RU 486 et déclenchement du travail à terme
résultats d'une étude prospective randomisée en double aveugle
(RU 486 versus placebo)
R. FRYDMAN ET C. LELAIDIER
I - introduction
Le RU 486 est un puissant antiprogestatif (2).
Il possède actuellement une indication officielle:
l'interruption volontaire de grossesse (IVG) avant 6 à 7
semaines d'aménorrhée (10, 11, 38, 42) et dans 2 circonstances,
son intérêt a été clairement établi: l'interruption
thérapeutique de grossesse du 2ème et 3ème
trimestre (14, 22,39,43), et la mort foetale in
utero(5, 7, 34)
Chez les femmes qui possèdent de mauvaises
conditions cervicales, le déclenchement artificiel du travail
près du terme, est réalisé habituellement par l'administration
locale de prostaglandines. La nécessité de ce déclenchement
est fonction de l'indication: terme dépassé(1), syndromes
vasculo-rénaux, retard de croissance intra utérin et autres
(6,32,40).
Déjà confirmé chez le singe(46-48), le but
de cette étude clinique a été d'évaluer la capacité du RU
486 à faciliter, voire à déclencher un travail spontané près
du terme avec enfant vivant chez deux groupes de patientes : le
Groupe I (44) concernent les patientes qui avaient une indication
médicale de déclenchement artificiel du travail, et
possédaient de mauvaises conditions cervicales préalables
(score de Bishop strictement inférieur à 4/10). Le Groupe II
(n=16) concerne les femmes ayant eu une césarienne antérieure.
patientes et méthodes
Nous avons entrepris une étude prospective
randomisée, en double aveugle comparant l'utilisation du RU 486
à la dose de 200 mg/j pendant 48 heures à l'utilisation d'un
placebo dans des indications médicales de déclenchement du
travail à terme, avec enfant vivant. Cette étude a été
réalisée dans le service de Gynécologie-Obstétrique de
l'hôpital Antoine Béclère (Clamart), du 1er Avril 1990 au 31
Janvier 1991, et n'a été entreprise qu'après avis favorable du
Groupe de Réflexion sur l'éthique Biomédicale de l'hôpital
Bicêtre (GREBB), (Université Paris XI).
1. Patientes
120 patientes de terme supérieur à 37 semaines
d'aménorrhée (SA) ont été incluses dans cette étude. 60 ont
reçu 1 cp par jour pendant 2 jours de Mifépristone, et les 60
autres 2 cps de placebo selon les mêmes modalités.
Critères d'inclusion
- une grossesse mono-foetale
- un terme précis, strictement supérieur ou égal à 37
semaines d'aménorrhée. Toutes les patientes avaient eu une
échographie précoce entre la 8ème et la 12ème semaine
d'aménorrhée.
- l'existence de conditions cervicales défavorables à un
déclenchement artificiel du travail, avec un score de Bishop
(coté sur 10) strictement inférieur à 4.
- l'existence d'une indication médicale à un déclenchement
artificiel du travail telle-que: dépassement de terme; syndrome
vasculo-rénal; retard de croissance intra-utérin (RCIU);
macrosomie foetale; autres.
- un consentement éclairé et écrit des patientes, à la
participation de cette étude.
Tous ces critères devaient obligatoirement être remplis
séparément, afin de pouvoir inclure une patiente dans le
protocole d'étude.
Les femmes porteuses d'utérus monocicatriciels (par incision
segmentaire transversale) n'ont pas été exclues de l'étude.
Pour toutes ces patientes, il existait une bonne confrontation
foeto-pelvienne tant radiologique (radiopelvimétrie)
qu'échographique (biométrie foetale).
Critères d'exclusion
Les critères d'exclusion ont respecté les contre-indications
habituelles à l'utilisation du RU 486. En particulier, ont
été exclues de l'étude, les patientes sous corticothérapie,
ainsi que celles considérées comme déclenchables d'emblée.
Les présentations du siège et les grossesses multiples ont
été exclues également de l'étude.
Caractéristiques de la population étudiée
Soixante sept pour cent de l'effectif (75 patientes) était
représenté par des primipares. Le terme moyen se situait à
39,8 + 1,2 semaines d'aménorrhée, avec des extrêmes
allant de 37,5 à 41,4. Trente patientes incluses dans l'étude
(26,7%) étaient porteuses d'un utérus monocicatriciel
2. Méthodes
L'acceptabilité de participer à cette étude, de la part des
femmes, a été bonne, puisque seulement trois ont refusé d'y
être incluses.
Randomisation
Le service de Pharmacologie-Toxicologie de l'hôpital A.
