Clonage
thérapeutique : les enjeux éthico-scientifiques
Jacques
Montagut
IFREARES
- Toulouse
Depuis
l'arrivée de Dolly, la réflexion éthique ne cesse de courir derrière les hypothèses
scientifiques et les perspectives thérapeutiques relatives aux avancées de la
connaissance sur l'embryon de mammifères et le développement de nouvelles technologies
en reproduction animale.
Le sens des mots change, les tentatives de classification des potentialités
cellulaires restent éphémères, les mécanismes fondamentaux de la différenciation
cellulaire sont remis en question, une nouvelle médecine regénérative avec thérapie
cellulaire est annoncée, une médecine de l'embryon est évoquée avec thérapie
génique somatique et peut-être même germinale.
Essayons de mettre de l'ordre dans ces turbulences pour en extraire les enjeux
éthico-scientifiques qui feront du prochain siècle non plus celui de l'atome
mais celui des sciences de la vie.
1) De la
limite des définitions
A propos
des clonages:
Saisi
dès l'annonce de Dolly par le président la république, le Comité consultatif
national d'éthique, chargé en 1997 d'évaluer les risques de dérive des techniques
de Dolly à l'homme, tout en condamnant catégoriquement le clonage reproductif
de l'être humain, souligne la nécessité d'éviter les amalgames entre le clonage
reproductif d'une reproduction asexuée, illusion scientifique portant atteinte
à la condition de l'homme susceptible de ne plus être unique et indéterminable
et le clonage non reproductif incapable d'aboutir à la naissance d'un
être humain mais au contraire d'ouvrir la possibilité de recherches et d'importantes
perspectives thérapeutiques.
Le jargon scientifique désigne aujourd'hui par le mot clonage, la technique
de transfert nucléaire à l'intérieur d'un ovocyte énuclée. Ce clonage
est dit thérapeutique, dès l'instant où le transfert de noyau aboutit
à la constitution d'un blastocyste dont il sera extrait de la masse cellulaire
interne des cellules souches susceptibles de donner des lignées cellulaires,
voire des noyaux susceptibles (chez l'animal) eux-mêmes de clonage reproductif
…
A propos
des cellules souches humaines, notamment embryonnaires :
Les
cellules indifférenciées ou cellules souches se caractérisent par deux fonctions
majeures, leur plasticité et leur potentiel à être pérennisées.
Leur plasticité réside dans le fait qu’elles peuvent se différencier en divers
tissus selon les facteurs de croissance et les milieux dans lesquels elles sont
cultivées ; mais aussi, pour certaines d’entre elles appartenant déjà à
un tissu différencié, la possibilité de changer de voie de différenciation et
ainsi de se « transdifférencier ».
La
découverte chez l'homme de ce que l'on connaissait déjà de la souris, remonte
à 1998 et concerne à la fois :
- les
cellules ES (embryonic stem cells) du bouton embryonnaire du blastocyste (James
Thomson, Science du 6 novembre)
- les cellules EG
(embryonic germ cells) au niveau des cellules germinales primordiales prélevées
sur un ftus avorté de 8 semaines (John Gearhart, proceedings of the National
Academy of Science 10 novembre)
Ces
cellules pouvant se multiplier presque à l'infini du fait de leur caractère
indifférencié sont dites pluripotentes car elles ne peuvent, à elles
seules, aboutir à la naissance d’un être humain, contrairement aux blastomères
des premières divisions embryonnaires qui sont des cellules totipotentes.
C'est en effet au cours de la segmentation que les blastomères vont perdre leur
totipotence et cela varie selon l'espèce : 2 cellules pour la souris, 4 pour
l'homme, 4 à 8 pour la vache, 8 à 16 pour le lapin …
Vers
le 4ème, 5ème jour de sa vie, l’embryon humain contient
des cellules non plus « totipotentes » mais « pluripotentes ».
Ces cellules, dans certaines conditions de laboratoire peuvent se développer
en lignées de cellules spécialisées : du sang, du tissu neural, du foie,
du muscle, de la peau…, mais en aucun cas elles peuvent donner un embryon et
par la suite un être humain. Ces cellules ES proviennent de la masse cellulaire
interne du blastocyste et ne peuvent donc donner du trophectoderme (futur placenta).
