APPROCHES PéDOPSYCHIATRIQUES DE
TROUBLES DU NOURRISSON
Des troubles du comportement alimentaire du
bébé
M.-F. LE HEUZEY
« Bébé ne mange pas, bébé
refuse le biberon, bébé crachouille » ... les demandes et les
inquiétudes des parents sont multiples lors de l'alimentation de leur enfant.
Ces difficultés alimentaires sont en effet des symptômes très répandus,
générateurs d'angoisse chez les parents et les soignants, mais qui pendant
de nombreuses années ont été mal précisés.
Des difficultés mineures existeraient
chez 25 à 35 % des enfants, et ces problèmes concerneraient 40 à
70 % des prématurés et des enfants atteints de maladies chroniques.
La terminologie elle même reflète
le flou inhérent à ces troubles : refus alimentaire, phobie alimentaire,
aversion alimentaire, anorexie du nourrisson, « petit appétit »,
anorexie du second semestre etc. Parallèlement lorsque le trouble alimentaire
s'associe à un retard de croissance, et qu'aucune étiologie somatique
n'est mise en évidence la situation clinique est celle d'un retard de croissance
non organique, dit nanisme ou retard de croissance psychogène. En dehors du
pica et du mérycisme, les troubles du comportement alimentaire de l'enfant
n'étaient pas définis dans les grandes classifications internationales,
et il a fallu que la classification de l'Association Américaine de Psychiatrie
en soit à sa quatrième révision (en 1994) pour que les troubles du
comportement alimentaire du jeune enfant soit répertoriés en tant que
tels et différenciés des troubles du comportement alimentaire des autres
ages de la vie (telles anorexie mentale et boulimie).
Les troubles de l'alimentation de la première ou
de la deuxième enfance
Ces troubles ont une définition large : absence
de prise de poids ou perte de poids significative depuis au moins un mois, non due
à une maladie organique ni à un autre trouble mental, ni à un manque
de nourriture, avec un début avant l'age de 6 ans.
La description et la compréhension
de ces troubles ont beaucoup progressé depuis les travaux d'I. Chatoor. Ces
travaux ont inclus un nombre important de dyades mère-bébé avec des
observations filmées des interactions mère/enfant durant les repas, une
évaluation des apports nutritionnels, et un recueil précis des antécédents
medico chirurgicaux de l'enfant et de sa mère. Il s'y est ajouté des observations
supplémentaires pour apprécier l'attachement de la mère et de l'enfant
(évaluation par la situation étrange d'Ainsworth par exemple), les préoccupations
alimentaires des parents etc.
Quatre catégories ont pu être
ainsi précisées
• Le trouble du comportement alimentaire
post-traumatique
Le refus alimentaire survient après un
événement traumatique ou à la suite de plusieurs traumatismes chroniques
ou répétitifs,portant sur l'oropharynx ou l'œsophage : il peut s'agir
d'un accident de fausse route avec un solide,d' un traumatisme par tentative d'alimentation
de force, de traumatismes d'origine médicale (sonde nasogastrique, nutrition
entérale, intubation, aspiration etc.).
Chez le nourrisson le refus alimentaire
peut être sélectif : refus du biberon après un incident de vomissements
ou de fausse route au biberon mais l'enfant accepte de se nourrir à la cuillère
; au contraire ailleurs, il refuse de manger du solide après s'être étranglé
avec un aliment solide mais accepte le biberon. Dans les cas sévères l'enfant
refuse toute alimentation.
Lors de l'événement traumatique
l'enfant manifeste une grande détresse Dans les situations qui rappellent l'événement
traumatisant, telle la préparation du repas, la mise de la serviette. L'enfant
manifeste des signes d'anxiété anticipatoire.
Le statut nutritionnel de l'enfant
est variable selon l'intensité du refus alimentaire, la durée du trouble,
l'adéquation et l'adaptation des suppléances nutritionnelles.
