Le
DIAGNOSTIC PRENATAL du SYNDROME de TURNER
Marie-Louise
BRIARD
Allo-Gènes,
n° azur 0 801 63 19 20, Centre national d'information sur les maladies génétiques
Hôpital Necker-Enfants Malades - 149 rue de Sèvres - 75743 Paris
cedex 15
Chacun
sait que le syndrome de Turner concerne une personne de phénotype féminin dont
le caryotype révèle la présence d’un seul chromosome X, voire un remaniement
de structure d’un des deux chromosomes X.
Cliniquement, il se caractérise avant tout par une petite taille et une dysgénésie
gonadique.
Il peut être découvert in utero sur un caryotype foetal dont les indications
sont multiples : âge maternel élevé, signes échographiques, marqueurs sériques
maternels évoquant un risque accru de trisomie 21, mais aussi remaniement chromosomique
équilibré chez un des futurs parents, enfant précédant ayant une anomalie chromosomique
déséquilibrée, diagnostic de sexe pour certaines pathologies, voire inquiétude
parentale sans risque particulier.
Comme le montrent les données nationales, le diagnostic d’un syndrome de Turner
est porté dans la majorité des cas devant un risque d’appel échographique, notamment
un hygroma kystique au premier trimestre, ou un oedème plus ou moins étendu,
voire un anasarque associé à un retard de croissance in utero au deuxième trimestre.
Il est plus rarement posé sur un caryotype réalisé dans d’autres indications.
Poser le diagnostic de syndrome de Turner dans la période prénatale soulève
des problèmes difficiles à résoudre en raison de la variabilité phénotypique
considérable. Afin d’évaluer au mieux le pronostic, il faudra tenir compte de
la formule chromosomique, de la présence de signes échographiques, leur absence
étant de meilleur pronostic.
Le
SYNDROME de TURNER, une ANOMALIE CHROMOSOMIQUE
Une fois sur deux,
la perte d’un des deux chromosomes X est observée dans tous les noyaux (45X)
et une fois sur cinq dans une partie seulement, avec une proportion plus ou
moins élevée de cellules 45X (mosaïque 45X/46XX). Enfin, dans près d’un tiers
des cas, on retrouve une altération de la structure d’un chromosome X (délétion
d’un des deux bras, isochromosome, anneau). Les études cytogénétiques moléculaires
révèlent dans 5 à 10 % des cas un clone XY non détectable par la cytogénétique
traditionnelle (cette constatation conduit à recommander l’ablation des gonades
rudimentaires en raison du risque de gonadoblastome).
L’âge maternel élevé n’est pas considéré comme un facteur de risque de syndrome
de Turner.
Si à la naissance la prévalence du syndrome de Turner est estimée à 4 p 10.000
nouveau-nés féminins, le nombre de conceptus 45X est beaucoup plus élevé (15
pour 1.000 grossesses) et la très grande majorité des grossesses s’interrompt
spontanément (avortement du premier trimestre, mort foetale in utero). Des questions
demeurent sur l’origine de l’élimination spontanée de ces conceptus. Il semblerait
que les monosomies homogènes soient létales alors que la présence d’une lignée
46XX, même non détectable à la cytogénétique, permettrait la survie du foetus.
LES
DONNEES NATIONALES
Deux échantillons
de caryotypes foetaux permettent d’analyser la situation réelle pour les syndromes
de Turner détectés in utero et d’évaluer les pratiques devant cette découverte.
Nous avons eu l’opportunité d’analyser personnellement ces deux échantillons.
Le premier (échantillon A) concerne les données recueillies par l’Association
Française pour le Dépistage et la Prévention des Handicaps de l’Enfant (AFDPHE)
entre 1980 et 1990 avant le passage à la nomenclature du caryotype foetal en
1991 (125.392 caryotypes foetaux). Le second (échantillon B) concerne les données
recueillies par la Direction Générale de la Santé à partir des bilans annuels
d’activité (1996 et 1997) des laboratoires de cytogénétique ayant reçu l’autorisation
ministérielle d’effectuer des caryotypes foetaux (137.492 caryotypes foetaux).
