Chapitre 3
Dilatations abdomino-pelviennes dans une affection
génétique
M. LE MERRER
Les dilatations abdomino-pelviennes
découvertes inopinément au cours d'une grossesse posent le
problème de leur étiologie et du pronostic vital. Certaines de
ces affections sont chirurgicalement curables, mais leurs
conséquences in utero peuvent être si sévères que
l'interruption de grossesse peut être indiquée. De plus, elles
peuvent s'inscrire dans un contexte plus général,
polymalformatif ou génétique dont les conséquences peuvent
être importantes et doivent être prises en compte rapidement.
Il est impossible dans un exposé d'être exhaustif, mais il est
important de ne pas méconnaître les principales étiologies
pour lesquelles il existe une composante génétique et donc un
risque de récurrence.
Les dilatations abdomino-pelviennes se
répartissent en trois grands groupes : les dilatations
digestives, les dilatations urinaires, les anomalies génitales.
Bien entendu, elles peuvent être un signe d'appel d'un syndrome
chromosomique.
I les anomalies chromosomiques
Quel que soit l'aspect échographique, les
dilatations digestives imposent le caryotype foetal. L'atrésie
duodénale est bien connue pour être fréquente dans la trisomie
21 et, sans être simplificateur, il est clair que le nombre de
ces dilatations peuvent être la conséquence de syndromes
polymalformatifs chromosomiques qu'il est inutile de détailler
plus car très variés.
Ainsi, une étude de ML Briard sur 2 050
diagnostics prénatals de malformations a montré que 9,6%
concernaient des malformations digestives. D'autre part, la
fréquence des anomalies chromosomiques reste élevé puisque de
27,4% pour les sténoses duodénales isolées et de 33,3% pour
l'ensemble des dilatations digestives, lorsque celles-ci sont
associées à une autre malformation. Ces chiffres sont moindres
pour les dilatations urinaires, mais justifient que le caryotype
foetal soit systématique quelle que soit la dilatation
abdomino-pelvienne.
II les dilatations digestives
En l'absence d'anomalie chromosomique
démontrée, l'angoisse habituelle est de méconnaître une
mucoviscidose. Cependant, les obstacles du grêle (MC Aubry)
représentent 1/330 à 1/1 500 accouchement. La plupart d'entre
elles sont isolées, touchant aussi bien l'iléon que le
jéjunum. La forme particulière de "Appel peel
syndrome" ou intestin en colimaçon constitue une affection
récessive autosomique très exceptionnelle.
Sur une enquête maintenant ancienne, sur 117
proposants vus à l'Hôpital des Enfants Malades pour une
atrésie du grêle, ML Briard et al avait montré que 7,7%
d'entre eux étaient atteints d'une mucoviscidose. La dilatation
digestive est le plus souvent associée alors à d'autres signes
évoquant une péritonite méconiale (ascite, hydramnios,
densités abdominales). Il serait cependant très faux de penser
que les péritonites méconiales sont synonymes de mucoviscidose
(- de 2% des cas). En revanche, devant une dilatation digestive
en amont d'une hyperéchogénécité, on ne peut éliminer une
fibrose kystique du pancréas. Nous disposons pour éliminer
cette hypothèse au demeurant peu probable de l'étude des
enzymes digestives (F Muller) à la condition d'un diagnostic
avant 20 semaines. Au-delà de cette date ou si les enzymes
digestives sont basées, nous disposons maintenant d'étude
moléculaire du gène de la mucoviscidose CFTR. La mise en
évidence de deux mutations de ce gène permet d'affirmer le
diagnostic, mais leur absence ne permet pas de l'informer dans la
grande majorité des cas. Cependant, on peut en recherchant les
onze mutations les plus fréquentes dont bien sûr dF508
dépister plus de 85% des gènes mutés et donc trois
mucoviscidoses sur quatre.
III les dilatations urinaires
Elles sont fréquentes et là encore le conseil
génétique dépend de l'association malformative ou de
l'anomalie.
Les mégavessies sont fréquentes
le plus souvent associées à d'autres malformations et liées à
une sténose urétrale. Les conséquences en sont sévères
souvent sur le plan pronostic rénal.