Béclère a collaboré à la randomisation de cette étude qui
s'est faite par tirage au sort équilibré, tous les 4 cas. Tous
les conditionnements étaient identiques chacun contenant soit 2
cps dosés à 200mg de RU 486 soit 2 cps d'un placebo.
Protocole de l'étude
Toutes les patientes incluses dans cette étude, recevaient un
pilulier à deux comprimés, suivant l'ordre de la randomisation.
Ainsi, chaque patiente prenait le matin du premier jour (J1), le
premier comprimé, et le deuxième et dernier comprimé le
lendemain matin(J2). Toutes devaient donc recevoir soit 200
mg/Jour de Mifepristone pendant 48 heures, soit deux
comprimés de placebo pendant 48 heures.
Avant la prise du premier comprimé, un examen clinique ainsi
qu'un bilan biologique était réalisé. L'examen clinique pour
chacune des 120 patientes incluses dans l'étude, permettait
d'établir le status cervical de départ avec évaluation d'un
score de Bishop. Le bilan biologique comprenait: numération
formule sanguine, plaquettes, ionogramme sanguin, uricémie,
créatininémie.
Les patientes étaient systématiquement revues à l'hôpital,
le troisième jour (J3), pour un examen clinique et un monitoring
avec enregistrement du rythme cardiaque foetal.
A J4, les patientes étaient admises à l'hôpital, pour
déclenchement systématique du travail, si un accouchement
spontané n'était pas survenu auparavant. L'évaluation de la
tolérance du traitement était notée, en particulier
l'apparition de métrorragie, et de contractions utérines. Un
deuxième bilan biologique était fait, identique à celui de J1,
ainsi qu'une nouvelle évaluation des conditions cervicales
établissant un deuxième score de Bishop.
Pour les patientes entrées en travail spontanément avant J4,
le bilan clinique et biologique était réalisé dés l'arrivée
à l'hôpital.
Au total à J4, après la prise de RU 486 ou de placebo, trois
situations se sont individualisées:
- soit la survenue d'un travail spontané, parfois même
après la prise du premier comprimé, dés J1.
- soit le déclenchement artificiel du travail, selon le
schéma classique (Rupture artificielle des membranes, analgésie
péridurale, pose d'une perfusion d'ocytocine).
- soit la pose locale d'ovules de prostaglandines, afin de
maturer le col utérin des patientes considérées comme non
déclenchables.
Critères d'analyse
Le score de Bishop utilisé dans cette étude est un score
basé sur un total de 10.
Le déroulement du déclenchement a été noté, ainsi que la
durée du travail, la dose d'ocytocine nécessaire, le mode
d'accouchement proprement dit, la quantité d'ovules de PGE2
utilisés chez les patientes non déclenchables, les effets
secondaires éventuels, et les résultats périnataux.
L'absence de dilatation cervicale au dessus de 3 cm pendant le
travail, sans souffrance foetale, malgré l'existence de
contractions utérines efficaces, a été pris comme définition
de l'échec du déclenchement dans cette étude.
La surveillance néonatale s'est basée sur les critères
habituels (score d'Apgar), et sur des paramètres pouvant
correspondre à l'effet antiglucocorticoïde du RU 486. Deux fois
par jour pendant les deux premiers jours de vie, une surveillance
de la glycémie, de la cortisolémie, et de la pression
artérielle, était réalisée chez tous les nouveau-nés.
L'analyse statistique des résultats a été faite selon la
méthode du X2 (chi deux) et du Student test. Un p < 0,05 a
été considéré comme statistiquement significatif. Pour les
petits effectifs, le X2 modifié par Yates a été utilisé.
II - résultats
1. Homogénéité des deux groupes
Les deux groupes sont statistiquement comparables, pour l'âge
des patientes, la parité, et le terme du déclenchement.
L'absence de différence significative qui existe lors de
l'évaluation du premier score de Bishop, dans les deux groupes,
représente un des meilleurs critères de l'homogénéité des
deux populations.
D'autres part, cette homogénéité se retrouve également
dans la répartition des indications de déclenchement du travail
(tableau 1).
2. Déclenchement à terme par le RU 486
Le tableau 2 schématise les résultats globaux portant sur
les 120 patientes, en suivant le déroulement du protocole de
cette étude. Huit patientes ont été exclues de l'analyse des
résultats pour aggravation de la situation obstétricale dans
les 12 heures ayant suivi la prise du premier comprimé (3 dans
le groupe RU486 et 5 dans le groupe placebo).