Sur
les 462 syndromes de Turner découverts en 1996 et 1997, à partir de caryotypes
réalisés pour des indications diverses, 362 (78,4 %) l’étaient devant des signes
d’appel échographiques, 47 (10,2 %) en raison d’un âge maternel élevé, 34 (7,4
%) devant le résultat des marqueurs sériques, 19 à partir d’un caryotype réalisé
pour d’autres indications.
Syndrome
de Turner et âge maternel élevé
Au total, 117 syndromes de Turner ont été découverts sur les 149.999 caryotypes
recensés dans les deux échantillons, soit 1 p 1.282 (ou 0,8 p 1.00) avec une
fréquence comparable dans chacun des échantillons (A : 70/98.418 = 0,7 p 1.00
; B : 47/51.581 = 0,9 p 1.00). Cette incidence est 4 fois plus élevée que celle
observée à la naissance sur les enfants de sexe féminin (1 p 2.500).
Syndrome
de Turner et marqueurs sériques maternels
Quand le caryotype foetal est réalisé devant un risque accru de trisomie
21 (> à 1/250), après étude des marqueurs sériques, la situation est assez
similaire. Dans l’échantillon B, le seul qui puisse être réellement analysé,
32.267 caryotypes (23,5 % de ceux réalisés pendant cette période) ont permis
de découvrir 34 syndromes de Turner (1 p 949), tous sexes confondus. Là encore,
l’incidence est un peu plus élevée qu’attendue.
Syndrome
de Turner et signes d’appel échographiques
En revanche, la situation est très différente lorsque l’indication du caryotype
foetal est la découverte d’anomalies échographiques : 613 syndromes de Turner
ont été trouvés à partir des 42.848 caryotypes recensés dans les deux échantillons.
L’incidence est de 1 p 70 (ou 1,43 p 100) soit 1 p 35 foetus féminins ce qui
est 20 fois plus que dans les échantillons précédents. Les incidences sont identiques
dans les deux échantillons : dans l’échantillon A, 251 syndromes de Turner sur
16.381 caryotypes réalisés entre 1985 et 1991 (1 p 65) et dans l’échantillon
B, 362 cas sur 26.467 caryotypes (soit 1 p 73).
L’analyse attentive de l’échantillon A nous permet de faire les constatations
suivantes :
( le diagnostic de syndrome de Turner est souvent porté devant une malformation
isolée (181/251 soit 72,1 %), il s’agit le plus souvent d’un hygroma kystique
du cou (voire d’une nuque épaisse) et/ou d’un anasarque foetal (159/181 = 87,8
%). Devant un hygroma kystique (167 cas), le plus souvent isolé (128), la probabilité
de trouver un syndrome de Turner doit être considérée comme importante (167/640
= 28,1 %), alors qu’elle est relativement faible devant une nuque épaisse (7/707
= 1 %).
( le diagnostic est fait à un terme souvent précoce : 70,9 % (178/251)
avant 22 SA et 11,6 % après 28 semaines. L’âge de découverte semble de plus
en plus précoce puisqu’en 1990 et 1991, 76,5 % (91/119) des syndromes de Turner
étaient dépistés avant 22 SA.
L’échantillon B, compte tenu des données recueillies, n’apporte pas d’autres
précisions.
LES
CONSEQUENCES D'UN DIAGNOSTIC IN UTERO DU SYNDROME DE TURNER
Les conséquences
peuvent être analysées à titre individuel ou à titre collectif.
L’attitude
des parents
Les données nationales permettent d’analyser l’attitude des parents dont l’enfant
a un syndrome de Turner découvert in utero.
