Lésions kystiques infra-tentorielles de découverte prénatale
pronostic et prise en charge postnatale
A. Pierre-Kahn
La découverte échographique prénatale d'une lésion kystique de la fosse
postérieure n'est pas rare. Dans tous les cas elle conduit à s'interroger sur sa nature,
sur son pronostic dont dépendra la conduite à tenir vis-à-vis de la grossesse, et enfin
sur l'attitude thérapeutique à envisager après la naissance.
Ces lésions sont schématiquement de trois types : kystes communément appelés
" arachnoïdiens ", mega grande citerne, malformation de Dandy-Walker
et ses " variantes ". A cette liste il convient d'ajouter des lésions
exceptionnelles, en particulier le syndrome de Joubert. Toutes ces lésions ont fait
l'objet d'un nombre considérable de travaux ; il n'en reste pas moins que trois
types de problèmes continuent à se poser : nosologique, diagnostique et
thérapeutique. A ceci s'ajoute le fait que le pronostic de beaucoup de ces lésions reste
mal connu.
Définitions, fréquence, pathogénie, malformations associées
1 - Les kystes
La revue de la littérature fait apparaître que les kystes sont très diversement
définis. Pour les uns, il s'agit de lésions non tumorales, remplies de LCR, ne
communiquant pas ou seulement faiblement avec les ventricules ou les espaces
sous-arachnoïdiens ; pour les autres, il s'agit de toute masse liquidienne non
tumorale : lésion porencéphalique, mega grande citerne, malformation de
Dandy-Walker. Cette confusion s'explique par l'existence de formes transitionnelles qui
ont fait dire à certains que toutes ces lésions ne sont que la forme plus ou moins
complexe d'un même défaut embryonnaire. La plus grande confusion règne également
concernant la dénomination des kystes : soit qu'une grande variété de termes ait
été utilisée pour qualifier des lésions en fait semblables (intra-arachnoïdien,
arachoïdien, leptoméningé, diverticulum, " Black's pouch ",
choroïdien, neuroépithélial....), soit que le terme
" arachnoïdien " ait été employé pour désigner sans preuve
histologique des kystes en fait différents du point de vue anatomo-pathologique. De notre
point de vue, en l'absence de preuve histologique, il faut se contenter d'utiliser le mot
" kyste ", et ce terme doit être réservé aux seules lésions
liquidiennes non tumorales plus ou moins exclues de la circulation normale du LCR. Il
s'agit donc de lésions sous pression exerçant un effet de masse sur les structures
adjacentes. Elles sont de taille variable dépendant du gradient de pression existant de
part et d'autre de leur paroi. Elles peuvent être très volumineuses ; quand elles
sont rétrocérébelleuses, elles peuvent alors être responsables d'une ascension de la
tente du cervelet et d'une déformation de l'écaille occipitale.
Les kystes peuvent siéger n'importe où, essentiellement dans les espaces
sous-arachnoïdiens (90 % des cas), mais parfois dans le ventricule, ou le parenchyme.
Dans l'espace sous-arachnoïdien, 60 % sont rétrocérébelleux, 14% sont au niveau de
l'incisure tentorielle, 13 % dans l'angle pontocérébelleux ; les autres sont soit
latérocérébelleux soit rétroclivaux.
Les kystes infratentoriels représentent entre 30 et 40 % des kystes intracraniens.