Parmi l'ensemble des accouchement effectués par voie basse,
la dose totale en Unité Internationale (UI.) d'ocytocine, est
moindre pour le groupe RU 486 : 2,41 + 2,4 UI.,
contre 4,48 + 2,66 dans le groupe Placebo (p < 0,01).
Cette différence significative est également retrouvée pour
les accouchements effectués par césarienne. La dose totale
d'ocytocine a été de 2,97 + 1,82
UI, dans le groupe RU 486, contre 4,94 + 2,41 UI pour le
groupe contrôle (p < 0,01).
D'autre part, on constate une réduction significative de
l'intervalle entre le début du traitement et le début de la
mise en travail, dans le groupe RU 486.
3. Mise en travail spontané (1er sous groupe)
Dans le groupe RU 486, 31 femmes (54,4%) se sont mises
spontanément en travail, contre 10 (18,2%) dans le groupe
placebo. (p< 0,001). Huit patientes ont eu un travail
spontané à J1 soit moins de 24 heures après la prise du
premier comprimé, 10 à J2, 7à J3, et 6 sont arrivées en
travail, le jour de l'admission systématique à l'hôpital (J4).
Quatorze (45,2%) des 31 femmes qui ont accouché spontanément,
n'ont pas nécessité de perfusion d'ocytocine.
Dans le groupe placebo, une femme s'est mise en travail
spontanément à J1, 2 à J2, 2 à J3, et 5 le matin du
quatrième jour. Trois des 10 patientes, dans ce groupe ont
accouché sans adjonction d'ocytocine (30%).
Dans ce sous groupe parmi les accouchement effectués par voie
basse, il existe une différence statistiquement significative si
l'on regarde la moyenne des doses totales d'ocytocine
nécessaires à la direction du travail: 0,87 + 1,1 UI.
dans le groupe RU 486, contre 2,11 + 1,84 UI. dans le
groupe contrôle (p < 0,01).
4. Induction du travail (2ème sous groupe)
Il existe une même répartition dans les deux groupes de
patientes déclenchables à J4: treize patientes (22,8%) dans le
groupe RU 486, contre 13 (23,6%) dans le groupe placebo (non
significatif).
Contrairement au 1er sous-groupe, les doses d'ocytocine
nécessaires à un accouchement par voie basse, diffèrent peu
d'un groupe à l'autre : 3,61 + 1,79 dans le groupe
RU 486, contre 5,36 + 2,54 dans le groupe contrôle (NS).
5. Maturation cervicale par des ovules de PG E2 (3ème
sous groupe)
45 patientes avaient toujours à J4, des conditions cervicales
défavorables (Bishop < 4): 13 (22,8%) appartenaient au groupe
RU 486, contre 32 (58,2%) au groupe placebo (p<0,001). Toutes
ont eu alors, une maturation cervicale avec des ovules de
prostaglandines PG E2. Dans ce sous-groupe, il n'existe pas de
différence significative concernant la dose moyenne d'ovule de
PGE2 utilisés par patiente :1,46 + 0,66 dans le
groupe RU 486, contre 1,53 + 0,71 dans le groupe placebo
(NS).
Là encore la différence n'est pas statistiquement
significative quant aux doses totales d'ocytocine nécessaires
pour un accouchement par voie basse: 5,93 + 1,69 UI dans
le groupe RU 486, contre 5,34 + 2,35 UI dans le groupe
placebo (NS).
6. Corrélation avec le terme
La mise en travail, favorisée par le RU 486 est surtout
fréquente après 40 semaines d'aménorrhée. La figure 1
représente la corrélation positive qui existe entre le terme et
la mise en travail spontanée sous Mifépristone. Cette mise en
travail favorisée par le RU 486, est surtout fréquente au delà
de 39 SA et en particulier au delà de 41 SA. A ce terme, dans le
groupe RU 486, 14 patientes (83%) sur 17 ont eu une mise en
travail spontané, contre 4 (19%) sur 21 dans le groupe placebo
(p < 0,001). Pour les termes inférieurs à 39 SA, bien que
non significative, il existe malgré tout une tendance dans
chaque tranche de terme antérieur.
La figure 1A illustre la corrélation inverse entre
utilisation du RU 486 et adjonction d'ovules de prostaglandines
par rapport au terme du déclenchement. Là encore l'utilisation
de prostaglandines a été s'amenuisant au fur et à mesure que
le terme progressait.
7. Résultats obstétricaux
Les résultats obstétricaux ont été identiques dans les
deux groupes. Aucune différence statistiquement significative
n'est apparue. Dix huit patientes ont été césarisées dans le
groupe RU 486 et 18 dans le groupe placebo. Toutes les
césariennes ont été pratiquées sous anesthésie péridurale.
