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Titre: Les effets bénéfiques et pervers de l'avancement des techniques en cardiologie pédiatrique
Année: 1999
Auteurs: - Kachaner J.
Spécialité: Pédiatrie
Theme: Leçon inaugurale

Effets bénéfiques et pervers de l’avancement des techniques en médecine : l’exemple de la cardiologie pédiatrique

 

 

Jean KACHANER,

Service de cardiologie pédiatriuqe, hôpital Necker/Enfants-malades, Paris

 

 

Qui niera que le progrès scientifique et technique est bénéfique au patient ? Il est assez facile de réunir un consensus sur une déclaration de ce genre. Il est sans doute plus difficile d’en apercevoir les effets pervers qui se cachent sous le masque brillant de l’électronique, de l’informatique, de la robotique et de bien d’autres aspects de la vie moderne. Parce qu’elle est intimement liée à des disciplines techniques, la cardiologie pédiatrique donne le sentiment d’avoir plus avancé en un demi-siècle du fait de la technologie que de l’appréhension intellectuelle des concepts. A ce titre, elle offre un excellent point de vue sur l’ensemble des bénéfices et maléfices que le progrès induit en médecine.

Un bref historique est ici nécessaire. Tant qu’elle ne pouvait offrir à ses patients que des fleurs pour tout traitement, la cardiologie pédiatrique n’était que contemplation et compassion. Elle est vraiment née au mitan du siècle avec la chirurgie à cœur ouvert et n’est entrée dans ce que nous appelons la médecine moderne qu’à la faveur, il y a une vingtaine d’années, de deux grosses poussées de croissance : le développement des techniques d’imagerie ultrasonique et celui de la pharmacologie néonatale dominée par les prostaglandines. Tout change alors : la discipline devient plus précise, plus efficace, plus sûre; de nouveaux progrès dans les méthodes non-invasives de diagnostic, de nouvelles audaces et de nouvelles conceptions en chirurgie, d’énormes avancées dans les méthodes de surveillance et de traitement pré- et post-opératoire, une surprenante explosion des techniques percutanées de traitement concourent à hisser cette spécialité à un très haut niveau d’excellence. Indéniablement, le patient rafle ici de gros bénéfices.

Du coup, les spécialistes s’attaquent à des situations de plus en plus complexes , déclarées sans espoir il y a peu et proposées aujourd’hui à une panoplie de solutions. C’est l’ère des palliations les plus folles dont les indications se multiplient en dépit de bien des incertitudes sur leur avenir; c’est aussi celle des transplantations qui se développent à tout âge et à tout prix alors que leur cohérence à long terme est loin d’être établie; c’est encore celle des interruptions partout où il n’y a pas d’obstacle culturel à faire la différence entre un fœtus de 22 semaines et nouveau-né de 2 jours. La prochaine étape pourrait bien être celle de la sélection, quand la génétique et la biologie moléculaires auront encore un peu progressé. D’où une plus grande complexité et le devoir de rationaliser les attitudes face à des choix devenus multiples. D’où aussi le risque d’effets pervers où il apparaît, en bas de page, que le progrès médical a nui au patient. En voici quelques exemples.

Le canal artériel est la plus banale des anomalies cardio-vasculaires et la mieux connue de tous, y compris des non-spécialistes. Quoi de plus facile à dépister par la seule auscultation d’un souffle continu sous la clavicule gauche, à confirmer par un cathétérisme droit qui servait souvent de modèle de formation aux jeunes cardiologues, et à traiter, dès le diagnostic fait, par la plus vieille et la plus simple des interventions de chirurgie cardiaque, la section-suture par thoracotomie postéro-latérale.