Pour
mémoire, dans un ordre décroissant de leurs capacités sont aussi définies:
- les cellules souches
multipotentes, de l'organisme adulte qui sont à l'origine de plusieurs
types de cellules différenciées. Les plus anciennement connues sont les cellules
souches hématopoïétiques présentes dans la moelle osseuse et qui peuvent donner
tous les types de cellules sanguines
- enfin les cellules
souches unipotentes qui ne peuvent donner qu'un seul type de cellules
différenciées, ce sont celles de la peau, du foie, de la muqueuse intestinale,
du testicule.
Cette
terminologie est plus pratique et réelle que celle de cellules souches embryonnaires
qui ne tient pas compte des autres sources de cellules souches, notamment ftales
et adultes. Mais ici aussi, le clonage thérapeutique risque de faire exploser
la classification toti, pluri, multipotente attachée à l'ensemble d'une cellule
car il sera prochainement nécessaire d'adapter ce caractère de façon distinctive
au noyau et au cytoplasme. Le clonage thérapeutique du noyau modifié d'une cellule
ES transgénique ne redonne-t-il pas la totipotence à un noyau fondamentalement
multipotent ?
2) Les enseignements
de Dolly : du clonage reproductif au clonage thérapeutique
Ce que
nous a apporté indiscutablement Dolly en 1997, c'est que le clonage à partir
de cellules différenciées d'un adulte est possible chez les mammifères : une
première qui n'avait pu être réalisée que chez les amphibiens.
Et ce qu'il y a aussi d'extraordinaire dans ce clonage, c'est qu'en remplaçant
le noyau d'un ovocyte par un noyau différencié, un certain nombre d'éléments
contenus dans le cytoplasme ovocytaire ont permis, à notre grande surprise,
des changements de l'enveloppe nucléaire, des modifications des protéines et
de l'ADN du noyau tels que ce noyau différencié qui s'était spécialisé à toute
autre chose ait pu revenir : à l'état indifférencié et quelque part "naïf"
d'un jeune noyau embryonnaire.
Trois
ans après Dolly, certes le clonage reproductif s'est élargi à d'autres espèces
domestiques et, bien que tardivement, à la souris. Malgré la progression de
son efficacité, le clonage reproductif reste d'un faible rendement :
- d'autant plus
faible que les noyaux transférés proviennent de cellules embryonnaires plus
âgées et a fortiori de cellules adultes complètement différenciées
- du fait aussi
que l'on a découvert des anomalies tardives du développement (non des anomalies
chromosomiques) liées à un défaut de la fonction placentaire avec une mortalité
ftale tardive des gestations établies : 30 % pour les bovins, 60 à 70% pour
les souris
- ou encore parfois
par une altération portant curieusement sur une seule fonction pulmonaire,
cardiaque, immunitaire.
Et
finalement les intérêts attendus du clonage reproductif chez le mammifère sont
entrain de changer : ils ne sont plus tant portés sur la reproduction à l'identique
mais aussi paradoxalement que cela puisse paraître, sur la diversité génétique,
par exemple :
-
conserver certaines espèces par le clonage est plus facile grâce à des cellules
prélevées sur l'oreille des animaux qu'en fécondation par les spermatozoïdes,
c'est aujourd'hui notamment le cas du chat
- ou
parce que la diversité génétique va faire appel à une modification du statut
génétique, c'est ce qu'on appelle la transgenèse ciblée.
La
transgenèse ciblée consiste à micro injecter une séquence d'ADN possédant
le gène intéressant dans un ovocyte fécondé au stade de zygote mais le système
est peu rentable puisque seulement 1 à 4% expriment le transgène. C'est dire
l'intérêt de procéder à un clonage par transfert nucléaire après la transgenèse
qui fera que les cellules germinales deviendront, elles aussi transgéniques.
Cette association transgenèse-clonage par transfert nucléaire chez l'animal
a des applications considérables : modèles animaux de maladies humaines, applications
pharmaceutiques (antithrombine 3, albumine humaine), applications alimentaires
(lait de vache maternisé), applications industrielles …
C'est cette évolution du clonage reproductif des animaux, trois ans après Dolly
qui nous amène à mieux appréhender les perspectives du clonage non reproductif
et notamment thérapeutique.