Beaucoup d'auteurs séparent les " vrais " kystes malformatifs des
formations kystiques d'autres origines. Cette distinction a peu d'importance clinique. Un
kyste peut résulter de trois processus différents :
méningite : le kyste est la conséquence de cloisonnements localisés des espaces
sous-arachnoïdiens ;
hémorragie sous arachnoïdienne : le kyste résulte des mêmes altérations de
l'arachnoïde. Dans ce cas, comme dans le précédent, l'hydrocéphalie est la cause du
kyste ;
troubles du développement de l'arachnoïde. Ce kyste malformatif est très
probablement le plus fréquent. Il en existe de plusieurs types : le kyste
arachnoïdien qui résulte d'une malformation de l'arachnoïde elle-même ; le kyste
neuroépithélial qui pourrait résulter soit d'hétérotopies gliales, soit, plus
probablement, de l'imperforation d'un des orifices inférieurs du 4e ventricule. Quand
l'orifice imperforé est l'orifice de Lushka, le kyste se développe dans l'angle
pontocérébelleux ; quand il s'agit du trou de Magendie, le kyste se développe
entre les amygdales cérébelleuses, sous et en arrière du vermis. Dans les deux cas, le
kyste communique largement avec le 4e ventricule, et est revêtu de tissu
neuro-épithélial identique à celui de l'épendyme.
Il est classique de dire que les kystes ne s'accompagnent pas de malformations
associées. En fait, de telles associations sont retrouvées entre 20 et 30 % des cas (27
% dans notre expérience).Les kystes malformatifs peuvent entraîner une hydrocéphalie
quand ils sont volumineux et compriment soit le 4e ventricule, soit l'aqueduc de Sylvius.
2 - La mega grande citerne
Il s'agit soit d'une variante anatomique de la grande citerne normale, soit de la
distension de la grande citerne en réponse à un blocage des espaces sous-arachnoïdiens
de la base, auquel cas elle accompagne une hydrocéphalie. Dans tous les cas, la
collection liquidienne communique librement avec le ventricule. Elle peut être
asymétrique ; elle peut aussi être très volumineuse au point d'être développée
en arrière du vermis et des hémisphères cérébelleux, d'entraîner une ascension de la
tente du cervelet, voire une déformation de la fosse postérieure osseuse. La mega grande
citerne représente 54 % des lésions kystiques de la fosse postérieure. Des
malformations peuvent être associées (agénésie calleuse, holoprosencéphalie,
hétérotopies...), mais elles sont rares.
3 - La malformation de Dandy-Walker
Il s'agit d'une hydrocéphalie du 4e ventricule associée à une agénésie partielle
du vermis. Classiquement l'anomalie s'associe à une imperforation des orifices de sortie
du 4e ventricule et à une hydrocéphalie. Ce dernier critère est en fait
inconstant : l'hydrocéphalie foetale fait souvent défaut et, en postnatal, une
communication du ventricule avec les espaces sous-arachnoïdiens a pu être démontrée
chez 80 % de nos patients. Le ballonnement du 4e ventricule, associé à l'agénésie
vermienne, explique les bouleversements anatomiques observés : déplacement
antéro-latéral des hémisphères cérébelleux, surélévation de la tente du cervelet
et, souvent, déformation en chignon de l'écaille occipitale.
La malformation est rare (1-3/30 000).
Les malformations associées du système nerveux sont fréquentes (68 %),
particulièrement l'agénésie calleuse. Les malformations systémiques sont également
fréquentes, cardiaques, rénales, angiomes faciaux, oculaires...
4 - Le Dandy-Walker " variants "
Il consiste en une hypoplasie du vermis cérébelleux associée à une dilatation
kystique du 4e ventricule sans agrandissement de la fosse postérieure ni, habituellement,
surélévation de la tente du cervelet.
La malformation est plus fréquente que celle de Dandy-Walker ; elle représente
environ 1/3 des malformations de la fosse postérieure.
Des malformations cérébrales associées ont été observées dans un nombre important
de cas, principalement agénésie calleuse (21 %) et troubles de la giration (21 %).
5 - Le syndrome de Joubert
Il s'agit d'un syndrome autosomique récessif extrêmement rare, touchant
préférentiellement le garçon (2 :1), caractérisé par une dysplasie vermienne,
totale ou partielle, et des malformations structurelles du cortex cérébelleux et des
olives pyramidales. Le 4e ventricule n'est en général que peu dilaté et la fosse
postérieure est de taille normale.
