (TAD) comprise entre 90 et 109 mmHg) et l’HTA sévère (TAS>=160mmHg et TAD>= 110 mmHg).
L’HTA chronique concerne 0,5 à 3% des grossesses. Quatre vingt dix pour cent des hypertensions chroniques de la grossesse sont essentielles.

DIAGNOSTIC POSITIF

L’évaluation précise d’une HTA nécessite des méthodes de mesure rigoureuse permettant d’affirmer formellement le diagnostic et de définir un pronostic :

  • Les mesures cliniques doivent être effectuées au repos, à distance de l’examen gynécologique, en décubitus latéral gauche ou en position demi-assise [5-6].Ces mesures doivent être répétées et interprétées avec prudence étant donné la sensibilité de la PA aux stimuli comme le stress, le sommeil, l’activité physique, la douleur ou l’alimentation [7]. La mesure clinique reste un élément fondamental du dépistage anténatal même si sa sensibilité est médiocre. Plus que le niveau moyen, ce sont les élévations de pression artérielle, d’une consultation à l’autre, qui ont une valeur péjorative. La valeur pronostique de la fréquence cardiaque (FC) est encore inconnue [8].
  • La mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) permet l’étude dynamique de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque sur une période de 24 heures. Elle montre l’existence d’un cycle nycthéméral de la PA et de la FC, qui serait du en partie à un renforcement nocturne du tonus vagal. Les pics tensionnels nocturnes et la perte du cycle nycthéméral de la pression artérielle sont prédictifs de la souffrance fœtale chronique, du RCIU, des complications néonatales et de la prééclampsie. La PAD serait un meilleur indice pronostique que le PAS pour les complications fœtales et néonatales. Enfin, l’étude de la FC augmente la valeur prédictive de la MAPA [9] : une tachycardie (> 85bpm) à 18 SA et supérieure à 90 bpm à 28 SA est un bon marqueur prédictif de pré-éclampsie avec une sensibilité de 77% et une spécificité de 69% [10].

Evolution des pressions artérielles au cours de la grossesse

La MAPA montre l’existence d’une variabilité à long terme de la PA et de la FC caractéristiques de la grossesse normale et qui disparaît chez la femme hypertendue [9]. La pression artérielle des femmes normotendues diminue ainsi jusqu’à la 21ème semaine puis remonte à son niveau initial au cours du troisième trimestre.
Les femmes hypertendues ont au contraire, dans la majorité des cas, des valeurs de la pression artérielle relativement constantes mais anormalement hautes en début de grossesse qui s’élèvent ensuite linéairement à partir de la 21ème semaine de gestation jusqu’à l’accouchement.
Chez certaines patientes hypertendues, on peut cependant observer une relative diminution des chiffres tensionnels en début de grossesse avec une remontée au troisième trimestre et c'est seulement alors qu'est porté le diagnostic d'hypertension. Il en résulte à l’évidence des erreurs de classification : diverses études portant sur des séries de 200 à 300 patientes hypertendues montrent ainsi une réduction de 20 à 30 mmHg pour la PAS et de 10 à 20 pour la PAD au cours du premier trimestre. La remontée qui s’opère dans le troisième trimestre reste, jusqu’à terme, légèrement en deçà des chiffres observés avant la grossesse [11–12].
Ce n'est que bien plus rarement, dans moins de 10% des cas, que la pression artérielle se majore dès le début de la grossesse. Cette situation est une des rares où la nécessité d'un traitement antihypertenseur soit évidente, elle semble aussi comporter un risque plus élevé d'évolution défavorable (fausse couche ou mort fœtale précoce).

