Chapitre 2
Nosologie des dilatations abdominales foetales
A.L. DELEZOIDE ET M. VEKEMANS
introduction
Décrire les différentes lésions pouvant se
manifester in utero par une dilatation abdominale à contenu
liquidien (on élimine d'emblée les anses digestives
hyperéchogènes), revient à effectuer un catalogue d'anomalies
concernant les différents appareils installés en position
sous-diaphragmatique: urinaire, digestif, et génital sans
oublier les surrénales. Cette énumération, même si elle se
base sur une expérience de foetopathologiste, restera cependant
assez théorique : en effet toutes les pathologies sténosantes
et/ou donc "dilatantes" que l'on va décrire ne
"parlent" pas avec la même fréquence ou intensité in
utero: aussi, ces distinctions dépassant notre propre
compétence, notre éventail de lésions sera t-il peut être un
peu trop large, par rapport à ce qui peut être réellement
dépisté in utero.
I dilatation abdominale et appareil urinaire
Il est indéniable que c'est l'appareil
urinaire dont les malformations donnent le plus de dilatations
liquidiennes abdominales : c'est du moins les malformations
"kystisantes", abdominales ou rétropéritonéales qui
apparaissent les plus fréquentes dans les séries
foetopathologiques. Les malformations en cause sont de deux
types, les néphropathies et les uropathies.
1. Parmi les néphropathies, seules celles formant des reins
macrokystiques nous intéressent ici : ce qui élimine en
particulier les polykystoses infantile (récessive autosomique)
ou de type adulte (dominante autosomique) qui se manifestent par
de gros reins hyperéchogè-nes. Entrent donc dans notre sujet:
- essentiellement, la dysplasie
multikystique : caractérisée par un rein de volume
variable, hypoplasique ou très volumineux, déformé par de
volumineux kystes qui lui donnent un aspect de grappe de raisin,
elle peut être bilatérale ou unilatérale ou même simplement
focale.
- plus rarement, les reins kystiques des
syndromes polymalformatifs.
Plusieurs syndromes polymalformatifs d'origine
génétique reconnue ou non s'accompagnent de reins
macrokystiques syndrome de Meckel, de d'Agostino-Golston, de
Zellweger, d'Ivemark II ...)
Le plus souvent cependant, ils se manifestent
plutôt comme des reins hyperéchogènes au sein desquels on peut
observer quelques images kystiques. A ces formes, on peut ajouter
les anomalies chromosomiques qui peuvent s'accompagner de reins
kystiques souvent de façon focale et microscopique (rein
hyperéchogène), ou de façon diffuse simulant une dysplasie
multikystique (trisomies 13 et 18, en particulier).
- les kystes simples, séreux du rein
sont exceptionnels en période anténatale.
2 - Les uropathies ou dilatations des voies excréto
urinaires prennent probablement la plus grande part des images
liquidiennes intra-abdominales décelées chez le foetus.
Les plus fréquentes d'entre elles sont les
mégavessies. Associées généralement à un retentissement
sur le haut appareil (distension urétérale et pyélique), elles
traduisent l'existence d'un obstacle sous-vésical. Dans notre
expérience de foetopathologistes (qui comporte un biais de
recrutement des lésions les plus graves, délétères pour la
fonction rénale), les lésions les plus souvent en cause chez le
garçon ne sont pas des valves de l'urètre de postérieur (7/20
obstacles sous-vésicaux observés chez les foetus masculins),
mais des atrésies complètes de l'urètre membraneux (10 cas).
Celles-ci sont alors rarement isolées (4 cas), le plus souvent
associées à d'autres malformations (3 artères ombilicales
uniques, 1 agénésie partielle du sacrum, 2 cardiopathies). Il
semble d'autre part exister chez le foetus mâle des mégavessies
neurologiques, sous lesquelles on ne retrouve aucun obstacle
anatomique, mais un rétrécissement progressif de l'urètre.
Nous en avons observé 3 exemples (1 trisomie 13, 1 trisomie 18,
1 syndrome létal des ptérygiums multiples avec lésions des
cornes antérieures de la moelle épinière).
Chez la fille, les mégavessies ne sont dans
notre expérience, jamais liées à un obstacle urétral simple
mais associées à des malformations loco-régionales complexes
de type dysgénésie caudale (avec souvent atrésie rectale et
hydrométrocolpos), entrant parfois dans le cadre d'une
association VACTERL.
