Introduction
L’hormone
lutéinisante (LH) est une glycoprotéine hypophysaire dont l’importance dans
la maturation folliculaire, l’ovulation, le soutien du corps jaune et l’implantation
embryonnaire a été mise en évidence depuis la description déjà ancienne de la
théorie bi-cellulaire (1).
Son analogie structurale avec l’hCG permettant la liaison au même récepteur
a conduit pendant des années à utiliser celle-ci, plus facilement disponible,
comme agent thérapeutique du déclenchement et du soutien de la phase lutéale.
L’avènement de la recombinaison génétique permet de disposer actuellement de
la LH recombinante et d’envisager son utilisation thérapeutique. La principale
différence entre l’hCG et la LH concerne la demi-vie de la molécule beaucoup
plus brève pour la LH, ce qui confère à cette molécule à la fois des avantages
et des inconvénients par rapport à l’hCG.
Le choix
de l’utilisation de la LH, en tant qu’agent thérapeutique, doit reposer sur
l’analyse du rôle physiologique de cette hormone sur le follicule et sur le
corps jaune. D’une manière un peu schématique, nous envisagerons les rôles successifs
de la LH :
1) LH : facteur de régulation de la production des stéroïdes
ovariens.
Tout
au long de la phase folliculaire, la LH exerce des effets directs sur les cellules
de la thèque interne qui possèdent un récepteur de LH constitutivement présent.
La LH stimule la 17 alpha hydroxylase de la thèque interne, enzyme convertissant
la progestérone en androgènes. Les androgènes, synthétisés in-situ, peuvent
être actifs selon deux modes d’action différents : en tant qu’androgènes
ou après conversion en oestrogènes dans la granulosa. Le rôle des androgènes
au niveau de la granulosa elle-même a fait l’objet de nombreuses études chez
le singe, particulièrement par les groupes de S. Hillier (2) et de C. A. Bondy
(3). Ce qu’il faut retenir c’est que, contrairement à ce qui a été décrit chez
le rongeur, les androgènes ont un effet anti apoptotique et stimulateur de la
prolifération cellulaire, du moins sur les petits follicules. Les androgènes
sont également les substrats de l’activité aromatase de la granulosa qui transforme
les androgènes en oestrogènes. C’est, bien entendu, ce point de physiologie
(la théorie bi cellulaire) qui a été à l’origine de nombreuses controverses,
ces dernières années. Il est clair que le rôle des androgènes, en tant que substrat
des oestrogènes, est essentiel, puisque, en l’absence d’androgènes, les chances
de grossesse sont extrêmement limitées du fait de l’intervention indispensable
des oestrogènes sur les organes cibles périphériques (endomètre, glaire cervicale).
Cette production d’oestradiol dépend certes de l’apport en LH pour soutenir
la production d’androgènes, mais également de facteurs locaux intra ovariens
dont l’analyse reste beaucoup plus difficile. De plus, le rôle propre des oestrogènes
au niveau du follicule, et spécialement de la qualité de l’ovocyte et du conceptus,
demeure un point mal élucidé chez les humains. Même si l’on sait depuis peu
que la granulosa exprime préférentiellement le récepteur β de l’oestradiol(4),
il n’en demeure pas moins que l’on ignore encore l’utilité même de l’oestradiol
dans l’environnement folliculaire.
Ainsi, s’il est certain qu’une quantité minimale de LH est nécessaire pour alimenter
la chaîne de production des stéroïdes, d’une part la quantité minimale requise
est encore mal connue, d’autre part l’utilité même de l’oestradiol au sein du
follicule demeure controversée.
De ce fait, au plan thérapeutique, l’intérêt de la LH comme soutien de la production
de stéroïdes en phase folliculaire demeure controversé. Nous ne disposons actuellement
que d’études partielles non publiées concernant l’intérêt de l’adjonction de
LH chez des patientes normo-ovulantes et inclues dans des programmes de fécondation
in vitro. La plupart des modèles cliniques utilisés sont imparfaits, à fortiori
lorsqu’on a utilisé conjointement des analogues du GnRH : en effet, ceux-ci
modifient les taux de LH circulante, mais également le ratio LH radio-immunologique/LH
biologique, ce qui conduit à une évaluation difficile de l’activité LH circulante
résiduelle. A l’inverse, l’hypogonadisme hypogonadotrope constitue une situation
qui peut paraître plus claire à étudier à condition d’un choix sélectif très
rigoureux des patients, selon la sécrétion de LH hypophysaire résiduelle. On
sait en effet que les hypogonadismes hypogonadotropes ne constituent pas forcément
un groupe homogène et différentes études cliniques réalisées par le laboratoire
Sérono ont montré que la LH recombinante n’a d’intérêt que chez les sujets réellement
déplétés en LH endogène (LH<1.5 UI/l). Il est clair que ce modèle hypogonadisme
hypogonadotrope est plus proche du modèle idéal et différentes études (5) ont
mises en évidence que la quantité minimale de LH nécessaire pour une production
suffisante de stéroïdes se situe probablement autour de 75 UI/j. Cet apport
de LH permet non seulement la production d’oestradiol adéquat mais potentialise
également les effets de la FSH sur la croissance folliculaire.
