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Titre: La petite taille entre pathologie organique et pathologie sociale
Année: 2000
Auteurs: - Colle M.
Spécialité: Pédiatrie
Theme: Hormone de croissance

La petite taille : entre pathologie organique et pathologie sociale

michel colle - bordeaux

La diversité des indications d’un traitement par hormone de croissance en matière de petite taille finit par exercer le regard du praticien et le faire s'interroger sur la diversité de la demande. Il n'est pas aisé de le reconnaître au départ - cela pourrait paraître une provocation -, mais la plupart des enfants traités n'a pas de maladie organique au sens pathologique du terme. A côté de situations bien définies - mais relativement rares - comme les insuffisances hypophysaires organiques, un nombre important d’enfants diagnostiqués comme atteints d’un déficit partiel en GH ou bien ayant un retard de croissance secondaire à un retard de la croissance intra-utérine vont être considérés comme « malades » parce que c'est en vertu de cette dénomination qu'ils obtiendront un traitement.

En fait le mot maladie est le sésame qui ouvre l'accès au précieux traitement, traitement qui détient, entre autres bénéfices, la prise en considération, si ce n'est le soulagement, de la souffrance des patients. Tout cela parce que, touchant les questions de santé, notre société propose le concept déterminant de maladie et pour modèle l'homme médical, selon l'expression d'Erwing Goffman, pas malade mais consommateur de traitement (1).

Cependant, ces recours, loin d'être des débordements ou des caprices, répondent à d’impérieuses nécessités d'insertion sociale, de socialisation. En matière de petite taille, le recours à l’hormone de croissance répond à la double exigence du traitement d’une situation pathologique et du soulagement d’une pathologie sociale.

Une consultation à propos de socialisation :

"La fonction d'un fait social doit toujours être recherchée dans le rapport qu'il soutient avec quelque fin sociale" soutient Emile Durkheim (2). Or, les parents s'ouvrent nettement sur la finalité de la consultation qui est de parvenir à résoudre les difficultés de la socialisation ressentie par leur enfant, socialisation présente mais aussi socialisation à venir. C'est en effet la plupart du temps, à la première socialisation de l'enfant, que l'alerte est donnée ; très tôt, en famille, à la première comparaison avec des frères et sœurs aînés ou puînés (ce qui est pire), avec des cousins de même âge, ou à la crèche, à l'entrée en Maternelle et de manière plus douloureuse à l'école, avec une prédilection pour les classes charnières, CP et 6°.

Cette comparaison induit, dans de nombreux domaines, une évaluation défavorable de l'enfant en référence à un stéréotype puissant : un bon enfant, un bel enfant est un enfant qui pousse bien.

Et l'on consulte alors pour savoir comment agir pour soulager tout de suite l'enfant qui souffre de non-conformité à la fois à son âge et à ses pairs, et aussi prévenir pour plus tard les préjudices d'ordre psychologique et social redoutés.

Ces constatations nous ont conduit à mener une étude dont l'objectif était de comprendre la démarche des parents qui sont amenés à consulter pour un problème de croissance et à demander que l’on puisse traiter leur enfant par l’hormone de croissance en réponse à la pression des intimations sociales en matière de conformité corporelle. La méthodologie comprenait des entretiens menés par une sociologue avec une trentaine de familles concernées par ce problème et une base théorique récente de sociologie et de psychosociologie.

Ces divers éléments ont permis de dégager 3 pôles autour desquels se cristallise la demande :

1 - La petite taille entraîne une socialisation discriminatoire dans une école désinstitutionnalisée à l'image de la société.

C'est la souffrance à l'école le plus souvent qui entraîne la consultation. L'école, lieu crucial de vie et aussi d'évaluation pour un enfant, donne lieu à des pratiques d'exclusion, moqueries, isolement, chosification, doutes sur les capacités, le tout en raison d'un décalage manifeste entre âge réel et âge physique du fait des mensurations insuffisantes.

Cela commence à la crèche ou à la maternelle où l'enfant peut servir de jouet, de poupée que les autres enfants portent, habillent et déshabillent. Pour certains, ce sera à l'entrée en C.P. ou un peu plus tard, les classes charnières étant estimées particulièrement douloureuses. L'enfant de petite taille, de tout âge, est victime de moqueries, de sobriquets en rapport avec sa taille : nain, bien sûr, mais aussi minus, pin's, microbe, schtroumf...

La cruauté de ces appellatifs s'accompagne rapidement et comme en escalade, de comportements qui mettent l'enfant de petite taille à part des autres : bousculade, abandon ou encore utilisation. La différence est un facteur d'isolement, reconnaissent les parents.

En écho à ces réflexions, les sociologues remarquent que l'école n'est plus cet espace sacré, institutionnel, étanche, où la culture scolaire était séparée de la culture sociale, qu'elle n'est plus un lieu d'apprentissage, mais un lieu de compétition, bref, que l'école est devenue, comme la rue, le reflet de la société (3).