Dans 1/3 des cas la malformation s'associe à une méningo-encéphalocèle. Les autres
malformations cérébrales sont plus rares.
Problèmes diagnostiques
Ils se posent en anténatal aussi bien en échographie qu'en IRM dans deux
circonstances :
1 - Quand la lésion liquidienne est à hauteur de la grande citerne
Le diagnostic différentiel entre mega grande citerne et kyste neuro-épithélial est
impossible à faire. Dans les deux cas, quand la lésion est volumineuse, la tente du
cervelet peut être ascensionnée et l'écaille occipitale déformée.
2 - Quand le vermis est morphologiquement anormal
Il peut être difficile ou impossible de distinguer entre d'une part une malformation
de Dandy-Walker où manque le vermis inférieur et d'autre part un kyste
neuro-épithélial ou une mega grande citerne qui peuvent, quand ils sont volumineux,
refouler les amygdales cérébelleuses latéralement et le vermis vers le haut au point de
faire croire à son hypoplasie.
En outre, le diagnostic différentiel entre Dandy-Walker et Joubert est impossible à
faire avec certitude.
Pronostic
Il est impératif de parvenir à un diagnostic de lésion aussi précis que possible
car le pronostic est fort différent d'une lésion à l'autre. Globalement il faut opposer
le bon pronostic des mega grandes citernes et des kystes au mauvais pronostic des
Dandy-Walker et des Joubert.
1 - Mega grande citerne
Aucun travail n'existe ayant étudié spécifiquement le développement psychomoteur
des enfants présentant ce type d'anomalie. Cependant tous les auteurs s'accordent sur
leur bénignité sauf en cas de malformation sus-tentorielle associée.
2 - Kystes
Nous avons repris l'étude de notre série de kystes infra-tentoriels : 52 cas
dont 7 diagnostiqués en anté-natal de 1985 à 1995. Les enfants sont normaux à tous
points de vue dans 74 % des cas. Les 9 enfants anormaux, au QI/QD inférieur à 80 ont
été spécifiquement étudiés : 6 avaient au moment du diagnostic une
ventriculomégalie considérable pouvant à elle seule expliquer le retard psychomoteur, 2
avaient dans leurs antécédents une méningite sévère, 1 avait une trisomie 9. Les 7
enfants dont le kyste avait été diagnostiqué avant la naissance sont normaux ;
aucun n'avait d'hydrocéphalie anté-natale ni de malformation associée ; aucun n'a
développé d'hydrocéphalie postnatale.
On peut conclure de cette étude deux choses :
- que le pronostic des kystes infratentoriels est excellent quand ces kystes ne
s'accompagnent pas de malformation ou d'hydrocéphalie dépassée ;
- que l'on ignore probablement l'histoire naturelle de ces lésions puisque les 7
kystes découverts en anténatal sont restés asymptomatiques.
3 - Malformation de Dandy-Walker
Globalement toutes les séries de la littérature concernant des enfants avec
malformation de Dandy-Walker traités de leur hydrocéphalie donnent les mêmes
résultats : schématiquement, 40 % d'enfants normaux, 40 % d'enfants très
retardés, 20 % d'enfants modérément retardés. Il apparaît donc fondamental, dans le
cadre du diagnostic anténatal, de savoir s'il existe des facteurs pronostics susceptibles
de distinguer ceux des enfants dont le pronostic devrait être bon. C'est ce que nous
avons fait à partir de notre série de 70 cas dont 5 diagnostiqués en prénatal. Sur
cette série, seuls 61 ont eu une évaluation psycho-intellectuelle et sociale, 52 par QI,
9 par seule évaluation des résultats scolaires ou de l'insertion socioprofessionnelle.