En dehors
de cette situation clinique très particulière d’hypogonadisme hypogonadotrope,
la principale contreverse concerne l’intérêt de l’adjonction de LH chez les
patientes soumises à des protocoles de fécondation in vitro incluant des analogues
du GnRH. Seule l’expérimentation animale a donné un éclairage fiable sur cette
question. Chez le singe rhésus, l’administration pendant plusieurs semaines
d’Antide (antagoniste du GnRH) a permis de dépléter l’animal en hormones gonadotropes(6).
L’administration ultérieure combinée de FSH et de LH à différents régimes a
montré que la LH influence outre la production d’oestradiol, le nombre de follicules,
mais surtout le potentiel de développement des embryons surnuméraires issus
de ces cycles de FIV : en effet, lors de la décongélation, les embryons
avaient la capacité d’atteindre le stade de blastocyste plus rapidement que
ceux obtenus à partir de cycles traités par la seule FSH. Il s’agit, à mon sens,
de la seule étude chez les primates non humains qui peut apporter un crédit
fiable à l’idée qu’une certaine supplémentation en LH pourrait améliorer la
qualité et le développement embryonnaires. A l’inverse, chez l’humain, tous
les modèles dont nous disposons sont relativement peu fiables, du fait de la
difficulté que l’on a toujours à évaluer l’activité biologique de la LH endogène.
La controverse a fait rage à propos de l’intérêt de l’adjonction de LH lors
des protocoles utilisant les agonistes du GnRH . Il est clair que la désensibilisation
de l’hypophyse induite par les analogues n’est que partielle et l’analyse de
la forme dimérique et des sous unités de LH a bien montré que la sécrétion de
sous unité alpha est, à la différence de la sous unité β, augmentée. Même
si la sous unité alpha n’a théoriquement pas d’activité, une certaine prudence
est de mise avant de conclure sur les taux résiduels biologiques circulants
chez ces patientes soumises aux analogues. Cette difficulté explique probablement
les divergences dans les différentes études publiées. Certains comme Fleming
(7) ou Westergaard (8) considèrent qu’un taux de LH inférieur à 0.5 UI/l au
moment de la désensibilisation ou en phase folliculaire traduit un déficit de
la sécrétion de LH justifiant l’adjonction de LH en thérapeutique. Cette réflexion
a conduit ces auteurs à proposer d’utiliser les HMG plutôt que la FSH chez ces
patientes mais il n’est pas démontré que l’amélioration de la sécrétion d’oestradiol
observée assure une issue plus favorable au cycle de fécondation in vitro. D’autres
approches indirectes d’évaluation de la sécrétion de la LH résiduelle ont été
proposées par le groupe Sérono. En particulier, l’étude du ratio oestradiol/ovocyte
peut paraître intéressant puisque l’oestradiol est directement dépendant de
la LH alors que la production d’ovocytes est à priori plus dépendante de la
FSH. Dans une étude publiée récemment, Loumaye et al (9) montrent qu’un ratio
inférieur à 70 serait préjudiciable au devenir du cycle des fécondations in
vitro et impliquerait un soutien en LH. Néanmoins, les auteurs estiment que
seules 6% des patientes seraient justifiables de cette adjonction. En fait,
la plupart des essais thérapeutiques réalisés ne concernent pas un nombre suffisant
de patients pour pouvoir apprécier la qualité du conceptus et l’effet sur les
taux de grossesse. Ainsi, en l’absence de méta-analyse, il est bien difficile
de conclure sur l’intérêt d’utiliser la LH dans cette situation très particulière.
Par ailleurs, il est clair que la quantité de LH administrée doit faire l’objet
d’une évaluation clinique rigoureuse et que le ratio 1/1 proposé par les HMG
ne paraît pas vraiment physiologique en phase folliculaire.
L’avènement plus récent des antagonistes du GnRH a conduit à une réflexion identique.
L’étude dose-réponse réalisée avec le Ganérélix a montré que la dose de 0.25
mg par jour permettait d’induire une réduction des taux circulants de LH qui
ne paraissaient pas délétères pour la production d’oestradiol et l’obtention
de grossesse (10). En revanche, aucune étude dose réponse n’a été réalisée avec
les protocoles d’administration d’une dose unique et, dans cette situation,
il est encore impossible de dire si l’administration de LH constituera en soi
un bénéfice pour les patientes.
Ainsi la LH est un facteur de régulation essentielle de la production des stéroïdes
ovariens, mais des études complémentaires sont nécessaires pour mieux préciser
les circonstances conduisant à préconiser l’adjonction de LH à cette fin.
2) La LH facteur
de régulation de la croissance folliculaire.
