Prise en charge des hémorragies de
la délivrance et du post-partum. Place de l'embolisation des
artères utérines et des ligatures vasculaires
F. GOLFIER, D. RAUDRANT
L'hémorragie de la délivrance est
définie comme un saignement supérieur à 500 ml puisque les pertes
physiologiques de l'accouchement normal doivent être inférieures à
ce seuil. L'hémorragie est considérée comme sévère au-delà
d'un litre de pertes sanguines estimées.
« Je veux non pas vous dire mais
vous crier que la plupart des accidents de la délivrance sont aggravés
par des erreurs de technique, par des insuffisances de surveillance, par la timidité
ou le retard à user des thérapeutiques efficaces. »
Cette phrase a été écrite
en 1960 par Lacomme. Elle peut paraître obsolète à première
vue. Or, il faut savoir que l'on meurt encore en accouchant dans nos pays développés
et que l'hémorragie reste en France la première cause de mortalité
maternelle.
De plus, la plupart des décès
maternels sont évitables et l'on estime en effet que près de la moitié
de ces décès évitables est le fait d'une inadéquation du traitement
(insuffisance de prise en charge ou erreur de traitement) et qu'un tiers est dû
à un retard au diagnostic ou à l'intervention thérapeutique.
La place des traitements médicaux
est prépondérante mais la mise en oeuvre d'autres techniques est parfois
nécessaire. Le traitement chirurgical par ligatures vasculaires et le traitement
radiologique par embolisation artérielle sont les deux méthodes de recours,
semble-t-il concurrentes. Plutôt qu'à les opposer, nous aurons à
définir ensemble et objectivement la place de chacune de ces deux modalités
de prise en charge.
5 causes essentielles se partagent la responsabilité
• L'atonie utérine.
• La délivrance incomplète.
• Les lésions de la filière
génitale qui réalisent des déchirures périnéales, vaginales
ou cervicales.
• Les ruptures utérines
qui surviennent 1 fois tous les 300 accouchements par voie basse d'utérus cicatriciels.
• Enfin, la plus rare inversion
utérine.
Existe-t-il une CAT préventive de l'hémorragie de
la délivrance ?
La réponse est oui. Cette prévention
repose sur la délivrance assistée. L'efficacité de cette attitude
a été démontrée par un essai randomisé de niveau 1 mené
en Angleterre par Rogers et publié dans le Lancet en 1998 (1). Le risque d'hémorragie
est diminué significativement par 2.4, passant de 16.5 % à 6.8 % avec
une délivrance assistée. La technique est très simple et sans risque;
elle consiste à injecter 5 UI d'ocytocine en IV.
Cette prévention des hémorragies
de la délivrance doit être réalisée dans tous les accouchements
par voie basse. Cette attitude systématique diminuera par 2 le risque hémorragique.
Quelle est la CAT en présence d'une patiente qui
saigne en salle d'accouchement ?
Tout d'abord, le consensus s'est fait sur la nécessité
absolue de disposer en salle d'accouchement d'un protocole écrit de prise en
charge de l'hémorragie. Ce protocole doit être pluridisciplinaire, rédigé
à la fois par les obstétriciens et les anesthésistes - réanimateurs.
Il doit être disponible à tout moment, par toute l'équipe. Il est
le garant d'une optimisation nécessaire des soins apportés à la patiente
et est le garant d'une adhésion de l'ensemble de l'équipe à une prise
en charge où chacun, obstétricien, réanimateur, interne, sage-femme,
infirmier anesthésiste a un rôle défini.
Ensuite, la surveillance pendant les
2 heures suivant l'accouchement doit être obsessionnelle. Cette surveillance
a pour objet de dépister les hémorragies occultes avant que n'apparaissent
les troubles graves de la coagulation.
Le trépied thérapeutique
classique doit être adopté pour gérer l'hémorragie: révision
utérine, examen sous valves et ocytocine intraveineuse.
La révision utérine va permettre
d'identifier une rétention, une atonie utérine ou une éventuelle
rupture utérine.
L'examen sous valves va rechercher
une déchirure éventuelle de la filière génitale qu'il suffira
de suturer.
L'ocytocine permettra de traiter l'atonie
utérine lorsque toutes les autres causes auront été éliminées.
Elle est utilisée généralement en intraveineux direct et/ou en perfusion.
En l'absence d'efficacité au bout
de 20 min. ou lorsque l'on atteint la dose maximale de 40 UI, il faut rapidement
avoir recours aux prostaglandines. Les prostaglandines représentent la thérapeutique
de secours en cas d'échec de l'ocytocine. On utilise le plus souvent des dérivés
de la PGE2 et notamment le sulprostone dont les modalités précises d'administration
intraveineuse sont écrites dans le protocole de la salle d'accouchement en
raison du risque de complications cardiovasculaires et pulmonaires. Ces prostaglandines
permettent d'obtenir l'arrêt de l'hémorragie dans 93.5 % des cas. Les
échecs de ce traitement sont surtout observés lorsque la perfusion est
administrée tardivement. En effet, le risque d'échec des prostaglandines
est multiplié par 8 si le délai entre le début de l'atonie et le
début de la perfusion est supérieur à 30 min (2).