Les dilatations urétérales à vessie
normale peuvent correspondre :
- à un obstacle situé à la jonction
urétéro-vésicale, associé alors souvent à une
urétérocèle. Il peut s'agir d'un uretère simple mais plus
souvent d'une duplication pyélo-urétérale. L'uretère du
pyélon supérieur s'implante dans la vessie, en aval de
l'uretère du pyélon inférieur: cette implantation anormale
crée un obstacle sur l'écoulement de l'urine, qui peut retentir
sur le calibre de l'uretère et la fonction du pyélon
supérieur.
- un reflux vésico-urétéral :
rarement vu en période anté-natal, il est d'emblée grave si
l'uretère est dilaté ; en cas de duplication urétérale, il
peut être témoin d'une mal implantation de l'uretère du
pyélon inférieur.
- un méga-uretère par
dysfonctionnement de la portion paravésicale de l'uretère, qui
ne se contractant pas, s'oppose à la propulsion de l'urine; la
partie basse de l'uretère a alors l'aspect classique en
"queue de radis".
Les dilatations pyéliques isolées sont
physiologiques si elles sont modérées, entre 20 et 24 SA ;
elles seraient liées à un excès de la croissance relative des
uretères par rapport à celle du foetus : ceux ci deviennent
alors tortueux ce qui pourrait avoir pour conséquence une
certaine stase urinaire pyélique. Une image comparable semble
pouvoir être observée lorsque les mères prennent de fortes
doses de progestérone. La dilatation pyélique malformative est
liée à une anomalie de la jonction pyélourétérale : mauvaise
implantation de l'uretère dans le bassinet avec anomalie de la
disposition musculaire, créant un obstacle fonctionnel
incomplet.
II dilatations abdominales et appareil digestif
Elles comprennent les atrésies et sténoses de
l'intestin : duodénum, intestin grêle, colon, ou région
rectoanale ainsi que de rares duplications digestives kystiques
et des anomalies hépatiques.
1. Atrésies et sténoses digestives. Les dilatations
digestives qu'elles entraînent apparaissent d'autant plus tard
que l'obstacle est bas situé :
- atrésie ou sténose duodénale : elle est
située au niveau du deuxième duodénum et s'associe volontiers
à un pancréas annulaire. Elle est la sténose digestive la plus
fréquemment observée dans la trisomie 21.
- atrésie du grêle : plus fréquente que
l'obstacle duodénal, elle siège essentiellement entre le
jéjunum et l'iléon moyen. Elle se présente sous 4 formes
anatomiques avec une corrélation anatomo-étiopathogénique
intéressante:
- le type I correspond à la présence d'un
diaphragme muqueux, probablement dû à un défaut de
reperméabilisation de l'intestin, au cours de l'organogenèse ;
cette forme est souvent étagée et dans ce cas, familiale
(transmission récessive autosomique).
- le type II est l'atrésie cordonale avec
mésentère continu.
- le type III est l'atrésie totale avec
interruption de la continuité du conduit digestif, et defect
mésentérique.
Les types II et III sont généralement
isolés, sporadiques, considérés comme des anomalies clastiques
(embryo-foeto-pathie, lésion vasculaire).
- Le type IV est l'intestin en colimaçon ou en
queue de cochon, ou "apple peel syndrome", dû à
l'occlusion de l'artère mésentérique supérieure avec un
risque de transmission récessive autosomique.
- atrésie colique : beaucoup plus rare que
l'atrésie du grêle, elle a les mêmes formes anatomiques et
pathogéniques et on ne peut échographiquement les distinguer.
La maladie de Hirschsprung, qui crée une obstruction
fonctionnelle colique peut également se manifester in utero par
des images de dilatation digestive.
- atrésie recto anale : cette malformation
donne rarement lieu à une dilatation recto sigmoïdienne
permettant de la dépister. Les formes basses de bon pronostic
sont des malformations superficielles des bourrelets périnéaux.
Les formes hautes correspondent à des anomalies du
cloisonnement frontal du cloaque embryonnaire: elles sont souvent
associées à des fistules recto urétrales chez le garçon,
recto vaginales chez la fille. Les formes avec fistule
perméable, plus fréquentes chez la fille, n'entraînent en
règle pas de retentissement d'amont. Seules les formes non
communicantes, apanage du garçon, créent des dilatations
digestives. Par contre chez la fille, cette anomalie peut
s'intégrer dans un processus malformatif plus complexe par
persistance d'un cloaque indivis avec fistule entre le rectum et
le sinus urogénitale: la fistule rectale s'abouche souvent au
niveau d'un vagin atrétique implanté dans le sinus urogénital
qui présente, juste à ce niveau, une atrésie totale : il
s'en suit une distension globale uro-génito-digestive sus
jacente avec une megavessie, un hydrométrocolpos et une
dilatation recto sigmo dienne. Cette malformation évolue souvent
spontanément vers une péritonite méconiale in utero. A noter
qu'une péritonite méconiale ancienne peut donner des images
liquidiennes cloisonnées, voire pseudo kystiques difficiles à
distinguer, à l'examen échographique, d'anses intestinales
distendues.