Ce rôle
thérapeutique potentiel de la LH relève des effets connus de cette hormone sur
la granulosa lorsque le récepteur est présent, c’est à dire dans la deuxième
partie de la phase folliculaire. Les travaux du groupe de Hillier (11) ont montré
que la LH pouvait avoir un rôle régulateur de la prolifération cellulaire avec
un effet biphasique : stimulateur à faibles doses et inhibiteur à fortes
doses. Ainsi est naît le concept de plafond de LH, selon lequel l’administration
de LH à fortes doses (au delà de ce plafond) permettrait de réduire le nombre
de follicules en croissance. Très peu d’études cliniques ont jusqu’à présent
été réalisées pour confirmer cette hypothèse. L’une réalisée par Sullivan (12)
chez 24 patientes précédemment traitées par analogues du GnRH montre uniquement
que le soutien par la seule LH (lorsque le follicule atteint un stade de 14
mm) permet une production tout à fait correcte de stéroïdes. Néanmoins, elle
ne donne aucune indication sur rôle régulateur de la LH sur le nombre de follicules.
Tel n’est pas le cas d’une l’étude réalisée par Shoham (com. perso) chez les
patientes présentant un hypogonadisme hypogonadotrope traitées initialement
par une combinaison de FSH et de LH jusqu’à ce que le développement folliculaire
atteigne le stade de 12-13 mm. A ce stade, les patientes ont été randomisées
pour recevoir de la LH ou de la FSH+LH. Une réduction significative du nombre
de follicules de grande taille a été observée chez les patientes traitées par
LH, par rapport à celles traitées par l’association FSH+LH. Ces résultats préliminaires
méritent naturellement confirmation sur des effectifs plus importants, mais
témoignent probablement d’un effet potentiel de fortes doses de LH sur la réduction
du nombre des follicules en croissance. Les débouchés thérapeutiques sont évidents
dans les inductions d’ovulation qui souhaitent ne pas être multifolliculaires.
Des études cliniques sont actuellement en cours pour confirmer les effets potentiels
de la LH exogène.
3) Facteurs
de déclenchement d’ovulation.
C’est
bien entendu un rôle physiologique connu et l’avènement de la LH recombinante
permet d’envisager son utilisation à la place de l’hCG pour obtenir le déclenchement
des ovulations. Rappelons que la demi-vie plus brève de la LH (6 à 10 heures)
lui confère l’avantage de réduire le risque d’hyperstimulation ovarienne, mais
inversement d’être moins longtemps efficace pour soutenir le corps jaune. Dans
un essai thérapeutique multicentrique, le groupe Sérono a étudié chez des patientes
désensibilisées par un analogue du GnRH en vue de fécondation in vitro, le rôle
de la LH recombinante à différentes doses. Il est apparu que l’administration
de 10 000 UI de LH était une dose suffisante pour obtenir une bonne lutéinisation
des cellules de la granulosa et induire la reprise de méiose de l’ovocyte. La
qualité des ovocytes obtenus ne paraissait pas différente de celle observée
après l’administration d’hCG. On peut donc dire que, même si la rupture folliculaire
n’a pas été testée dans ce modèle, certains rôles essentiels de la LH ont pu
être reproduits grâce à l’administration de 10 000 UI de LH.
4) LH :
facteur de soutien du corps jaune.
S’il
s’agit là aussi bien entendu d’un rôle physiologique essentiel de la LH, on
ignore encore la quantité absolument nécessaire dans cette période du cycle.
Aucun essai thérapeutique n’a été réellement réalisé en dehors de celui du laboratoire
Sérono dans le modèle fécondation in vitro après administration de GnRH agoniste.
Dans ce modèle très particulier, il est clairement apparu que le soutien de
la phase lutéale nécessite une répétition de l’administration de la LH à un
intervalle plus proche que celui connu pour l’hCG. Ceci s’explique, bien entendu,
par la demi-vie plus brève de la LH et, dans cet essai thérapeutique, si le
déclenchement a été fait avec 15 000 unités de LH, un soutien par 10 000 unités
72 heures après la 1ère injection s’est avéré nécessaire pour maintenir
une production de stéroïdes et particulièrement d’oestradiol nécessaire à l’implantation.
Il est clair que ce modèle est imparfait puisqu’il s’agit de patientes dont
l’hypophyse était désensibilisée par les analogues. La mise sur le marché récente
des antagonistes va modifier probablement notre réflexion dans ce domaine puisque
la demi-vie brève des antagonistes qui ne modifient pas la sécrétion hypophysaire,
créent un environnement hormonal en LH bien différent de celui induit par les
agonistes. D’autres études seront nécessaires pour connaître l’intérêt de la
LH dans le soutien de la phase lutéale après utilisation des antagonistes du
GnRH.
En conclusion,
les perspectives d’utilisation de la LH recombinante sont considérables. Elles
concernent à la fois la stimulation multifolliculaire en vue de fécondation
in vitro, la stimulation au contraire pauci folliculaire, et dans tous les cas,
le déclenchement de l’ovulation et le soutien de la phase lutéale. Dans toutes
ces situations, la dose de LH requise doit faire l’objet d’études complémentaires.
Le modèle de l’hypogonadisme hypogonadotrope a permis une première approche
de cette évaluation des doses. Chez la femme normo ovulante, les modifications
induites, par les analogues du GnRH sur la sécrétion de LH endogène, devront
toujours être considérées pour apprécier la dose thérapeutique idéale de LH
recombinante.
Références
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