SESSION DE PéDIATRIE GéNéRALE
Devenir respiratoire entre 5 et 6 ans des
enfants ayant présenté une première bronchiolite dans la
première année de vie
M. SZNAJDER, V. ALBONICO, M. DIB,
B.CHEVALLIER et le Groupe de Pédiatrie
Générale de la Société Française de Pédiatrie
Introduction
La prévalence de l'asthme et des manifestations
allergiques chez l'enfant s'est considérablement accrue depuis une quinzaine
d'années dans la plupart des pays, comme en témoignent les données
de l'enquête internationale « ISAAC » (International Study of Asthma
and Allergies in Childhood), menée auprès de 460 000 enfants à travers
56 pays [1].
En dépit des controverses liées
à la théorie hygiéniste [2], les infections du jeune enfant sont
souvent pointées comme un des facteurs de risque incriminés dans cette
augmentation du phénomène allergique. Le lien entre les infections précoces
dues au virus respiratoire syncitial (VRS), et notamment les bronchiolites du nourrisson,
et le développement ultérieur d'un asthme, d'une hyperréactivité
bronchique, et/ou d'autres manifestations allergiques, semble de mieux en mieux
établi [3-5], même si les mécanismes immunologiques en cause restent
incomplètement élucidés [6].
Objectifs
Les objectifs du présent travail sont d'une
part, de déterminer la prévalence et les facteurs de risque de l'asthme
et de l'allergie dans une population d'enfants ayant présenté, cinq ans
auparavant, un premier épisode de bronchiolite avant l'âge de 12 mois,
et d'autre part, de définir le rôle possible de l'âge de survenue
de la bronchiolite (notamment avant trois mois) sur le développement ultérieur
de l'asthme et de l'allergie.
Méthode
Une enquête de cohorte rétrospective
a été menée à partir du registre des urgences pédiatriques
de deux centres (Centre A : CHU Ambroise Paré, Boulogne ; Centre B : CH de
Cherbourg). Le critère d'inclusion concernait des enfants de 5 à 6 ans,
âgés de moins d'un an lors de leur passage aux urgences pour un premier
épisode de bronchiolite (avec ou sans hospitalisation) entre octobre 1993 et
mars 1994, et dont l'un au moins des parents avaient donné son accord pour
ce protocole. Etaient exclus les enfants nés prématurément, ayant
subi une ventilation assistée en période néonatale, et/ou porteurs
d'une pathologie pulmonaire chronique ou d'une cardiopathie congénitale.
Les données ont été
recueillies au moyen d'un questionnaire téléphonique soumis aux parents,
et validé lors de l'étude ISAAC.
Résultats
Présentation générale
Cent trente huit familles ont pu être contactées
sur les deux centres ; 128 enfants (Centre A : 78 et Centre B : 50) ont été
inclus (3 refus ; 6 exclus ; 1 décès par purpura fulminans).
On retrouvait des antécédents
familiaux d'allergie (rhinite allergique, eczéma, et/ou asthme) chez 92 enfants
soit 71,8 %. Cinquante deux enfants (40,6 %) étaient exposés au tabagisme
passif, mais une nette différence entre les centres (25,6 % à Boulogne,
64,0 % à Cherbourg). Dans cet échantillon le mode de garde des enfants
de Boulogne (milieu urbain) faisait plus souvent appel aux moyens non parentaux
qu'à Cherbourg (milieu semi-rural) (74,3 % versus 20,0 %). Le sexe ratio M/F
était de 1,25.
Hospitalisation lors de la primobronchiolite
Cent cinq enfants (81,2 %) ont été hospitalisés
lors de cet épisode, avec une nette différence entre les centres (70,5
% d'admissions à Boulogne, 100 % à Cherbourg). Aucun enfant n'a été
admis en réanimation. Parmi les enfants hospitalisés lors de la primo-bronchiolite,
l'âge moyen était de 5,1 mois, et 29 enfants avaient moins de trois mois.
Manifestations cliniques chez les enfants de 5-6 ans
Quatre vingt dix sept enfants sur 128 (75,8 %)
ont présenté au moins un épisode de sifflements à un moment
quelconque de leur vie. Dans les douze mois précédant l'interview téléphonique,
40 enfants (31,3 %) ont présenté au moins un épisode de sifflement,
47 (36,7 %) une crise d'asthme, et 32 (25,0 %) des sifflements à l'effort ;
52 enfants (40,6 %) ont eu des signes de rhinite allergique et 32 (25,0 %) de l'eczéma.