Seules 3 patientes dans le groupe RU 486, contre 6 dans le groupe
placebo, ont été césarisées pour échec de déclenchement
(NS.). Parmi les 76 accouchements effectués par voie basse,
aucune différence n'est apparue également dans les deux
groupes, quant à la durée du travail. La moyenne en heure a
été de 7 h 10 min pour le groupe RU 486, contre 7 h 45 min dans
le groupe placebo (NS.). Tous ces résultats obstétricaux sont
représentés dans le tableau 3.
8. Résultats périnataux
Ils sont résumés dans le tableau 4.
Cinq nouveau-nés avaient un score d'Apgar < à 7 à 1
minute, dans le groupe RU 486, contre 4 dans le groupe placebo.
Aucun des nouveau-nés de l'étude ne gardaient un tel score
d'Apgar à 5 minutes. Le pourcentage de souffrance foetale
apparue en cours de travail est pratiquement identique dans les
deux groupes. Dans 93% des cas, l'équilibre acido-basique s'est
maintenu, avec un pH de naissance au cordon ombilical > à
7,20. Deux inhalations méconiales ont été observées dans le
groupe RU 486, contre une dans le groupe placebo. Trois
nouveau-nés ont été transférés en unité de soins intensifs
(1 pour le groupe RU 486, et 2 pour le groupe placebo). Ces trois
enfants étaient nés par césarienne pour souffrance foetale
survenue en cours de travail.
L'évolution néonatale a été identique dans les deux
groupes. Il n'y a aucune différence statistiquement
significative pour les paramètres reflétant l'activité
antiglucocorticoïde de la Mifepristone. Les moyennes de pression
artérielle et les valeurs des dosages répétés de la glycémie
sont restées similaires dans les deux groupes. Cinq
hypoglycémies transitoires ont toutefois été diagnostiquées
dans le groupe placebo, contre 3 dans le groupe RU 486 (NS).
9. Tolérance maternelle
La tolérance clinique a été bonne, dans les deux groupes,
sans aucune différence. En particulier, nous n'avons relevé
aucune métrorragie. Seules deux patientes du groupe RU 486, ont
eu des douleurs abdominales, en dehors de la mise en travail
spontané, qui ont été rattachées à des contractions
utérines. Deux autres du même groupe, ont mentionné
l'existence de diarrhée. Par contre, dans les deux groupes, la
pression artérielle maternelle, ainsi que la fréquence
cardiaque, n'ont pas été modifiées. D'autre part, aucune
modification n'est apparue dans les deux bilans biologiques
effectués à J1 et J4, et ceci pour les 2 groupes de l'étude.
III - discussion
L'utilisation chez la femme enceinte après 37 SA., d'un
antiprogestatif, favorise dans plus de 50% des cas, la mise en
travail spontané, en cas de col jugé défavorable pour un
déclenchement du travail par les techniques classiques. Cette
étude confirme les résultats préliminaires obtenus dans cette
indication (15)
Le choix d'une technique de déclenchement artificiel du
travail à terme avec foetus vivant est fonction des conditions
cervicales préalables (score de Bishop) et de l'indication
(maternelle ou foetale). Dans un déclenchement d'indication
médicale, l'utilisation de prostaglandines est la règle, en cas
de score de Bishop inférieur à 4/10. Ainsi toutes les patientes
de notre étude avaient un status cervical défavorable et le
RU 486 a favorisé pour la moitié d'entre elles la survenue
d'un travail spontané.
Cette mise en travail spontanée favorisée par le RU 486
avait été notée lors de travaux chez l'animal. Chez le
singe(46,47,48), le RU 486 induit la mise en travail et la
parturition chez des gestantes près du terme. Les travaux de
Garfield et al.(16) sur le rat, montrent que cette mise en
travail induite par le RU 486, s'accompagne d'un développement
rapide des "gap junctions" entre les cellules
myométriales. Ces jonctions intercellulaires seraient
responsables de la propagation de l'activité contractile à tout
l'utérus. Ainsi pour Garfield, la progestérone, hormone
inhibitrice de la contractilité utérine, doit agir en
réprimant l'expression du génome responsable de ces "gap
junctions".
