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Titre: Syndrome de Turner : croissance et effets de l'hormone de croissance
Année: 2001
Auteurs: - Limal J.-M.
Spécialité: Gynécologie
Theme: Syndrome de Turner

SYNDROME DE TURNER : CROISSANCE ET EFFETS DE l'HORMONE DE CROISSANCE

J.M. Limal

Département de Pédiatrie, Centre Robert Debré, CHU – Angers

La conception que l'on se faisait du syndrome de Turner (ST) a été complètement remise en cause depuis le début des années 1980. Pour les médecins et les pédiatres, les filles atteintes étaient considérées comme petites, très marquées physiquement (le classique phénotype turnérien), impubères et affublées de l'étiquette "retard mental modéré" : toutes ces vérités ont été incrustées dans la mémoire de générations d'étudiants en médecine : la conséquence fut un diagnostic tardif car ce tableau ne représentait pas la réalité du syndrome. La richesse et la variabilité des expressions phénotypiques expliquent en grande partie les retards fréquents du diagnostic (1). Si la petite taille est en effet la règle, l'aspect physique est parfois normal, une puberté spontanée peut survenir, des grossesses ont même été rapportées (deux à Angers) et les pédiatres savent bien que leur intelligence est normale. De plus, on peut améliorer le pronostic de taille grâce au traitement par l'hormone de croissance (GH) et les progrès de la procréation assistée sont venus apporter un peu d'espoir aux enfants et à leurs parents.

DIAGNOSTIC NEONATAL – COORDONNEES DE NAISSANCE

Syndrome de Bonnevie-Ullrich.

Les néonatalogistes et les pédiatres en maternité sont en première ligne pour dépister le ST. Le syndrome de Bonnevie-Ulrich est observé dans moins de 20% des cas : l'excès de peau du cou évoluera avec la croissance vers le pterygium colli, à vrai dire rare : le véritable cou palmé qui se forme ainsi dans l'enfance est malheureusement encore considéré comme un signe cardinal : sur les 47 filles suivies à Angers, seulement trois avaient la classique palmure du cou, nécessitant une intervention réparatrice : celle-ci entraîne presqu'inéluctablement des cicatrices chéloïdes que la radiothérapie locale, le laser et les corticoïdes permettent heureusement d'atténuer.

Retard de croissance intra-utérin.

Il mérite d'être mieux pris en considération. Nous rapportons sur la figure 1 la taille et le poids de 47 nouveau-nés selon la durée de la gestation (5). Le terme moyen (+ 1 DS) est de 39 + 1 semaine. La taille et le poids de naissance sont respectivement de 47,4 + 1,6 cm et 2.872 + 452 grammes. La plupart des sujets naissent à terme, puisque 44/47 se situent entre 38 et 41 semaines. D'une façon générale, le poids de naissance est proche de la normale, tandis que la taille est relativement plus touchée, impliquant la notion de RCIU asymétrique. Le message est le suivant : lorsqu'une "petite fille" est examinée pour un retard de croissance, la lecture sur le carnet de santé des coordonnées de naissance est une indication précieuse pour justifier la demande d'un caryotype. A l'inverse, si la taille de naissance est normale, cela n'éliminera pas le diagnostic.

Fig. 1- Tailles et poids de naissance chez 47 nouveau-nés atteints de syndrome de Turner [5].

 

CROISSANCE SPONTANEE DANS LE SYNDROME DE TURNER

Croissance post-natale.

L'intensité du retard de croissance, l'âge de survenue de la cassure sont variables. Lorsqu'il existe au départ un RCIU, un rattrapage initial est observé avant que la croissance ne ralentisse secondairement. De nombreux travaux ont permis d'établir des courbes de croissance spécifiques du ST : ces dernières ont l'avantage de fournir au clinicien un document de référence. Cependant, elles ne permettent pas toujours en consultation de suspecter la cause de la petite taille quand le ralentissement est tardif, comme on le voit sur la figure 2. Il faut en outre prendre en considération la taille des parents : s'ils sont grands, on doit s'étonner que leur fille, au lieu d'évoluer naturellement au-dessus de la taille moyenne, se positionne en dessous : d'où l'importance du calcul de la taille-cible interparentale.

Fig. 2- Variabilité d’expression du retard de croissance dans le syndrome de Turner.

Existe-t-il une corrélation entre le type d'anomalie de l'X, le phénotype et l'intensité du retard de croissance ? Il n'y a pas encore de données précises pour y répondre. Dans l'étude multicentrique française portant sur 216 cas, il n'a pas été retrouvé de corrélation avec le génotype, mais tout n'est pas encore clairement établi. Le lecteur pourra se reporter au chapitre concernant le syndrome de Turner où les corrélations génotype-phénotype-taille sont détaillées (6). On voit notamment les photos de 3 filles de 1 m 30, 1 m 40 et 1 m 51, ayant un caryotype 46,XXp- : leur phénotype et leur dysgénésie gonadique sont nettement corrélés avec la + grande délétion du bras court du chromosome X.