Dans l’échantillon A, la grande majorité des parents a demandé à interrompre
la grossesse devant cette découverte :
( même si le diagnostic est fait, alors que la mère était âgée, sauf dans
quelques cas où il s’agissait d’une mosaïque ;
( devant un signe d’appel échographique, sauf si le diagnostic est porté
à un terme relativement avancé de la grossesse. Si l’on exclut les grossesses
à issue inconnue, la grossesse est interrompue médicalement dans 84,7 % des
cas (205/242) et spontanément dans 5 % (12/242). Sur les 25 grossesses poursuivies,
19 (soit 3 sur 4) l’étaient alors que le terme était de 28 SA ou plus ; à ce
terme, en effet, 7 grossesses sur 10 (19/27) sont poursuivies alors qu’avant
22 SA, 96 % (167/174) sont interrompues. Cependant, lorsqu’il s’agit d’une mosaïque,
la grossesse a été poursuivie plus d’une fois sur deux (10/18). Il en va de
même s’il s’agit d’un retard de croissance in utero isolé, souvent de découverte
tardive.
L’étude de l’échantillon B confirme les données précédentes. La découverte d’un
syndrome de Turner devant un signe d’appel échographique conduit dans la majorité
des cas à interrompre la grossesse (300/325 = 92,3 %), respectivement 94,3 %
(164/174) en 1996 et 90,1 % (136/151) en 1997. Si le diagnostic est fait dans
d’autres circonstances, la grossesse est plus volontiers poursuivie (36/81 =
44,4 %) , notamment si l’anomalie chromosomique est en mosaïque. Là encore,
la grossesse a été moins souvent interrompue en 1997 qu’en 1996 (51,1 %
contre 61,8 %).
L’attitude des couples a donc évolué au cours du temps. Leur demande n’est pas
toujours d’interrompre la grossesse s’ils sont bien informés.
Conséquences
sur le plan collectif
Cependant, beaucoup de questions demeurent sans réponse. Que seraient devenues
spontanément les grossesses au cours desquelles le diagnostic de syndrome de
Turner est fait ? Seraient-elles arrivées à terme ? Existe-t-il des signes échographiques
lorsque la grossesse aboutit à la naissance d’une petite fille turnérienne ?
Si oui, quelle est la proportion de ces grossesses ? Sur les 241 grossesses
avec syndrome de Turner dépisté en 1997, combien de grossesses seraient arrivées
à terme ? Quelle proportion sur les 181 cas dépistés après un caryotype réalisé
devant des signes échographiques et parmi les 60 cas en raison d’autres indications
?
La réalisation d’un caryotype foetal peut-il contribuer à diminuer significativement
le nombre de petites filles turnériennes nées ? Sur les 160 filles turnériennes
(400.000 x 0,0004), qui doivent naitrent chaque année, quel nombre sera détecté
grâce au caryotype foetal réalisé pour âge maternel ou risque élevé de trisomie
21 après marqueurs sériques ? En 1996 et 1997, 83.849 caryotypes ont été réalisés
pour ces deux indications (respectivement 51.581 et 32.267) et ont conduit à
découvrir 81 syndromes de Turner (respectivement 47 et 34) alors qu’une vingtaine
était attendue. Si l’on considère le nombre de femmes âgées souhaitant bénéficier
d’un caryotype foetal qui doit être constant (25 à 26.000 par an), les 40.000
caryotypes annuels pour marqueurs sériques (si 90 % des femmes bénéficient du
test), quel est le nombre de cas pouvant être dépistés à un terme relativement
tardif (amniocentèse habituellement) ? Si la majorité des enfants ayant un syndrome
de Turner est découvert à partir de signes échographiques, et si un grand nombre
de grossesses n’arrivent pas à terme (interruption médicale de grossesse ou
avortement spontané), quel nombre de grossesses avec syndrome de Turner arrivera
à terme ? En définitive, de combien est diminué le nombre de filles turnériennes
arrivant à terme ? Autant de questions restant sans réponse.
MIEUX
CONNAITRE le SYNDROME de TURNER
Afin de permettre
aux parents de prendre une décision éclairée, il est essentiel de les informer
sur les conséquences de l’anomalie chromosomique découverte tout en tenant compte
des circonstances qui ont conduit à réaliser un caryotype foetal.