Des complications à long terme
peuvent se manifester dans le cas de refus alimentaire prolongé : retard du
développement oromoteur, difficultés d'apprentissage de la mastication
et de la déglutition, retard de développement du langage
• Trouble de l'alimentation de type
trouble de l'attachement
Il apparaît entre 2 et 8 mois, donc de
façon très précoce. Non seulement l'enfant présente des signes
de malnutrition mais il existe aussi un retentissement sur le développement
socio-émotionnel, cognitif et moteur : retard de développement intellectuel,
apathie, retrait, voire tableau de dépression avec ralentissement, mimique
figée, manque d'initiatives et manque d'interaction dans le jeu.
Durant les repas, plus qu'un conflit,
on remarque une pauvreté des échanges voire une absence totale de réciprocité.
Le manque d'apport tant au niveau nutritionnel
qu'au niveau affectif influe sur le développement de l'enfant et accentue ses
troubles du comportement renforçant ainsi la distorsion de la relation mère-enfant.
La mère souffre de troubles psychopathologiques
notables générateurs de carence de soins tels schizophrénie, alcoolisme,
toxicomanie,ou dépression Les formes les plus graves de troubles de l'attachement
ont été décrits dans les situations de maltraitance et dans les contextes
sociaux de grande précarité et pauvreté.
Il est ainsi particulièrement
important de repérer le trouble mental de la mère, afin de le traiter.
Cette approche peut etre particulièrement efficace dans les cas de dépressions
qui sont les troubles les plus accessibles à un traitement adapté.
• L'anorexie infantile
Elle débute en 6 mois et 3 ans avec un
pic de survenue entre 9 et 18 mois. Le début coïncide souvent avec le
passage à la cuillère et à la diversification de l'alimentation.
Le refus alimentaire est durable et entraîne une malnutrition avec retentissement
sur le développement staturo-pondéral. Le comportement lors des échanges
alimentaires est marqué par l'anxiété avec des interactions parents-enfant
particulièrement conflictuelles et difficiles lors des tentatives d'alimentation.
Le parent exprime des affects négatifs, tente d'éviter le conflit en proposant
des distractions pendant le repas et en essayant différents stratagèmes
pour nourrir l'enfant par surprise.
Contrairement à ce qui a été
parfois décrit, les mères d'enfant anorexique ne souffrent pas plus de
troubles du comportement alimentaire et n'expriment pas plus d'insatisfaction de
leur vie maritale et familiale que des mères d'un groupe contrôle. Mais
les difficultés pour nourrir l'enfant entraîne un sentiment de découragement
chez la mère, ou à une attitude agressive, qui aggrave encore la qualité
des relations, et dévalue la mère dans son rôle de mère nourricière.
Les enfants présentent, quant à eux, un tempérament particulier qui
influe fortement sur les relations mère-enfant et sur la qualité de l'ajustement
relationnel : les enfants anorexiques sont irréguliers dans leurs cycles veille/sommeil,
très exigeants., irritables, imprévisibles, difficiles à apaiser,
de tempérament difficile. De plus un apport calorique insuffisant aggrave l'irritabilité
...•Les « petits mangeurs »
Les enfants manifestent des signes d'opposition
à l'alimentation et n'acceptent généralement que certains aliments
très sélectionnés. L'anxiété parentale est variable mais
il n'y a pas de trouble grave de l'attachement entre la mère et l'enfant.
Le point fondamental est l'absence
de retentissement sur la courbe de développement staturo-pondéral ; l'enfant
ne présente aucun signe de malnutrition et son développement psychomoteur
est normal.
