BILAN
BIOLOGIQUE DES FAUSSES COUCHES
À RÉPÉTITION
Dr
Marie Françoise Reznikoff-Etiévant
Les fausses
couches spontanées (fcs) peuvent être primaires (sans enfant vivant)
ou secondaires (avec enfant vivant). Elles sont précoces si la mort embryonnaire
intervient avant la douzième semaine d'aménorrhée, au-delà
on parle de fcs tardive, puis de mort ftale intra-utérine.
Il est habituel de considérer qu'une femme fait des fausses répétées
(fcsr) après trois accidents spontanés successifs. Toutefois après
deux fcsr, les risques de faire une nouvelle fcs sont près de 2 fois
supérieurs à la fréquence des fcs isolées. Il semble
donc raisonnable d'entreprendre les investigations après 2 fcsr surtout
chez la patiente de plus de 35 ans.
Le diagnostic de grossesse, correspondant à ces fcsr, aura été
posé sur des éléments de certitude et non sur un retard
ou des signes sympathiques. Dans les fcsr très précoces, il faut
au moins un taux de bhCG élevé à distance d'un traitement
d'HCG, ultérieurement des signes échographiques de grossesse ou
une histologie des débris ovulaires dans les produits de fcs.
Le bilan biologique de fcsr se fait après un interrogatoire attentif
permettant de déceler les moindres antécédents personnels
et familiaux: HTA, diabète, thyroïdite, hormonal, gynécologique
et thrombotique. Ce bilan comprendra :
BILAN
HABITUEL
Lorsqu'une
cause mécanique a été éliminée (voir l'exposé
précédent), ce bilan comprendra :
Un bilan
génétique:
Les
caryotypes
Ils sont effectués chez les deux conjoints. Cette recherche peut mettre
en évidence un remaniement chromosomique équilibré (translocation
ou inversion) chez l'un des partenaires. Ces remaniements conduisent à
un risque accru de déséquilibre chromosomique lors de la méiose,
affectant l'embryon qui s'ensuivra. Deux grandes séries rassemblant
plusieurs centaines de couples examinés chacune, donnent des résultats
concordants de la fréquence de ces anomalies : entre 2,8 et 3% des
couples avec fcsr (Makino 1992, Portnoi 1998).
En réalité, ces pourcentages sont sous-estimés, en effet
une technique de caryotypage haute définition permet de voir des remaniements
plus fins, qui seraient passés inaperçus par la technique classique.
Malheureusement ce test est long, très délicat et beaucoup plus
onéreux. Il n'est pratiqué actuellement que pour des cas particuliers
de famille avec nombreuses fcsr souvent entrecoupées de naissances
normales, ou de familles ayant présenté des anomalies ftales
faisant suspecter un micro-remaniement.
Les
caryotypes du produit de fcs
Un taux important d'anomalies chromosomiques est observé sur les produits
de fcs de femmes avec ou sans antécédents de fcsr (Stern 1996)
Il serait donc utile d'effectuer un caryotype sur les produits de fcs après
une première fcs afin d'éliminer une cause chromosomique de
novo du produit de conception. Cet examen qui est effectué systématiquement
dans certains pays est exceptionnellement réalisé en France
pour le moment. Il permettrait cependant avec le résultat de l'examen
anatomopathologique, d'apporter des éléments essentiels au diagnostic
dans les cas difficiles et aiderait à préciser le conseil génétique.
Un bilan
hormonal:
Qualité
ovulaire
Chez une femme de plus de 38 ans ou en cas d'antécédents familiaux
de ménopause précoce les dosages de FSH, estradiol et inhine
B au troisième jour du cycle peuvent objectiver une FSH et un estradiol
élevés et une inhibine B diminuée. Ces résultats
donnant une indication sur une insuffisance ovarienne débutante (IOD).
On sait en effet que les fcs sont de 2,1% avant 35 ans et de 20% après
40 ans (Smith 1996). La notion d'IOD doit être prise en charge avec
urgence.
Une augmentation de la LH effectuée en phase folliculaire et l'aspect
échographique des ovaires peuvent orienter vers une dystrophie ovarienne
.