3) Les cellules
souches embryonnaires : perspectives et limites thérapeutiques
dans
le domaine de la recherche fondamentale,
3 pistes sont évoquées :
- la progression
de la connaissance pour comprendre comment une cellule peut changer de vocation
et sous quelles conditions,
- mieux connaître
les premières étapes du développement de l'embryon humain qui aujourd'hui
repose essentiellement sur les connaissances chez l'animal et nous méconnaissons
les importantes différences chez l'homme , notamment au niveau moléculaire
, avec des risques d'extrapolation à partir du modèle animal comme en témoigne
l'exemple de la thalidomide non toxique pour l'animal et malheureusement qui
n'avait pas été testée sur l'espèce humaine.
- les cellules ES
présentent un état d’instabilité ressemblant à celui de cellules précancéreuses
et pourraient servir de modèle pour mieux comprendre comment une cellule peut
basculer à l’état cancéreux
dans le domaine
thérapeutique,
-
les cellules ES d'origine humaine permettraient, une fois maîtrisée leur différenciation
in vitro, des modèles d'étude cellulaire pharmacologiques qui aujourd'hui
font défaut et se limitent à des tissus animaux puis à des lignées cellulaires
humaines le plus souvent atypiques.
- la
perspective de pouvoir fabriquer des tissus humains à partir de cellules ES
dans ce qui deviendrait une médecine à la fois regénérative et regénératrice,
susceptible d'associer à des degrés divers thérapie cellulaire et thérapie
génique ; une telle perspective est donnée généralement à 10 ans, elle pourrait
laisser entrevoir la constitution de tissus de substitution et/ou de régénération
en remplacement d’une dégénérescence cellulaire : par exemple, dans le
cadre d’une maladie neuro-dégénérative (Parkinson, chorée de Huntington, peut-être
Alzheimer) ou d’une nécrose cellulaire (infarctus myocardique ou cérébral) ;
de même, pourraient être par exemple rétablies certaines fonctions métaboliques
comme la correction d’un diabète insulino-dépendant par greffe de cellules
de langerhans …
Enfin
les avis se partagent sur la façon de résoudre la compatibilité des greffes
de lignées cellulaires :
-
entre ceux qui imaginent un clonage thérapeutique type Dolly avec déprogrammation
et reprogrammation d'un noyau de la personne à greffer
- et
ceux qui préconisent une reprogrammation de la cellule ES en y introduisant
des éléments précisément identifiés afin d'éviter le rejet des greffes cellulaires,
les rendre immunocompatibles voire de compatibilité « universelle ».
Dans
le premier cas, nous connaissons de cette technique le faible rendement et les
risques. S'y rajoutent les difficultés de la source ovocytaire qui font évoquer
à certains comme Ian Wilmut la récupération de tissus ovariens provenant d'ovariectomies,
et à d'autres moins sérieux le recours à des ovocytes animaux (de vache par
exemple) dont de nombreuses études ont démontré que noyaux et cytoplasmes ne
sont pas interchangeables entre espèces pour des raisons métaboliques liées
à des facteurs moléculaires, biochimiques et enzymologiques. La pénurie de donneuses
d'ovocytes doit faire craindre le risque d'une inadmissible dérive commerciale,
et peut-être d'un détournement d'ovocytes au détriment de couples stériles relevant
d'un tel don.
Dans la deuxième perspective, l'étude récente d'un veau cloné à partir d'un
noyau de fibroblaste provenant d'une culture agée de trois mois d'un prélèvement
d'oreille de taureau laisse entrevoir d'importantes perspectives : 90 divisions
successives laissent un temps suffisant pour obtenir des modifications génétiques
fines et des populations de cellules purifiées portant les mutations souhaitées
(délétions homozygotes, remplacement d'un allèle par transgenèse ciblée). Ainsi,
à titre d'exemple, peut-on déjà évoquer en reproduction animale, la possibilité
de cloner des bovins protégés de l'ESB par modification génétique à laquelle
s'opposerait l'interdiction de produire ou de consommer un tel OGM, au prétexte
du même principe de précaution. C'est dire que l'application d'un tel clonage
thérapeutique après transgenèse chez l'homme qui, en outre posera bien d'autres
problèmes, n'est pas pour demain.