L'âge médian au moment du QI est de 60 mois (10 mois à 156 mois).12 paramètres ont
été étudiés et soumis à une analyse de régression logistique mono- et multivariée
pour être corrélés aux QI, les QI étant eux-mêmes répertoriés en deux groupes (<
80 ; > 3D 80). Les facteurs étudiés ont été : agénésie calleuse,
encéphalocèle, autres malformations du système nerveux central, angiomes faciaux,
malformations maxillo-faciales, viscérales, cardiaques, oculaires, malformations de la
main, anomalies de la voûte du crâne (2 lacunes osseuses, 1 kyste dermoïde -associé à
une agénésie calleuse- 1 trigonocéphalie), hydrocéphalie anténatale, hydrocéphalie
postnatale.
En analyse monovariée :
- 3 paramètres sont significativement corrélés à un mauvais pronostic :
malformation cérébrale autres qu'encéphalocèles et agénésie calleuse (p<.01),
malformations maxillo-faciales (p<0.002), et anomalies de la voûte (p<D0.02) ;
- 2 paramètres sont en limite de signification : agénésie calleuse complète
(p=<0.06) et hydrocéphalie anténatale (p<0.07) ;
- 1 paramètre est corrélé à un bon pronostic : les angiomes faciaux (0.0009).
En analyse multivariée 3 paramètres sont significativement corrélés au
développement intellectuel :
- 2 avec un mauvais pronostic : malformations maxillo-faciales (p<0.01)
malformations du système nerveux (p<0.04)
- 1 avec un bon pronostic : angiomes faciaux (p<0.01).
Il ressort de cette étude que l'évaluation pronostique anténatale implique
essentiellement la recherche acharnée de malformations intracrâniennes et
maxillo-faciales, toutes deux de mauvais pronostic. Le fait que les angiomes faciaux aient
un effet protecteur est d'interprétation difficile ; le point important est qu'ils
n'aient pas d'influence néfaste.
Le problème de l'influence de l'éventuelle hydrocéphalie prénatale n'est pas encore
résolu ; il est cependant possible que pareille hydrocéphalie altère le
développement futur. Un complément d'étude est nécessaire sur un plus grand nombre.
4 - Malformation de Dandy-Walker " variant "
Aucune étude systématique n'a été faite concernant le pronostic de cette
malformation. Un retard peut être observé quand, semble-t-il, existent des malformations
cérébrales associées.
5 - Syndrome de Joubert
Il est de très fâcheux pronostic tant sur le plan du développement intellectuel que
sur celui de l'état neurologique (hypotonie, ataxie, hemispasme facial, troubles
oculomoteurs, troubles respiratoires).
Traitement
Il ne s'impose qu'en présence d'une hydrocéphalie évolutive postnatale et varie
selon le type de lésion.
1 - Les kystes
Le choix existe entre trois méthodes :
- abord direct dans le but de retirer les membranes et de faire communiquer le kyste
avec les espaces sous-arachnoïdiens ;
- dérivation kysto-péritonéale ;
- kysto-ventriculostomie sous endoscopie. Cette technique consiste à mettre en
communication le kyste avec un ventricule, mais suppose deux conditions préalables :
d'une part que le kyste ne soit pas lui-même la conséquence d'une hydrocéphalie par
blocage de la base, d'autre part que le kyste soit contigu quelque part avec un
ventricule.
Notre choix se porte sans discussion sur la kysto-ventriculostomie dont l'avantage
majeur est de rétablir une circulation physiologique du LCR et d'éviter la mise en place
d'une valve toujours susceptible de complications. Cette technique ne s'applique cependant
qu'aux kystes de l'incisure tentorielle, seuls au contact d'un ventricule (corne
occipitale). Ailleurs, le traitement le plus simple et le plus efficace est la dérivation
kysto-péritonéale.
2 - Mega grande citerne, Dandy-Walker et " variants "
Le seul traitement efficace est la dérivation. Un consensus s'est établi en faveur de
la dérivation kysto-péritonéale plutôt que ventriculo-péritonéale.
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