Les études cliniques(7, 25,34) utilisant le RU 486 dans les
interruptions thérapeutiques de grossesse confirment également
cet effet d'expulsion spontanée par l'unique utilisation de
l'antiprogestatif. Dans la série de mort foetale in utero de
Cabrol et al.(7), 29 (63%) des patientes du groupe RU 486 ont
expulsé dans les 72 heures après le début du traitement,
contre 8 (17%) dans le groupe placebo. L'étude de Laffargue et
al.(25), sur le déclenchement du travail par le RU 486 dans les
interruptions thérapeutiques de grossesse au 3ème trimestre,
avec foetus vivant, montre également une expulsion spontanée
dans 50% des cas. On peut cependant s'interroger sur le rôle
facilitateur de la mort foetale dans le mécanisme de
déclenchement du travail en cas d'ITG du 2ème et 3ème
trimestre. Ainsi l'association d'un geste foeticide par ponction
intracardiaque avant la prise de RU 486, utilisé seul à la dose
totale de 400 mg, a pu être proposée (36).
Les travaux expérimentaux(17,26,27) de Liggins et de Germain
sur le rat et la brebis, montrent que la progestérone
représente l'hormone clé dans le déclenchement du travail
spontané à terme. Généralement, il existe une chute de
l'imprégnation progestéronique qui précède la parturition
chez ces animaux. Par contre chez le singe, modèle expérimental
proche de l'espèce humaine, il est difficile de mettre en
évidence l'action que joue cette hormone dans l'induction
spontanée du travail. Chez la femme, le taux de progestérone
reste élevé jusqu'à l'accouchement (29). Ainsi, la levée de
l'inhibition progestéronique ne parait pas être dans l'espèce
humaine le mécanisme princeps du déclenchement spontané du
travail. Pourtant, la survenue d'un déclenchement du travail
après RU 486 chez un nombre significatif de patientes traitées,
prouve indirectement que la progestérone doit avoir un rôle
inhibiteur important sur l'induction de ce travail. Pour
certains(3), les niveaux d'action seraient différents par
rapport à l'animal, et c'est le taux de progestérone
intracellulaire variant par l'intermédiaire d'une protéine
intracellulaire qui participerait au déclenchement du travail.
Les travaux de Padayachi et al.(33,34), ont montré l'existence
de récepteurs à la progestérone présents sur les membranes
ovulaires, dans le placenta, et surtout dans le myomètre au
3ème trimestre de grossesse. Rejoignant la théorie de Garfield
et al.(16), on peut penser alors que le RU 486, bloque tous les
récepteurs de progestérone présents au niveau de l'utérus,
faisant chuter l'imprégnation progestéronique intracellulaire,
et favorisant alors l'expression du gène codant pour le
développement des jonctions intercellulaires du myomètre.
L'ocytocine est couramment utilisée en pratique
obstétricale, au cours de la direction du travail. Dans notre
étude, l'utilisation du RU 486 a permis une réduction de
moitié des doses totales d'ocytocine, par rapport au groupe
contrôle. Wolf et al.(48), avaient démontré l'intérêt du RU
486, dans la réduction des doses d'ocytocine nécessaires. Les
études cliniques(14, 39,43) portant sur les interruptions
thérapeutiques de grossesse, ont également retrouvé, par
analogie, une diminution des doses totales de prostaglandines
utilisées, lors de l'utilisation du RU 486.
Hill et al.(22), ont étudié par la mesure de la pression
intra-utérine, la sensibilité de l'utérus à l'administration
de plusieurs utérotoniques (PG, ocytocine) lors d'une étude
randomisée, sur des ITG du 2ème trimestre, ou 600 mg de RU 486
versus placebo était donné 24 heures avant l'induction par les
prostaglandines. Ces auteurs concluent à l'existence d'une
augmentation spontanée de la contractilité utérine due au RU
486. Par contre, ils ne retrouvent pas d'augmentation
significative dans le groupe RU 486, de la sensibilité du
myomètre à l'égard de l'ocytocine. Dans cette étude, ils ne
trouvent pas non plus de différence dans les deux groupes, des
concentrations plasmatiques maternelles des métabolites de
prostaglandines dosés 24 heures après. Ainsi, les auteurs en
concluent que le mécanisme d'action du RU 486 sur le muscle
utérin ne favoriserait pas la production des prostaglandines
endogènes (PG F2 alpha, et PG E2), nécessaires à l'apparition
de contractions utérines. Ces faits sont un peu en contradiction
avec les travaux expérimentaux effectués sur le cochon dinde
par Chwalisz et al.(9), qui montrent que l'utilisation d'un
antiprogestatif quel qu'il soit, augmente la sensibilité de
l'utérus aux prostaglandines mais aussi à l'ocytocine, sans
toutefois engendrer de véritables contractions utérines. Notre
étude clinique, montre que 50% de l'effectif du groupe RU 486 a
accouché spontanément, et sans ocytocine dans 25% des cas. Il y
a donc eu vraisemblablement mise en jeu des prostaglandines
naturelles qui ont permis la propagation et l'installation d'un
train de contractions utérines. Le dosage des métabolites de
prostaglandines effectué 24 heures après la prise de RU 486,
parait peut être un peu trop précoce pour prouver que la
Mifepristone n'agit pas par l'intermédiaire des prostaglandines
naturelles, puisque la demie vie plasmatique du RU 486 est de 18
à 24 heures. De tels dosages devraient vraisemblablement être
effectués 48 à 72 heures après la prise de RU 486. Il a
d'ailleurs été démontré que certains antiprogestatifs dont le
RU 486, favorisaient la production de PG endogènes dans le
stroma endométrial(24).
