Chapitre 4
examen neurologique du nouveau-né présentant un RCIU
C. AMIEL-TISON
introduction
Le cerveau foetal est l'organe protégé dans
les carences d'apport conduisant à un Retard de Croissance
Intra-Utérin (RCIU) et les éléments de surveillance foetale
dont dispose l'obstétrique moderne permettent le plus souvent de
"sortir" un enfant à cerveau intact. Dans quelques cas
cependant, la carence d'apport en combustibles et oxygène est si
précoce et si sévère que le cerveau souffre de façon
irréparable.
analyser les paramètres de la croissance, en particulier
crânienne
Apparence trophique et hydratation
Le nouveau-né apparaît très maigre ou amaigri, masses
musculaires et panicules adipeux réduits; la peau est sèche,
garde le pli, éventuellement desquame. La déshydratation peut
etre très évidente également sur la très faible diurèse, la
prise de poids immédiate, l'hématocrite élevée par
hémoconcentration.
Âge gestationnel et mensurations corporelles
L'âge gestationnel est maintenant le plus souvent connu avec
précision et confirmé par une échographie précoce.
Le poids, la taille et le périmètre céphalique sont
mesurés dès la naissance. Les résultats obtenus sont reportés
sur les courbes de croissance, si possible sur les courbes
établies sur la population nationale ou régionale. La
croissance foetale insuffisante est définie par un poids
inférieur au 10è percentile pour l'âge; dans ce cas,
l'hypotrophie peut être symétrique si toutes les mensurations
sont sur des percentiles équivalents, ou asymétrique si le
poids est situé plus bas que la taille et surtout le périmètre
céphalique.
L'hypotrophie asymétrique est la règle en cas
d'insuffisance placentaire quel que soit son mécanisme ; le
périmètre céphalique préservé ou presque préservé
témoigne du jeu des circulations préférentielles lorsque
l'adaptation à la carence d'apport fonctionne. Elle représente
donc un facteur favorable.
Cependant l'hypotrophie symétrique (habituellement due
à toutes les autres causes que nutritionnelles) peut se voir
dans les insuffisances placentaires très sévères et
précoces, soit que l'adaptation n'ait pas eu lieu, soit qu'elle
ait été secondairement débordée.
Examen crânien
Il arrive que, malgré l'état de déshydratation globale, les
sutures soient disjointes à la naissance, et ceci de
plus en plus au cours de la première semaine lorsque l'enfant
est hydraté ; ce phénomène existe en dehors de toute
lésion cérébrale, par augmentation du secteur extracellulaire
cérébral de mécanisme mal connu (1). Il n'est donc pas
inquiétant a priori mais sera pris en compte dans le calcul de
l'apport d'eau et de sodium.
D'autres fois, les sutures sont chevauchantes jusqu'à ce que
l'hydratation soit correcte ; lorsque le chevauchement
persiste et s'organise, lorsque la croissance du
périmètre céphalique est très inférieure à 1 centimètre
par semaine au cours des premières semaines malgré une
nutrition correcte, c'est un signe inquiétant car il peut
indiquer des lésions ischémiques périventriculaires assez
étendues pour entraîner un déficit de la croissance des
hémisphères.
Enfin, souvent la fontanelle antérieure est très large, par
défaut de minéralisation osseuse due à la carence d'apport.
évaluer le stade de maturation cérébrale
La maturation neurologique a été décrite par Saint Anne
Dargassies (2) puis simplifiée et accompagnée d'une
représentation graphique (3, 4). La reconnaissance de stades
maturatifs successifs est basée sur les effets de la maturation
ascendante des faisceaux moteurs sous-cortico-spinaux et de la
maturation descendante et plus tardive des faisceaux moteurs
cortico-spinaux (5). Le renforcement du tonus passif en flexion
des membres s'observe de façon ascendante, membres inférieurs
d'abord, membres supérieurs ensuite. L'étude du tonus actif de
l'axe corporel montre d'abord la progression ascendante de
l'extension (contrôle sous-cortical) puis l'inhibition
progressive favorisant la flexion (contrôle cortical). Dans le
même temps, la vigilance et la poursuite oculaire progressent
rapidement pour aboutir à la situation caractéristique du
nouveau-né à terme.
On peut simplifier la méthode en retenant 10 critères, et
rester fidèle à la méthode en refusant d'utiliser un score
(6). L'ensemble des critères choisis pour définir la maturation
du tonus passif, du tonus actif et des réflexes primaires de 32
à 40 semaines permet de définir un âge maturatif à
intervalles de 2 semaines, lorsque 7/10 au moins des
réponses sont "en ligne". Si les réponses sont
dispersées, 1) il n'est pas possible de définir l'âge
maturatif, 2) des anomalies neurologiques sont probablement
présentes. Les manoeuvres peuvent être faites et les réponses
retenues si le nouveau-né est dans un état stable. Dans le cas
contraire, la maturation sera estimée sur les critères
"physiques". Plus tard, à la phase de convalescence,
l'âge "corrigé" en ajoutant les semaines postnatales
permettra de vérifier l'âge maturatif.
