Moyens
chirurgicaux et non chirurgicaux de protection de la fertilité
Yves
Aubard
Cancer
et fertilité ont longtemps été deux mots antinomiques tant
il est vrai que le cancer survient le plus souvent à un âge où
la fertilité n'est plus un problème. Quand, par malheur, le cancer
survient chez un adulte jeune ou un enfant, la fertilité future du patient
est volontiers considérée comme un problème mineur, il
faut d'abord sauver le malade !
Les choses ont cependant beaucoup évolué avec les progrès
de la cancérologie moderne en terme de guérison. La rançon
de ce succès est qu'il existe désormais une cohorte de plus en
plus importante de patients ayant survécu à leur cancer et désireux
d'une qualité de vie optimale après la maladie. La préservation
de la fertilité chez les patients jeunes et les enfants est l'un des
éléments essentiels de cette qualité de vie.
Ainsi pour le praticien, la protection de la fertilité avant un traitement
anti-cancéreux (TAC) devient-elle une priorité.
Effets
délétères des TAC sur la fonction gonadique
Tous les
TAC n'ont pas d'effet nocif sur la fertilité des patients, ainsi l'immunothérapie
ou l'hormonothérapie utilisées dans le traitement de certains
cancers n'ont pas d'effet décrit sur les fonctions gonadiques. Les grands
pourvoyeurs d'infertilité post TAC sont en fait la radiothérapie
et la chimiothérapie d'une part et les actes chirurgicaux mutilants pour
les organes de la reproduction d'autre part.
La radiothérapie
Le testicule
est très sensible à la radiothérapie, on estime qu'une
dose unique de 80cGy ou une dose fractionnée de 35 cGY provoquent une
azoospermie. Mais si la dose totale est inférieure à 1 Gy généralement
l'azoospermie récupère en 2 ans. L'azoospermie peut être
définitive à partir de doses de 2 à 3 Gy. Il faut des doses
beaucoup plus fortes (30 à 40 Gy) pour détruire les cellules de
Leydig et donc la sécrétion de testostérone.
Chez la femme, de faibles doses de rayons X provoquent une stimulation de la
croissance folliculaire, mais à partir de 1 Gy il existe une destruction
des follicules primordiaux qui est dose dépendante. On estime que 9 Gy
sont castrateurs.
Cependant l'action délétère des rayons X est très
variable d'un individu à l'autre dans les deux sexes et elle est également
âge dépendant.
L'effet des radiations ionisantes sur l'utérus est également très
néfaste comme en témoigne les mauvais résultats du don
d'ovocytes chez les patientes qui ont subi une irradiation de la cavité
utérine. L'implantation se fait beaucoup moins bien, ce problème
peut être à lui seul responsable de stérilités féminines.
La chimiothérapie
Chez l'homme
de nombreux produits se sont avérés capables de produire une oligo
ou une azoospermie transitoire, mais seuls les agents alkylants ont pu provoquer
des stérilités définitives. On sait que 400 mg de chlorambucil
et 11 g d'endoxan provoquent l'azoospermie, mais les doses pour lesquelles cette
atteinte est définitive sont plus élevées et mal connues.
Il existe, par ailleurs, de grandes variations individuelles de susceptibilité.
Si quelques spermatogonies ont survécu, elle peuvent repeupler les canaux
séminifères et induire une nouvelle spermatogénèse
parfois très tardive.
Chez la femme, la plupart des drogues de chimiothérapie détruisent
les follicules en croissance, ce qui aboutit à une aménorrhée
post-traitement qui dure généralement quelques mois. Mais là
également les agents alkylants ont une toxicité particulière
en s'attaquant directement aux follicules primordiaux. Le stocke de ces follicules
primordiaux étant immuable toute réduction aboutit à une
diminution de la vie génitale de la patiente avec risque de ménopause
précoce et de stérilité définitive. Il est très
difficile pour une patiente donnée de prévoir la date de survenue
de cette ménopause, mais elle peut être immédiate pour des
fortes doses (20 g d'endoxan par exemple).