Le RU 486 a d'abord été utilisé au 1er trimestre de la
grossesse comme moyen médicamenteux dans les IVG. Plusieurs
études cliniques ont confirmé son action comme agent maturant
du col utérin(12, 23,28,37,49). Les études expérimentales sur
les animaux gestants montrent également près du terme, cet
effet de maturation cervicale, lors de l'emploi d'un
antiprogestatif(9, 48). Dans notre étude, l'effectif du sous
groupe "déclenchable" à J4 a été identique dans les
deux groupes. Cependant, la moitié des patientes ayant reçu du
RU 486 se sont mises en travail spontanément. Il y a donc eu
chez celles-ci obligatoirement, un effet de maturation cervicale
préalable, pour qu'ait eu lieu l'accouchement spontané. Ainsi,
si l'on tient compte de la population totale étudiée (112
patientes), les patientes ayant eu cet effet cervical du RU 486,
sont celles qui se sont mises spontanément en travail, et celles
qui ont amélioré leur score de Bishop, devenant alors
compatible avec un déclenchement à J4. Ainsi, 44 (77,2%) des 57
patientes du groupe RU 486 ont modifié leur col utérin, contre
23 (41,8%) des 55 patientes du groupe Placebo (p < 0,001).
Pour les femmes qui possèdent des mauvaises conditions
cervicales de déclenchement artificiel du travail, mais dont
l'indication est nécessaire pour des raisons médicales, le RU
486 peut représenter la thérapeutique de choix. Le terme en
voie de dépassement représente sa principale indication de
déclenchement artificiel du travail. Dans notre série c'est
surtout aux alentours de 41 semaines d'aménorrhée, que le RU
486 a favorisé dans plus de 80% des cas, la mise en travail
spontané. La différence a également été significative entre
39 et 40 SA. Par contre, entre 37-38 et 38-39 SA., le fait qu'il
existe juste une tendance non significative, pour que le RU 486
favorise la mise en travail spontané, peut s'expliquer par les
faibles effectifs dans chaque tranche de terme, compte tenu des
indications strictement médicales prises dans cette série. De
plus grandes séries permettront sûrement de confirmer dans
l'avenir l'intérêt du RU 486 dès 37 SA.
La notion de terme dépassé est sujette à des variations de
la durée de grossesse faisant intervenir des facteurs ethniques,
nutritionnels et autres(31,35). D'autre part ce terme de
grossesse prolongée correspond surtout à une augmentation de la
morbidité et de la mortalité périnatale, et à un pourcentage
plus élevé de césarienne(18,44). L'asphyxie périnatale
constamment rapportée avec les nouveau-nés post-terme(30,41),
n'apparaît pas brusquement, mais augmente progressivement dès
40 SA(1, 4). Si bien qu'en pratique on peut concevoir qu'une
grossesse est en voie de dépassement à partir de 40 SA. et
demi. L'intérêt du RU 486 se place donc, ici, chez des
patientes aux mauvaises conditions cervicales qui risquent de
dépasser leur terme.
Agissant sur la mise en travail spontané, tout en réduisant
vraisemblablement les doses nécessaires d'utérotoniques, il
peut être également proposé pour le déclenchement artificiel
du travail chez des femmes porteuses d'utérus cicatriciels. Le
RU 486 représente une bonne alternative à l'utilisation soit
d'ocytocine, soit de prostaglandines sur ce terrain qui reste une
contre-indication relative à l'emploi de ces substances. Dans
notre série 66% des patientes du groupe RU 486 se sont mises en
travail spontanément. Ces résultats sont donc comparables à
ceux des séries utilisant une technique classique de
déclenchement artificiel du travail. D'autre part, la
césarienne itérative est habituelle en cas d'association d'une
autre pathologie à l'utérus cicatriciel. Ainsi l'existence
d'une corrélation significative entre la mise en travail
spontanée et le dépassement de terme, semble donner au RU 486
son intérêt chez les femmes porteuses d'utérus cicatriciels.