Enfin,
l’objectif de compatibilité tissulaire passera aussi par la garantie de l’absence
de tumorisation des cellules souches avant leur différenciation et selon
le lieu de leur transplantation puisque tout risque oncogène semble disparaître
à la perte du caractère pluripotent de la lignée cellulaire. Mais déjà les idées
fusent, elles vont de l'introduction d'un "gène suicide" pour limiter
le nombre de divisions, ce qui va être prochainement expérimenté sur des souris,
des rats et même des singes, à l'idée de réduire la longueur des télomères pendant
la culture in vitro.
4) Thérapies
cellulaire et génique associées : du clonage thérapeutique au clonage reproductif
Le désir
utopique d'une anticipation de l'éthique sur la science pourrait conduire à
imaginer plusieurs types de thérapie non seulement cellulaire mais génique en
utilisant les cellules de type ES. Trois s'en distinguent, ne serait-ce que
par leurs implications éthiques ; une seule fait obligatoirement appel au clonage
thérapeutique.
La première
s'appliquerait à des tissus ou à des organes anormaux du fait de la mutation
handicapante ou léthale d'un gène chez des individus jeunes aux adultes. Pour
résoudre le problème de la compatibilité, il faudra sûrement disposer de véritables
banques de cellules ES afin de trouver celles qui seront compatibles au cas
par cas ou de produire des cellules ES compatibles par transgenèse
La seconde
consisterait à corriger par une thérapie génique somatique une anomalie
portée par les parents et transmise à l'uf fécondé. L’idée consiste à injecter
dans une morula ou un blastocyste anormal des cellules ES corrigées par transgenèse
qui proviendraient, pour des raisons évidentes de compatibilité, d’un autre
blastocyste anormal obtenu au cours de la même fécondation in vitro et sacrifié
ainsi à cette intention de guérir l’autre. L'embryon obtenu serait chimérique
et susceptible de transmettre à sa descendance l'anomalie héritée.
La troisième
corrigerait l'anomalie génique par un clonage intra couple en vue d'une guérison
définitive: il s'agirait ici d'énucléer un ovocyte de la femme, d'y transférer
le noyau d'une cellule ES corrigée, cette cellule provenant d'un blastocyste
du couple. Cette solution permettrait d'éliminer, à coup sur, l'anomalie génique
tout en créant un uf reconstitué à partir du génome des deux parents. Elle
associerait à la fois un clonage et une thérapie génique germinale à l'intérieur
même du couple. A moins que la solution ne passe par une transgenèse sur
le spermatozoïde, comme l'a publié en 1999 Yanagimachi qui a pu intégrer des
fragments d'ADN sur des spermatozoïdes de souris débarrassés de leur flagelle
et de leur membrane protectrice et qui a obtenu 20% de souriceaux possédant
de 1 à plus de 50 copies du gène.
Selon Charles Thibault : "la thérapie génique germinale, loin de menacer
la dignité de la personne humaine, comme on l'affirme de par le monde, constitue
la voie de recherche qu'il faut choisir pour protéger notre espèce contre la
diffusion de gènes défectueux, acte particulièrement dangereux quand la reproduction
est en cause, compte tenu des caractéristiques déjà défavorables de la fertilité
humaine (fréquence élevée de spermes anormaux, défaut d'ovulation et ovaires
polykystiques, mortalité embryonnaire très élevée, périodes de reproduction
de la femme relativement courte par rapport à sa durée de vie." (audition
du 2/12/99 contenue dans le rapport de l’Office Parlementaire d’Evaluation des
choix scientifiques et technologiques : « Le clonage, la thérapie
cellulaire et l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires »
par A. Claeys et C. Huriet, Assemblée Nationale-Sénat, Paris, du 24 février
2000).