Plus récemment, des relations ont été découvertes entre le syndrome de Turner et la dyschondrostéose ou maladie de Léri-Weil. Cette dernière est caractérisée par une petite taille et une déformation du poignet dite de Madelung, "en dos de fourchette" gênant la pronosupination. Or, certains sujets sont à la fois porteurs de l'anomalie de l'X (syndrome de Turner) et de la mutation SHOX ("short stature homeobox containing gene"), c'est-à-dire un gène impliqué dans la petite taille de la dyschondrostéose : il est localisé sur les chromosomes Xp22 et Yp11.3. Dans la dyschondrostéose, des mutations et des délétions variables ont été décrites pouvant expliquer à la fois l'association des 2 maladies. Quand le gène est délété, cela pourrait expliquer la petite taille du syndrome de Turner. Ce sont ces nouvelles approches moléculaires qui permettront prochainement de mieux cerner les corrélations entre le génotype et les nombreux phénotypes turnériens, en précisant ce qui revient à la petite taille, à la dysgénésie ovarienne et à la variabilité du phénotype (4).

Taille finale spontanée.

Elle varie selon les pays : en Allemagne, elle est de 146,5 cm, au Japon de 136,5 cm. P. Rochiccioli a trouvé en France chez 216 sujets (tailles colligées dans une étude multicentrique) une taille moyenne de 141,4 cm avec des écarts allant de 1 m 29 à 1 m 61. Si l'on considère que la taille moyenne des françaises est de 1 m 63, les turnériennes perdent ainsi 22 cm en moyenne. Cette grande dispersion des tailles rend compte des erreurs de diagnostic par défaut.
Combien de fois avons-nous entendu cette remarque des mères concernant leur fille âgée de 10 à 12 ans, située à – 3 DS sous la moyenne : le médecin nous a rassurés, "elle a le temps de grandir" !

SYNDROME DE TURNER ET TRAITEMENT PAR GH

Les premières études sur l'effet de la GH sur la taille adulte dans le syndrome de Turner remontent au milieu des années 1980, d'abord aux USA, puis en Europe : il est difficile d'établir une comparaison car R. Rosenfeld, aux USA, a utilisé la GH en association avec l'oxandrolone, médicament anabolisant interdit en France. Quoi qu'il en soit, on trouvera dans la revue de P. Rochiccioli, une analyse des tailles finales qui concerne, au moins pour les études françaises, des filles traitées tardivement, souvent après l'âge de 10 ans. Dans 117 cas, pour une dose moyenne de GH de 0,7 UI/kg/semaine, la taille finale est de 150,1 + 5,6 cm dans la série française, soit un gain moyen de 8 cm par rapport à la taille finale moyenne spontanée rapportée par le même auteur (2).

Sur le tableau I, sont indiquées les tailles finales dans d'autres séries étrangères. La plupart sauf au Japon, indiquent une taille finale avoisinant 1 m 50 ce qui ramène la stature chez l'adulte à – 2 DS, limite inférieure de la population française normale.

Tableau I – Tailles finales chez les Turnériennes (d'après P. Rochiccioli et al) (2)

 

N
(U/kg/sem)

Dose GH
(cm)

Taille finale

Takano (Japon)

15

0,5

142,2+6,5

15

1,0

144,3+3,9

Rosenfeld (Etats-Unis)

8

1,0

151,7+4,6

34

1,0

151,6+5,6

Van den Broeck (Europe)

56

0,8

150,7+4,9

Massa (Hollande)

45

1,0

152,3+5,3

Rochiccioli (France)

117

0,74

150,1+5,6

Nilsson (Suède)

44

0,7

152,2+5,9

Haeusler (Autriche)

20

0,7

152,9+3,5

Pasquino (Italie)

18

1,0

147,6+7,3

Attanasio (Allemagne)

6

0,9

150,9+4,7

 

Conduite pratique du traitement.

En France, l'AMM pour ce traitement a été obtenue en 1992, après que des études multicentriques aient été conduites depuis 1986. La dose varie de 0,7 à 1 UI/kg/semaine. Le début du traitement est possible à partir de 3 ans. En pratique, il est arrêté lorsque la maturation osseuse atteint 13 ans sur l'atlas de Greulich et Pyle : mais le gain statural après arrêt de la GH n'est pas négligeable et atteint environ 2 cm. Les injections, par voie sous-cutanée, sont effectuées par les parents et/ou l'enfant elle-même quand elle le souhaite 6 jours/7. L'utilisation de stylos injecteurs avec des cartouches de GH a beaucoup apporté en terme de confort et de moindre impact douloureux. Ainsi, une enfant dont les injections débuteraient dès l'âge de 3 ans pourrait être traitée pendant plus de 10 ans, ce qui représente une astreinte certaine, mais acceptable à l'âge scolaire où "les petits" sont souvent mal acceptés.

Facteurs prédictifs de la réponse au traitement.

Nous avons indiqué sur le tableau II les éléments qui influencent cette réponse et expliquent la variabilité des tailles finales.

Tableau II. Facteurs de la réponse staturale chez les turnériennes traitées par l'hormone de croissance.