L'association "Prune Belly", ou
syndrome de ventre en pruneau est caractérisée par
l'association d'une mégavessie, de mégauretère, d'une sténose
urétérale, d'une hypoplasie des muscles de l'abdomen dont on
ignore encore s'il s'agit d'une conséquence de la dilatation ou
d'un signe associé. La plupart des cas sont sporadiques et
atteignent plus volontiers le garçon. Cependant, une observation
personnelle et deux cas de la littérature évoquant une
affection récessive liée au sexe (dominante autosomique à
expression modifiée par le sexe) nous conduit à un certaine
prudence. Ce mode de transmission semble également devoir être
retenu dans la pentalogie de Cantrell.
Les pathologies obstructives urinaires
sont très polymorphes.
Une enquête de Bois avait montré que le
pourcentage de cas familiaux différait notablement selon qu'il
s'agissait d'une pathologie haute (16,6%) ou basse (3%). Le
reflux vésico-urétéral est rarement familial (3%) alors que
l'hydronéphrose peut avoir un caractère familial (10%). Un
point particulier est celui des duplications des urétères
qui sont fréquemment dominantes autosomiques.
Ces pathologies obstructives s'observent
fréquemment dans un contexte polymalformatif, en particulier
s'associant à des anomalies loco-régionales (régression
caudale). L'exstrophie vésicale touche plus souvent
le garçon, exceptionnellement familiale, peut s'associer au
syndrome OEIS (omphalocèle, exstrophie vésicale,
imperforation anale et spina bifida) d'origine embryopathique
probable (cordon court).
L'anomalie de la régression caudale qui
inclut une agénésie sacrée, une atteinte digestive basse
(imperforation anale) et génitale a rarement un caractère
familial. Quelques cas dominants autosomique ont été rapportés
(Plauchu), mais l'élément le plus frappant est la fréquence
élevée de diabète maternel à l'origine de cet ensemble
malformatif.
Cette association malformative peut se
compléter de malformation digestive (atrésie de l'oesophage),
cardiaque, vertébrale et radiale pour constituer une entité
plus large, l'association VACTERL, toujours sporadique, sauf
lorsqu'elle s'associe à une sténose de l'aqueduc de Sylvius et
une hydrocéphalie (alors récessive autosomique).
L'association CHARGE peut également se
compliquer de dilatation urétérale (colobome, malformation
cardiaque, atrésie choanale, retard de croissance, anomalie
génitale, anomalie de l'oreille et surdité) et est le plus
souvent sporadique.
Enfin, un point particulier est celui du
syndrome de Schinzel Giedion (Labrune) qui associe une
encéphalopathie convulsivante sévère, une dysmorphie et des
anomalies osseuses de diagnostic difficile, se révèle souvent
par une hydronéphrose in utero, sans autres signes
échographiques très francs. Le mauvais pronostic de cette
affection rare dépistable uniquement par une dilatation
abdomino-pelvienne fréquente la rend redoutable. Il s'agit d'une
affection récessive autosomique.
IV les dilatations abdomino-pelviennes par
anomalies génitales
Les kystes ovariens n'ont pas de déterminisme
génétique particulier. En revanche, devant un hydrométrocolpos
(atrésie vaginale), on évoquera soit une anomalie
loco-régionale le plus souvent sporadique. Si
l'hydrométrocolpos est associée à une polydactylie post-axiale
et une malformation cardiaque, le diagnostic de syndrome de Mc
Kusick Kaufmann sera évoqué. Il s'agit d'une affection
récessive autosomique. Dans d'autres syndromes (Bardet-Biedl,
Ellis van Creveld), également récessifs autosomiques, une
anomalie semblable a été montrée.
Au terme de ce catalogue non exhaustif, il faut
insister sur la nécessité de mettre en oeuvre tous les moyens
possibles pour le diagnostic précis de l'affection, sans lequel
le conseil génétique ne peut être fiable.
D'autre part, de ces informations cliniques,
radiologiques, histologiques et génétiques, dépend souvent la
mise en oeuvre d'un diagnostic anténatal.
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Martine LE MERRER Hôpital Necker, Département de
Pédiatrie, Service de Génétique Médicale, 149 rue de
Sèvres 75743 Paris Cedex 15
:
JOURNÉES DE TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET
PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 12 - 19 Janvier 1995
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