La sortie précoce de maternité
vue par le pédiatre
J. BRUNET
Les sorties précoces de maternité
seront probablement de plus en plus fréquentes dans les années qui viennent.
Elles correspondent à une demande louable de la part de nombreuses familles
de non-médicalisation à l'extrême de l'accouchement. Par ailleurs,
en terme de santé publique, elles répondent à une diminution souhaitée
du nombre de lits d'hospitalisation (1).
Néanmoins les sorties précoces
doivent modifier l'organisation actuelle du suivi des nouveau-nés. Les expériences
d'autres pays à niveau social et économique comparable rapportent une
augmentation des accidents graves ou mortels liés à un défaut de
surveillance des premiers jours. Cette période est fondamentale pour la découverte
d'éventuelles anomalies malformatives ou métaboliques mais également
dans l'instauration du lien mère-enfant ; c'est un moment critique dans la
mise en place de l'allaitement maternel. Une sortie précoce n'est pas incompatible
avec une surveillance de qualité et elle peut même être un avantage
pour le confort et la sérénité de la mère et de l'enfant. La
réalisation de cet objectif doit amener les professionnels à mettre en
place un suivi de l'enfant et de sa mère dans un réseau parfaitement structuré
n'admettant aucune défaillance de suivi ou de compétence.
Qu'appelle t-on sortie précoce ?
Les enquêtes françaises montrent qu'actuellement
le pourcentage d'enfants sortant avant 3 jours (J0, J1, J2), est extrêmement
faible. La France propose des durées d'hospitalisation nettement supérieures
à ses voisins européens (2). En Finlande, 50 % des nouveau-nés sortent
avant J4 ; en Norvège la durée habituelle est de 2 ou 3 jours, de même
qu'en Angleterre. La Hollande organise des sorties après quelques heures de
surveillance. Aux Etats-Unis, il est distingué les sorties très précoces
avant 24 h et les sorties précoces entre 24 et 48 h ; en Californie, 20% des
nouveau-nés sortent à J1. Il existe par ailleurs de nombreuses expériences
locales bien réussies de sorties très précoces avec un suivi très
bien organisé (3). Ces exemples sont ceux de pays à haut niveau socio-économique.
Le suivi est basé sur des visites à domicile ou des retours systématiques
de l'enfant à l'hôpital dans les jours suivant sa sortie. Il est paradoxal
de voir qu'en France la plupart des sorties très précoces concernent les
catégories socio-économiques les moins favorisées, en particulier
du fait de situations familiales particulières ou par défaut de couverture
sociale.
Risques pédiatriques de la sortie précoce de maternité
1 - Le défaut de surveillance de l'ictère
est retrouvé dans tous les pays pratiquant largement les sorties précoces
de maternité (4,5). Les cas d'ictère nucléaire ne sont pas rares,
en particulier chez les enfants à peau mate ou l'ictère risque d'être
méconnu.
2 - Le dépistage de certaines
cardiopathies congénitales peut être mis en défaut par l'examen de
J0 et J1. L'hypertension artérielle pulmonaire résiduelle des premiers
jours peut masquer un souffle. La persistance du canal artériel fait que les
pouls fémoraux peuvent être perçus même s'il existe un défaut
de l'arche aortique et la saturation peut être initialement correcte dans une
cardiopathie cyanogène. La coarctation de l'aorte peut décompenser extrêmement
rapidement voire amener à la mort subite en absence de dépistage.
3 - Des infections néonatales
précoces sont encore possibles à J2 ou J3 en dehors d'une anamnèse
évocatrice (6).
4 - Des problèmes de malnutrition
ou de déshydratation graves sont décrits en particulier lors de la mise
en route de l'allaitement maternel quand il n'est pas suivi, et plus rarement en
cas de pathologie gastro-intestinale concomitante.
5 - L'évaluation précise
du milieu social et des problèmes psychoaffectifs peut être mise en défaut
sur un court séjour. Une sortie précoce peut nuire à l'installation
d'une relation mère-enfant sereine. Les conseils de prévention de la mort
subite peuvent être négligés, les soins de puériculture risquent
d'être inappropriés.
6 - Les sorties précoces
augmentent le risque de non-réalisation du test de Guthrie normalement effectué
au cours du 3e ou plus habituellement au 4e jour de vie.