Le fort pourcentage de césarienne au alentours de 30% de
cette série peut s'expliquer par un biais de recrutement de la
population. Toutes les patientes incluses dans l'étude, avaient
une pathologie médicale nécessitant un déclenchement
artificiel du travail.
Utilisé d'abord lors du premier trimestre de la grossesse,
les effets secondaires rapportés à l'utilisation du RU 486, ont
surtout été rattachés à la grossesse elle-même, ou à
l'association de prostaglandines. Dans notre étude, la
tolérance maternelle a été parfaite. Le peu d'effets
secondaires est comparable à ce qui a été décrit dans la
littérature lors de l'emploi de la Mifepristone au 2ème et
3ème trimestre de grossesse(7, 8, 25). Aucun effet sur
l'activité antiglucocorticoïde du RU 486, n'a été relevé
dans notre population. Toutefois, l'administration de
Mifepristone entraîne une augmentation des taux sanguins d'ACTH
et de Cortisol, dose dépendante, chez le singe(19,20). C'est à
partir de doses supérieures à 5 mg/kg que les effets de
l'activité antiglucocorticoïde apparaissent chez l'animal. Aux
doses utilisées dans notre étude, c'est à dire, aux alentours
de 3 mg/kg/jour, aucune perturbation biologique, ni modification
de la pression artérielle n'ont été notées, dans la
population des deux groupes. Ainsi, l'utilisation du RU 486 au
3ème trimestre de la grossesse n'entraîne pas de conséquences
maternelles.
Par contre, le risque d'hypoglycémie et d'hypotension des
nouveau nés de mères ayant pris du RU 486, existe en théorie,
du fait de son passage transplacentaire(13, 45). La surveillance
néonatale dans les deux groupes de notre étude n'a montré
aucune différence des paramètres correspondant aux éventuels
effets antiglucocorticoïdes. L'étude récente sur les ITG de
Hill et al.(21), confirme l'absence de différence significative
dans les concentrations de progestérone, d'estradiol, et de
cortisol foetal, lors d'une étude randomisée RU 486, versus
Placebo utilisé à la dose totale de 600 mg. Par contre ces
auteurs notent une augmentation significative du taux
d'aldostérone foetal dans le groupe RU 486. Ils confirment
d'autre part, l'absence de modifications biologiques
endocriniennes chez la mère. Du sang au cordon ombilical a été
prélevé chez toutes les patientes de notre étude. Les dosages
biologiques endocriniens sont actuellement en cours. Les
résultats de ces dosages permettront sans doute, de confirmer
l'absence de toxicité foetale et néonatale due à l'utilisation
du RU 486 à la dose totale de 400 mg, au cours de l'induction du
travail à terme, avec foetus vivant.
conclusion
Les résultats de cette étude montrent que le RU 486 est un
inducteur du travail à terme dans l'espèce humaine. La
meilleure indication est représentée par le terme en voie de
dépassement dés 40 SA. et demi, chez des femmes qui ont de
mauvaises conditions cervicales. Son utilisation per os, à la
dose de 200 mg/jour pendant 48 heures favorise dans plus de 50%
des cas une mise en travail spontanée chez des femmes qui
possèdent des conditions cervicales (Bishop < 4)
défavorables à un déclenchement artificiel du travail. Par
ailleurs, la moitié des femmes qui ont accouché spontanément
grâce au RU 486, n'ont pas eu besoin de perfusion d'ocytocine.
Ainsi, le RU 486 permet de diminuer et d'optimiser l'utilisation
des utérotoniques. La tolérance maternelle et néonatale est
bonne. Donné de façon brève, à terme, il ne semble pas
induire de toxicité foetale.
D'autres études cliniques ultérieures permettront d'évaluer
l'intérêt de son utilisation dans le déclenchement artificiel
du travail en cas d'utérus cicatriciel, de présentation du
siège, voire de grossesse gémellaire. Dans l'avenir, ces
études pourront également définir le meilleur rapport
effet-dose, à l'utilisation du RU 486, dans cette indication de
déclenchement du travail à terme. D'autres voies
d'administration, comme la voie vaginale, peuvent aussi faire
l'objet d'études ultérieures. L'absence de conséquence toxique
pour la mère ou pour le foetus de l'utilisation du RU 486 dans
cette indication sera vraisemblablement confirmée par les
résultats de l'étude en cours sur les dosages
pharmacocinétiques materno-foetaux.
Tableau 1 : Homogénéité des deux
groupes, tant sur les caractéristiques de la population
étudiée, que sur les indications de déclenchement artificiel
du travail à terme.
Caractéristiques de la population
étudiée |
RU 486 |
PLACEBO |
Signification statistique
|
AGE maternel(année +/-
DS) TERME moyen (en SA.)