La chirurgie
Enfin naturellement
la chirurgie anticancéreuse peut également gravement compromettre
la fertilité, soit lors des gonadectomies totales ou partielles ou lors
d'amputation du tractus génital de la femme (hystérectomie, salpingectomies
...).
Les moyens
de protection spécifiques contre la radiothérapie
Les rayons
X agissent soit directement (rayon incident) soit par diffraction (rayon diffusé).
Plus l'organe sera loin du rayon incident mois il sera irradié. D'autre
part les rayons X ne traversent pas certaines matières qui peuvent être
utilisées comme bouclier. On dispose donc de plusieurs possibilités
de protection : Eviter les irradiations gonadiques quand elles sont inutiles
et protéger les gonades quand elles sont obligatoirement dans le champ
(radioprotection) ou déplacer les tissus à protéger loin
du champ (déplacement gonadique).
La radioprotection
La
radioprotection testiculaire
Il convient dans un premier temps d'exclure le ou les testicules des champs
d'irradiation quand cela est possible sur le plan carcinologique. On peut
encore améliorer la protection en utilisant des caches testiculaires.
Le testicule ne reçoit que 1 à 2% du rayon incident avec l'utilisation
des caches. Ainsi en l'absence de cache moins de 30% des hommes irradiés
du pelvis pour maladie de Hodgkin retrouveront une spermatogénèse,
ce taux monte à 88% en cas d'utilisation des caches [Clavère,
1999 #596]. La radioprotection testiculaire est donc possible et efficace.
La
radioprotection ovarienne
Il est beaucoup plus difficile de protéger l'ovaire que le testicule
des champs d'irradiation. Les caches sont moins actifs. Seul le déplacement
chirurgical des ovaires, hors du champ d'irradiation s'avère efficace
en terme de radioprotection. La prévention contre le rayonnement diffusé
est également peu efficace.
La
radioprotection utérine
La radioprotection utérine est difficile à réaliser pour
les mêmes raisons que l'ovaire. Une très forte irradiation de
la cavité pelvienne ne doit cependant pas faire renoncer à préserver
la fertilité et la fonction gonadique car il existe pour ces patientes
la possibilité de recourir au prêt d'utérus (surrogate
pregnancy des anglo-saxons).
Les
déplacements gonadiques
Il existe trois manières de déplacer un organe :
- on peut déplacer l'organe en étirant sans les sectionner ses
pédicules vasculaires, il s'agit d'une transposition,
- on peut sectionner les pédicules vasculaires de l'organe et les réanastomoser
sur le site receveur, il s'agit alors d'une transplantation,
- on peut sectionner les pédicules sans les réanastomoser sur
le site receveur en comptant sur une néovascularisation, il s'agit
d'une greffe.
L'intérêt d'un déplacement gonadique est d'éloigner
le plus possible l'organe du champ d'irradiation.
Les
déplacement ovariens
La greffe d'ovaire entier ne donne pas de bons résultats, peu ou pas
de follicules survivent. Par contre la greffe de fragments de cortex ovariens
en de nombreux sites de l'organisme donnent de bons résultats en terme
de survie au moins des follicules primordiaux. Oktay a proposé tout
récemment la greffe de cortex ovarien à l'avant-bras chez des
patientes devant subir une forte irradiation du pelvis, avec une survie folliculaire
et des ovulations au sein des greffons [Oktay, 2000 #594]. Cependant ce procédé
doit être comparé aux résultats de la simple transposition
car la perte folliculaire liée à la greffe n'est probablement
pas négligeable.
La transposition ovarienne (voir [Porcu, 1999 #555]) consiste à déplacer
l'ovaire tout en gardant au moins l'un de ses pédicules vasculaires.