L'intérêt de l'examen neurologique maturatif est de pouvoir
dans le même temps affirmer la normalité pour l'âge
gestationnel, ce qui est heureusement le cas général dans le
RCIU de sévérité moyenne, et de suivre l'évolution dans le
cas contraire.
Le phénomène d'avance de maturation neurologique en cas
d'insuffisance placentaire
Le phénomène d'avance de maturation neurologique est décrit
cliniquement depuis longtemps (7, 8) en considérant une avance
de deux semaines ou plus chez des nouveau-nés dont l'âge est
connu avec certitude sur dates et confirmation échographique
précoce. Le phénomène n'a été accepté qu'après la
démonstration sur les potentiels évoqués du tronc cérébral
apportée par Pettigrew et al (9) en 1985. L'expérience montre
que ce phénomène est fréquent en cas d'hypertension gravidique
(non chiffrée) ; et dans les grossesses gémellaires
l'incidence atteint 75% dans une série récente (10). Ce
phénomène n'obéit pas d'ailleurs à la loi du tout ou rien
mais tous les degrés peuvent se voir, et bien évidemment ce
phénomène est mieux connu entre 32 et 37 semaines car c'est à
cette période que la maturation (à la fois cliniquement et
pour la vitesse de conduction dans le tronc cérébral) est la
plus rapide. Il n'est donc pas certain à l'heure actuelle que
les foetus ayant un RCIU le plus grave et le plus précoce
puissent bénéficier de ce processus d'adaptation très
favorable à la vie extra-utérine avant le terme.
Les critères physiques
"L'âge maturatif" peut être déterminé en
quelques minutes sur des "critères externes".
L'observation de la peau, des oreilles, de la glande mammaire,
des organes génitaux, est codifiée et exprime la maturation en
semaines avec un intervalle de confiance de près de deux
semaines. C'est la méthode décrite par Farr (11) et reprise par
Dubowitz (12) dont l'intérêt est qu'elle peut être faite quel
que soit l'état de l'enfant.
3) dépister les anomalies neurologiques cliniques des
premières semaines de la vie
la méthode clinique
C'est le même examen neurologique qui permettra d'évaluer la
maturation d'une part et le caractère normal ou non de la
fonction cérébrale d'autre part.
la vigilance , (quelques minutes d'éveil calme
permettant la communication, et mise en évidence facile de
quelques réflexes primaires, en particulier la succion).
la poursuite visuelle décelable à partir de 34
semaines et progressant rapidement jusqu'à terme.
la fonction neuro-motrice témoignant à partir de 34
semaines de la maturation des faisceaux moteurs cortico-spinaux
(en particulier par la manoeuvre du tiré-assis montrant
l'activité des muscles fléchisseurs du cou), et également le
caractère harmonieux de la motricité spontanée, mouvements
indépendants des doigts et surtout abduction du pouce.
l'absence de manifestations neuro-végétatives lors
des manipulations de l'examen, changements de couleur, grisaille
péribuccale, hypotonie et hypoactivité après le cri,
modifications du ryhtme cardiaque et respiratoire,
régurgitations.
Absence d'anomalies neurologiques ou crâniennes
Un examen neurologique normal chez un hypotrophe asymétrique
dans une situation de stabilité suffisante pour être examiné
indique un pronostic excellent. Dans les semaines suivantes, la
répétition de l'examen clinique montrera la progression des
fonctions supérieures avec la maturation et la progression du
périmètre céphalique de un centimètre par semaine environ.
Présence d'anomalies neurologiques et/ou crâniennes
Plusieurs cas de figure peuvent être décrits
schématiquement
a) anomalies transitoires en rapport avec la
dénutrition
Cette situation est assez fréquente : les réponses sont
dissociées et n'ont donc pas permis de définir un âge
maturatif. La vigilance est médiocre, avec alternance de
léthargie et d'hyperexcitabilité sans véritable éveil calme,
le tonus actif des fléchisseurs du cou est médiocre, la
fatigabilité empêche l'alimentation au sein ou biberon, les
signes neuro-végétatifs nécessitent la surveillance continue
cardio-respiratoire. Vers la fin de la première semaine,
l'ensemble de ces signes disparaît et on a alors la surprise de
voir les critères de maturation devenir très homogènes et
témoigner d'une avance qui n'avait pas pu être mise en
évidence au départ.
b) anomalies persistantes mais sans convulsions
Le tableau est à peu près identique au précédent dans la
première semaine mais les signes sont durables. L'enfant est
rendu à sa famille avec des signes persistants, au premier rang
desquels une poursuite oculaire absente ou discontinue, pas
d'éveil calme véritable, et une hypotonie de la moitié
supérieure du corps. Ces signes nécessitent des investigations
et une surveillance prolongée. Ce tableau est compatible avec
des leucomalacies en cours de cicatrisation.
c) anomalies neurologiques sévères incluant des
convulsions
C'est évidemment la marque d'une encéphalopathie hypoxique
ischémique qui peut atteindre toutes les structures et en
particulier le cortex.. Plusieurs convulsions isolées ou
véritable état de mal, la catégorie pronostique est bien
différente de la précédente. C'est dans ces cas que l'on peut
observer la constitution d'une microcéphalie secondaire au cours
des trois premiers mois, avec peu d'espoir d'un développement
normal ou modérément anormal.
limiter à l'essentiel les investigations complémentaires
Elles ne sont pas nécessaires de façon systématique dans
les RCIU asymétriques modérés sans signes neurologiques.
