Dans la mesure où il existe une coïncidence
entre l’âge de la grossesse et l’âge des poussées évolutives
de Maladies Inflammatoires du Tube Digestif (MITD), il est tout-à-fait
concevable que Gastroentérologues et Obstétriciens se rencontrent
au chevet de ces patientes. Ce qui nous permet de passer en revue - tabac,
contraceptifs oraux et maladies inflammatoires ; la fertilité ;
la grossesse ; l’accouchement chez ces patientes.
1. TABAC ET MITD
1.1 - La rectocolite hémorragique (RCH)
Le risque de développer une RCH est supérieur
chez les non fumeurs et chez les ex-fumeurs que chez les adeptes du tabac.
Il semble que l’effet protecteur soit dose dépendant.
Le fait de fumer diminue le flux sanguin pariétal
digestif parallèlement au taux de la nicotinémie. Ceci a
donné l’idée de traiter les RCH par des patchs de nicotine,
mais les effets n’ont pas été à la hauteur des théories
pathogéniques.
La constatation qu’il y a moins de femmes faisant une
RCH est peut-être du au fait que depuis vingt ans, elles fument
davantage.
1.2 - Maladie de Crohn (MC)
Dans cette affection, le risque de développer
la maladie et le risque de récidive après résection
chirurgicale est nettement plus élevé chez les fumeurs.
Les Crohns ont une atteinte vasculaire focale qui sont
confinés aux vaisseaux intramuraux des segments atteints et WAKEFIELD
s’est fait le champion de la théorie vasculaire de la MC avec un
dépôt de fibrine dans l’endothélium et un infiltrat
inflammatoire du mur des vaisseaux avec nécrose et thrombose de
ces vaisseaux.
Fumer entraîne un effet vasoconstrictif thrombogénique
puisque le tabac induit une atteinte des cellules endothéliales
à l’origine de microthrombi, ceci entraîne une diminution
de la synthèse des prostacyclines, d’une diminution du plasminogène
et une augmentation du fibrinogène et de la capacité d’agrégation
plaquettaire.
En outre, la nicotine modifie et la qualité et
la quantité du mucus, rendant la muqueuse plus vulnérable,
et l’on se demande si la nicotine ou d’autres éléments de
l’herbe de Nicot, ne modifierait pas la perméabilité intestinale
avec modification de la barrière de défense muqueuse et
pénétration d’agents bactériens, viraux ou X.
2. CONTRACEPTIFS ORAUX (CO) ET MALADIE DE CROHN
Comme le tabac, les CO ont une activité procoagulante
et augmentent la tendance aux thromboses locales par augmentation du fibrinogène,
du facteur II, des facteurs VII, VIII et X et une diminution de l’antithrombine
III. Des études cas témoins n’ont cependant pas réussi
à démontrer de façon formelle un rapport entre la
prise de CO et le déclenchement d’une MC de même que les
grandes études de cohorte portant sur des dizaines de milliers
de femmes, suivies des années.
Ainsi, dans la mesure où les MC ont des signes
anatomopathologiques évoquant une vascularite avec une augmentation
de l’activité procoagulante, dans la mesure où le tabac
et la pilule ont les mêmes conséquences, que l’on sait qu’il
y a des MC qui s’améliorent à l’arrêt des CO , il
parait tout-à-fait licite de déconseiller notamment dans
les formes coliques, le tabac et peut-être la pilule. Mon expérience,
sur plusieurs décennies, m’apporte que le sex ratio dans la MC
s’est modifié en faveur de la femme, or la femme moderne fume
et prend la pilule.
3. MITD ET FERTILITE
Il ne semble pas que la MC influence la fertilité.
Cependant il faut bien constater qu’elle est moindre chez les femmes atteintes
de MC et il s’agit à la fois d’une décision personnelle
des patientes mais aussi parfois de celle des médecins qui les
soignent et qui craignent une grossesse, le retentissement des médicaments
sur cette grossesse et sur l’enfant et un accouchement difficile. Cependant,
la MC et la RCH n’altèrent peu les chances de grossesse sauf s’il
y a une importante dénutrition amenant une aménorrhée,
des poussées évolutives successives qui diminuent la sexualité,
l’existence d’une stomie particulièrement mal vécue et pour
les MC, des risques tubaires.
4. MITD ET GROSSESSE
L’influence de la grossesse sur les MITD a particulièrement
été étudiée par WILLOUGHBY et l’on peut résumer
les faits de la façon suivante : quand la RCH est inactive à
la conception, il y a pratiquement pas de poussée évolutive,
alors que lorsqu’elle est active, il y a environ 60 à 80 % de persistance
d’activité ou d’aggravation . Dans la MC, il n’y a pas, semble-t-il,
de poussée évolutive plus importante dans le temps.
Il n’y a aucune raison de proposer des avortements thérapeutiques.
4.1 - Influence des MITD sur la grossesse
Si les maladies ne sont pas actives, l’interruption spontanée
de la grossesse est identique à celle de la population générale.