Ces anomalies secondaires à une mauvaise qualité ovulaire entraîneraient
des fcsr très précoces.
La
fonction thyroïdienne
Elle sera évaluée par le dosage de la TSH, complété
éventuellement par les dosages de T4 et T3 si le dosage de TSH est
perturbé, à la recherche d'une hypothyroïdie
Un bilan
du conjoint:
En dehors
des causes chromosomiques, le spermocytogramme peut objectiver une anomalie
qui pourrait être à l'origine de fcsr. Les tératospermies
et surtout les polyspermies paraissent pouvoir être en cause dans certaines
fcs.
Une spermoculture peut y être associée afin d'éviter une
contamination de la femme et en vue d'une évolution normale d'une grossesse
ultérieure.
Un bilan
infectieux:
Un prélèvement
cervico-vaginal et des examens sérologiques à la recherche d'une
infection chronique à mycoplasme, clamydia, toxoplasme, listéria
ou certains virus (herpes, CMV). Ces causes de fcsr restent très discutées
et le plus souvent hypothétiques.
Un bilan
général:
Un diabète
avéré ou l'hypertension artérielle peuvent entraîner
des accidents plus ou moins tardifs de la grossesse.
BILAN
IMMUNOLOGIQUE ET HÉMATOLOGIQUE
Bilan
auto-immun
Le
lupus érythémateux disséminé
Cette maladie est généralement diagnostiquée lorsque
la patiente consulte pour fcsr. Mais en présence d'une patiente présentant
des arthralgies, une atteinte rénale, des lésions cutanées
ou un livedo qui n'auraient pas été investigués au paravent,
un bilan biologique minimum sera entrepris. Il comporterait une numération
formule sanguine et numération plaquettaire, une vitesse de sédimentation
une recherche d'anticorps antinucléaire, anti-DNA, et antiphospholides.
Cette patiente serait à adresser selon les résultats, en médecine
interne, en dermatologie, en néphrologie ou en hématologie.
Le
syndrome des antiphospholipides
Il a été défini en 1988 par Asherson RAA. Il comporte
au minimum deux des éléments suivants:
1°) un des éléments cliniques : thrombose artérielle
ou veineuse ou fcsr
2°) un élément biologique: la présence d'anticorps
antiphospolipides
Les anticorps antiphospholipides habituellement recherchés sont (Reznikoff-Etiévant
1999) :
1°) Les anticoagulants circulants de type lupique, sont identifiés
par un temps allongé de thromboplastine diluée, celui-ci n'étant
pas corrigé par adition d'un sérum normal. Ces anticorps lorsqu'ils
sont effectués par un laboratoire de coagulation bien confirmé
sont très en faveur de fcsr autoimmunes, mais ils sont peu fréquents
chez les femmes qui présentent des fcsr précoces. Ils sont plus
fréquents en cas de fcsr tardives.
2°) La présence des anticorps anticardiolipines IgG et IgM est
d'interprétation plus difficile. Ces anticorps sont recherchés
par des techniques d'ELISA. Leur titre peut varier beaucoup dans le temps
et d'un laboratoire à l'autre d'où la nécessité
de les explorer à plusieurs reprises surtout s'ils ne sont que modérément
élevés. Ainsi les anticorps titrant environ 20 à 30 UGPL
ou UMPL (anticorps faibles) doivent être retrouvés à distance
au même titre ou à un titre supérieur. Ce sont les anticardiolipines
IgG qui sont les plus fréquemment associés aux fcsr. Le rôle
pathologique des anticardiolipines, lorsque leur titre est faible, reste très
incertain.
3°) Les anticorps anti-b2GP1 sont également mis en évidence
par des techniques ELISA. Ils sont très peu fréquents dans les
fcsr précoces. La b2GP1 est une protéine qui lie des phospholipides,
elle est nécessaire à la fixation de certains anticorps circulants
sur les phospholipides.
Les fcsr associées aux anticorps antiphospholides sont plus fréquemment
des fcs tardives du second ou troisième trimestre, mais elles peuvent
être associées à des fcsr précoces, le plus souvent
avec les anticardiolipines de type IgG.
