Le
vaccin pneumococcique
Robert
Cohen
Service
de Microbiologie, CHI Créteil
Jusqu'à
une période récente le seul vaccin disponible contre le pneumocoque,
était un vaccin polysacharidique 23 valences. Ce vaccin s'il avait un
intérêt pour les drépanocytaires, aspléniques et
autres sujets à risque présentait un défaut majeur : il
était inefficace avant l'âge de 2 ans, âge ou les infections
pneumococciques sont les plus fréquentes. Un vaccin pneumococcique conjugué
comportant 7 valences, efficace dès les premiers mois de vie, est disponible
dans les pharmacies depuis quelques mois. Ce vaccin, coûteux, non remboursé
pour l'instant, est indiscutablement efficace et a un impact majeur sur l'incidence,
l'épidémiologie de la plupart des maladies infectieuses pédiatriques
et doit inviter à redéfinir les attitudes thérapeutiques
dans nombre de ces infections.
Rôle
du pneumocoque en pathologie infectieuse pédiatrique
Streptococcus
pneumoniae est la principale bactérie responsable d'infections en
pédiatrie. C'est le premier agent des pneumonies, bactériémies
et septicémies. Pour les otites moyennes aiguës et les méningites,
selon les années et selon les études, le pneumocoque apparaît
comme la première ou la deuxième bactérie en cause ; enfin,
ce germe est impliqué dans de nombreuses infections plus ou moins sévères
et plus ou moins fréquentes, allant des sinusites à la péritonite
primitive en passant par les cellulites, les mastoïdites ou les ostéo-arthrites
[1].
L'ensemble des enfants de moins de 3 ans ont environ dix fois plus de risque,
par rapport à leurs aînés, de présenter des infections
pneumococciques systémiques. De plus, les enfants gardés en crèche
ou ayant des antécédents d'otites ou d'antibiothérapies
récentes ont un risque un peu plus important, multiplié par 2
ou 3 [2]. Enfin, certains enfants sont plus à risque d'infections pneumococciques
systémiques, au premier rang desquels se trouvent les drépanocytaires
et les aspléniques, mais aussi toute une série de situations pathologiques
comme les cancers, transplantations médullaires ou d'organes solides,
atteintes cardio-pulmonaires chroniques, les sujets infectés par le VIH,
les syndromes nephrotiques, les prématurés, les déficits
[3]. Il faut souligner que l'existence d'une pathologie sous jacente n'est fréquemment
retrouvée que chez les enfants plus âgés en particulier
après l'âge de 5 ans. S'il n'existe pas d'étude démontrant
l'efficacité clinique des vaccins pneumococciques conjugués chez
ces différents groupes de patients, plusieurs études montrent
que la réponse sérologique suivant l'administration de PrevenarÒ
chez les drépanocytaires, est comparable à celle des enfants sans
pathologie sous-jacente [4]. Quand on connaît la gravité des infections
pneumococciques chez les drépanocytaires et aspléniques, ces enfants
représentent une cible privilégiée pour la vaccination.
Le pneumocoque a une autre particularité : c'est, en France, la bactérie
qui pose le plus de problème de résistance aux antibiotiques,
touchant toutes les familles d'anti-infectieux d'usage courant (beta-lactamines,
macrolides, sulfamides…) [5].
Sérotypes
et sérogroupes de pneumocoque
Plus
de 90 sérotypes de pneumocoques (reconnus par des anticorps différents)
ont été décrits. Certains d'entre eux sont très
proches et sont regroupés en sérogroupes. Ainsi, il n'y a qu'un
seul sérotype 14 mais le sérogroupe 6 comporte 2 sérotypes,
6A et 6B. L'immunisation contre l'un des deux sérotypes induit une certaine
protection contre l'autre. Les souches les plus virulentes, celles qui étaient
responsables des infections les plus fréquentes et les plus graves chez
l'adulte et le grand enfant, ont été les premières à
être identifiées et donc les premières à être
numérotées (1,2,3…), elles sont rarement retrouvées
en portage. Par contre, chez le nourrisson dans les pays industrialisées,
ce sont des sérogroupes peu immunogènes (6,9,14,19,23) qui sont
fréquemment retrouvées en portage et dans les infections ORL ou
systémiques.
De plus, depuis que la résistance aux antibiotiques est devenue un problème,
l'immense majorité des souches résistantes appartiennent à
ces 5 sérogroupes. En effet, si certains sérotypes sont le plus
souvent résistants aux antibiotiques, pour d'autres, la résistance
est un phénomène mineur voire absent. Le tableau 1 donne schématiquement,
d'après les données du centre de référence, la probabilité
d'être en présence d'une souche intermédiaire ou hautement
résistante à la pénicilline [5].