Par contre, si la maladie est active, il est possible de constater dans
les premières semaines jusqu’à 40 % d’avortement. La prématuré
est discrètement supérieure : 16 % versus 7 %. Il n’y a
par contre pas de malformation congénitale ni de risque d’hypotrophie
foetale. L’allaitement n’est pas contre indiqué et le devenir foetal
est absolument identique à ce qu’il est dans la population générale
et il n’y a notamment pas d’influence sur le mode de délivrance
par césarienne ou par voie naturelle, ou sur la survenue d’épisode
d’éclampsie. La transmission génétique reste discutée
; si elle est extrêmement faible, c’est à dire 5 % environ
pour les Crohn et 1,6 % pour les RCH, elle est plus élevée
dans les familles juives avec des chiffres de 7,8 % pour les Crohn et
de 4,5 pour les RCH. Dans le cas où les deux parents seraient atteints,
le risque de transmission à l’enfant est de 36 %.
4.2. La mère, l’enfant et les thérapeutiques
Les obstétriciens n’apprécient pas beaucoup
que leur patientes enceintes soient soumises à des prescriptions
médicamenteuses, or il vaut mieux parfois poursuivre une thérapeutique
dont la réputation de sécurité est connue plutôt
que de constater une poussée évolutive de la maladie.
En ce qui concerne la salazopyrine et ses dérivés,
on sait que sulfapyridine passe le placenta mais qu’il n’y a aucun risque
de complication foetale ; s’il a été décrit un risque
potentiel d’ictère nucléaire néo-natal parce que
la sulfapyridine déplace la bilirubine de l’albumine, il n’a jamais
été décrit dans la littérature. Il est souhaitable,
comme souvent dans les MC d’ailleurs, de supplémenter en acide
folique en raison de la malabsorption des folates.
Les corticoïdes n’entraînent pas d’anomalie
foetale. Certes il y a un risque théorique d’insuffisance surrénale
dans le post partum. Ceci étant la bêta hydroxylase placentaire
détruit la cortisone active passant la barrière.
Il n’y a pas de risque non plus lors de l’allaitement.
Le flagyl et les autres antibiotiques n’ont pas
été rendus responsables d’anomalie mais l’on sait par exemple
que certaines molécules peuvent être foeto-toxique et teratogène
chez la souris, ce qui amène à prendre quelques précautions.
Les anti-diarrhéiques (Codéine,
Imodium, Diarsed) sont contre indiqués, sauf les pansements.
L’imurel est généralement prescrit
aux formes chroniques actives cortico-résistantes ; il est donc
souvent difficile de l’arrêter. Cependant, théoriquement,
il faudrait mieux ne pas le prescrire, même si ALSTEAD et DAYAN
qui ont observé 16 grossesses chez 14 femmes prenant de l’imurel,
n’ont observé aucun problème. Il parait licite de bien réévaluer
le bien fondé de la prescription, de la maintenir si elle est justifiée
avec explications loyales de la patiente ; il faut mieux en effet n’avoir
qu’un pourcentage de 5 % de rechute en maintenant l’imurel que 40 % de
poussées évolutives pendant la grossesse.
La cyclosporine mérite les mêmes
commentaires sauf peut-être lors des dernières semaines où
il faut faire très attention à l’hypertension artérielle,
à l’insuffisance rénale et à l’éclampsie.
L’expérience constatée chez les greffés du rein ou
du foie permet d’être tout-à-fait rassurant.
Le méthotrexate doit être formellement
contre indiqué ; il est en effet mutogène et tératogène
; il faut donc l’arrêter avant le désir de grossesse.
Quant aux assistances nutritives, qu’il s’agit
de nutrition entérale ou parentérale, elles peuvent être
poursuivies sans aucun risque.
5. GROSSESSE ET MALADES OPEREES
La grossesse est le plus souvent parfaitement tolérée.
Lorsqu’il existe une iléostomie, il peut arriver une dysfonction
stomiale et un prolapsus, ce qui amènera peut-être à
interrompre la grossesse au 8ème mois. L’anastomose iléo-rectale
en continuité peut entraîner quelques douleurs abdominales
de distension, de même qu’une détérioration fonctionnelle
transitoire a été observée dans les anastomoses iléo-anales.
5.1 - L’accouchement
Chez les malades opérées, qu’il s’agisse
d’anastomose iléo-rectale, iléo-anale, de colo-proctectomie
avec iléostomie, ou iléostomie temporaire, il est possible
de proposer un accouchement par voie naturelle au 8ème mois afin
d’éviter l’augmentation de volume des dernières semaines.
Par contre, chez les malades porteuses de lésions périnéales,
qu’elles soient ou non évolutives, il vaut mieux préférer
la césarienne en raison des difficultés de cicatrisation
du périnée. L’expérience prouve que même les
épisiotomies premières dirigées ont bien du mal à
se cicatriser.
CONCLUSION
La sexualité et la fertilité peuvent être
considérées comme normale
Les CO et le tabac devraient être contre indiqués
La grossesse est possible sans gravité pour la
maladie inflammatoire, sans risque pour l’enfant, même si un traitement
d’entretien est poursuivi par le 5’ASA, l’Imurel, les corticoïdes
Si une poussée survient, elle sera traitée
normalement, sans risque pour l’enfant
C’est la confrontation entre gastroentérologues
et gynécologues obstétriciens qui permettra de juger du
moment opportun de l’accouchement et de son mode.
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