Chapitre I
DOSAGE DES MARQUEURS BIOLOGIQUES DANS LES LIQUIDES DE
PONCTION DES KYSTES DE L'OVAIRE
D. DARGENT
Introduction
Le problème des kystes de l'ovaire est en passe de devenir un problème
de santé publique. La fréquence des tumeurs ovariennes kystiques, pourtant, n'a pas
augmenté. Les complications restent rares. Et la fréquence des cancers, parmi ces
tumeurs kystiques, reste basse. Mais le développement de l'échographie et de
l'endoscopie suscite un activisme ruineux pour l'économie de santé. Le dosage des
marqueurs biologiques dans le liquide kystique ne représente-t-il qu'une nouvelle façon
d'alourdir les coûts ? Peut-il, au contraire, les diminuer ?
RATIONNEL
Les "kystes de l'ovaire" sont aujourd'hui beaucoup plus
nombreux qu'autrefois. Cette augmentation de la prévalence est due à la généralisation
de l'échotomographie. Ce sont les femmes jeunes qui sont essentiellement concernées à
la fois parce qu'elles subissent plus volontiers des examens ultrasonores et parce que
l'existence de kystes dystrophiques est chez elles beaucoup plus fréquente. Bien que
cette notion très anciennement connue soit, à priori, rassurante on est toujours inquiet
quand on découvre un kyste de l'ovaire, y compris dans les cas où les caractéristiques
échographiques de ces kystes ne sont pas "suspectes". Le cancer véritable,
certes, est exceptionnel chez la femme jeune. Mais les tumeurs borderline sont
relativement fréquentes. Or ces tumeurs sont parfaitement curables à condition d'être
traitées précocement. Et on se trouve pris entre deux nécessités contradictoires:
éviter un interventionnisme intempestif et un abstentionnisme préjudiciable.
La ponction échoguidée peut représenter une réponse aux questions
posées si l'analyse du liquide recueilli permet de s'assurer qu'on a bien vidé un kyste
fonctionnel et non une tumeur kystique bénigne (risque de récidive) ou maligne (risque
de diffusion). La cytologie qui représentait jusqu'à une époque récente la seule
méthode d'évaluation est malheureusement trop imprécise. Elle ne permet pas d'exclure
à tout coup le diagnostic d'organicité et elle laisse passer un bon nombre de cancers
surtout si ils sont "à malignité limitée". La biologie est en principe
capable de faire mieux. Les marqueurs qu'on peut utiliser sont l'oestradiol et la
progestérone d'une part l'antigène carcino-embryonnaire, le CA 125 et le CA 19.9 d'autre
part. Oestradiol et progestérone sont des marqueurs des dystrophies fonctionnelles. ACE,
CA 125 et CA 19.9 sont des marqueurs des tumeurs organiques bénignes (augmentation des
taux dans le seul liquide kystique) et malignes (augmentation des taux dans le liquide
kystique et dans le plasma).
INTERPRETATION DES DOSAGES
Notre expérience du dosage des marqueurs dans les liquides kystiques
remonte à 1988 (1). Nous avons à l'époque publié une première étude portant sur 100
cas dans lesquels avaient été dosés dans le plasma et dans le liquide kystique E2, PRG,
ACE, CA 125 et CA 19.9 (dosages radio-immunologiques - réactifs CIS). Cette première
étude nous avait montré que les valeurs, tant dans le plasma que dans le liquide
kystique, étaient extrêmement dispersées. Nous avons pu établir également, à partir
des 57 observations dans lesquelles un contrôle histologique avait pu être obtenu, que
les taux moyens étaient, dans les liquides kystiques, différents selon qu'on est en
présence d'un kyste fonctionnel ou d'un kyste organique. Mais les intervalles de
confiance étant très vastes il était impossible en se basant sur le seul taux de l'un
ou l'autre des marqueurs de faire un diagnostic. Le taux de l'oestradiol est en moyenne 2
fois plus élevé dans les kystes fonctionnels. Mais on peut trouver, dans certains kystes
organiques, des taux très élevés (activité oestrogène-like du stroma tumoral). A
l'inverse le taux du CA 125 est en moyenne 2 fois plus élevé dans les kystes organiques.
Mais on peut trouver dans certains kystes fonctionnels (les kystes d'hyperstimulation en
sont le meilleur exemple) des taux très forts (hyperactivité de l'épithélium
coelomique). On doit donc, si on veut utiliser les dosages pour faire un diagnostic, faire
une interprétation plurifactorielle.