Cette stratégie est toujours acceptable mais les avancées technologiques lui ont fait prendre un gros coup de vieux. L’échocardiographie bidimensionnelle en mode Doppler à codage couleur a remplacé l’investigation invasive, ce qui est un bénéfice pour le patient. Mais elle a aussi remplacé l’auscultation et porté à la connaissance médicale un nombre important de canaux perméables certes mais minuscules, muets et probablement compatibles avec une espérance de vie normale sans la moindre complication. De plus, les progrès du cathétérisme interventionnel permettent d’occlure les canaux à l’aide de prothèses, de bouchons, de spirales métalliques, ce qui évite une intervention chirurgicale. Est-ce toujours un bénéfice pour le patient ? Oui dans une majorité de cas mais la méthode est moins régulièrement effiicace que la chirurgie, a des limites (âge et taille du patient, coût des prothèses) et n’est pas exempte de complications (embolisations, hémolyse, obstruction d’une branche pulmonaire et même mort). Elle soulève enfin un intéressant paradoxe : la plupart des canaux sont sans signification hémodynamique au point qu’une communication à un récent symposium sur le sujet était intitulée : "l’indication d’occlusion d’un canal artériel est d’autant meilleure que le patient en a moins besoin". Il est vrai qu’en général on ferme un canal dans le seul but de faire la prophylaxie du risque de surinfection bactérienne. Est-on sûr de parvenir à cet objectif en implantant du matériel étranger dans un tout petit canal ?

Il y a plus. L’invasion de la vidéo-chirurgie n’a pas épargné le système cardio-vasculaire et certains préconisent aujourd’hui de poser des clips occlusifs sur un canal disséqué au travers de tubes de thoracoscopie. La méthode est élégante mais, à nouveau, non exempte de complications que le phénomène de mode ne devrait pas occulter : parmi celles-ci, le risque exceptionnel mais terrifiant d’une blessure vasculaire impossible à contrôler par cette voie.

La coarctation de l’isthme aortique fournit d’autres exemples. Le diagnostic d’abord. On apprend dans les classes élémentaires des écoles de médecine une règle simple en deux articles : la coarctation de l’aorte se reconnaît à l’abolition des pouls fémoraux et à un gradient significatif de pressions systoliques entres les artères des membres supérieurs et inférieurs. Le progrès nous a donné l’échocardiographie/Doppler. Elle peut bénéficier à l’enfant si elle intervient après la palpation des pouls et les mesures tensionnellles. Mais le risque est qu’elle se substitue à ces gestes et qu’elle conduise à des faux-positifs ou, ce qui est plus grave, des faux-négatifs : la crosse aortique est une structure compliquée qui se déroule dans plusieurs plans de l’espace, ce qui rend difficile l’interprétation d’images échographiques qui ne sont que des coupes dans un plan donné; délicate aussi, voire impossible, l’interprétation d’une accélération de vélocité du flux Doppler dans une structure de ce genre qui peut conduire à l’estimation de gradients trans-isthmiques fantaisistes.

Mais le plus grand danger est de prendre la proie pour l’ombre en reconnaissant une myocardiopathie dilatée et hypokinétique évidente au premier coup d’œil et qu’on dit primitive parce qu’on a oublié de poser ses mains sur le patient. Mais a-t-on seulement porté un regard, à défaut de ses doigts, sur ce patient qu’on a couché dans le noir pous ne pas gêner la lecture de l’écran d’échographie ? On pourrait digresser sur le thème et déplorer bien d’autres victimes des progrès de l’imagerie ultrasonique : pas d’années sans que nous n’accueillions dans le service des enfants adressés pour transplantation cardiaque de myopcardiopathie en phase terminale et chez lesquels on a négligé de regarder un électrocardiogramme, examen d’un autre temps sans doute mais sur lequel il était si simple d’identifier une nécrose myocardique signant une anomalie de naissance d’une artère coronaire ou une tachycardie hétérotope chronique, deux conditions accessibles à un traitement à valeur de guérison.

Revenons à la coarctation de l’aorte. Si le cathétérisme d’autrefois, destiné à dessiner l’image de la lésion, n’est plus guère indiqué, les ballons de dilatation lui redonnent de l’actualité et tendent à se substituer aux résections-anastomoses chirurgicales. Posons à nouveau la question : au bénéfice du patient ? Il est certes toujours possible d’améliorer un diamètre et de réduire un gradient de pressions par ce type élégant d’angioplastie percutanée. Mais il n’y a aucune magie dans ce geste : sa réussite implique nécessairement une blessure interne de la paroi artérielle dont on déchire l’intima et la média et qu’on fragilise ainsi, au risque de voir se développer à terme un anévrisme aortique susceptible de rupture. C’est d’ailleurs le même risque qui pèse sur les valves si souvent soumises à des gestes de dilatation plutôt qu’à des valvulotomies chirurgicales : c’est un réel progrès quand il s’agit des valves pulmonaires; c’est parfois un danger de fuite sérieuse à terme pour les valves aortiques.