Pronostic de la grossesse

La morbidité et la mortalité maternelles et périnatales ne sont en général pas affectées par une HTA chronique modérée, en l’absence de facteurs de risque, dont les principaux sont l’âge maternel supérieur à 40 ans, une HTA évoluant depuis plus de 15 ans, une TA >= 160/110 mmHg en début de grossesse, l’association à un diabète, une cardiomyopathie, une connectivite ou une coarctation de l’aorte [13].
Pour certains auteurs, le pronostic d’une grossesse sur hypertension chronique est meilleur que celui d’une hypertension gravidique. Ainsi une étude collaborative rapportée par Plouin [0] fait état de données très favorables puisque sur 76 patientes hypertendues connues, il n'y a eu aucune mort fœtale et aucune hypotrophie majeure, contrairement à l'HTA gravidique, grevée d'une mortalité périnatale de 10,8% et d'un pourcentage d'hypotrophie de 5%.
C'est l'inverse qui semble apparaître dans l'étude de Page et Christianson [15] : chez 307 mères avec une HTA gravidique et 440 avec une hypertension chronique, le pronostic était sensiblement identique à celui de grossesses normales dans l'hypertension gravidique, sensiblement plus sévère dans l'hypertension chronique. Quant à l'étude de Svensson et Coll [16], elle fait état d'une mortalité périnatale accrue par rapport aux grossesses normales (0,8%) aussi bien dans l'hypertension gravidique (2,7%) que dans l'hypertension chronique (3,8%).

En fait les séries numériquement importantes consacrées aux HTA chroniques ne sont pas nombreuses dans la littérature récente.
Une première série de Sibai, en 1983 [11] concernait 211 grossesses (215 naissances). Au cours du premier trimestre, la pression artérielle s’est abaissée chez 49% des patientes, elle est restée stable chez 34% et a augmenté chez 17%. Dans le troisième trimestre, 13% des patientes ont eu une augmentation majeure des chiffres tensionnels, nécessitant un traitement antihypertenseur. Dans cette série, 10% des patientes ont développé une " pré-éclampsie surajoutée " et 1,4% ont eu un HRP (incidences non différentes de la population obstétricale locale). La prématurité a été de 12%. La fréquence des césariennes (13%) était supérieure à celle de la population témoin. 21% des enfants pesaient moins de 2500 g, et 8% étaient hypotrophes. Il y a eu 6 morts périnatales (2,8%), concernant toutes des enfants de moins de 1000 g et/ou moins de 29 semaines.
La seconde série rapportée par Sibai en 1990 [17] était une étude prospective portant sur 300 patientes, incluses entre 6 et 13 semaines de gestation. Nous reviendrons plus loin sur le critère de jugement de cette étude, qui était l’effet d’un traitement antihypertenseur. Sur l’ensemble de la série il y a eu 15 à 18% de pré-éclampsies surajoutées et 1 à 2% d’HRP. le taux d’hypotrophie s’est situé entre 6,8 et 8,9%. Il est survenu trois morts périnatales, soit une incidence de 1%.
Une étude a été rapportée plus récemment encore par Rey et coll [12]. Sur une cohorte longitudinale de 5 ans à Montréal, ces auteurs ont suivi 298 femmes hypertendues chroniques, qui ont eu 337 grossesses. Cette cohorte se prêtait parfaitement à une étude comparative avec la population témoin. Les incidents suivants ont été significativement plus fréquents chez les hypertendues : pré-éclampsie (21 vs 2,3%), diabète gestationnel (33 vs 12% ), prématurité (34 vs 15%), césariennes primaires (29 vs 14%), hypotrophie (15 vs 6%), et mort périnatale (4,5 vs 1,2%). Les issues défavorables (hypotrophie ou mort périnatale) n’étaient pas le fait exclusif des pré-éclampsies surajoutées, avec cependant une augmentation de la prématurité et 35% de RCIU dans ce contexte. Cette étude a donc apporté des résultats moins optimistes (mais probablement plus réalistes) que les données de Sibai.

Beaufils a, pour sa part, suivi une ou plusieurs grossesses chez 482 patientes connues comme hypertendues entre 1977 et 1993 [18]. L’âge moyen lors de la première grossesse était de 26,1 ± 7.9 ans. 215 (44%).de ces patientes étaient obèses (BMI > 25) et 117 (24%) étaient fumeuses (> 10 cigarettes /j). 45% étaient au stade limite de l'hypertension (selon les critères de l’OMS), 27% avaient une hypertension permanente mais non régulièrement traitée, 28% suivaient régulièrement un traitement antihypertenseur.
L’histoire obstétricale de ces patientes comporte un total de 1077 grossesses, dont le déroulement est résumé ci-dessous :