Relation entre les différentes manifestations cliniques
à 5-6 ans
On retrouve un lien statistique entre le fait
d'avoir eu dans l'année précédente, d'une part, au moins une crise
d'asthme, et d'autre part un épisode de sifflement (41/47), des sifflements
à l'effort (31/47), ou encore une toux sèche nocturne (32/47) (p<0,001).
Asthme et rhinite allergique apparaissent liés, de même que sifflements
et rhinite allergique (p<0,001). La liaison asthme et eczéma apparaît
moins évidente (14/47) (p=0,11).
Facteurs de risque d'asthme et de sifflements à 5-6 ans (analyse
univariée)
Parmi les 47 enfants ayant eu au moins une crise
d'asthme dans les douze mois précédents, 27 (57,4 %) avaient des antécédents
familiaux d'asthme (p<0.04).
On n'a pas observé de relation
significative entre asthme ou sifflement récent et âge inférieur
à trois mois lors de la primobronchiolite (p=0,6), hospitalisation initiale
(p=0,6), tabagisme passif (p=0,27), sexe (p=0,10) ou encore mode de garde dans les
trois premières années (p=0,73).
Discussion
Le VRS infecte près de la moitié des
enfants avant un an et rend compte d'au moins 70 % des cas de bronchiolite infantile
[7].
Des facteurs à la fois génétiques
et environnementaux déterminent le type de réponse immune à l'infection
aiguë par le VRS, et cette réponse, en retour, peut affecter le développement
des mécanismes de contrôle impliqués dans la régulation du tonus
bronchique. Au niveau des cellules épithéliales sollicitées par le
VRS s'initie une réponse inflammatoire, médiée par différents
types de cytokines et chémokines incluant l'interféron gamma, les interleukines
8,10 et 12, et des cytokines produites par les cellules T helpers Th1 et Th2 [6]
; l'importance de la réaction inflammatoire semble parallèle à la
sévérité clinique, et les enfants présentant une hyperéosinophilie
et/ou une augmentation des IGE au cours d'un épisode de bronchiolite semblent
plus sujets à un wheezing à un âge ultérieur [8]. D'autres virus
(influenza, parainfluenza et métapneumovirus) semblent pouvoir jouer le même
rôle.
Ce travail montre une prévalence
accrue de manifestations liées à l'asthme et autres allergies dans une
population d'enfants ayant présenté un premier épisode de bronchiolite
avant l'âge de 12 mois, si l'on compare ces résultats avec ceux obtenus
à Bordeaux et Strasbourg sur des enfants de 6 à 7 ans dans le cadre de
l'étude ISAAC : 36,7 % ont eu au moins une crise d'asthme récente dans
notre étude, contre 9,3 % à Bordeaux et 6,7 % à Toulouse ; 31,3 %
ont eu des sifflements dans les douze mois précédents, contre 8 % à
Bordeaux et 6,1 % à Toulouse. Une autre étude réalisée en France
retrouve une prévalence cumulée d'asthme de 8,6 % chez des enfants âgés
de 5 à 6 ans [9].
Nous trouvons ici la même relation
entre bronchiolite du nourrisson et asthme ultérieur que celle retrouvée
dans d'autres études [3-5]. Dans l'étude de Ploin et al. 54 % des enfants
asthmatiques âgés de 4 à 12 ans avaient des antécédents
de bronchiolite au cours de la première année, contre 17 % dans un groupe
contrôle [3].
Le problème de la définition
de l'asthme (crise typique, sifflements, toux nocturne) ne se pose que peu dans
notre étude, car tous ces facteurs apparaissent très liés au plan
statistique. L'hyperréactivité bronchique non asthmatique, dont témoignent
certains épisodes isolés de sifflements, serait particulièrement
liée au tabagisme passif, indépendamment des antécédents allergiques
[5], mais cette relation n'est pas apparue dans notre étude.
UN point important concerne la période
d'étude suivant l'épisode initial. EN effet, la fréquence des manifestations
post-bronchiolite, y compris après une bronchiolite sévère, a tendance
à diminuer avec le temps, et devient faible après 1'âge de 10 ans,
sauf en cas d'antécédents familiaux allergiques [4], bien que ce dernier
point ne soit pas retrouvé par d'autres auteurs [10]. Dans notre étude
la prévalence des sifflements à moment quelconque est nettement supérieure
à celle signalée dans les douze derniers mois, témoignant a priori
d'une baisse de fréquence avec le temps.