De telles perspectives thérapeutiques passent par de très importants projets
de recherche sur les cellules embryonnaires humaines ; elles doivent être validées,
contrôlées et faire suite, chaque fois que possible, à un solide prérequis chez
l’animal ; dans des conditions dont les modalités resteraient à préciser,
il est raisonnable de penser que ces recherches pourraient être bénéfiques pour
traiter un grand nombre de maladies dont certaines sont aujourd’hui incurables.
En revanche, dans combien de temps? Il n'est pas certain qu'il appartiendra
à la génération du sang contaminé, de l'ESB et du principe de précaution de
faire le choix éthique et thérapeutique de l'embryon humain -OGM.
Dans le cas de la thérapie génique germinale, les avancées scientifiques nécessaires
pour une application thérapeutique sont aujourd'hui incommensurables pour concilier
le principe de précaution, la prévention de l'eugénisme et le fait qu'une génération
puisse ainsi disposer des générations suivantes.
Malgré
tout, reconnaissons que s’il se trouvait une impossibilité scientifique définitive
de réaliser un clonage reproductif aboutissant à la naissance d’un être humain,
un certain soulagement nous conduirait à clarifier les définitions et les limites
entre l’embryon (personne humaine potentielle) et le clone (potentiel de survie
humaine). Et finalement, le concept de clonage à visée thérapeutique n’aurait
peut-être pas la même résonance qu’aujourd’hui dans la mesure où nous aurions
la certitude qu’il ne pourrait pas donner naissance à un être humain. Le clonage
éviterait alors l'inutile procréation d'embryons humains à visée de recherche
par double don de gamètes, détournée de sa seule fin éthiquement acceptable
: celle d'un enfant à naître.
Mais, en référence au clonage reproductif des mammifères, aussi mauvais soient
ses résultats, il est cohérent de penser que le clonage reproductif de l'être
humain aboutissant à une naissance est possible et que l'embryon humain, qu'il
soit issu d'une procréation ou d'un clonage reste dans sa nature un embryon
humain à part entière.
5) La source
cellulaire des cellules souches
En fait,
le problème qui se pose est celui de la source des cellules de type ES.
Trois sont possibles : l’embryon humain au stade du blastocyste (cellules
ES), le ftus humain autour de la 7ème- 8ème semaine (cellules
EG) et depuis peu des cellules de type ES qui pourraient être trouvées dans
des tissus adultes.
La source
blastocytaire
Il faudra
bien distinguer, pour ce qui est du clonage thérapeutique humain, à partir du
blastocyste :
-
celui qui vise la constitution de lignées cellulaires à partir de cellules
mères extraites d’un embryon surnuméraire obtenu par reproduction sexuée et
abandonné de son projet parental,
- de
celui qui consisterait à obtenir préalablement un embryon par clonage pour
la seule finalité d'en extraire des cellules à visée thérapeutique
- même
si le deuxième peut suivre le premier, en cas de transgenèse préalable de
la cellule ES
Mais,
aujourd'hui, avant de parler de thérapeutique par clonage, il semble plus autorisé
de parler de recherche en vue de clonage thérapeutique. La question qui se pose
est celle d'un prérequis prioritaire et incontournable sur la cellule humaine
de type ES et des besoins pour cette recherche en terme de source cellulaire.
Faut-il pour cette étape déterminante pour la suite, constituer des embryons
pour la recherche (par procréation voire par clonage) ou se limiter aux embryons
abandonnés de leur projet parental et donnés à la recherche?
Le CCNE1
puis le Conseil d’Etat2 considèrent que seuls des embryons surnuméraires
ne faisant plus l’objet d’un projet parental devraient, à titre exceptionnel,
pouvoir faire l’objet de telles recherches. En l'état de nos connaissances,
cette solution nous semble raisonnable et recevable pour l'opinion publique.
Cette source cellulaire semble en effet suffisante pour amorcer les premières
recherches cognitives sur les cellules souches embryonnaires.