Analyse multivariée
La technique d'analyse multivariée qui a été utilisée dans le
laboratoire du Docteur Y. Lasne est celle de l'analyse en composantes principales normées
(ACPN). Cette ACPN a démontré qu'il existait dans la composition des liquides et des
sérums des axes factoriels indépendants. Le premier axe factoriel est celui de la
corrélation entre les taux d'oestradiol et de progestérone sérique. Le deuxième axe
est celui où s'opposent la teneur en CA 125 et les teneurs en oestradiol et progestérone
dans les liquides kystiques. Le troisième axe est celui où s'opposent la teneur en CA
19.9 et celle en CA 125 dans le sérum. le plan 1.2 est mixte. Le plan 1.3 est sérique.
La projection des individus sur les plans définis par les axes
factoriels permet de distinguer 8 familles qui correspondent à autant de "profils
biologiques" qui semblent correspondre assez bien à autant de familles histologiques
(figures 1 et 2). A partir des 57 observations où histologie et biologie avaient pu être
confrontées il est apparu en effet que chaque variété histologique correspondait à un
profil biologique précis.
1. kyste fonctionnel: teneur élevée du liquide kystique en oestradiol
et en progestérone
2. cystadénome séreux: teneur élevée du liquide kystique en CA 125
3. cystadénome mixte: teneur élevée du liquide kystique en CA 125 et
en CA 19.9
4. cystadénome mucineux: teneur élevée du liquide kystique en CA 19.9
5. kyste endométrioïde: teneur élevée du liquide kystique en ACE
6. cystadénome et tumeur borderline: teneur élevée du liquide
kystique et du sérum en CA 125
7. kyste dermoïde: teneur élevée du liquide kystique et du sérum en
CA 19.9
Les kystes "despécifiés", ceux dont l'examen histologique ne
permet pas de définir la nature, ont pu pour la plupart être classés dans l'une ou
l'autre des catégories biologiques: les productions de l'épithélium pathologique
persistent dans le kyste alors même que l'épithélium a disparu sous l'effet de la
pression du liquide qu'il produit.
Une étude publiée en 1989 (2) et portant sur 100 nouveaux cas (dont 42
comportant un contrôle histologique ce qui porte à 99 le nombre d'observations
complètes) a confirmé certains points mais en a infirmé d'autres : Tableau I.
- pour les kystes fonctionnels la biologique est très spécifique: sur
les 8 cas où l'on avait prévu un kyste fonctionnel le diagnostic est confirmé 7 fois.
Mais elle est, en revanche, peu sensible: 6 seulement des 13 kystes fonctionnels avaient
un profil biologique conforme
- pour les kystes organiques pris dans leur ensemble en exceptant les
kystes dermoïdes et les kystes endométrioïdes (c'est-à-dire les kystes séreux, les
kystes mucineux, les kystes despécifiés et les reliquats embyonnaires) la biologie
s'avère très spécifique puisque nous comptons seulement 8 faux positifs sur les 52 cas
répondant à la nomenclature et assez sensibles puisque puisque sur 43 lésions de ce
type 12 seulement ont échappé à la biologie
- pour les tumeurs kystiques malignes (cancer et tumeur borderline) la
sensibilité de la méthode apparaît parfaite et la spécificité excellente (2 faux
positifs pour 20 cas)
- pour le diagnostic de la nature des tumeurs ovariennes kystiques la
valeur de la méthode est inégale: s'agissant de distinguer les cystadénomes séreux,
mucineux et séromucineux les résultats sont bons mais le diagnostic biologique des
kystes endométrioïdes et des kystes dermoïdes apparaît totalement illusoire.
A partir d'avril 1989 le dosage des marqueurs a été pris en compte
dans la conduite à tenir vis à vis des formations ovariennes kystiques. Les 136
observations colligées entre avril 89 et juin 91 ont fait l'objet d'une étude publiée
en 1992 (3). Deux lacunes sont apparues:
a. 3 récidives ont été observées chez les 48 patientes traitées par
ponction simple (elles avaient toutes un profil biologique de kyste fonctionnel)
b. 3 des 4 tumeurs borderline avaient un profil biologique de tumeur
organique bénigne.
Ces faits nous ont conduits à modifier notre stratégie en simplifiant
l'interprétation du résultat des dosages et en intégrant ces résultats dans le pannel
des signes paracliniques permettant une évaluation globale.