Cette technique a tout d'abord été proposée par Estes
pour traiter les stérilités tubaires. En 1958 Mc Call décrivait
une transposition ovarienne dans la gouttière pariéto-colique
pour protéger les patientes irradiées du pelvis pour un cancer
du col utérin. Depuis de nombreuses améliorations téchniques
ont été proposées (notamment la voie d'abord coelioscopique)
pour réaliser cette intervention. Deux grands sites de transpositions
ont été proposées : la gouttière pariéto-colique
pour éviter les irradiations centro-pelviennes et le cul de sac de
Douglas pour éviter les irradiations en Y inversé dans le cadre
des maladies de Hodgkin surtout. Une méta analyse des différentes
publications montre qu'environ deux tiers des patientes transposées
évitent la castration post TAC, mais seulement 15% des patientes le
désirant auront une grossesse après transposition [3]. La transposition
est donc un moyen relativement efficace de préserver la fonction endocrine
de l'ovaire et assez peu efficace de préservation de la fertilité.
Les principaux facteurs d'échec de la transposition sont l'âge,
l'association d'une chimiothérapie à la radiothérapie
et la dose d'irradiation réellement reçue par l'ovaire [4].
La transplantation ovarienne dans le but de protéger l'ovaire d'une
irradiation pelvienne a été rapportée pour une seule
patiente [5]. Ce cas tout à fait remarquable a permis de démontrer
la faisabilité de la transplantation et son succès à
long terme. Cependant la faible reproductibilité et la lourdeur de
la procédure ont découragé d'autres équipes d'utiliser
cette technique.
Les
déplacements du testicule
Les déplacements testiculaires se heurtent au fait que la spermatogénèse
nécessite une température inférieure à 37°C
pour être optimale. Par ailleurs nous avons vu que la radioprotection
du testicule en place est beaucoup plus simple et efficace que la radioprotection
ovarienne. Ces raisons font que les déplacements testiculaires n'ont
pas d'intérêt pour protéger la spermatogénèse
des rayons X.
Les moyens
de protection spécifiques contre la chimiothérapie
Il n'existe
pas de procédé spécifique de lutte contre les effets délétères
de la chimiothérapie sur les gonades.
Les actions les plus bénéfiques sont d'utiliser des protocoles
comportant moins d'agents alkylants, ainsi dans le traitement de la maladie
de Hodgkin l'utilisation préférentielle de protocoles de type
ABVD s'est-elle avérée moins toxique pour les gonades que le traditionnel
MOPP.
La mise au points d'agents thérapeutiques moins toxiques pour le tissu
gonadique et tout aussi efficace contre le cancer est un enjeu majeur de la
recherche pharmaceutique moderne.
Les moyens
de protection spécifiques contre la chirurgie
Le traitement
de certains cancers chez la femme impose l'exérèse chirurgicale
de tout ou partie des organes de la reproduction, compromettant gravement la
fertilité. Des tentatives de chirurgie conservatrice ont été
proposées chez les femmes jeunes et les enfants.
Les tumeurs
de l'ovaire
Le cancer
épithélial de l'ovaire est découvert le plus souvent à
des stades et à des âges où le problème de la fertilité
ne se pose plus. Cependant, dans certaines situations, il est découvert
à un stade précoce chez une jeune femme désireuse de préserver
sa fertilité. Contrairement aux tumeurs épithéliales, les
tumeurs germinales et stromales de l'ovaire surviennent le plus souvent chez
la femme jeune et l'enfant, c'est dire que la préservation de la fertilité
est bien souvent au centre des débats. Au stade I des cancers de l'ovaire,
certaines attitudes chirurgicales conservatrices sont possibles dans le but
de préserver la fertilité
Le
stade Ia
Il est admis, au stade Ia, que le traitement conservateur par annexectomie
unilatérale augmente très peu le risque de récurrence
du cancer si un stadging très complet de la maladie est fait et si
le grade tumoral est pris en compte. La simple kystectomie parait par contre
insuffisante pour la plupart des auteurs.