L'utilisation de misoprostol à
la dose de 1000 microgrammes en intra rectal a été décrite comme
capable d'arrêter l'hémorragie en 3 mn dans une série de 14 cas (3).
L'excellente tolérance de ce médicament en fait un bon candidat, actuellement
non validé, pour la prise en charge des hémorragies de la délivrance.
En cas d'échec des traitements médicamenteux, il
faudra avoir recours aux techniques invasives, chirurgicales ou radiologiques
L'intérêt du traitement chirurgical
est discuté par les partisans de l'embolisation et inversement. Les plus chirurgicaux
des obstétriciens arguent essentiellement de la place incontournable de la
chirurgie dans les hémorragies gravissimes avec troubles hémodynamiques
empêchant le transport de la patiente dans la salle plus ou moins lointaine
d'embolisation; ils oublient souvent de dire qu'ils n'ont pas su ou pu organiser
une garde opérationnelle de radiologie interventionnelle qui aurait permis
d'éviter certaines laparotomies excessives. Les plus favorables à l'embolisation
arguent d'une technique moins invasive et plus conservatrice avec d'excellents résultats
; ils excluent naturellement de leurs séries les patientes qui n'ont pas pu
parvenir jusqu'à la salle de radiologie qu'elles qu'en soient les raisons et
leurs résultats ne sont donc pas représentatifs de l'ensemble des hémorragies
graves. La vérité est certainement entre les deux et la place de ces deux
types de prise en charge devra être discutée.
1 - La ligature des pédicules
utérins se réalise par laparotomie. Elle consiste à lier les pédicules
utérins de chaque côté au fils résorbable. L'aiguille sertie
passe dans l'épaisseur du myomètre à hauteur du segment inférieur
après ouverture du péritoine vésico-utérin. Les vaisseaux utérins
sont ainsi cravatés par la ligature. La technique est très simple et rapide.
O'Leary a publié ses résultats en 1995 et fait état de plus de 95
% de succès (4).
2 - Le procédé de Tsirulnikov
est également simple et rapide à réaliser par laparotomie (5). Il
consiste à ligaturer au fils résorbable les trois voies principales d'apport
sanguin à l'utérus : les artères utéro-ovariennnes, les artères
des ligaments ronds et les artères utérines. Elle est dépourvue de
complications spécifiques du fait de sa simplicité extrême. Elle
est réalisable en moins de 5 minutes en réalisant à l'aiguille sertie
6 nœuds passés de chaque côté autour du ligament rond, autour du
pédicule utéro-ovarien sous la trompe en prenant vaisseaux et ligament
utéro-ovarien et enfin autour du pédicule utérin en tractant l'utérus
vers le haut et le dedans, en prenant l'épaisseur du myomètre à hauteur
du segment inférieur, à travers la pars flacida ou après ouverture
du péritoine vésico-utérin. Salah fait état d'une efficacité
de l'ordre de 80 à 90 % des cas (6).
3 - La ligature progressive des
pédicules afférents de l'utérus est une attitude intermédiaire
où l'on commence par faire la ligature d'une artère utérine puis,
si besoin, de l'autre puis, toujours si besoin, par faire une ligature basse des
deux artères utérines, enfin par une ligature d'un puis du deuxième
pédicule utéro-ovarien. La ligature basse des artères utérines
nécessite un décollement vésico-utérin poussé vers le bas.
Ce décollement est toujours très facile dans le contexte de grossesse.
La prudence est de palper entre l'uretère deux doigts avant de passer le fils
serti. Le point est placé 2 ou 3 cm plus bas que la précédente ligature
utérine. Salah a publié ses résultats avec 100 % d'efficacité.
Les taux de succès sont de 9 % après ligature d'une artère utérine,
de 83 % après ligature de la deuxième, de 87 % après ligature basse
des pédicules utérins, de 94 % après ligature d'un pédicule
utéro-ovarien et de 100 % après ligature du deuxième (6).
