Troubles digestifs fonctionnels transitoires du premier trimestre (régurgitations, coliques, constipation)
à prendre en compte ou à ignorer?
Les troubles digestifs fonctionnels des 3 premiers mois de la vie forment la trame des appels téléphoniques quotidiens au pédiatre. Ils ne s’expliquent pas seulement par l’angoisse des jeunes mères mais nous rappellent l’immaturité des fonctions digestives, réelle pendant les premiers mois. Le praticien doit répondre à l’angoisse légitime des parents, car il est bien difficile de faire la différence entre un simple désagrément et les signes d’une souffrance réelle du nourrisson et de sa mère, voire même les prémices d’un malaise grave dont la crainte occupe nos esprits.
J’ai donc essayé de dégager une conduite à tenir qui tienne compte des acquisitions les plus récentes en matière diagnostique et thérapeutique.
L’immaturité du tube digestif du nourrisson a conduit à revoir les prescriptions diététiques des pédiatres qui ont connu une véritable révolution ces dix dernières années.
On sait maintenant qu’à la naissance:
- le débit horaire de la sécrétion gastrique de base est de 1ml/kg/h (il passe à 2-3 ml/kg/h à 1-2 ans);
- la sécrétion de pepsine est très basse de la naissance à 3 mois, 10 fois inférieure à celle atteinte à 18 mois.
- la vidange gastrique est plus rapide pour le lait de femme (en moyenne 45 min) que pour le lait industriel (en moyenne 78 min).
- les sels biliaires sont insuffisants durant 2 à 5 semaines.
- Le pancréas n’a, pendant les 6 premiers mois, qu’une activité amylasique partielle. Elle ne sera complète qu’à 3 ans.
- l’activité lipasique est partielle pendant toute la première année.
- au niveau de l’intestin, l’activité de l’entérokinase, qui initie la digestion des protéines, ne représente à la naissance que 25% de l’activité d’un enfant d’un an.
- la captation et le transfert du glucose au niveau de l’iléon se situe aux 2/3 des possibilités adultes.
- les graisses du lait maternel sont mieux absorbées que celles des laits industriels.
- l’immunité intestinale est immature, rendant l’intestin très sensible aux infections et aux allergènes.;
- le dyspéristaltisme intestinal: l’hypermotricité colique associée à une hypertonicité rectale est corroborée par le dosage des hormones digestives. La motiline, une hormone favorisant le péristaltisme, a été retrouvée augmentée chez les nourrissons souffrant de coliques. Le tabagisme parental semble augmenter cette hyperpéristaltisme.
On comprend à la lecture de cette énumération combien il faut se garder d’attribuer systématiquement les troubles transitoires du nouveau-né à l’anxiété maternelle...
Les régurgitations
Fréquentes, elles n’offrent pas une distinction facile entre le physiologique et le pathologique. Or de cette distinction vont découler les mesures thérapeutiques et les investigations éventuelles. Nous allons donc essayer d’offrir les critères de distinction:
1) il s’agit de rejets minimes, isolés, accompagnant le rot. Ils ne retentissent pas sur la courbe de poids. L’examen clinique est normal.
- Aucun examen complémentaire est alors nécessaire.
- On peut prescrire un lait anti-régurgitations dont l’efficacité est généralement manifeste.
2) La persistance des régurgitations fera associer:
- des modificateurs du comportement digestif (Dompéridone, Cisapride);
- des pansements digestifs (polysilane, gaviscon);
3) la survenue de complications (accès douloureux évoquant une oesophagite, malaises, toux persistante, troubles du sommeil) conduisent à la pratique d’examens complémentaires explorant le reflux gastro-oesophagien.
Les « coliques », mythe ou réalité? :
Impossible pou un pédiatre d’échapper au problème des coliques: elles concernent 10 à 20% des bébés de moins de 4 mois, 10 à 40% pour d’autres études. Elles se caractérisent par des accès paroxystiques de pleurs et d’agitation chez un enfant par ailleurs normal. Le diagnostic en est admis devant:
- plus de 3 heures de pleurs par jour
- pendant plus de 3 jours par semaines
- pendant plus de 3 semaines.
On observe un pic entre 6 et 8 semaines.
graphique de Brazelton
La situation se gère en plusieurs étapes, espacées en général de 6 à 7 jours;
Première étape
1- L’interrogatoire et l’examen clinique éliminent les principales urgences entraînant des pleurs chez le nourrisson:
- otite ou pyélonéphrite; traumatisme; occlusion ou péritonite; invagination, hernie, torsion du testicule, malformation intestinale (telle qu’une duplicité duodénale...); tachycardie...
2 - la recherche d’un RGO clinique conduit au traitement spécifique
En l’absence de ces éléments organiques, il faut alors accompagner psychologiquement les parents:
- explication du caractère fonctionnel et transitoire des pleurs.
- conseils pour donner le biberon, encouragement à l’allaitement à la demande;
- conseils de bercement et de portage.
- traitements par:
- la poudre de dimeticone;
- la suspension de trimebutine.