La plus grande rigueur est cependant nécessaire pour autoriser le traitement
conservateur car le stade Ia est souvent sous-évalué. La fréquence
des métastases ganglionnaires est par exemple estimée à
10 %. D'autre part, le risque d'atteinte de l'ovaire controlatéral
est estimé à 14 % et il paraît plus important dans les
formes séreuses, c'est dire que l'examen minutieux de l'annexe controlatérale
est nécessaire en échographie pré-opératoire et
à l'examen macroscopique per-opératoire. La réalisation
de biopsies systématiques de l'ovaire controlatéral n'est cependant
pas recommandée car elle est responsable d'adhérences compromettant
la fertilité future. Des biopsies ne doivent donc être réalisées
que sur des lésions suspectes macroscopiquement ou échographiquement.
Par ailleurs, la fréquence des atteintes utérines est grande
dans les cancers ovariens. Cette atteinte peut être séreuse et
endométriale. Les biopsies systématiques de la séreuse
utérine ne sont pas recommandées, toujours en raison des adhérences
qu'elles peuvent entraîner. Par contre, la biopsie de toute lésion
suspecte du péritoine utérin est nécessaire. Pour ce
qui est de l'endomètre, l'exploration de la cavité utérine
est nécessaire par hystéroscopie et curetage doux avant d'envisager
la conservation de l'utérus.
Dans ces conditions somme toute assez drastiques, quelques séries de
la littérature rapportent de bons taux de grossesses et un très
faible risque de récurrence de la maladie cancéreuse [28].
Le
stade Ib
L'ovariectomie bilatérale est la règle, la conservation utérine
est possible, elle obéit aux mêmes lois que pour le stade Ia.
Des grossesses par don d'ovocytes ont été rapportées
chez des patientes ayant eu une conservation utérine dans cette situation.
Le
stade Ic
La conservation utérine est également possible à ce stade
selon les mêmes critères que pour les stades Ia et Ib. Des grossesses
avec don d'ovocytes ont également été rapportées
dans ce contexte. Dans les stades Ic unilatéraux, la conservation de
l'annexe controlatérale a été décrite associée
à une chimiothérapie par cysplatine et des grossesses ont été
obtenues.
Les
tumeurs borderline de l'ovaire
Leur âge de survenue est plus jeune que celui des cancers épithéliaux,
l'âge moyen est de 10 ans inférieur. La préservation de
la fertilité se pose donc plus volontiers en présence de ce
type de tumeurs. D'autre part, le pronostic global de ces lésions est
bon et les taux de survie restent appréciables même dans les
stades avancés. La bilatéralité est fréquente
surtout dans les formes séreuses. Enfin, 70 % de ces lésions
sont découvertes au stade I.
Dans les stades Ia, si l'ovariectomie unilatérale est admise par la
grande majorité des auteurs, la kystectomie simple a également
été proposée.
Dans les stades Ib et Ic et en cas de désir de préservation
de la fertilité, trois attitudes peuvent être proposées
:
- annexectomie bilatérale en préservant l'utérus pour
permettre le don d'ovocyte,
- annexectomie unilatérale du côté où la tumeur
est la plus volumineuse et kystectomie controlatérale,
- kystectomie bilatérale.
Signalons
que, dans le cadre des tumeurs borderline de l'ovaire, la conservation utérine
obéit aux mêmes lois que pour les tumeurs invasives : une exploration
endocavitaire est nécessaire.
Dans les stades II et III, la conservation utérine n'est pas recommandée.
Cependant, la survie reste très bonne (encore 70 % au stade III). L'infertilité
a donc de grande chance d'être un problème majeur pour ces femmes
après leur maladie.
Le cancer
du col de l'utérus
L'âge
médian de survenue du cancer du col de l'utérus est de 57 ans.