4 - La ligature des artères
hypogastriques est une technique plus lourde qui donne des résultats moins
satisfaisants qu'attendus puisque seulement 42 % de succès ont été
observés par certains auteurs (7). Elle est efficace essentiellement dans les
atonies utérines, peu efficace dans les placentas accreta et inefficace dans
les ruptures utérines. Elle consiste à aborder les vaisseaux iliaques,
à individualiser les artères iliaques internes qui seront liées au
fils résorbable. Il faut d'abord ouvrir le péritoine en regard de l'artère
iliaque externe, dans l'axe des vaisseaux. Le péritoine est décollé
vers le haut jusqu'à la bifurcation iliaque. Le repérage de l'artère
hypogastrique est suivi d'une dissection prudente entre l'artère et la veine
hypogastrique. Cette dissection n'est pas dangereuse si l'on prend soin de bien
pénétrer dans la gaine de l'artère. Il faut alors passer un dissecteur
d' O'Shaugnessy entre artère et veine pour passer un fils résorbable autour
de l'artère. Le serrage du nœud permet l'occlusion de l'artère hypogastrique.
Des complications sont possibles à type de plaie de la veine hypogastrique,
d'ischémie périnéale transitoire. L'efficacité est retrouvée
très variable selon les auteurs : 100 % de succès pour Fernandez, 43 %
pour Evans, 42 % pour Clark (7-9). La disparité de ces résultats peut
s'expliquer par des indications différentes, par des techniques différentes
en fonction de la hauteur de la ligature de l'artère hypogastrique. Classiquement,
une ligature sous-jacente au tronc postérieur de l'hypogastrique, c'est à
dire ne concernant que le tronc antérieur, serait grevée de moins d'échec.
5 - La technique de B-Lynch consiste
à effectuer un « empaquetage » de l'utérus dans une
seule suture résorbable nouée en avant sur le segment inférieur,
sous l'incision d'hystérotomie. La suture est passée en bretelles de pantalon
sur les épaules que forment les parties droites et gauches du fond utérin.
Elle est décrite par son auteur comme une alternative à la ligature étagée,
plus efficace qu'elle en cas de saignement diffus (10).
6 - La technique de capitonnage
utérin utilisée par L Boubli consiste à effectuer une série
de 2 ou 3 points en U, transfixiant les parois antérieures et postérieures
de l'utérus. Leur serrage induit une application l'une contre l'autre des faces
antérieures et postérieures de la cavité utérine. Cette technique
serait efficace dans les saignements diffus en réalisant une hémostase
par compression.
7 - L'hystérectomie d'hémostase
est la solution radicale ultime. 50 % des indications concernent les ruptures utérines,
25 % les atonies utérines non contrôlées par les prostaglandines,
18 % des indications par les placentas praevia et accreta. L'hystérectomie
totale est plus employée que l'hystérectomie subtotale. Cette dernière
plus rapide et facile est à réserver aux grandes urgences vitales.
8 - L'embolisation artérielle
est une technique de radiologie interventionnelle utilisée soit en prévention
en cas de haut risque identifié d'hémorragie (placenta accreta notamment)
soit, le plus souvent, en traitement d'urgence de l'hémorragie obstétricale
(11). Le cathétérisme, fémoral et unilatéral le plus souvent,
permet d'aborder les vaisseaux hypogastriques de façon sélective et, si
besoin, de descendre de façon hyper sélective dans les branches du tronc
antérieur (utérines et vaginales). Dans 50 % des cas environ, l'artère
cervico-vaginale naît de l'artère utérine. C'est la raison pour laquelle
l'embolisation de l'artère utérine est le plus souvent efficace. Les taux
de succès rapportés en traitement curatif de l'hémorragie sont régulièrement
très bons, supérieurs à 90 % (11, 12). En cas d'échec, une chirurgie
reste possible. La définition du succès est cependant variable d'une publication
à l'autre, certains auteurs évaluant le taux d'arrêt définitif
du saignement, d'autres le taux d'amélioration des troubles de la coagulation.
Des complications peuvent survenir ; une des plus ennuyeuses est la dissection de
l'artère cathétérisée. L'embolisation artérielle nécessite
une organisation rigoureuse, possible dans certains centres seulement, ce qui la
rend accessible à une faible minorité de patientes. Elle ne peut pas être
mise en œuvre dans les formes les plus graves et brutales d'hémorragies où
l'état hémodynamique des patientes empêche leur transport en sécurité
en salle de radiologie interventionnelle. Le décès de la patiente en cours
de transport vers la salle de radiologie serait la complication la plus néfaste
au développement de la technique d'embolisation des formes graves d'hémorragie
de la délivrance. Cette complication n'a jamais été publié jusque
là.
Conclusion
La prise en charge des hémorragies graves
de la délivrance repose avant toute chose sur une excellente organisation de
la prise en charge médicale pluridisciplinaire immédiate. Cette prise
en charge médicale optimale est la clé du succès ; elle doit permettre
de résoudre médicalement la très grande majorité des hémorragies
et de n'amener à la chirurgie ou à l'embolisation qu'une faible proportion
de patientes. Nous aurons à discuter ouvertement de la place respective de
chacune de ces deux modalités de prise en charge invasive.
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