Deuxième étape
1 - Si les douleurs s’accompagnent de régurgitations importantes, il faut rechercher par, fibroscopie une oesophagite éventuelle et la traiter;
2 - En l’absence de RGO, l’échographie abdominale peut rechercher un kyste du duodénum ou un hydrocholécyste.
Si les pleurs sont inconsolables avec émissions de gaz, un Breath-test (étude du contenu en hydrogène de l’air expiré) est souvent utile:
-s’il est positif, il convient de proposer un lait pauvre en lactose;
- s’il est négatif, on suspectera une allergie aux protéines du lait de vache:
- chez le bébé au sein, on supprimera la prise de lait de vache par la mère: ce régime d’éviction semble diminuer les 2/3 des coliques.
- chez le bébé au biberon, on choisira un hydrolysât de protéines. La réintroduction du lait de vache se fera en milieu hospitalier.
Quatrième étape:
1) Il faut encore faire une pHmétrie à la recherche d’un RGO inapparent
2) La prise en charge psychologique des parents doit alors être plus soutenue.
Les difficultés de la relation parents-enfants se place sur le plan des interactions: les mères des bébés souffrant de coliques sont souvent considérées comme anxieuses, exaspérées, surprotectrices ou au contraire négativistes quant à leur fonction maternelle. Il est difficile de savoir si ces attitudes maternelles sont la cause ou la conséquence de cet état de coliques. Mais le rôle du facteur dépressif maternel semble aujourd’hui indéniable: Paradise (5) a montré que le stress ou la dépression constatés pendant la grossesse augmentaient le risque de coliques chez le nourrisson. Cette constatation a été confirmée par Rauvata (6) sur 1208 femmes et leur compagnon. L’existence de signes dépressifs durant la grossesse, une insatisfaction sexuelle, un accouchement difficile sont des facteurs de risque de survenue de coliques. Les déceler grâce à une empathie avec la mère permet de mettre en place à temps soutien approprié.
La constipation
est certainement l’un des motifs d’appel les plus fréquents. Certaines mères seront très inquiètes dès lors que leur nourrisson restent 24 heures sans émettre de selles alors que d’autres ne s’étonneront pas de bébés restant sans selles pendant 5 ou 6 jours. C’est dire l’étonnante subjectivité des fonctions sphinctériennes... et la difficulté pour nous pédiatres de distinguer entre le fonctionnel et l’organique.
La première crainte est la maladie de Hirschprung:
- l’heure d’élimination du premier méconium est une information indispensable: elle doit se faire dans les premières 25 heures et être terminée dans les 3 jours. On ne peut que déplorer que ces indications soient si rarement portées sur les carnet de santé.
- Une altération de la croissance, des épisodes de ballonnements et de vomissements bilieux rendront le diagnostic possible.
La constipation est le plus souvent transitoire:
la plus caractéristique est la constipation au lait de mère, qui peut persister 5 ou 6 jours, et disparaître dès le sevrage. C’est une constipation bénigne qui ne nécessite aucun traitement.
La constipation au lait industriel peut amener à quelques mesures diététiques:
- l’eau d’Hépar a une action laxative par le magnésium;
- les laits au lacto-bifidus peuvent aider à réguler le transit;
- si la mère signale des selles dures avec crises de douleur, un laxatif par voie buccale aidera.
Il s’agit toujours d’un trouble transitoire, la constipation disparaît avec l’alimentation diversifiée. mais elle pourra réapparaître au moment des apprentissage de la propreté du fait d’une interaction mère-enfant culpabilisante.
En conclusion:
même si les troubles que nous venons de décrire sont fonctionnels et transitoires, ils doivent toujours être pris en compte. Car ils sont à la fois acteurs et révélateurs de la relation mère-enfant. Les tâtonnements nécessaires pour apporter le bien-être au nouveau-né jouent certainement un rôle fondamental dans la spirale d’interaction qui conditionne les processus d’attachement, comme l’ont montré Philippe Mazet et Serge Lebovici.
BIBLIOGRAPHIE
1- BRAZELTON T.B. Crying in infancy. - Pediatrics 1962; 29: 579-588.
2- BOURILLON A. DEHAN M. Pédiatrie pour le praticien. Masson 1996; p 233-265.
3- CHOURAQUI J.P. Coliques du nourrisson. La revue du praticien N°321-déc 1995
4- LOTHE L., IVARSSON S.A., LINDBERG T.- Motilin, vasoactive intestinalpeptide and gastrin in infantil colic. Acta. Pediatr. Scandinav. 1987; 76: 316-320.
5 - LEBOVICI S., MAZET P., Psychiatrie périnatale. PUF. 1998
7- PARADISE J.L. Maternal and others factors in the etiology of infantile colic. JAMA 1966; 197:123-131
8 -RAUTAVA P., HELENIUS H., LEMTONEN N. Psychosocial predisposing factors for infantile colic. BMJ 1993;307:600-4
9 - SCHMIDT J. L’alimentation du nouveau-né et du prématuré. Doin. 1986; p45-64.
10- STAGNARA J. Eléments cliniques du diagnostic de coliques du nourrisson. Enquête chez 2773 nourrissons âgées de 15 à 119 jours. Arch pédiat 1997; 4:959-966.
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