C'est dire que là également habituellement le problème
de la préservation de la fertilité ne se posera pas. Cependant,
ce cancer peut survenir chez la femme jeune désireuse de maternité.
Pour les cancers de stade Ia1, la conisation en zone saine est suffisante, mais
pour les stades Ia2 et Ib l'hystérectomie est recommandée. Chez
les jeunes femmes désireuses de préserver leur fertilité,
Dargent a proposé la trachélectomie élargie (TE) dans le
but d'éviter l'hystérectomie [52, 53]. Ce procédé
très astucieux permet à certaines patientes d'obtenir des grossesses
sans compromettre leur survie [54].
Une autre approche a été proposé tout récemment
par Landoni pour ces stades précoces : la chimiothérapie néoadjuvante
suivie d'une simple conisation [Landoni, 2001 #599]. Nous manquons encore de
recul pour évaluer cette attitude.
Le cancer
du corps de l'utérus
Le cancer
du corps de l'utérus est devenu le cancer pelvien le plus fréquent
de la femme dans les pays industrialisés. On distingue deux types principaux
de cancer du corps utérin, les adénocarcinomes de l'endomètre
et les sarcomes utérins.
Le cancer de l'endomètre survient rarement chez la femme en âge
de procréer et exceptionnellement avant 35 ans. C'est dire que la préservation
de la fertilité ne sera que très exceptionnellement le problème
devant une patiente atteinte d'un cancer de l'endomètre. Cependant des
tentatives de traitement conservateur par hormonothérapie, ont été
réalisées chez les femmes jeunes permettant d'obtenir des grossesses
[Plante, 2000 #600].
Des traitements conservateurs de léiomyosarcomes (simple myomectomie)
ont également été proposés avec succès.
Les moyens
de protection contre la radiothérapie et la chimiothérapie
Plusieurs
tentatives ont été faites pour diminuer l'effet délétère
de la radiothérapie et de la chimiothérapie sur les gonades à
l'aide de médicaments. On distingue deux grands types de produits, les
anti-oxydants et les produits bloquant la gamétogénèse.
Les anti-oxydants
L'action
délétère des rayons X et des agents alkylants sur les gonades
est liée à la libération de radicaux libres. Les agents
anti-oxydants diminuent l'effet toxique des radicaux libres, on peut donc espérer
en théorie qu'ils diminueront l'effet néfaste sur les gonades.
Si certains bénéfices ont pu être obtenus chez l'animal,
aucun résultat bien probant n'a été obtenu dans l'espèce
humaine tant chez l'homme que chez la femme. Par ailleurs diminuer l'effet des
traitements sur le tissu gonadique peut également diminuer cet effet
sur les cellules cancéreuses et donc compromettre l'efficacité
thérapeutique des traitements. En pratique, il n'est pas recommandé
d'utiliser les agents anti-oxydants pour protéger la fonction gonadique
en dehors d'essais thérapeutiques.
Les produits
bloquant la gamétogénèse
Deux arguments
plaident pour les tentatives de bloquage de la gamétogénèse
dans le but de préserver la fertilité lors des traitements anti-cancéreux
:
- La plupart des traitements anti-cancéreux détruisent préférentiellement
les cellules en croissance et différenciées. On peut donc espérer
qu'un follicule primordial ou une spermatogonie soient moins sensibles qu'un
follicule mature ou un spermtatozoïde aux rayons X ou à la chimiothérapie.
- Par ailleurs on sait depuis longtemps que les gonades de l'enfant sont moins
sensibles à l'action délétère des TAC que les gonades
de l'adulte, or dans ces gonades infantiles la gamétogénèse
est bloquée.
Ces données théoriques ont été confirmées
chez l'animal, l'administration de stéroïdes sexuels (estroprogestatifs
chez la femelle et androgènes chez le mâle) ou d'agoniste du GnRH
ont permis de protéger les gonades de la radiothérapie et de la
chimiothérapie. Dans l'espèce humaine, les résultats sont
beaucoup moins probants, aucune étude randomisée n'a été
réalisée et les séries sont toujours rétrospectives
et courtes [6].