Le vaccin comporte les sérotypes 6B, 9V, 14, 19F, 23 F, plus les sérogroupes
4 et 18C. Le vaccin est donc bien adapté en terme de sérotype
à la situation épidémiologique française : plus
de 80 % des souches impliquées avant 3 ans et 90 % des souches résistantes
aux antibiotiques [5].
Schéma
vaccinal
Avant
6 mois, 3 injections à un mois d'écart minimum sont nécessaires,
avec un rappel dans la deuxième année. De 6 à 12 mois,
le nombre d'injection peut être réduit à 2, suivi d'un rappel
dans la deuxième année. Enfin, si la vaccination a débuté
après un an, une injection suivie d'un rappel sont suffisants.
Outre son efficacité dès la première année de vie,
le fait que ce vaccin soit " conjugué " permet d'induire une
mémoire immunitaire prolongée et le rappel effectué par
un vaccin polysaccharidique classique suscite des taux d'anticorps comparables
au vaccin conjugué, laissant entrevoir une diminution du coût de
l'ensemble du schéma vaccinal [6]. Il faut d'ailleurs souligné
que la réponse au vaccin polysaccharidique classique n'était mauvaise
chez le nourrisson, que pour certains sérogroupes contenu dans le vaccin
conjugué (6,14,23). Le rappel avec un vaccin polysaccharidique aurait
l'avantage d'augmenter le nombre de sérogroupes pour lequel l'enfant
serait protégé.
Efficacité
du Prevenar®
Deux
larges études ont démontré la tolérance et l'efficacité
clinique de ce vaccin et précisé aussi ses limites.
La première étude, réalisée en Californie, a inclus
près de 40.000 enfants, a comparé, en double insu, un groupe d'enfants
vaccinés par le Prevenar® et un groupe contrôle recevant un
vaccin méningoccique conjugué sérogroupe C [7]. Le tableau
2 donne les pourcentages d'efficacité du vaccin par rapport au groupe
témoin. Sur une période de surveillance de 4 ans, six infections
systémiques à pneumocoque sont survenues dans le groupe vacciné
versus 55 dans le groupe témoin.
Il apparaît donc très efficace (>90 %) en ce qui concerne les
infections systémiques, efficace dans les pneumonies (30 à 70
%), modestement efficace (moins de 10 %) dans la réduction du nombre
d'otites.
La deuxième étude, réalisée en Finlande, s'est intéressée
plus particulièrement aux OMA [8]. Elle a inclus plus de 1600 enfants
et a comparé en double insu un groupe d'enfants vaccinés par le
Prevenar® et un groupe contrôle recevant un vaccin hépatite
B. Chaque épisode d'OMA a été contrôlé par
une paracentèse afin d'en déterminer l'origine. Le tableau 3 donne
les principaux résultats de l'étude.
L'efficacité du vaccin est nettement moins bonne sur les OMA que sur
les autres infections pneumococciques. Pour le sérotype 19 F elle est
même nettement inférieure (moins de 25%), bien que le vaccin suscite
un taux d'anticorps élevé contre ce sérotype.
D'autres études ont révélé d'autres intérêts
des vaccins pneumococciques conjugués. Dagan, dans une étude comparant
un groupe d'enfants vaccinés par un vaccin anti-pneumococcique 9-valent
et un groupe recevant un placebo, a montré que l'ensemble des infections
respiratoires hautes et basses étaient moins fréquentes chez les
enfants vaccinés et qu'ils recevaient moins souvent des antibiotiques
(Tableau 4) [9]. La diminution directe des prescriptions antibiotiques induite
directement par le vaccin (par diminution de la pathologie) est modeste. Par
contre, associé à une campagne sur un usage plus prudent des antibiotiques,
ce vaccin pourrait contribuer à diminuer la résistance du pneumocoque.
Le même auteur a montré, dans une autre étude, que le portage
des pneumocoques résistants à la pénicilline était
significativement diminué dans la fratrie d'enfants gardés en
crèche et vaccinés par un vaccin pneumococcique conjugué
[10]. Plusieurs études ont montré la bonne immunogénicité
du Prevenar® chez des patients ayant présenté des otites récidivantes
et n'ayant pas répondu au vaccin pneumococcique polysaccharidique [11].