D'autres
pays s'accordent à considérer nécessaire et souhaitable, du fait des perspectives
thérapeutiques annoncées, d'accélérer les recherches en produisant des embryons
humains pour la recherche :
-
soit par procréation obtenue à partir d'un double don de gamètes (au congrès
de l'ASMR, en octobre 2000, l'équipe de Norfolk publie l'obtention de trois
lignées cellulaires à partir de 40 blastocystes humains issus de la fécondation
de 162 ovocytes, donnés par 12 donneuses et des spermatozoïdes de 2 donneurs)
- soit
par clonage, comme le suggère la réponse du gouvernement britannique aux recommandations
présentées dans le rapport du groupe d'experts présidé par Liam Donaldson
(Directeur de la Santé) et en l'attente d'une décision parlementaire sur le
sujet.
La
troisième source
La
troisième source possible est celle de cellules souches de type ES trouvées
dans certains tissus adultes. Certes nous connaissons depuis longtemps la multipotence
des cellules souches de la moelle osseuse pouvant former des cellules souches
plus spécialisées comme des chondrocytes mais aussi des cellules complètement
différenciées des trois lignées sanguines. Mais ce qui est très récent, c'est
d'une part :
-
la découverte de cellules souches dans le système nerveux central et
plus précisément dans la zone sous ventriculaire où elles peuvent se diviser,
se différencier aussi bien en cellules neuronales ou en cellules gliales et
puis migrer dans l'hippocampe, le bulbe olfactif, le septum, le striatum,
et même la moelle épinière
- et
d'autre part, la capacité qu'ont ces cellules souches adultes à se transdifférencier
: en effet depuis 1999, les publications se multiplient sur la plasticité
qu'ont certaines cellules adultes de se comporter comme des cellules souches
d'autres tissus.
C'est
le cas des cellules souches hématopoïétiques :
-
injectées à des souris porteuses de la myopathie de Duchenne, elles restaurent
l'expression de la dystrophine dans les muscles
- injectées
à des souris dont le foie a été gravement détruit, elles forment des cellules
souches ovales hépatiques pouvant repeupler jusqu'à 2% du foie
- elles
peuvent aussi de la même façon se transformer en cellules mésenchymateuses
et par elles donner du cartilage, de l'os, du tendon, du muscle, du tissu
adipeux …
Mais,
encore plus surprenant, le travail du milanais Angelo Vescosi qui démontre que
des cellules souches nerveuses d'origine murine susceptibles de donner les trois
types cellulaires du cerveau (neurones, astrocytes, oligodendrocytes) peuvent
se transformer, se transdifférencier in vivo en cellules souches hématopoïétiques.
Ce qui surprend ici, c'est que des cellules souches issues du feuillet embryonnaire
neuroectodermique peuvent engendrer des cellules sanguines d'origine mésodermique,
de vocation opposée dès le début de l'embryogenèse.
Par
voie de conséquence, certains pourraient penser que de telles découvertes évitent
les problèmes éthiques liés aux cellules souches embryonnaires tout en résolvant
les problèmes d'immunocompatibilité qui obligeaient le recours à un clonage
thérapeutique coûteux, complexe, à risques et controversé.
Cependant,
les limites aujourd'hui de cette source cellulaire sont nombreuses : dans leur
potentiel à se diviser (contrairement aux cellules embryonnaires), parce qu'elles
ne sont peut-être pas présentes dans tous les tissus (myocarde, pancréas), et
quand elles sont présentes : elles le sont en très faible quantité et donc insuffisantes
en situation d'urgence ; de plus, elles pourraient ne pas convenir en cas de
greffes autologues pour maladie génétique de la même façon d'ailleurs que le
clonage thérapeutique par transfert de noyau d'une cellule somatique. Enfin,
ce pouvoir de transdifférenciation n'est encore démontré que chez l'animal et
on ne sait encore s'il est transposable à l'homme.
Il nous
faut donc convenir qu'en l’état de nos connaissances, aucune voie de recherche
dans une source cellulaire donnée (qu’elle soit ftale, embryonnaire ou adulte)
ne peut être considérée comme une alternative de l'une par rapport à l'autre
et donc ces trois axes d’investigations méritent d’être poursuivis3.
L'hypothétique
conception d'embryons humains à visée thérapeutique
Evidemment,
la conception d’embryons à visée thérapeutique nous choque mais permettons-nous
d’imaginer un instant le cas d’un enfant leucémique relevant d’une greffe de
moelle osseuse et qui n’a pas de fratrie ou de donneur possible dans ses proches.