Il était de tradition d'affirmer
que le cas des petits mangeurs était bénin et que le « traitement »
reposait sur la réassurance des parents. En fait, certains arguments (évolutifs
et temperamentaux en particulier) tendent à montrer qu'il s'agirait d'une forme
atténuée d'anorexie infantile et que ce trouble serait un facteur de vulnérabilité
pour l'apparition d'une anorexie mentale à l'adolescence. Les petits mangeurs
ont des patterns de succion différents des sujets contrôle dans les premiers
mois de vie ; lors de la diversification ils acceptent un nombre plus restreint
d'aliments (moins de légumes), et entre 3,5 et 5,5 ans, les enfants petits
mangeurs en particulier les filles n'augmentent pas leurs prises alimentaires. Certains
auteurs s'attachent aussi à différencier parmi ces petits mangeurs de
« vrais » petits mangeurs qui mangent de tout mais en petites
quantités et les bébés atteints de néophobies alimentaires qui
ne mangent que certains aliments très sélectionnés et refusent toute
introduction d'un nouvel aliment non connu. Ce trouble est plus proche d'un trouble
anxieux où l'enfant ne sent pas sécurisé et a peur du nouveau et
de l'inconnu.
Dans les deux cas le comportement alimentaire
maternel joue un rôle fondamental : mère elle même phobique alimentaire
et anxieuse dans un cas, mère en proie à d'importantes préoccupations
alimentaires dans l'autre cas.
L'enquête sur le comportement
alimentaire des parents fait donc partie intégrante des investigations, même
s'ils paraissent sans problème...
L'exemple de l'étude finlandaise
de Saarileho est ainsi instructive : étude en population a priori « saine »
composée de 397 enfants dont les 397 mères et 375 pères sont inclus
dans un suivi de prévention de l'athérosclérose ; à 13 mois
les enfants signalés comme ayant des difficultés alimentaires ont des
mères qui expriment qu'elles n'ont pas de plaisir à manger, qu'elles grignotent
sans faim et les pères ont des préoccupations liées à des difficultés
à maintenir un poids idéal.
En résumé, peut on rassurer
les parents des petits mangeurs ?
Certes, notre objectif, en tant que
médecins, n'est pas de les stresser et de les inquiéter d'emblée,
mais au fil des consultations, il faut regarder la courbe pondérale et staturale
de l' enfant, et pendant les entretiens avec les parents (la mère, le père
s'il vient) nous devons nous renseigner sur le comportement alimentaire familial
et les conditions matérielles des repas (repas collectif ou individuel, cuisiné
ou non, avec ou sans TV, avec couverts ou non, grignotage, selections,régimes
etc.).
Deux troubles du comportement alimentaire
de l'enfant sont très particuliers :
• Le Merycisme
Le mérycisme est la régurgitation
active et répétée de nourriture, suivie de mâchonnements qui
se développe pendant le première ou deuxième enfance après une
période de fonctionnement normal, généralement entre 3 et 12 mois.
Les aliments partiellement digérés sont régurgités sans effort,
sans nausée et sans dégout, en l'absence de maladie gastro intestinale
associée les aliments sont ensuite recrachés ou plus souvent remastiqués
et reavalés.. Souvent on observe une émission continue de liquide par
les commissures labiales, et le linge de l'enfant, mouillé dégage une
odeur aigrelette.Le phénomène se produit quand l'enfant est seul : il
paraît totalement absorbé, le regard vide, « béat »,
indifférent à l'environnement.
L'appétit n'est pas altéré,
il paraît même augmenté ;les enfants mangent plutot goulument entre
les épisodes;et pourtant une absence de prise de poids voire une perte de poids
sont notées.La malnutrition est parfois tellement sévère qu'elle
peut être fatale (on a rapporté des taux de mortalité pouvant atteindre
25 %).
Le trouble est rare, touchant plus
les garçons que les filles.
Ce trouble survient dans les contextes
de grande carence avec défaut de stimulation, carence de soins, et trouble
de la relation mère enfant comme dans le trouble de l'attachement. L'existence
d'un trouble psychopathologique grave comme retard mental ou autisme est un facteur
favorisant.