Age au début du traitement

dose de GH utilisée

influence négative de la puberté spontanée ?

degré de maturation osseuse requis lors de l'introduction des oestrogènes

taille des parents

intensité du retard statural au début du traitement
(effet plus favorable de la GH si retard important)

type d'anomalie de l'X

 

On ne connaît pas l'influence respective de ces différents facteurs et leur intrication. Celui qui apparaît le plus important, après une quinzaine d'années de recul, est la dose de GH utilisée. En France la posologie varie dans d'étroites limites : traiter avec 0,7 ou 1 UI/kg/semaine n'apporte pas de gain appréciable. En revanche, une posologie plus forte de 1,4 à 2,1 UI/kg/semaine améliore le pronostic de taille, selon l'étude de JC Carel et al (7) : la taille finale est > - 2 DS dans 83% des cas contre 29% dans le groupe des filles recevant des doses conventionnelles de GH (correspondant à l'AMM). L'ensemble des investigateurs insiste sur l'adaptation individuelle des doses de GH selon la réponse au traitement : certains sujets n'ont pas de vitesse de croissance de rattrapage lors de l'introduction de la GH. La plupart des séries montrent d'autre part, un effet d'épuisement du rythme statural après le rattrapage initial : c'est dire qu'il reste beaucoup à faire pour optimiser le traitement.

Effets des oestrogènes (3)

Deux questions se posent :

  • est-ce que la puberté spontanée influence négativement le niveau de la taille finale ? Ceci est discuté mais la plupart des auteurs ne le pensent pas. Cependant, pour répondre précisément à cette question, il faudrait en particulier considérer la sécrétion + forte d'oestrogènes au moment de la puberté : certaines filles ont des règles spontanées, d'autres "arrêtent" leur développement pubertaire + précocement ; enfin, certaines n'ont aucun reliquat ovarien et ont précocement une forte élévation de FSH, indiquant une absence totale d'oestradiol tout au long de l'enfance. On sait par ailleurs que le traitement par la GH favorise le développement des reliquats ovariens (2,3). Tout ceci doit être pris en compte pour l'évaluation de la sécrétion oestrogénique spontanée sur le niveau de la taille à l'âge adulte.
  • quand associer l'oestrogénothérapie à la GH ?

Si l'on admet que les oestrogènes favorisent la fermeture des cartilages de croissance, on a intérêt à retarder l'introduction des oestrogènes. On sait bien cependant que ceci est en contradiction avec ceux qui pensent que la puberté spontanée n'influence pas la taille finale. En tout cas, lorsque l'âge osseux atteint 12 ans, on ne doit plus différer l'oestrogénothérapie (3). La minéralisation osseuse se constitue à l'adolescence et les os des turnériennes, bien avant l'âge de 10 ans, apparaissent déminéralisés : retarder l'introduction des oestrogènes au delà d'un âge osseux de 12 ans est donc déconseillé.

CONCLUSION

Le diagnostic du syndrome de Turner doit être plus précoce : toute petite taille isolée chez la fille impose le caryotype : cet aphorisme ancien garde toute sa valeur. Il est rare, cependant, qu'une enfant turnérienne n'ait pas une anomalie thoracique (thorax bombant, seins écartés, microthélie), si bien que la petite taille n'est sans doute pas si "isolée" que cela !
L'autre message est le suivant : il faut adapter le traitement par la GH à chaque cas et augmenter la posologie actuellement insuffisante. Ceci aura un effet génétique sur le niveau de taille obtenu à l'âge physiologique de la puberté, permettant ainsi de commencer plus tôt les oestrogènes, sans obérer le pronostic de taille finale. Cette façon de faire influencera aussi favorablement la minéralisation osseuse et l'équilibre psycho-affectif de ces jeunes filles trop longtemps laissées impubères.

Bibliographie

1 – BATTIN, J. Variabilité du phénotype turnérien. In Journées Parisiennes de Pédiatrie, Flammarion Médecine-Sciences, Paris, 1998 : pp. 49-56..
2 – ROCHICCIOLI P, TAUBER MT, PIENKOWSKI C. Syndrome de Turner. Croissance spontanée et après traitement par l'hormone de croissance. Ibidem, pp.57-64.
3 – COLLE M, BATTIN J. Dysgénésie gonadique et féminisation. Ibidem, pp.65-70.
4 – LACOMBE D, BATTIN J. Aspects génétiques du syndrome de Turner. Ibidem, pp 71-74.
5 – LIMAL JM, COUTANT R, LE BOUEDEC S. Retard de croissance intra-utérin et principaux syndromes. In Journées Parisiennes de Pédiatrie; Flammarion Médecine-Sciences. Paris, 1999 : pp. 69-80.
6 – GRUMBACH MM, CONTE FA. "Disorders of sex differentiation". In Williams Texbook of Endocrinology, WB Saunders, (ed) 1998 : pp. 1337-52.
7 – CAREL JC, MATHIVON L, GENDREL C, DUCRET JP, CHAUSSAIN JL. Near normalization of final height with adapted doses of growth hormone in Turner's syndrome.
J. Clin Endocrinol Metab, 1998 : 83, 1462-1466.