Deux signes sont fréquents : la petite taille et la dysgénésie gonadique. La
petite taille est quasi constante (142 cms ( 6) ; elle peut se manifester dès
la vie intra-utérine (retard de croissance) et s’accentue dans l’enfance en
l’absence de poussées de croissance pré-pubertaire. La dysgénésie gonadique
constante est à l’origine d’un impuberisme et d’une stérilité, mais la situation
peut être différente en cas de mosaïque : puberté spontanée, fertilité possible.
Les autres signes sont inconstants et exceptionnellement réunis : lymphoedème
des mains et des pieds, pterigium colli, malformations cardiaques à type de
sténose de l’isthme aortique (1/3 des cas), malformations rénales (1 cas sur
2) souvent mineures (rein en fer à cheval, mal rotation, duplication).
Le développement intellectuel des filles turnériennes est dans la limite de
la normale mais elles peuvent avoir des difficultés d’apprentissage (parole,
lecture), des difficultés en mathématiques, ou en géométrie de l’espace, difficultés
qui requièrent la même prise en charge que celle donnée aux enfants ayant un
caryotype normal. D’autres problèmes peuvent être relevés : timidité ou immaturité,
hypo ou hyperthyroïdie, hypoacousie liée à des otites à répétition, surcharge
pondérale.
Une grande variabilité phénotypique peut être observée : elle va d’un phénotype
féminin quasi normal dans certaines mosaïques à une forme sévère avec retard
mental en cas d’un anneau X de petite taille.
Un environnemnent familial, stimulant et attentif sera bénéfique au développement
de ces enfants. Si des difficultés d’apprentissage sont constatées, une prise
en charge adaptée devra être mise en place dès que possible.
Le traitement par hormone de croissance biosynthétique, commencé dès le plus
jeune âge, permettra aux jeunes femmes turnériennes d’atteindre une taille définitive
de 10 cm environ supérieure à celle qu’elles auraient eu sans traitement. Un
traitement hormonal substitutif favorisera l’apparition des caractères sexuels
secondaires et une vie sexuelle normale, préviendra l’ostéoporose et le risque
cardiovasculaire. Enfin, une assistance médicale à la procréation avec un don
d’ovocyte pourra pallier la stérilité liée à l’agénésie ovarienne.
LES
ELEMENTS POUR DECIDER
Quatre
syndromes de Turner sur cinq sont découverts après la constatation d’un signe
échographique qui vient objectiver le trouble de développement d’un foetus féminin
qui n’a pas été éliminé spontanément au cours du premier trimestre, conséquence
habituelle de cette anomalie chromosomique.
La situation n’est évidemment pas la même quand on constate des anomalies échographiques
importantes : hygroma kystique volumineux pouvant survenir ou non dans un tableau
d’anasarque. La décision d’interrompre la grossesse est plus liée à la gravité
des signes observés qu’à l’anomalie chromosomique elle-même.
Quand les signes échographiques sont modérés (nuque épaisse, lymphoedème transitoire)
ou absents, il convient de prendre le temps nécessaire afin de donner les informations
appropriées sur cette anomalie chromosomique. Cependant, l’appréciation de ses
conséquences sera diverse d’un couple à l’autre et dépendra de la structure
familiale, du terme de la grossesse, des convictions religieuses, du milieu
socio-culturel du couple. La petite taille, l’absence de puberté spontanée,
la stérilité fort probable, sont souvent considérées comme des handicaps importants.
L’absence de retard mental, les possibilités thérapeutiques expliquées avec
soin (la rencontre d’un pédiatre endocrinologue est particulièrement importante)
peuvent permettre aux couples de voir sous un jour plus favorable les conséquences
de ce diagnostic inattendu. Quelle que soit sa décision, le couple devrait être
accompagné par un psychologue. Ce soutien et cette aide psychologiques doivent
être poursuivis au-delà de la naissance quand la grossesse est poursuivie et
lorsque le besoin s’en fait sentir aussi bien pour les parents que pour l’enfant.
Le gain de taille, grâce à un traitement précoce par hormone de croissance,
la survenue d’une puberté induite par un traitement hormonal et l’espoir de
pouvoir bénéficier d’un don d’ovocyte sont autant de pistes pour améliorer le
pronostic et limiter ainsi le nombre d’interruptions de grossesse à l’avenir.
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