Par ailleurs les bases théoriques de la mise au repos gonadique pendant
les TAC sont hasardeuses. En effet, la radiothérapie et les agents alkylants
détruisent les follicules primordiaux et les spermatogonies et donc les
gamètes quiescentes, bloquer la gamétogénèse n'aura
donc pas d'effet protecteur contre ces traitements [7].
Ainsi les
tentatives médicamenteuses de protection de la fonction gonadique lors
de la radio- ou de la chimiothérapie sont-elles peu efficaces. Certaines
équipes préconisent l'utilisation des agonistes du GnRH plus sur
des convictions personnelles que sur des faits tangibles.
Les moyens
de protection contre l'ensemble des TAC
Les progrès
de la cryobiologie ont permis de proposer des méthodes de préservation
de la fertilité contre les TAC. Il y a longtemps que l'on sait conserver
par le froid des cellules et la cryopréservation des gamètes est
un procédé déjà anciennement proposé dans
l'espèce humaine. La cryopréservation des tissus est également
possible et c'est pourquoi on assiste de nos jours à un développement
des techniques de cryopréservation du tissu gonadique. La cryopréservation
d'organes entiers est le futur challenge des cryobiologistes, les premiers essais
de congélation de gonades entières ont été réalisés.
La cryopréservation
des gamètes
La
cryopréservation de l'ovocyte
Chen et col. ont obtenu la première grossesse à partir d'ovocytes
cryopréservés dans l'espèce humaine en 1986 [8]. Après
l'enthousiasme de ce premier résultat, on s'est aperçu qu'en
fait la congélation de l'ovocyte mature avait une très faible
rentabilité. En effet la survie de l'ovocyte à la congélation-décongélation
est assez faible avec des taux importants d'aneuploïdie [9]. Enfin le
taux de fécondation de ces ovocytes après décongélation
est également faible ce qui aboutit à un très petit nombre
de grossesses rapportées dans l'espèce humaine avec cette technique.
On peut améliorer les taux de fertilisation en utilisant l'ICSI et
les taux de survie à la congélation en congelant des ovocytes
au stade de pronuclei. Malgré tout le taux de grossesses reste faible
ce qui rend cette procédure inadaptée à la situation
qui nous intéresse. En effet chez les patientes soumises à un
TAC pour congeler des ovocytes il faudrait avoir le temps de réaliser
une induction d'ovulation. Ceci est rarement possible et même dans ce
cas, les chances d'obtenir une grossesse à partir d'une dizaine d'ovocytes
congelés, sont infimes. Si la patiente se présente avec un conjoint,
il est préférable, si l'on obtient des ovocytes après
stimulation, de faire d'emblée une FIV et de congeler les embryons
obtenus après la FIV.
La
congélation du spermatozoïde
Je ne parlerai pas de cette technique qui mérite à elle seule
un chapitre et qui sera développée par l'orateur suivant.
La cryopréservation
du tissu gonadique
La
cryopréservation du tissu ovarien
Le
prélèvement du tissu ovarien et son conditionnement pour la
congélation
La clioscopie est un moyen idéal pour prélever tout ou
partie du tissu ovarien. Un intérêt non négligeable de
la clioscopie est la possibilité, dès le lendemain de
l'intervention si cela est nécessaire, de débuter un traitement
anticancéreux. Le prélèvement ovarien clioscopique
est également parfaitement adapté à l'enfant, même
très jeune.
Le cortex ovarien est isolé et soigneusement débarrassé
de la médullaire avant la congélation. Ce cortex est ensuite
coupé en petits fragments compris entre 1 mm2 et 1 cm2. Plusieurs solutés
(tels que le Leibowitz, le RPMI, le PBS, l'alpha minimal essential medium
…) et plusieurs agents cryoprotecteurs (tels que le DMSO, l'éthylène
glycol, propanédiol …) ont été utilisés avec
succès pour la congélation du tissu ovarien. Certains auteurs
proposent également une étape de déshydratation au sucrose
du tissu avant la congélation [10].