Nb de patientes

%

FCS

141

13

Grossesse normale

141

13

HTA précoce

570

53

HTA 3è trimestre

114

11

pré-éclampsie

57

5

Protéinurie isolée

11

1

Accident révélateur

26

2.4


Ces grossesses ont été émaillées de nombreux accidents puisqu’au plan maternel est survenu un HRP dans 2,9% et une éclampsie dans 1,4% des cas. Au plan fœtal il y a eu 10,5% de mortalité périnatale et 6,2% des enfants vivants étaient hypotrophes.
On constate par ailleurs qu’il n’y a eu aucune mort périnatale dans le groupe des hypertensions au stade limite ; que les 2/3 des retards de croissance ont été observés dans le groupe des hypertensions déjà traitées, et que plus de la moitié des HRP sont survenus dans ce même groupe. Dans cette série la mortalité périnatale s’est réduite avec le temps, de même que l’hypotrophie, laissant cependant intact le problème de l’HRP, comme il apparaît ci-dessous.

Année

MPN

HRP

Hypotrophie

1977-86

6,1

1,3

11,8

1986-89

2,8

2,8

9,4

1990-93

0

3,1

6,2


La dernière série publiée par Haddad en 1999 [19], reprenant les résultats de l'étude de Sibai [20] de 1998 (763 patientes présentant une HTA chronique documentée) donne les résultats suivants:
Le taux de pré-éclampsie surajoutée rapporté est de 25%, sans incidence de l'age maternel, la race ou la présence d'une protéinurie minime préexistante à la grossesse. Par contre, son incidence est plus élevée en cas d'hypertension chronique évoluant depuis plus de 4 ans (31% vs 22%, p< 0.001), en cas d'antécédent de pré-éclampsie (32 versus 23%, p=0.02) et chez les patientes pour lesquelles la PAD était comprise entre 100 et 110 mmHg en début de grossesse (42% vs 24%, p=0.01).
La pré-éclampsie surajoutée était par ailleurs significativement corrélée avec une augmentation de la prématurité (56% versus 25%, p<0.001), des hémorragies intraventriculaires néonatales (3% versus 1%, p<0.01), et des morts néonatales (8% versus 4%, p=0.02).
L'incidence de l'HRP dans cette étude de Sibai était de 1.5% avec une fréquence significativement plus élevée en cas de pré-éclampsie surajoutée (3% versus 1%, p=0.04), mais identique quel que soit l'age, l'ancienneté de l'HTA ou la pression artérielle diastolique.

Globalement, les complications maternelles de l’HTA chronique sont donc essentiellement représentées par la " pré-éclampsie surajoutée " et l’hématome retroplacentaire :
1. La pré-éclampsie surajoutée :
Sibai en 1991 [13] retrouvait un taux de pré-éclampsie surajoutée de 5 à 50% des cas selon les critères et les études :
- 21% pour Rey [12] avec une définition comprenant une élévation de la PAS de plus de 30mmHG, de la PAD de plus de 15mmHG, et une protéinurie supérieure à 300mg/24h, et 25 à 50% en cas de facteur de risque
- 15.6% chez les patientes non traitées, 18.4% sous méthyldopa et 16.3% sous labetalol (NS) dans l’étude de Sibai [17]
- 15 % en cas d’HTA chronique modérée, 30% en cas d’HTA chronique sévère pour August [21]
- 26% sous traitement et 25% sous placebo dans l’étude de Caritis [22] en 1998.
Le risque de pré-éclampsie surajoutée serait important en raison d’un taux élevé de polymorphisme du gène de l’angiotensine, de l’obésité, de l’hypertriglycéridémie et de l’insulinorésistance dans cette population d’hypertendues chroniques (Ness 1996 [23])
En ce qui concerne le traitement par aspirine à faibles doses dans cette indication, les études de Vinikka [24] et de Caritis [22], menées respectivement auprès de 89 et 774 femmes enceintes hypertendues chroniques n'ont montré aucune efficacité de ce traitement dans la prévention de la pré-éclampsie surajoutée.

2. L’hématome rétroplacentaire (HRP) :
Les études retrouvent un taux d’HRP de 0.5 à 2% dans les HTA non compliquées, de 3 à 10% dans les hypertensions artérielles sévères.