Un troisième groupe d’exemples est celui des malformations plus complexes qui illustrent les effets pervers de la mode en médecine. La tétralogie de Fallot est une malformation commune : son diagnostic clinique est facile, les angiocardiographies en précisent les contours et, dans les formes asymptomatiques, une simple surveillance est de mise jusqu’à ce que le patient ait atteint l’âge d’une réparation complète au plus faible risque, soit de 6 mois à 3 ans selon les centres. En cas de symptômes avant ce délai, la construction chirurgicale de l’anastomose systémo-pulmonaire inventée par Alfred Blalock et Helen Taussig il y a plus de 50 ans, est une palliation simple et sûre qui permet d’attendre dans le calme la cure radicale.

La modernité, l’émulation et la mode ont modifié cette approche. La tétralogie de Fallot est si répandue que son protocole de prise en charge est devenue un drapeau. Il est chic aujourd’hui de résumer le bilan pré-opératoire à la seule investigation échocardiographique au risque de méconnaitre de rares mais dangereuses dispositions coronaires. Les anastomoses passent pour des antiquités humiliantes et l’aptitude à réparer électivement cette malformation dès l’âge du nourrisson quels que soient son type et sa tolérance est une sorte de diplôme d’excellence que tout chirurgien partout dans le monde souhaite encadrer dans son bureau. Ceux qui acceptent l’idée d’une palliation première poussent pour une dilatation au ballon de la voie d’éjection du ventricule droit dont la réalisation est complexe et hasardeuse et l’efficacité inconstante. En d’autres termes, l’ère d’une stratégie codifiée est révolue dans cette cardiopathie : on peut l’accepter mais il est-il acceptable que certains enfants paient le prix du progrès simplement parce qu’ils sont traités dans des centres où les canons de la mode tiennent lieu de certificat de compétence ?

Ces réflexions mènent au problème de la transposition des gros vaisseaux. L’histoire de cette malformation est un magnifique paradigme de réussite intellectuelle et technique. L’avant-dernier chapitre, celui des années 80, était consensuel, simple et généralement satisfaisant : détection précoce, éventuellement prénatale, transfert immédiat vers un centre spécialisé pour atrioseptostomie au ballonnet de Rashkind, opération de Mustard ou de Senning dans les semaines suivantes pour inverser les entrées au coeur et compenser ainsi l’erreur congénitale des sorties.

Tout a changé depuis que des chirurgiens exceptionnellement brillants ont fini par réussir la correction anatomique visant à détransposer les gros vaisseaux et à transférer les artères coronaires d’une artère à l’autre. C’est un progrès considérable qui offre au patient l’espoir d’une guérison définitive et lui évite les aléas fonctionnels et rythmiques des protocoles précédents. Le problème est qu’on doit appliquer la méthode dans les premiers jours de vie pour disposer d’un ventricule gauche systémiquement compétent et que le risque opératoire est élevé, essentiellement lié au talent et à l’expérience du chirurgien. Ce qui introduit à nouveau le syndrome du drapeau et conduit à stratifier les centres de traitement en ceux qui détransposent et ceux qui ne le font pas, ces derniers cherchant désespéremment à rejoindre les premiers.

Et bien d’autres questions se posent aujourd’hui : doit-on continuer à faire des atrioseptos-tomies à des nouveau-nés qui seront opérés à cœur ouvert quelques jours plus tard ? si oui, en salle de cathétérisme ou à la couveuse de l’enfant sous échographie ? faut-il opacifier les artères coronaires, en supposer les origines et le trajet par les ultrasons ou les ignorer ? faut-il perfuser des prostaglandines avant la chirurgie ? si oui, avant ou uniquement après l’atrioseptostomie ? Les réponses sont loin d’être simples. Elles procèdent d’une connaissance approfondie de la physiopathologie de cette malformation chez le nouveau-né et ne peuvent être données de façon satisfaisante que dans des centres très spécialisés et très équipés traitant des masses critiques de patients.