PARITÉ moyenne
PRIMIPARES (Nombres)
UTÉRUS CICATRICIEL (Nb)
Score moyen du BISHOP à J1
|
31 + 4,1 39,9 +
1,2
0,5
39 (68,4%)
15 (26,3%)
2,6 + 1,1
|
29 + 3,6 39,7 +
1,2
0,5
36 (65,5%)
15 (27,3%)
2,5 + 1,3
|
NS NS
NS
NS
NS
NS
|
INDICATIONS |
|
|
|
TERME EN VOIE DE
DEPASSEMENT PRÉ-ÉCLAMPSIE
RETARD DE CROISSANCE INTRA-UTÉRIN
(RCIU)
AUTRES (*)
|
27 (47,4%) 10 (17,5%)
6 (10,5%)
14 (24,6%)
|
28 (50,9%) 13 (23,6%)
4 (7,3%)
10 (18,2%)
|
NS NS
NS
NS
|
(*) : Macrosomie foetale (7);
Isoimmunisation (2);
Pathologie médicale maternelle (13);
Autres indications foetales (2).
NS : Non Significatif
Tableau 2 : Résultats globaux du
déclenchement artificiel du travail par le RU 486
120 Patientes
|
SOUS GROUPES |
RU 486 |
PLACEBO |
Signif. Stat. |
TOTAL |
Patientes EXCLUES |
3 |
5 |
NS |
8 |
Patientes INCLUSES |
57 |
55 |
NS |
112 |
TRAVAIL SPONTANÉ
- Sans Ocytocine
- Avec Ocytocine
- à J1
- à J2
- à J3
- à J4
|
31 (54,4%)
----------
14
17
----------
8
10
7
6
|
10 (18,2%)
----------
3
7
----------
1
2
2
5
|
p < 0,001
----------
----------
|
41
----------
17
24
----------
9
12
9
11
|
INDUCTION DU TRAVAIL
A J4 Status cervical favorable
Score de Bishop > 4
(2éme sous groupe)
|
13(22,8%)
|
13(23,6%)
|
NS |
26 |
MATURATION CERVICALE
PAR DES PG E2 Score de Bishop <
4
(3éme sous groupe)
|
13 (22,8%)
|
32(58,2%)
|
p < 0,001 |
45 |
TOTAL |
57 |
55 |
NS |
112 |
N.S : Non Significatif
Tableau 3 : Résultats obstétricaux
RÉSULTATS |
RU 486 |
PLACEBO |
Signification statistique
|
ACCOUCHEMENT VOIE BASSE
EXTRACTION INSTRUMENTALE
CÉSARIENNE
- pour souffrance foetale
- pour échec de déclenchement(*)
- pour stagnation de la dilatation
ANESTHÉSIE PÉRIDURALE
DURÉE DU TRAVAIL
(moyenne)
|
39 (68,4%)
20 (51,3%)
18 (31,6%)
7
3 (5,5%)
8
44 (77,2%)
7 h 10 min
+ 2 h
|
37 (67,3%)
17 (46%)
18 (32,7%)
5
6 (10,9%)
7
49 (89,1%)
7 h 45 min
+ 3 h
|
NS
NS
NS
NS
NS
NS
NS
NS
|
NS : Non Significatif
(*) : Définit comme une stagnation de la dilatation <
3 cm, sans souffrance foetale.
Tableau 4: Résultats
périnataux
RÉSULTATS |
RU 486 |
PLACEBO |
Signification statistique
|
POIDS DE NAISSANCE
(moyenne en gramme)
SCORE D'APGAR < à 7
(Nb de nouveau-nés)
- à 1 min.
- à 5 min.
pH < à 7,20
(au cordon ombilical, à la naissance; Nb de
nouveau-nés)
PRESSION ARTÉRIELLE J1
(moyenne)
PRESSION ARTÉRIELLE J2
(moyenne)
GLYCÉMIE J1
(moyenne des Dextro)
GLYCÉMIE J2
(moyenne des Dextro)
|
3288,4
+ 453,5
5
0
4
59,4/31,2
63,5/33,7
4,41
4,34
|
3398
+ 518,7
4
0
3
58,2/30,7
62,6/33,6
4,35
4,28
|
NS
NS
NS
NS*
NS*
NS*
NS*
|
NS : Non Significatif
NS* : Critères d'analyse utilisés uniquement sur 85 des
120 dossiers de l'étude (41 pour le groupe RU 486, et 44 pour le
groupe Placebo).
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: JOURNÉES
DE TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET
PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 12 - 19 Janvier 1995
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