Quand on connaît, depuis l'abandon des antibiothérapies prophylactiques
au long court du fait de la pression de sélection induite, l'absence
total de traitement médical ayant démontré une efficacité
dans cette situation, cette vaccination pourrait rendre des services à
de nombreux patients.
Inconvénients
potentiels du Prevenar®
Si
l'efficacité de ce vaccin ainsi que son intérêt dans la
situation épidémiologique française paraissent évidents,
des inconvénients potentiels peuvent déjà être appréhendés.
Le premier est certainement la pression de sélection exercée par
le vaccin sur les pneumocoques du rhinopharynx ; la diminution du portage des
sérotypes vaccinaux s'accompagne d'une augmentation quasi équivalente
du portage de sérotypes non contenus dans le vaccin. Ceci est parfaitement
démontré dans de nombreuses études. Quelles en sont les
conséquences envisageables ?
Sur la pathologie, des conséquences sont démontrées sur
les OMA mais pas sur les infections systémiques pour l'instant.
Sur la résistance : pour le moment, les sérotypes de remplacement
sont, dans l'immense majorité des cas, sensibles aux antibiotiques. Qu'en
sera-t-il si les antibiotiques continuent à être utilisés
de façon aussi massive qu'ils le sont actuellement ?
La deuxième inquiétude est la compliance en pratique courante.
Ce vaccin ne pouvant être " combiné " (dans la même
seringue) avec les autres vaccins pédiatriques, il va imposer 4 nouvelles
injections dans un programme vaccinal déjà chargé.
Le troisième point est le bénéfice, en apparence modeste,
en terme de mortalité et de séquelles graves. En effet, si le
pneumocoque est un pathogène majeur en pédiatrie, grâce
aux soins apportés aux malades (antibiothérapies, hospitalisations),
en terme de mortalité et de séquelles graves cela représente
relativement peu de patients (quelques dizaines à une centaine). Ces
chiffres sont comparables voire supérieurs à ceux induits par
Haemophilus influenzae sérotype b avant la généralisation
de la vaccination.
Enfin, le dernier point soulevé est la tolérance à large
échelle de cette vaccination. Dans les études ayant conduit à
l'AMM européenne, plusieurs dizaines de milliers de malades avaient été
inclus. La tolérance du vaccin avait été celle attendue
pour des vaccins conjugués : fièvre, réactions locales,
beaucoup plus rarement allergie. Ce type d'étude ne met cependant pas
en évidence des événements indésirables exceptionnels
et inattendus. Des réponses vont rapidement être apportées
car le Prevenar® est déjà commercialisé aux Etats-Unis
depuis un an et demi et plus de 15.000.000 doses ont été semble-t-il
administrées. Ce pays a déjà fait preuve, à l'occasion
de la mise à disposition du vaccin anti-rotavirus, d'une vaccino-vigilance
remarquable qui a conduit au retrait de ce vaccin après quelques mois
d'utilisation à large échelle.
Quelles
stratégies de vaccination pour le Prevenar®
La
situation actuelle paraît incompréhensible. En effet, voici un
vaccin dont l'efficacité et la tolérance ont été
reconnue par une AMM européenne récente, n'est pas remboursé
dans le pays où les enfants entrent en crèche le plus tôt
et où la résistance aux antibiotiques pour cette bactérie
est la plus élevée…
En attendant un remboursement éventuel, 3 stratégies pourraient
être proposées :
- Vaccination de tous les nourrissons ayant la chance de naître dans une
famille aisée,
- Vaccination exclusive des enfants à plus haut risque d'infections sévères
comme les drépanocytaires et aspléniques,
- Vaccination des enfants à " risque moindre " mais plus nombreux
: crèche, otites récidivantes…
REFERENCES
1.
ALPERN E, ALESSANDRINI E, BELL L et al. Occult bacteremia from a pediatric emergency
department : current prevalence, time to detection and outcome. Pediatrics 2000
; 106 : 505-11.
2. LEVINE ML et al. Risk factors for invasive pneumococcal disease in children
: a population-based case control study in North America. Pediatrics, March
1999 ; 103 :3.
3. SCHEIFELE D, ALPERIN S, PELLETIER L, et al. Invasive pneumococcal infections
in Canadian children 1991-1998: Implications for new vaccination strategies.
Clin Infect Dis 2000 ;31 :58-64
4. O'BRIEN K, SWIFT A, WINKELSTEIN J et al. Safety and immunogenicity of heptavalent
pneumococcal vaccine conjugated to CRM197 among infants with sickle cell disease.
Pediatrics 2000 ; 106 : 965-72.