7 - Le risque d'échec de
mise en route d'un allaitement maternel est plus élevé chez les mamans
inexpérimentées, mal entourées ou mal rassurées (7). On assiste
depuis quelques années en France à la redécouverte des vertus de
l'allaitement maternel. Le retard de notre pays en la matière incite de nombreuses
maternités à se mobiliser en matière d'information des parents, de
formation pratique des personnels ... Les mamans sortant précocement de maternité
pourraient ne pas bénéficier de ce renouveau de formation si des mesures
de relais n'étaient pas mises en place. Néanmoins il faut constater que
dans les pays voisins où la durée de séjour est inférieure à
celle de la France, les taux d'allaitement y sont nettement supérieurs...
Au total la liste de tous ces problèmes
n'est pas exhaustive. Les risques sont réels (8, 9). Leur prévention impose
une organisation très structurée de type réseau fonctionnant avant,
pendant et après l'accouchement. A titre d'exemple, cette année nous avons
eu recours à 2 reprises aux autorités judiciaires afin d'aller « repêcher »
2 bébés sortis précocement, le premier pour un contrôle de bilirubine,
l'autre pour le test de Guthrie, alors que les parents avaient promis de revenir
réaliser l'examen. Un réseau mieux organisé avec des contrôles
à domicile aurait permis d'éviter ces écueils judiciaires. Les sorties
précoces suppriment la période d'observation privilégiée de
l'adaptation du nouveau-né à sa nouvelle vie. Les expériences des
pays où s'effectuent largement les sorties précoces mettent en lumière
l'existence d'accidents graves.
Mise en place à la maternité d'un système de
sorties précoces
1 - Il faut d'abord motiver l'équipe
obstétrico-pédiatrique qui va prendre en charge la maman pendant sa grossesse
puis après son accouchement : il faut expliquer les bénéfices attendus
par un tel système de soins. L'équipe doit connaître exactement les
possibilités et les risques d'une sortie précoce.
2 - Il faut informer la patiente
de cette possibilité de sortie précoce durant la grossesse, que ce soit
par l'obstétricien ou par les sages-femmes lors des séances de préparation
à la naissance.
3 - Après la naissance,
l'équipe obstétrico-pédiatrique doit évaluer (ou réévaluer)
l'environnement psychosocial de la maman (milieu socio-économique, expérience
antérieure, possibilité d'aide à domicile, accès à la prise
en charge après la naissance, moyen de locomotion...).
4 - Evaluation des risques d'ictère
grave avec statut exact ABO Rhésus, anticorps irréguliers maternels, au
besoin test de COOMBS chez l'enfant avant départ. Un biliflash ou un dosage
de la bilirubine peuvent être jugés indispensables avant départ,
même en l'absence de facteur de risque.
5 - L'évaluation des risques
inhérents au bébé est d'autant plus importante que la période
d'observation sera courte. Recueillir toutes les données de l'anamnèse
: traitements maternels, données infectieuses pré ou per-natale ainsi
que les examens bactériologiques ou biologiques effectués.
6 - Réalisation du test
de dépistage néonatal systématique de Guthrie : les parents doivent
être informés de l'importance clinique et médico-légale de ce
test. La réalisation du test sera programmée par les intervenants de la
maternité avec des correspondants connus, notés dans le carnet de santé.
7 - Etablir des règles de
coordination des soins et de communication après la sortie.
Il semble nécessaire de proposer
la création d'un registre des sorties précoces qui comportera entre autre
:
- Les coordonnées exactes
de la mère en particulier celles où il est possible de la joindre en cas
d'urgence ;
- Les modalités du suivi
après la sortie et les coordonnées des intervenants ;
- La date de réalisation
du test de Guthrie ;
Le carnet de santé ne sera remis
à la famille par la maternité qu'après réalisation du test.
Le carnet de santé représente en France le passeport du bébé,
opportunité à ne pas manquer. Le test étant réalisé le
plus souvent à J 3, c'est un moment clef qui sera l'occasion de faire le point
et de palier à l'absence de surveillance normalement réalisée à
la maternité.
Modalités possibles du suivi des enfants après
sortie précoce de la maternité ?
Le suivi doit naturellement concerner de façon
conjointe la mère et l'enfant, de préférence quotidiennement.
Les visites journalières au cabinet
d'un médecin exposent à la non compliance du patient ou à l'indisponibilité
médicale.