Analyse simplifiée
L'analyse des résultats des dosages de marqueurs peut être
simplifiée. On y gagne en terme d'argent économisé. On n'y perd rien en terme de
précision, bien au contraire.
Pour la distinction entre kyste fonctionnel et tumeur ovarienne kystique
la prise en compte des résultats des dosages de E2 et de CA 125 dans le liquide kystique
donne des résultats équivalents à ceux de l'analyse multivariée prenant en compte les
10 valeurs de l'étude complète. C'est ce que montre la figure 3 tirée de notre étude
de 1989 (2): dans tous les cas où presque les kystes fonctionnels sont caractérisés par
un taux d'oestradiol (pcg par ml) supérieur aux taux de CA 125 (UI par ml) et les kystes
organiques, dans 85 % des cas, sont caractérisés par un rapport inverse.
Pour la distinction parmi les tumeurs organiques kystiques entre tumeurs
bénignes et tumeurs malignes le dosage du CA 125 dans le plasma donne en lui-même des
informations qui paraissent au moins aussi fiables que celles fournies par l'analyse
multivariée dans laquelle ce paramètre est pris en compte en même temps que les 9
autres paramètres biologiques. Dans notre troisième étude (3) le taux du CA 125
sérique était supérieur à 18 UI par ml dans 2 des 3 faux négatifs observés. Ce taux
qui est égal à la moitié du taux seuil habituellement retenu est celui que nous avons
décidé de considérer dans la prise en charge des tumeurs kystiques.
Sur le plan pratique nous avons donc décidé de ne plus prendre en
compte que 3 marqueurs biologiques: CA 125 et E2 pour le liquide kystique et CA 125 pour
le plasma. En agissant de la sorte en se prive de la possibilité qu'offre l'analyse
multivariée de faire la distinction entre kystes séreux, mucineux et séromucineux, mais
ces kystes sont, de toute façon, à opérer. On se prive aussi de la possibilité que
l'analyse multivariée offre en théorie de faire le diagnostic de kyste endométrial ou
de kyste dermoïde mais on a vu que les performances de la biologie étaient en la
matière médiocres. Pour la distinction entre kyste fonctionnel et kyste organique et
pour la distinction, parmi les kystes organiques, entre tumeurs bénignes et malignes on
fait aussi bien en se basant sur les 3 dosages qu'en passant par croisant par l'étude
multivariée les résultats des 10 dosages.
On sait, de toute façon, que la différenciation entre kyste
fonctionnel et kyste organique ne peut pas être faite par la seule biologie avec une
précision de 100 % (Tableau I). On sait aussi que la biologie à elle seule ne suffit pas
pour exclure l'existence d'un cancer et, surtout, d'une tumeur borderline (3). Mais
plutôt qu'en multipliant les examens biologiques c'est en corrélant les résultats de
ces examens avec ceux des autres examens paracliniques qu'on peut espérer approcher de
l'idéal.
Intégration des résultats des dosages dans la prise en charge
Les dosages de marqueurs ne sont pas les seuls éléments décisionnels
quand on se trouve en présence d'unr formation kystique ovarienne. L'échographie qui
permet la détection de la lésion permet aussi d'en prévoir la nature et la cytologie
qui intervient au même moment que l'analyse biologique apporte des précisions qu'il
serait absurde de ne pas retenir.
L'échographie dans la perspective d'une sélection des indications de
la ponction échoguidée permet d'éliminer d'emblée un certain nombre de candidates:
toutes celles dont l'image liquidienne est barrée de cloisons plus ou moins épaisses
et/ou partiellement comblée par des images échogènes. Seules les femmes porteuses d'une
lésion uniloculaire peuvent être retenues. Le tableau II montre qu'en pareille
circonstance le cancer est exceptionnel: 2,3 % d'après la revue de la littérature faite
par G. Pennehouat (4) en remarquant que depuis l'introduction de l'échographie
endovaginale (1989) le phénomène est devenu moins fréquent (0,3 %). On peut, par
ailleurs, affiner le diagnostic et minimiser le risque de laisser passer un cancer en se
limitant aux kystes de moins de 5 cm: la fréquence des cancers est 5 fois plus faible
qu'en présence d'un kyste de 5 à 10 cm et 30 fois plus faible qu'en présence d'un kyste
de plus de 10 cm.