Le seul facteur de risque d'asthme
ou de sifflement thoracique identifié dans notre étude a été
les antécédents familiaux d'asthme. Cette donnée rejoint l'idée
que si pour la majorité des enfants, la bronchiolite aiguë, même
sévère, est un phénomène « de passage »,
avec pas ou peu de conséquence à moyen et long terme, celle-ci peut être
l'expression à un moment donné d'une interaction virose-terrain atopique,
responsable d'une hyperréactivité bronchique prolongée.
Le sexe masculin, qui est sur-représenté
lors des infections précoces, n'apparaît pas comme un facteur de risque
d'épisodes asthmatiques, de sifflements ou de toux isolée ultérieurs
; en fait on trouve à 5-6 ans plus de garçons qui sifflent à Boulogne,
et plus de filles à Cherbourg !
Comme dans l'étude de Ploin et
al., un âge très précoce (avant trois mois) n'apparaît pas ici
comme un facteur de risque supplémentaire. Les données de la littérature
sont en fait contradictoires.
Bien qu'elle n'ait pas été
étudiée ici, il semble intéressant de souligner que la prescription
de corticoïdes inhalés à visée préventive au décours
d'une première bronchiolite n'apparaît pas utile à travers les données
de la littérature [11,12], alors qu'elle paraît présenter un intérêt
dans l'asthme du nourrisson (dont la première manifestation peut être
une bronchiolite).
Les données agrégées
entre Boulogne et Cherbourg ont permis d'obtenir un échantillon plus important,
même si la puissance de cette étude reste probablement insuffisante. Deux
points diffèrent entre les deux populations étudiées: le mode de
garde avant trois ans et le tabagisme passif. Ils reflètent probablement des
écarts concernant le caractère urbain ou semi-rural, ainsi que le niveau
socioéconomique différent d'une ville à l'autre. UN autre biais de
recrutement lié au fait que tous les enfants inclus à Cherbourg avaient
été hospitalisés lors de la primobronchiolite doit également
être souligné, mais il ne semble pas influer sur les résultats puisque
le critère hospitalisation n'apparaît pas comme un facteur de risque supplémentaire
dans notre étude.
Bibliographie
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of symptoms of asthma, allergic rhinoconjunctivitis, and atopic eczema: ISAAC. The
International Study of Asthma and Allergies in Childhood (ISAAC) Steering Committee.
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[2] Ball TM, Castro-Rodriguez
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and the risk of asthma and wheezing during childhood. N Engl J Med. 2000;343:538-43.
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syncytial virus bronchiolitis and the pathogenesis of childhood asthma. Pediatr
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A, Rancé F et al. Enquête épidémiologique sur l'asthme et les
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via a spacer in infants recovering from bronchiolitis. Eur Respir J. 2000;15:388-94.
84 M.
SZNAJDER et coll. DEVENIR
RESPIRATOIRE ENTRE 5 ET 6 ANS DES ENFANTS 85
86 M.
SZNAJDER et coll. DEVENIR
RESPIRATOIRE ENTRE 5 ET 6 ANS DES ENFANTS 87
Episode initial bronchiolite
Q1 Hospitalisation initiale : O/N
Q2 Sifflements à un moment quelconque de
sa vie : O/N
Au cours des douze derniers mois
Q3 Sifflements dans les douze derniers mois :
O/N
Q4 Combien de crises de sifflements dans les
douze derniers mois : n
Q5 Combien de fois ces crises l'ont-elles réveillé
: n
Q6 A-t-il eu des crises d'asthme : O/N
Q7 Sifflement après effort : O/N
Q8 Toux sèche nocturne (sans rhume ni infection
respiratoire) : O/N
Q9 Eternuements, nez bouché (sans rhume
ni grippe) : O/N
Q10 Eczéma à un moment quelconque de
sa vie : O/N
Q11 Eczéma dans les douze derniers mois
: O/N
Antécédents familiaux
Q12 Nombre d'enfants dans la fratrie : n
Q13 Eczéma dans la fratrie et/ou chez les
parents : O/N
Q14 Rhinite allergique dans la famille proche
: O/N
Q15 Asthme dans la famille proche : O/N
ATCD personnels
Q16 Rang dans la fratrie : n
Q17 Eczéma : O/N
Q18 Rhinite allergique : O/N
Q19 Tabagisme passif : O/N
Mode de garde préférentielle de 3 mois à 3 ans
Crèche collective
Crèche familiale
Assistante maternelle
Halte-garderie
Milieu parental Items
88 M.
SZNAJDER et coll. DEVENIR
RESPIRATOIRE ENTRE 5 ET 6 ANS DES ENFANTS 89 |