Les mécanismes physiopathologiques sont multiples. Une thrombose placentaire
unique ou multiple semble être le mécanisme principal surtout
en ce qui concerne les fcsr tardives. Ce mécanisme est moins net en
cas de fcsr précoces.
Bilan
allo-immun
Les fcsr
peuvent-elles être considérées comme un rejet de greffe
? Cette hypothèse, très séduisante, a fait et continue
de faire l'objet de très nombreux travaux. Cependant il n'existe actuellement
aucun examen de routine qui permette de confirmer un diagnostic dans ce domaine
et notamment, il faut proscrire du bilan de fcsr :
-l'étude des phénotypes HLA des conjoints
-la recherche d'anticorps bloquants ou anti-paternels, très en vogue
il y a une vingtaine d'années pour déboucher sur un traitement
par injections de lymphocytes du conjoint.
D'autres examens peuvent être effectués soit au niveau du sang
périphérique soit au niveau de l'endomètre. En particulier,
ceux qui explorent l'immunité Th1, celle-ci joue très probablement
un rôle dans les fcsr et l'immunité Th2 qui est particulièrement
développée au cours de la grossesse normale. Ces tests sont encore
du domaine de la recherche.
Bilan
de coagulation
1°)
La thrombocytémie
Ce désordre myéloprolifératif rare entraîne des
thromboses et des hémorragies liées au nombre particulièrement
élevé des plaquettes, à leur fonction et à leur
morphologie (Pagliaro 1996).
2°)
Les déficits de la fibrinolyse:
Déficits
en protéines C, S, anti-trombine III
De tels déficits entraînent le plus souvent des accidents tardifs
de la grossesse. Ils n'ont pas été retrouvés plus fréquemment
chez les femmes avec fcsr comparativement à une série de femmes
témoins sans antécédent de fcs (Gris 1997).
Les
anomalies de la cascade fibrinolytique
La fibrinolyse est significativement réduite chez près de 50%
des patientes présentant des fcsr sans autre circonstance étiologique
(Gris 1997).
Ces auteurs observent un deficit en urokinase et en TPA (Tissue Plasminogen
Activator) avec un excès d'inhibiteurs de la fibrinolyse PAI-1 et PAI-2
(Plasminogen-Activator-Inhibitor). Ces tests ne sont pas sont effectués
en routine mais peuvent être réalisés dans des laboratoires
spécialisés.
Mutations
du facteur V de Leiden et G20210A de la prothrombine
Ces mutations entraînent un état de thrombophilie responsable
de fcsr, plus fréquemment de fcsr tardives mais également dans
de fcsr précoces (Reznikoff-Etiévant 2001). Elles conduisent
également à une augmentation importante du risque de thrombophlébite
et de thromboembolies chez la femme enceinte. Les risques de fcsr et d'accident
thrombotique sont d'autant plus importants que la femme est homozygote ou
qu'elle possède les deux mutations à l'état hétérozygote.
Les femmes ne présentant qu'une forme hétérozygote de
l'une des deux mutations peuvent avoir présenté des fcsr secondaires
(enfant vivant et fcsr).
Le test ACV (réponse anticoagulante au venin d'agkristrodon contortrix),
effectué malheureusement dans peu de laboratoires, présente
l'intérêt d'explorer en même temps la protéine C,
la résistance à la protéine C activée et donc
le facteur V de Leiden. Lorsque ce test est pathologique, il suffit ensuite
d'étudier la protéine C et le facteur V de Leiden. En outre
le test ACV peut être diminué en l'absence d'anomalie de la protéine
C ou de la résistance à la protéine C activée,
cette situation correspond à un déficit encore non connu, mais
qui a la même signification que celle de la résistance à
la protéine C activée diminuée (Robert 1999). Dans notre
série de femmes avec fcsr précoces (Reznikoff-Etiévant
2001), 20% de tests ACV diminués sont de ce type, ce qui est supérieur
à une série de femmes témoin. Cette observation reste
à confirmer, mais de telles patientes pourraient bénéficier
d'un traitement anticoagulant prophylactique.
Les
dysfibrinoghénémies
Elles touchent les rares femmes dont la famille est porteuse de l'anomalie.