Le dernier exemple n’est pas le moins significatif. C’est celui des malformations très complexes qu’on peut qualifier d’univentriculaires parce qu’il n’ya aucun espoir de répara-tion à deux ventricules. L’attitude conventionnelle hésite entre abstention et palliation visant à augmenter ou diminuer le débit pulmonaire par une opération simple d’anastomose ou de cerclage pulmonaire. Les progrès font de cette attitude un aveu de faiblesse. D’abord en raison de l’extraordinaire promotion des techniques de court-circuit du cœur droit par la construction de dérivations atrio- puis cavo-pulmonaires aboutissant à ce qu’on nomme la circulation-Fontan. Les résultats immédiats ont été et restent si brillants que les indications de la méthode ont été étendues à toutes les cardiopathies complexes en transgressant au besoin les critères assez stricts primitivement proposés comme facteurs de réussite. Ce qui est plus grave est qu’on considère souvent de nos jours cette stratégie comme une réparation complète. C’est d’autant plus faux qu’on connaît désormais les résultats à moyen terme et qu’on mesure la perversité d’un tel espoir : dysfonction ventriculaire, insuffisance atrio-ventriculaire, troubles du rythme, accidents thrombo-emboliques, fistules artério-veineuses pulmonaires, entéropathies exsudatives sont quelques unes des causes d’attrition des courbes de survie qui polluent gravement la plupart des statistiques. Ce n’est là que le côté sombre d’une avancée technologique qui, Dieu merci, comporte aussi un côté ensoleillé pour beaucoup de patients. Mais il importe d’en avoir conscience pour ne pas succomber à l’ivresse de la modernité et continuer de considérer qu’une importante fraction de ces patients ne tireront pas un meilleur bénéfice et pour plus longtemps de méthodes conventionnelles de traitement. En d’autres termes, de ne pas confondre convention et obsolescence.

Ce type d’impasse conduit droit au problème des transplantations cardiaques et cardio-pulmonaires. Y a-t-il un progrès plus emblématique ? Nous avons été les pionniers en France de l’application de cette méthode aux enfants. Nous continuons de le faire après 100 greffes cardiaques pédiatriques et une douzaine de geffes cœur-poumons, et nous croyons que c’est au bénéfice des enfants. Doit-on pour autant méconnaitre les énormes problèmes à court et moyen terme soulevés par ce type de traitement ? Ignorer les contraintes de vie qui pèsent, au sens propre, sur ces patients et font un peu sourire quand on parle pour eux de vie normale ? Sous-estimer le risque de complications terrifiantes à long terme comme la maladie coronaire du greffon ou la bronchiolite oblitérante ? Il y a là une réalité à prendre en compte quand on porte l’indication d’une allogreffe et qui doit faire considérer cette méthode comme un recours, le dernier recours, et non comme une option dans une panoplie.

En guise de conclusion, et pour que nul ne se trompe sur nos intentions, nous voudrions entonner un hymne au progrès. Ce discours n’est pas un plaidoyer pour un retour aux bonne vieilles pratiques d’autrefois sous prétexte que c’était précisément le bon vieux temps, celui qu’on chérit en vieillissant parce qu’on a plaisir à montrer, à soi-même et au monde, qu’on savait déjà exercer la médecine avec succès. Vive donc les avancées techniques ou conceptuelles ! Vive le progrès ! Mais à la condition qu’il ajoute sans effacer toujours, qu’il apporte une nouvelle strate sans nécessairement oblitérer les acquis fondamentaux. Le furosémide ou les antibiotiques peuvent faire oublier sans regrets les diurétiques mercuriels et l’onguent gris. Mais on ne doit pas tolérer que l’évaluation de l’état circulatoire ou d’hématose passe par la seule lecture du pH sanguin ou de la saturation en oxygène de l’hémoglobine et fasse négliger la simple inspection du patient; ne pas tolérer non plus qu’on substitue l’examen de traces électroniques sur un écran à l’examen physique ou à celui d’une bête radiographie du thorax de face; ne pas tolérer enfin qu’un protocole de traitement éprouvé soit remplacé partout et toujours par un protocole plus moderne, plus élégant, plus chic, mais n’offrant pas, partout et toujours, les mêmes garanties de sécurité et d’efficacité. Il est alors probable qu’il faille envisager d’importantes modifications des structures de soins, à base de concentrations de moyens mais, partant, de suppressions douloureuses. C’est peut-être là le véritable prix du progrès, celui qu’en dernière analyse le patient ne paiera pas mais dont il sera le grand bénéficiaire.