La
congélation et la décongélation du tissu ovarien
En 1990, Gosden [11] proposait une courbe de descente en température
inspirée du slow cooling : Les tubes ou les paillettes contenant les
fragments de cortex ovarien sont mis dans un congélateur programmable
dont la température de départ se situe vers + 5°C. La descente
est alors de 2 °C/mn jusqu'à - 9°C. Un seeding est alors réalisé,
puis la descente est reprise à 0,3°C/mn jusqu'à - 40°C.
Ensuite, la vitesse de descente en température est de 10°C/mn jusqu'à
- 140°C. Les tubes sont retirés du congélateur et stockés
dans l'azote liquide. La plupart des auteurs contemporains travaillent avec
ce type de descente en température. Certains travaux récents
ont comparé le slow cooling avec des procédés plus rapides
de congélation (semi-rapide ou vitrification), les résultats
obtenus avec ces autres protocoles n'ont pas encore permis de remplacer le
slow cooling [10].
La décongélation qui est réalisée par la plupart
des équipes est le " rapid thawing " : les tubes ou les paillettes
sont extraits de l'azote liquide et plongés dans un bain-marie à
25°C. Le tissu doit ensuite être utilisé rapidement.
L'utilisation
du tissu ovarien
La maturation folliculaire peut être réalisée en théorie
selon plusieurs modalités :
L'autogreffe
d'ovaire
Le choix du site de ces autogreffes est important et de très nombreux
sites ont été testés dans de nombreuses espèces
[12]. Si l'on réimplante le tissu dans sa situation princeps (greffe
orthotopique), on peut espérer une fertilité naturelle sans
recours à d'autre méthode d'AMP. On peut également
imaginer la réimplantation dans un autre site (greffe hétérotopique)
et le recours à la fécondation in vitro pour obtenir une grossesse.
La première grossesse obtenue avec ce modèle fut celle de
Parrott [13] en 1960 qui réalisa une greffe orthotopique chez la
souris. C'est également l'autogreffe orthotopique qui a été
essayée par Oktay lors de la première tentative d'utilisation
de tissu ovarien congelé chez la femme [14]. L'autogreffe de tissu
ovarien est le seul procédé de maturation folliculaire envisageable
aujourd'hui.
La maturation folliculaire in vitro
La maturation in vitro des follicules ovariens après leur décongélation
serait un procédés idéal, évitant ainsi tout
risque de réintroduction de la pathologie initiale avec une greffe
[15]. Les techniques de culture des follicules ovariens en sont encore à
leur début. Dans l'espèce humaine, les difficultés
sont liées à la longueur de la folliculogénèse
[16] et à la grosseur du follicule préovulatoire qui pose
d'énormes problèmes techniques. Plusieurs étapes du
développement folliculaire dans l'espèce humaine ont été
obtenues in vitro. Bien qu'encourageant, les résultats sont encore
parcellaires et cette méthode n'est pas opérationnelle aujourd'hui.
La xénogreffe
Plusieurs animaux immunodéficients tels que les souris SCID ou nudes,
sont utilisables pour recevoir des xénogreffes de tissu ovarien humain.
On obtient avec ces modèles une survie folliculaire importante, cependant
aucun auteur n'est arrivé à une maturation des follicules
humains plus gros que 5 à 7 mm. S'il est possible un jour d'obtenir
des grossesses grâce à la XTO, envisager des applications cliniques
à la XTO posera un problème éthique majeur. Faire maturer
un gamète humain dans un animal doit en effet être envisagé
avec circonspection !
Etat
de lieux pour la CPTO
La CPTO reste une méthode en cours de développement et d'évaluation.