La transmission est autosomale dominante. La dysfibrinogénémie
peut-être suspectée avec des temps allongés de Quick ou
de céphaline activée. Elle est ensuite confirmée par
des tests spécialisés.
Perturbations
du métabolisme de la méthionine-homocystéine:
Hyperhomocystéinémie
L'élévation de l'homocystéine plasmatique confère
un risque de thrombose veineuse ou artérielle. La régulation
du métabolisme de l'homocystéine est assurée en particullier
par deux mécanismes principaux : sa reméthylation en méthionine
et sa trans-sulfuration en cystéine. La conversion de l'homocystéine
en méthionine fait intervenir, entre autres : la vitamine B12, le 5-méthyltétrahydrofolates
(la forme essentielle des folates) et l'enzyme MTHFR (méthylènetétrahydrofolate
réductase). Dans le système de trans-sulfuration, l'homocystéine
est convertie en cystathionine par l'intermédiare de la cystathionine
beta synthase.
L'hyperhomocystéine est donc la conséquence soit d'une mutation
de la MTHFR ou de la cytathionine beta synthase, soit d'un déficit
en folate, en vitamine B6 ou vitamine B12.
Qu'elle soit génétique ou nutritionnelle, cette hyperhomocytéinémie
entraîne des fcsr, qui sont le plus souvent tardives, des retards de
croissance intra-utérine, des anomalies du tube neural et des infarctus
placentaires.
On voit l'intérêt d'effectuer ce dosage de l'homocystéine
plasmatique et non comme cela se fait parfois la recherche d'une mutation
MTHFR qui est beaucoup moins spécifique et plus onéreuse.
Cas
du déficit en vitamine B12
Des observations récentes posent le problème du rôle de
la vitamine B12 dans la survenue de fcsr. Dans un travail personnel, nous
avons observé chez 110 femmes présentant des fcsr précoces
inexpliquées par les critères décrits précédemment,
9% de femmes présentant une vitamine B12 abaissée, souvent sans
signe hématologique, dont la moitié n'avaient pas d'hyperhomocytéinémie,
tandis que ce déficit n'était observé que chez 1% des
témoins sans antécédent de fcs. Pour la majorité
des femmes les fcs survenaient très précocement, avant 5 ou
6 semaines d'aménorrhée toutes avant 8 semaines. Un traitement
par vitamine B12 a pu permettre des grossesses normales. La survenue de fcsr
pourrait être secondaire à un déficit en vitamine B12
avant même que n'apparaisse une hyperhomocystéinémie.
L'hypothèse d'une action propre de la vitamine B12 dans la survenue
de fcsr est également soulevée dans un récent article
concernant 14 patientes avec un déficit en vitamine B12 (Bennett 2001):
9 cas de femmes avec fcsr précoces avec ou non épisode de stérilité
et 5 cas de femmes avec stérilité. De plus amples études
doivent être menées pour confirmer cette hypothèse. Quoi
qu'il en soit le dosage de vitamine B12 et le traitement qui s'en suivrait
sont très facilement applicables.
CONCLUSIONS
Il paraît
actuellement admis que les investigations des fcsr doivent pouvoir être
entreprises avant même d'attendre une troisième fcs surtout chez
les femmes âgées ou hypofécondes. Les fcsr secondaires (avec
enfants vivants) ne seront pas exclues de ces bilans ; en effet certaines anomalies
peuvent n'apparaître que tardivement après une ou plusieurs grossesses
normales c'est le cas de la survenue d'anticorps antiphospholipides ou bien
lorsque l'anomalie est d'intensité faible, une grossesse peut être
évolutive mais pas les suivantes.
Il est habituel de définir les fcsr comme survenant avec un même
conjoint. ce qui est une erreur car les anomalies portées par la femme
interviendront sur toutes ses grossesses même si elles proviennent de
conjoints différents.
Enfin l'âge des fcsr très précoces ou plutôt tardives
peut orienter vers une origine plutôt qu'une autre. Un facteur chromosomique,
une IOD, un déficit en vitamine B12 correspondent plutôt à
des fcsr très précoces. Les anticorps antiphospholipides, les
mutations génétiques correspondent plutôt à des fcsr
plus tardives ou très tardives.
Mots clés :
examens biologiques, fausses couches répétées.
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