• Le Pica
Le pica est l'ingestion répétée
de substances non nutritives. Le type de substances ingérées varie avec
l'âge : les nourrissons et jeunes enfants mangent du plâtre, de la ficelle,
de la peinture, du tissu, des cheveux ; les enfants plus âgés peuvent
manger du sable, des insectes, des feuilles, des cailloux, des excréments d'animaux.
Il n'y a pas d'aversion pour la nourriture. Ce comportement peut être considéré
comme banal entre 6 et 12 mois lorsque l'enfant explore le monde en portant les
objets à sa bouche. Le comportement est considéré comme pathologique
s'il devient fréquent,durable ( plus d'un mois), s'il est clairement inadapté
au stade de développement de l'enfant, et s'il ne représente pas une pratique
culturellement admise.
La prévalence du trouble n'est
pas connue.
A côté des facteurs culturels
qui peuvent parfois expliquer une relative tolérance au symptôme, les
facteurs socio économiques jouent un rôle certain : la pauvreté,
la carence de soins, le manque de surveillance, la vie en milieu insalubre sont
des facteurs de risque. Par ailleurs le pica survient souvent chez des enfant souffrant
de retard mental ou de trouble envahissant du développement. Le pica est parfois
diagnostiqué à l'occasion d'une des fréquentes complications médicales
qui en émaillent l'évolution : intoxication au plomb à la suite d'ingestion
de peinture ou plâtre anémie, retard staturopondéral dans les formes
graves, maladies parasitaires comme toxoplasmose, toxocarose, problèmes intestinaux
mécaniques :, bézoards, avec risque d'occlusion intestinale, perforation
intestinale.
Les applications thérapeutiques
Dans le trouble post-traumatique, le traitement
repose essentiellement sur des techniques de psychothérapie comportementale
avec travail sur l'anxiété et réapprentissage progressif de l'alimentation
par l'enfant.
Le programme s'établit avec tous
les intervenants, et avec programmation de paliers très progressifs de réintroduction
alimentaire avec des renforcements positifs et établis de façon à
ce qu'il n'y ait pas d'échec et pas de retour en arrière.
En France, malheureusement, peu d'équipes
sont formées à ces techniques qui devraient inclure personnel soignant,
parents, mais aussi psychologues, orthophonistes et éducateurs.
Il serait également utile de mettre
en place des procédures préventives des troubles lors de l'intervention
médicale sur la région oropharyngée comme lors de la mise en place
d'assistances nutritionnelles.
Dans le trouble de l'attachement et
le mérycisme l'intervention d'une équipe pédopsychiatrique complète
est nécessaire : traitement des troubles psychopathologiques parentaux, prise
en compte des conditions socio-économiques, travail psychothérapique au
long cours sur l'investissement de l'enfant par la mère (et le père).
Dans l'anorexie infantile, le recours
à un psychothérapeute est nécessaire : le traitement psychothérapique
se centrera sur la relation parents-enfant, en aidant les parents chacun dans leur
rôle et dans l'apprentissage d'un meilleur ajustement au tempérament de
l'enfant.
Pour les « petits mangeurs »
on tente de dédramatiser, en donnant des conseils éducatifs de bon sens,
pour ne pas accentuer l'anxiété des parents : présenter des aliments
adaptés et variés, ne pas forcer,ne pas donner de distraction à l'enfant
pendant qu'il se nourrit, donner des limites, respecter des horaires et une hygiène
de vie.On reste néanmoins très vigilant pour l'évolution. Dans le
pica, c'est avant tout une intervention éducative et sociale sur les conditions
de vie qui est nécessaire.
Au total, les troubles du comportement
alimentaire du bébé constituent « un monde plus ou moins exploré ».
Comme toute situation pathologique, ils nécessitent une investigation médicale
avec diagnostic. Le traitement et l'évolution dépendent de cette analyse.
Parmi les données récentes nous insistons sur le risque potentiel à
long terme de troubles du comportement alimentaire chez les enfants anciens petits
mangeurs.
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