2. Duplications digestives :
il s'agit de formations kystiques ou tubulaires isolées dont
la paroi reproduit la structure de la paroi digestive et qui
siègent le long du tractus digestif, soit en position
intra-pariétale soit en position intra- mésentérique. Elles
peuvent se manifester échographiquement quand elles sont
volumineuses, kystiques (donc sans communication avec la lumière
digestive), et de situation intra mésentérique. Plus de la
moitié siègent au niveau du grêle, principalement au niveau de
l'iléon terminal. Ces duplications digestives se rapprochent,
sur le plan sémiologique, des kystes du canal
omphalomésentérique (diverticule de Meckel kystique).
3. Anomalies hépatiques : une formation liquidienne située
dans l'hypochondre droit peut correspondre à plusieurs lésions
:
- si elle est isolée, ce peut être une
grosse vésicule biliaire sans contexte pathologique, ou un
kyste solitaire du foie, ou un kyste du canal cholédoque :
cette malformation est liée à un déficit du sphincter
Vatérien qui crée un reflux biliaire dans la partie proximale
du canal cholédoque entraînant sa transformation kystique.
- si ces formations sont multiples, on peut
évoquer un lymphangiome hépatique ; on a décrit
également en région abdominale plus centrale, des
lymphangiomes du mésentère prenant la forme de dilatations
multiples difficiles à distinguer d'anses digestives.
III anomalies génitales :
Les dilatations kystiques d'origine génitale
se voient essentiellement chez la fille.
Ce sont le plus rarement les hydrocolpos
médians uniques ou sous forme de deux cornes utérines dilatées
: ils sont liés à une atrésie du vagin, le plus souvent dans
un contexte de persistance d'un sinus urogénital.
Les kystes de l'ovaire : se sont des
images arrondies, d'apparition tardive (fin du 3ème trimestre)
non évolutives parfois très volumineuses (jusqu'à 10 cm et
plus). Ils correspondent presque toujours (80%) à des follicules
kystiques dont le développement est physiologique à la fin de
la grossesse (à l'autopsie on retrouve des formations kystiques
ovariennes de plus de 1 cm de diamètre chez environ 1/3 des
filles nouveau-nés), mais qui prennent parfois des proportions
anormales exposant l'ovaire à des complications imprévisibles :
ischémie compressives du parenchyme, torsion de l'annexe avec
possibilité de rupture du kyste tordu, de nécrose
tubo-ovarienne et même d'occlusion sur bride secondaire. Ces
complications fréquentes en période post-natale peuvent être
cliniquement muettes. Plus rarement ces formations ont une
structure tumorale : cystadénome séreuse ou tératome, parfois
malin.
IV formation kystique suprarénale : l'hématome de la
surrénale.
L'hématome de la surrénale se manifeste comme
une formation liquidienne kystique supra rénale (hématome
récent) qui évolue vers une structure hétérogène en 3 à 5
jours (caillots), qui redevient liquidienne en une quinzaine de
jours et parfois régresse en se calcifiant plus ou moins. Cette
lésion est souvent concomitante de phénomènes thrombotiques
localisés à la veine cave inférieure ou à la veine rénale
homolatèrale. En l'absence de tels phénomènes, et si
l'évolution de la collection liquidienne parait atypique, sans
liquéfaction secondaire ou régression ou calcification, on peut
évoquer la deuxième cause de ces images surrénaliennes, les
neuroblastomes. Ces neuroblastomes in situ sont de bon pronostic
et régressent souvent spontanément en période postnatale.
conclusion
Ce catalogue, (auquel il convient de ne pas
manquer d'ajouter le raton-laveur) a tenté de faire le tour de
toutes les images kystiques liquidiennes observées sous le
diaphragme.
Il est clair que le diagnostic étiologique de
telles lésions dépend de la connaissance de leur anatomie mais
surtout de tout un ensemble sémiologique qui n'a pu être
abordé ici.
Anne-Lise DELEZOIDE
Unité d'Embryofoetopathologie - Service
d'Histo-Embryologie et de Cytogénétique, Michel VEKEMANS
Hôpital Necker Enfants-Malades, Paris
: JOURNÉES DE TECHNIQUES AVANCÉES EN
GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France
12 - 19 Janvier 1995
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