L'électroencéphalographie
L'EEG sera enregistré dans les RCIU sévères ou avec
symptomatologie neurologique. Il est surtout utile dans les deux
situations extrêmes : normal, il permet de rassurer ;
avec convulsions enregistrées, il est inquiétant, et le
pronostic surtout lié aux anomalies du tracé intercritique.
L'échographie transfontanellaire (ETF)
Elle est essentielle dans le dépistage des leucomalacies
périventriculaires (LPV) , lésions hypoxiques ischémiques qui
ont pu se constituer dans les jours ou semaines qui ont
précédé la décision d'extraction par césarienne d'un foetus
avec RCIU sévère. Au stade initial, des hyperéchogenicités
nuageuses sont visibles; en quelques semaines, les lésions
peuvent évoluer soit vers la cavitation, soit vers la
rétraction gliale. Dans les deux cas, c'est une atrophie
cicatricielle de la substance blanche qui, selon la topographie
des lésions, donnera des séquelles sensitivo-motrices et
sensorielles. Les lésions corticales s'il y en a ne sont pas
visibles à ce stade.
La RMN
Cette technique apporte une très grande précision sur la
nature et l'étendue des images cicatricielles. Il n'est pas
nécessaire de la faire trop tôt en période néonatale, mais
dès la deuxième ou troisième semaine dans les formes graves
avec état de mal convulsif, elle peut aider au bilan lésionnel
et décisions éventuelles. La RMN foetale est une acquisition
très importante de ces dernières années dans les situations
très critiques où les décisions d'extraction dépendent de
l'appréciation de la situation cérébrale.
Analyser les éléments de prédiction sur l'avenir
neuro-psychique
Un mauvais pronostic évident
C'est le cas des RCIU très sévères et très précoces, où
les lésions cérébrales de constitution antenatale sont mises
en évidence par la clinique, l'EEG et l'imagerie. Les séquelles
dans ces cas sont non spécifiques et très globales, avec
atteinte sensorimotrice, sensorielle et intellectuelle; la
comitialité secondaire est fréquente et difficile à traiter.
Le périmètre céphalique très touché au départ et qui reste
inférieur au 5° percentile, sans tendance au rattrapage, est un
élément de très mauvais pronostic (13)
Un bon pronostic évident
C'est la majorité des cas de RCIU asymétrique modéré sans
signes neurologiques ou avec signes transitoires liés à l'état
nutritionnel. Un EEG et une ETF normaux sont des arguments
rassurants supplémentaires dans le cas d'anomalies neurologiques
transitoires.
Dans les cas intermédiaires
L'évolution n'est pas prédictible. Dans beaucoup de cas, les
quelques signes cliniques dont l'hyperexcitabilité et les
troubles du sommeil s'estompent, la croissance staturo-pondérale
et céphalique "rattrape" en six mois. Les étapes du
développement moteur et cognitif se feront normalement. Dans
d'autres cas, le développement ne sera pas parfait, des
inquiétudes subsistent. Il faut suivre de façon assez étroite
sans cependant inquiéter la famille. Et on verra chez ces
enfants plus de comitialité, plus de déficits sensoriels, plus
de troubles de l'apprentissage scolaire.
en conclusion
Si l'on considère l'ensemble des enfants nés avec un poids
peu au-dessous du 10è percentile, la plupart entreront dans la
catégorie des RCIU asymétriques avec rattrapage rapide de la
croissance somatique et crânienne et sans signes neurologiques.
Les autres, moins nombreux, ont été dès le départ dans une
catégorie moins favorable, soit par la sévérité du RCIU, soit
par la présence de signes neurologiques et/ou crâniens, soit
par la présence d'anomalies à l'EEG ou imagerie cérébrale.
Dans tous ces cas, même si une normalisation apparente est
suivie d'un développement des deux premières années dans les
limites de la normale, il faudra assurer une surveillance
vigilante jusqu'à l'âge scolaire, dans l'espoir d'atténuer les
conséquences tardives de lésions cellulaires non visibles mais
qui retentiront cependant sur l'apprentissage scolaire.
BIBLIOGRAPHIE
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Pediatr 1993, 123, 618-624.
Claudine AMIEL-TISON
Maternité de Port-Royal - Paris
: JOURNÉES DE
TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET
PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 12 - 19 Janvier 1995
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