Attitude thérapeutique

1. La consultation préconceptionnelle :
Elle est primordiale, dans son rôle d’information du couple des différentes complications maternelles et fœtales qui peuvent survenir. Elle permet de réaliser un bilan étiologique de l’HTA si celle ci n’est déjà documentée, afin de dépister des HTA secondaires dont la prise en charge peut être différente. Elle permet d’établir un pronostic en fonction des chiffres tensionnels préconceptionnels et de l’atteinte éventuelle de la fonction rénale, et d’adapter éventuellement les traitements pris (arrêt de certains antihypertenseurs contre-indiqués pendant la grossesse).

2. La surveillance prénatale
Elle doit être rapprochée, axée sur la recherche :
des complications maternelles de l’HTA chronique (pré-éclampsie, altération de la fonction rénale avec surveillance des critères biologiques classiques ( uricémie, créatininémie, hématocrite, protidémie et albuminurie). La mesure du volume plasmatique (par la méthode du bleu Evans) effectuée chez 61 patientes hypertendues chroniques avant 24 semaines par UZAN [25], semble être un bon marqueur des complications à type de RCIU : parmi ces patientes hypertendues chroniques, 15 présentaient une hypovolémie qui a été suivie dans 12 cas de la survenue d’une hypotrophie foetale . Si cette technique n’est plus utilisée, la mesure de l’hématocrite maternelle semble être un bon reflet de la volémie et donc un élément important de la surveillance de la grossesse.
des complications fœtales : la surveillance du bien être fœtal inclue le suivi échographique des biométries fœtales, de la quantité de liquide amniotique, des dopplers utérins, ombilicaux, et cérébraux, ainsi que la surveillance du rythme cardiaque fœtal.
En cas d’hypertension artérielle chronique contrôlée, sans protéinurie, sans retentissement fœtal, il semble préférable de recommander un déclenchement lorsque les conditions locales sont favorables, et au-delà de 38-39 semaines [26].

3. Les traitements anti-hypertenseurs :
Ce sujet est encore controversé et la littérature ne comporte pas de données suffisamment précises pour qu’une conclusion définitive soit possible. Trois abords en sont permis :

1)Les séries rétrospectives : celle de Sibai comme celle de Rey font état d’une attitude assez homogène. Lorsque les patientes étaient préalablement traitées, tout médicament antihypertenseur était interrompu lors de la première consultation dans tous les cas pour Sibai, sauf si la PAD excédait 100 mmHg pour Rey. Par la suite un traitement n’a été instauré que si la PAD dépassait 100 (Rey) ou 110 mmHg (Sibai).

2)Les études prospectives : celle de Sibai [17] est pratiquement isolée en ce qu’elle concernait exclusivement des hypertendues chroniques documentées. Elle n’a montré aucune différence sur aucun paramètre du pronostic suivant que les patientes recevaient de la methyldopa, du labetalol, ou aucun traitement.
D’autres études prospectives randomisées ont été publiées et sont passées en revue par Redman [27]. Leur recrutement comportait un mélange d’hypertensions chroniques et gestationnelles. Elles aboutissent à la même conclusion, à savoir que le traitement antihypertenseur n’améliore aucun paramètre du pronostic maternel ou fœtal.
De même, Ornstein, analysant 7 essais regroupant 623 femmes présentant une HTA chronique modérée ou sévère, traitées ou sous placebo [30] montre l’absence de diminution de la fréquence de survenue de protéinurie surajoutée, que les patientes soient traitées ou non.
Par contre, Steyn et Odendaal [29] montraient:

  • une diminution des HTA sévères sous traitement (OR: 0.27, IC95% [0.14-0.53]),
  • un moindre recours aux polythérapies ( OR: 0.36, IC 95%, [0.23-0.57])
  • la survenue moins fréquente d’une pré-éclampsie surajoutée (0.70, IC95%, [0.45-1.08])

Par contre, aucun effet du traitement antihypertenseur n’a été démontré sur la morbidité ou la mortalité fœtale ( en dehors de la survenue plus fréquente de RCIU sous atenolol pour Butters [30]).

3) Les études sur critères intermédiaires : Beaufils a rapporté en 1990 [32] une étude montrant que l’abaissement de la pression artérielle par un bêtabloquant chez des hypertendues chroniques altérait le Doppler ombilical, et que la manœuvre inverse restaurait des flux Doppler normaux. Des données identiques ont plus tard été rapportées par Butters et Coll .