5. GESLIN P. Rapport du centre National de référence du pneumocoque
1997
6. VERNACCHIO L, NEUFELD EJ, MACDONALD K et al. Combined schedule of 7-valent
pneumococcal conjugate vaccine followed by 23-valent pneumococcal vaccine in
children and young adults with sickle cell disease. J Pediatr 1998 ; 133 : 275-8.
7. BLACK S, SHINEFIELD H, FIREMAN B et al. Efficacy, safety and immunogenicity
of heptavalent pneumococcal conjugate vaccine in children. Pediatr Infect Dis
J 2000 ; 19 : 187-95.
8. ESKOLA J, KILPI T, PALMU A et al. Efficacy of a pneumococcal conjugate vaccine
against acute otitis media. New Engl J Med 2001 ; 344 : 403-9.
9. DAGAN R et al. Reduction of resistant pneumococcal nasopharyngeal colonization
in toddlers attending day care centers after vaccination with a 9-valent CRM197
conjugate pneumococcal vaccine. South Africa, 2nd ISPPD 2000.
10. DAGAN R, GIVON-LAVI N, PORAT N et al. Immunization of toddlers attending
day care centers (DCCS) with a 9-valent conjugate pneumococcal vaccine (PncCRM9)
reduces transmission of Streptococcus pneumoniae (Pnc) and antibiotic resistant
S. pneumoniae (R-Pnc) to their young siblings (YS). 40th ICAAC, Toronto, Ontario,
Canada 2000 Abst 687.
11. BARNETT E, PELTON S, CABRAL H et al. Immune response to pneumococcal conjugate
and polysaccharide vaccines in otitis-prone and otitis-free children. Clin Infect
Dis 1999;29:191-5
Tableau
1. Sensibilité à la pénicilline en fonction du sérotype
|
Sensibilité
à la pénicilline
|
Sérogroupes
|
S
|
I
|
R
|
1/3
|
100%
|
0%
|
0%
|
4*
|
100%
|
|
|
9*
|
10%
|
40%
|
50%
|
18* |
100%
|
|
|
14*
|
15%
|
40%
|
35%
|
23*
|
15%
|
20%
|
65%
|
19*
|
45%
|
50%
|
5%
|
6*
|
40%
|
40%
|
20%
|
15
|
30%
|
60%
|
10%
|
NT
|
60%
|
30%
|
10%
|
24
|
65%
|
30%
|
5%
|
17/12/35/21/37
|
90%
|
10%
|
0%
|
Tableau
2. Efficacité du Prevenar® dans l'étude Kaiser
|
%
d'efficacité
|
IC 95
|
Infections
systémiques |
|
|
Sérogroupes
contenus dans le vaccin
|
93,9
|
80-98
|
Toutes
infections pneumococciques
|
89,1
|
74-96
|
Pneumopathies
|
|
|
Radiologique
(toutes anomalies)
|
33
|
6-52
|
Foyer
> ou = 2,5 cm
|
73
|
36-90
|
Otites
(tous épisodes)
|
7
|
4-10
|
Otites
récidivantes
|
9,5
|
3-15
|
Pose
d'aérateurs transtympaniques |
20
|
2-35
|
Tableau
3. Efficacité du Prevenar® sur les OMA dans l'étude finlandaise.
|
Témoins
|
Vaccinés
|
%
d'efficacité
|
IC 95%
|
Nombre
d'OMA |
1345
|
1251
|
6
|
4,16
|
Nombre
d'OMA avec épanchement |
1267
|
1177
|
7
|
-5,17
|
Pneumocoque |
414
(33%)
|
271
(23 %)
|
34
|
21,45
|
sérotypes
vaccinaux |
250
[60%]
|
107
[39%]
|
|
|
sérotypes
associés |
84
[21%]
|
39
[15%]
|
|
|
sérotypes
non vaccinaux
|
80
[19%]
|
125
[46%]
|
|
|
H.
influenzae
|
287
(23%)
|
315
(27%)
|
|
|
B.
catarrhalis |
381
(30%)
|
379
(32 %)
|
|
|
Tableau
4. Diminution des infections respiratoires et de l'utilisation des antibiotiques
chez les enfants vaccinés et gardés en crèche.
|
Vaccinés
%
|
Témoins
%
|
P
|
Infections
respiratoires basses |
12,
7
|
16,5
|
0,015
|
Infections
respiratoires hautes |
18,7
|
22,5
|
0,036
|
OMA |
7,5
|
9,5
|
0,07
|
Nombre
de jours d'antibiothérapie (% d'enfants/j) |
4,9
|
6,1
|
0,001
|
|