Imaginons ensemble que la solution pourra être un jour apportée par un don d’ovocytes
de sa mère en vue de la constitution de cellules ES, pour leur différenciation
en cellules hématopoïétiques qui lui soient compatibles, évitant ainsi le rejet.
Bien
sûr, aujourd’hui, ce don d’ovocytes sortirait du cadre de la stérilité, sortirait
de l’anonymat tous les deux inscrits dans la loi française mais comment imaginer,
le jour où cette solution serait possible, empêcher une mère de sauver son enfant
; n'est-il pas éthiquement moins acceptable qu’elle tente de constituer à cet
enfant une fratrie dans le but de le sauver ? Car la personne ainsi conçue
n’est plus potentielle mais bien considérée cette fois comme un moyen et non
comme une fin, en dépit de tout le bonheur qu’elle pourra trouver dans son environnement
familial.
Fort heureusement,
il n’est pas irréaliste de penser que la science pourra trouver d’autres
solutions , précédemment évoquées pour éviter cette conception d’embryons
à visée thérapeutique :
- soit
parce que la source de cellules ES à partir d'embryons surnuméraires sera
suffisante pour disposer de cellules ES compatibles et saines
- soit
parce que des cellules souches issues de tissus déjà différenciés (neural,
hématopoïétique) et susceptibles de transdifférenciation, pourront y répondre
A
moins que d'autres solutions notamment en matière de greffes puissent être trouvées
dans l'effervescence aujourd'hui des démarches en cours de développement. A
titre d'exemple:
-
l'ingénierie tissulaire utilisant des biomatériaux dégradables pour
des neovessies par exemple (Anthony Atala - Harvard medical school) ou bien
la propriété qu'ont certaines cellules à s'autoassembler spontanément pour
fabriquer comme actuellement des vaisseaux sanguins voire des cornées
- la
greffe de cellules allogéniques notamment ftales, que ce soient des cellules
neurales avec des essais cliniques en cours sur l'homme prometteurs pour la
maladie de Parkinson et tout récemment pour la Chorée de Huntington, que ce
soient des cellules hématopoïétiques ou de foie ftal mais pour lesquelles
on n'évite quand même pas, à ce jour, le traitement immunosuppresseur qui
reste la plaie de toute thérapie allocellulaire.
Conclusion
Chaînon
indispensable de la vie, personne humaine potentielle, l'embryon pourrait-il
être aussi dans certaines circonstances qui restent à déterminer un potentiel
de survie de personnes humaines. Des embryons humains pourraient-ils sauver
des vies humaines comme le don d’organes en sauve aujourd’hui ?
Les
approches culturelles et politiques varient quant à la nature et au statut juridique
donnés ou pas à l'embryon humain : ce qui retentit sur la diversité des choix
des différentes législations nationales4. Les divergences peuvent
surprendre mais puissent - elles aboutir à une mobilisation de la recherche
à partir des différentes sources de cellules souches et à l'émergence de solutions
aux problèmes éthiques posés, allant du détournement marchand du don d'ovocyte
pour des fins scientifiques à la réification de l'embryon.
Questions
de conscience, questions de choix de société, questions de confiance au chercheur
et au législateur pour trouver « les solutions certes imparfaites mais
les plus humaines qui soient » pour que ces nouveaux enjeux des sciences
de la vie répondent au mieux-être de la personne dans le respect de sa dignité…
BIBLIOGRAPHIE
(1)
voir avis 53 et surtout 54 du CCNE sur les collections de cellules et de tissus
embryonnaires et foetaux
2)« Les
lois de bioéthique : cinq ans après », La documentation française,
Paris, 1999
(3)Rapport
de l’Office Parlementaire d’Evaluation des choix scientifiques et technologiques :
« Le clonage, la thérapie cellulaire et l’utilisation thérapeutique des
cellules embryonnaires » par A. Claeys et C. Huriet, Assemblée Nationale-Sénat,
Paris, du 24 février 2000.
(4)J.Montagut,
« Concevoir l'embryon, à travers les pratiques, les lois et les frontières »,
Masson, Paris, 2000
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