La vélocimétrie Doppler apporte un argument supplémentaire. Les
kystes fonctionnels et les tumeurs bénignes, 2 fois sur 3, n'ont pas de vascularisation
détectable et quand des flux vasculaires peuvent être mis en évidence l'indice de
résistance est élevé (amplitude de la systole - amplitude de la diastole / amplitude de
la systole). Dans les tumeurs malignes au contraire une vascularisation est constamment
détectable. Elle est importante et intense. Elle prédomine au centre plutôt qu'en
périphérie. L'amplitude de la systole est importante. Celle de la diastole l'est aussi
et l'indice de résistance est bas. Les spécialistes se disputent sur le niveau où il
faut fixer la valeur seuil. B. SALLE (5) a montré en utilisant la méthode de la courbe
ROC (figure 4) à propos d'une série de 61 cas contrôlés qu'un indice de résistance à
0,76 évitant tous les faux négatifs dans le diagnostic des cancers (sensibilité égale
à 1) tout en exposant à un taux de faux positif qu'on peut qualifier d'acceptable
(spécificité à 0,76).
L'examen cytologique du liquide kystique n'intervient qu'après coup. Il
ne se distingue pas, en cela, de l'examen biologique. Mais il apporte un complément fort
intéressant. L'époque n'est plus où on comptait sur l'examen cytologique pour faire le
diagnostic de la nature du kyste. Tous ceux qui ont essayé d'imiter DeBrux ont échoué.
On ne peut même pas compter sur cet examen pour faire à tout coup le diagnostic du
cancer et, à fortiori, le diagnostic des tumeurs borderline. Une cytologie acellulaire ou
une cytologie ne montrant que des cellules spumeuses n'a aucune valeur. Mais il faut tenir
compte de l'examen cytologique quand il montre des cellules épithéliales caractérisées
ou, à fortiori, des végétations épithélio-conjonctives flottantes. Si nous l'avions
fait nous aurions évité les 3 récidives observées dans notre série 1989-1991 (3),
récidives qui correspondaient à des kystes vestigiaux (reliquats embryonnaires) dans 2
cas et un cystadénome séreux dans le 3ème cas (2 entités différentes à
séméiologies biologiques et cytologiques voisines ayant la même capacité à récidiver
après ponction et méritant, de ce fait, une exérèse).
L'aspect macroscopique du liquide kystique est un élément qu'on doit
également savoir interpréter. On débouche finalement sur un arbre de décision où la
biologie a sa place mais n'est pas l'unique facteur décisionnel. Cet arbre est présenté
en figure 5.
CONCLUSION
La question posée en introduction était celle des possibilités
offertes par la biologie dans la perspective d'une réduction des coûts pour la prise en
charge des kystes de l'ovaire, cette réduction devant, bien entendu, respecter les
règles de sécurité. Notre conclusion est qu'un tel objectif peut être atteint à
condition de limiter le nombre de dosages à 3: dosage du CA 125 dans le plasma et dosage
du même CA 125 en même temps que de l'E2 dans le liquide kystique. Si ces 3 dosages sont
pratiqués et si leurs résultats sont interprétés en confrontation avec les résultats
des autres examens paracliniques on réduit à presque rien le risque de laisser passer un
cancer. Cette politique très stricte amène à exclure indument (immédiatement ou
secondairement) un certain nombre de patientes du bénéfice de la simple ponction
échoguidée. Le nombre des ponctions échoguidées ne dépassera pas 15 % mais
l'économie réalisée dépasse largement les coûts entrainés par le triple dosage.
BIBLIOGRAPHIE
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ponction: les marqueurs biologiques. Communication au workshop "laser et
coeliochirurgie en gynécologie". CLERMONT FERRAND 23.24 novembre 1988
2. D. DARGENT Diagnostic histologique des kystes de l'ovaire par le
dosage des stéroïdes et des marqueurs tumoraux dans les liquides kystes. Communication
au workshop "Marqueurs tumoraux: à la recherche d'un consensus bioclinique".
CIS PARIS 16 mai 1989.
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l'ovaire: place de la ponction échoguidée dans le diagnostic et le traitement.
Contracept. Fertil. Sex. 1992; 20: 1137-1141.
4. A. AUDEBERT, HJ.N. GUGLIELMINA, G. PENNEHOUAT, E. SEBBAN & all.
La coeliochirurgie dans la prise en charge des kystes annexiels. Références en
Gynécologie Obstétrique 1993, 1: 62-79.
5. B. SALLE Le Doppler pulsé couleur par voie transvaginale. Etude du
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