En France elle ne peut être proposée que dans le cadre des lois
régissant la recherche clinique. Les patientes doivent être informées
que pour le moment seules quelques tentatives d'autogreffe ont été
réalisées dans l'espèce humaine et que aucune grossesse
n'a encore été obtenue.
La
cryopréservation du tissu testiculaire
Si la
CPTO est encore en cours de développement la cryopréservation
du tissu testiculaire (CPTT) en est encore à ses balbutiements. La
congélation du sperme répond à la majorité des
problèmes chez l'homme, cependant elle a ses limites. Il est parfois
impossible de faire un recueil de sperme de bonne qualité chez un patient
soit par manque de temps soit à cause de l'état de santé
du patient. Par ailleurs la congélation du sperme ne peut pas être
utile chez l'enfant. Il existe donc une place potentielle pour la congélation
du tissu testiculaire et des spermatogonies qu'il contient. Ces cellules souches
étant capables de se reproduire on peut espérer ainsi rétablir
une spermatogénèse durable chez les patients. Certains travaux
ont démontré qu'il était possible d'isoler les cellules
souches à partir de biopsies de tissu testiculaire et de les congeler
[Brook, 2001 #429]. Les premiers résultats chez l'animal sont encourageant
, les premières tentatives humaines sont donc pour bientôt.
La cryopréservation
des gonades
Classiquement
la congélation d'un organe entier reste impossible selon les données
modernes de la cryobiologie. Cependant les premiers essais de congélation
d'un ovaire entier avec son pédicule vasculaire ont été
réalisées par Imhof et col. avec, semble-t-il, des résultats
encourageants [17]. L'idée est de prélever l'ovaire avec son pédicule
vasculaire et d'injecter par l'artère un soluté contenant un cryoprotecteur,
puis ensuite de congeler l'organe entier. A la décongélation on
anastomose l'ovaire sur un pédicule nourricier. Des survies de l'ovaire
et du stocke folliculaire ont été obtenu par Imhof sur le porc
et le mouton. Naturellement ces résultats préliminaires tout à
fait extraordinaires méritent d'être confirmés. Cependant
cet approche pourrait constitué la méthode de choix pour préserver
la fertilité des femmes soumises à un TAC.
Utilisation
de ces différentes téchniques en pratique
En pratique
le problème est d'offrir au patient le plus de chance de préserver
sa fertilité sans mettre en jeu des techniques hasardeuses qui pourraient
au contraire lui faire perdre des chances de grossesse. Il convient de distinguer
trois types de situations :
- si les
TAC n'ont pas de potentiel castrateur à cours termeo Il faut informer
les patients d'une possibilité de diminution de la fertilité
et chez les femmes de ménopause un peu en avance,
o Et donner le conseil de différer le moins possible le projet parental
car des techniques d'AMP seront peut être nécessaires.
- Si les TAC ont un effet nocif avéré sur le tissu gonadique
o Il faut en informer clairement les patients,
o et s'ils le désirent, proposer des techniques avérés
ayant fait la preuve de leur efficacité : congélation de sperme
ou transposition ovarienne par exemple
- Si les TAC seront très certainement castrateur à court terme
o Il faut informer les patients
o Il existe une place pour les techniques modernes qui sont en cours d'évaluation
mais qui sont la seule chance de préserver la fertilité chez
ces patients (congélation du tissu gonadique)
o Penser que l'on peut associer des techniques : transposition ovarienne et
congélation de tissu ovarien ; congélation de sperme et de tissu
testiculaire …
Dans tous
les cas de figure il est primordial d'évaluer le potentiel castrateur
du TAC proposé au patient, d'envisager la possibilité de traitements
moins dangereux sans compromettre le pronostic vital et de tenir compte du pronostic
global de la maladie néoplasique. C'est dire que la concertation entre
le gynécologue, le biologiste de la reproduction et le cancérologue
doit être intense pour offrir le maximum de chance de préserver
sa fertilité au patient.
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