Les visites journalières à
la maternité d'origine ou au centre de PMI exposent pareillement à la
non-compliance et nécessitent une réorganisation complète du fonctionnement
actuel.
Un suivi à domicile de la femme
et de l'enfant par l'équipe médicale de la maternité est le système
de soin le plus séduisant. Cette solution est effectuée dans de nombreux
pays, en collaboration avec des structures de type PMI. Son application en France
impose la création d'un personnel paramédical formé et dédié
aux sorties précoces. Les sages-femmes seront probablement les premières
actrices de ce nouveau mode de fonctionnement. Elles sont les mieux formées
et les mieux placées pour dépister une éventuelle anomalie chez la
mère ou chez le nouveau-né, une défaillance de la mise en route de
l'allaitement ou une altération de la relation entre la mère et son enfant
(10).
Cependant dans tous les cas il appartiendra
à un médecin de revoir l'enfant avant le 8e jour afin de s'assurer
du bon du suivi de l'enfant et de la réalisation du test de Guthrie.
Les possibilités de la prise en
charge sont multiples et les modalités précises seront le fruit de réflexions
locales aboutissant sur un suivi organisé et structuré.
En conclusion
La lecture de la littérature sur le sujet
amène à penser que le développement des sorties précoces sera
une réalité incontournable. Tous les acteurs de la naissance seront amener
à se concerter : gynécologues, sages-femmes, puéricultrices, pédiatres,
généralistes, PMI. Une collaboration structurée sera garante de la
sécurité des mamans et des bébés. Les changements seront progressifs
car en dehors des problèmes liés à la sécurité, on touche
au caractère culturel qu'ont les soins autour de la naissance, et cet aspect
n'est pas le moindre.
Bibliographie
[1] PUTET G. Hôpital Debrousse
Lyon : 33ème journées nationales de la Société Française
de Médecine Périnatale. Nantes octobre 2003.
[2] CLARIS 0. La situation
dans les autres pays de la Communauté Européenne. Arch Pédiatr 2001
; 8 sup 2 ; 498.
[3] LANGUE J, LACROIX-BARBERY
I. Sorties précoces de maternité : place du pédiatre libéral.
Arch Pédiatr 2001 ; 8 sup 2 : 495-497.
[4] CATZ C., HANSON
JW., SIMPSON L., Yaffe SJ. Summary of workshop : early discharge and neonatal hyperbilirubinemia.
Pediatrics 1995 ; 96 N° 4 : 743-745.
[5] S.SEIDMAN D, K.STEVENSON
D, ERGAZ Z, GALE R. Hospital readmission due to neonatal hyperbilirubinemia. Pediatrics
1995 ; 96 : N°4
[6] GRAVEN MA., CUDDEBACK
JK, WYBLE L. Readmission for group B streptococci infection among full-term, singleton,
vaginally delivred neonates after early discharge from Florida hospitals for births
from1994 to 1994. J perinatol 1999 ; 19 : 19-25
[7] AVOA A, R.FISCHER
P. The influence of perinatal instruction about breast-feeding on neonatal weight
loss. Pediatrics 1990 ; 86 : N°2.
[8] LIEU TA., BRAVEMAN
PA., ESCOBAR GJ., FISCHER AF, JENSVOLD NG., CAPRA AM. A randomized comparaison of
home and clinic follow-up visits after early postpartum hospital discharge. Pediatrics
2000 ; 95 N°5 :1058-1065.
[9] BRAVERMAN P, EGERTER
S, PEARL M, MARCHI K, MILLER C. Problems associated with early discharge of newborn
infants. Pediatrics 1995 ; 96 : N°4.
[10] LEE TWR, SKELTON
RE, SKENE C. Routine neonatal examination : effectiveness of trainee paediatrician
compared with advanced neonatal nurse practitioner. Arch Dis Child Fetal Neonatal
Ed 2001 ; 85 : F100 - F104. LA
SORTIE PRéCOCE DE MATERNITé VUE PAR LE PéDIATRE 105
106 J.
BRUNET LA
SORTIE PRéCOCE DE MATERNITé VUE PAR LE PéDIATRE 107
108 J.
BRUNET LA
SORTIE PRéCOCE DE MATERNITé VUE PAR LE PéDIATRE 109 |