Pour Mounier-Vehier [8] l’abaissement des chiffres tensionnels n’est plus l’objectif principal du traitement des syndromes hypertensifs de la grossesse. Il s’agit au contraire d’améliorer le débit utero-placentaire, même au prix d’une pression artérielle relativement élevée.
Dans l’HTA modérée, les mesures hygiéno diététiques (repos au lit, arrêt de travail précoce) sont initialement proposées, d’autant qu’elles ont prouvé leur efficacité sur l’évolution de la grossesse, contrairement au traitement anti-hypertenseur. Le régime désodé reste contre indiqué car il aggrave l’hypovolémie efficace. L’efficacité des apports calciques et magnésiques est discutée [32].
Si le traitement antihypertenseur a été maintenu en début de grossesse, il sera à adapter en fonction de l’évolution tensionnelle avec fréquemment un allègement au 2eme trimestre. L’objectif sera alors de maintenir la PAS entre 120 et 140mmHg et la PAD entre 85 et 90mmHg, en s’aidant des mesures ambulatoires et du doppler ombilical.
Les différentes classes d’antihypertenseurs sont d’efficacité comparable [8]. Les plus prescrits sont les antihypertenseurs centraux et les alpha-betabloquants en raison de leur innocuité. Les inhibiteurs calciques devraient être un traitement logique compte tenu de leurs propriétés vasodilatatrices et tocolytiques. Ils sont cependant réservés aux formes graves et au traitement des poussées hypertensives car ils ont entraîné des vasoplégies néonatales [32]. Les IEC, responsables de mortalité fœtale, de canal artériel persistant, d’oligoamnios, de malformations osseuses multiples, de troubles respiratoires et d’anurie néonatale, et les diurétiques (sauf dans l’insuffisance cardiaque congestive), responsables d’une majoration de l’hypovolémie efficace, sont contre-indiqués [32].
L’intérêt d’un traitement par aspirine chez les hypertendues chroniques reste très discuté [33]. L’étude CLASP [34] a montré son intérêt dans les grossesses à haut risque c’est à dire les femmes ayant des antécédents de pré-éclampsie précoce et sévère, d’éclampsie, de RCIU sévère dans un contexte vasculaire, ainsi que les patientes présentant une vascularite auto-immune, ou un syndrome néphrotique. Uzan confirme l’intérêt d’un traitement par l’aspirine à faibles doses uniquement en cas d’antécédent de retard de croissance intra-utérin sévère, inférieur au 3ème percentile ou d’antécédent de pré-éclampsie précoce et sévère [33,35]. L’étude EPREDA avait par ailleurs montré l’inefficacité de la prévention par aspirine dans les cas d’hypertension artérielle chronique [36], comme le confirme Haddad [37].
De même, l’association aspirine-dipyridamole (aux doses respectives de 150 et 300mg/j), n’a pas fait dans cette indication la preuve de son efficacité : Beaufils en 1985 montrait un taux similaire de grossesses d’évolution normale (absence de pré-éclampsie et naissance à terme d’un enfant de poids normal) chez des patientes hypertendues chroniques, qu’elles soient traitées (19/48) ou non (22/45, NS) [38].
En ce qui concerne le Doppler, Coleman [39] confirmait récemment le caractère prédictif de la mesure du flux vasculaire par echo-doppler aux artères utérines pour les complications de l’insuffisance placentaire [40]. Les anomalies du doppler utérin seraient prédictives dès 14-16 semaines, (Harrington) [41], et certains auteurs proposent donc un traitement par aspirine initié dès 14 à 17 semaines à la dose de 100mg [42], qui pourrait, dans ces conditions, diminuer l’incidence des complications de l’insuffisance placentaire.

En définitive,
Le traitement antihypertenseur ne semble protéger contre aucune complication maternelle ou fœtale. Tout particulièrement, il n’a pas d’influence sur la survenue d’une pré-éclampsie surajoutée ou d’une éclampsie. À l’inverse, il est fortement suggéré qu’un abaissement trop important des chiffres tensionnels, du moins en utilisant un bêtabloquant, puisse être responsable d’un retard de la croissance fœtale. Ces données sont en faveur d’un usage parcimonieux et progressif des antihypertenseurs chez ces patientes.

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