On imagine bien, dès lors, le désarroi des parents d'enfants qui ne peuvent, du fait de leurs dimensions, s'imposer dans les rapports de force et de domination. La cour de récréation devient pour ces enfants l'espace dans lequel s'engouffrent tous les individualismes, où les lois de l'éthologie des mammifères supérieurs établissent le partage entre dominants et dominés, partage dans lequel les rapports de force sont nettement liés aux mensurations. De même les lois de l'apparence, par lesquelles l'individu se donne à voir et à respecter sont éminemment présentes. C'est en s'assurant d'être à la hauteur que l'on pourra s'assurer du même coup une place.

On comprend dès lors que, devant cette mutation qu'ils observent, les parents cherchent à préparer leur enfant à la lutte et que, pour ce faire, ils cherchent à les pourvoir de mensurations adéquates, au besoin par un recours médical.

 

2 - La petite taille est un stigmate qui induit un certain type d'expériences relationnelles qui fait craindre, en retour, une construction difficile de la personnalité

L'enfant de petite taille est évalué à sa défaveur, les parents comme les enfants interrogés sont unanimes sur ce point. Des comportements s'en suivent et peuvent conduire jusqu’à l’enfant stigmatisé. "Le stigmate, dit Erwing Goffmann, est un attribut qui jette un discrédit sur la personne qui en est affectée" (4).

Du handicap profond au simple trait physique, en passant bien sûr par les mensurations, le stigmate installe, au cœur même de l'interaction avec autrui, un décalage entre l'identité réelle et l'identité virtuelle de la personne et affecte sa crédibilité. On peut comprendre ainsi le décalage entre l'âge physique et l'âge réel d'un enfant. Le processus de socialisation se bloque partiellement ou complètement sur ce discrédit et installe l'être dans le malaise, le mal-être, l'anxiété ou encore des stratégies d'adaptation bouffonnes : le stigmatisé se replie sur lui-même et souvent refuse toute vie sociale et bien sûr scolaire.

De là à envisager pour l'enfant discrédité un avenir discréditable, il n'y a qu'un pas.

Car, en toute logique, les parents craignent - et observent - les effets-retour de cette stigmatisation sur la construction psychologique de leur enfant et en premier lieu que cette dévaluation dont l'enfant est l'objet n'imprègne le regard qu'il porte sur lui-même.

Or, comme le souligne M. Bruchon-Schweitzer, l'impact du corps dans les situations d'évaluation comme l'école est très déterminant (5). L'enfant se comporte en fonction des attentes qu'il perçoit à son sujet et cela constitue une sorte d'empreinte sur la personnalité. Pour les psychologues, c'est l'effet Pygmalion. Ainsi d'un enfant très petit, on attendra des performances qui semblent s'accorder à sa taille plus qu'à son âge. L'implicite de ces attentes peut avoir des effets délétères : soit l'enfant s'y conforme et refuse de progresser, soit il tente de s'imposer de diverses manières, au travers de conduites compensatoires, mais toujours il répond à un miroir qu'on lui tend.

3 - Le recours à l’hormone de croissance est un itinéraire moral en forme de stratégie médicale, destiné à rattraper les effets difficilement supportables d'un patrimoine génétique non conforme aux exigences sociales.

Un corps non-conforme, différent, est donc insupportable pour soi et pour les autres, témoignent parents et enfants et, dans ce cas, ils estiment que c'est à la société de supporter le coût de ses exigences. La société de consommation voit dans le corps moderne, un avoir à façonner, en réponse aux impératifs matérialistes de la société : "le corps n'est plus l'être de l'homme mais son avoir. Il est devenu une sorte de partenaire à qui l'on demande la meilleure mise, l'ostentation des signes les plus efficaces, un objet que l'on façonne à sa guise, que l'on améliore en fonction des impératifs de la société de consommation dont il est le premier investissement." remarque D. Lebreton (6). A ce prix est le partage de la nouvelle sociabilité.

Possible par les sciences et techniques, le travail sur le corps est devenu presque obligatoire. Les lois de l'apparence et de la force exigent-elles une haute taille ? Pourquoi la réponse appropriée ne serait-elle pas la supplémentation en hormone de croissance ? Les parents le conçoivent ainsi, justifiant le moyen par la fin : la socialisation harmonieuse présente et future de leur enfant. Y-a-t-il croisade plus légitime que la protection de la vie, de la qualité de la vie, depuis que, selon le mot de Michel Foucault, la santé a remplacé le salut ? Ainsi que le remarque une mère : "on allonge bien la vie des vieillards, pourquoi n'allongerait-on pas les membres de mon fils ?"

A ce point de conviction, à ce point de souffrance aussi, car il ne faut pas oublier les interrogations sur les risques et bénéfices du traitement : l’entreprendre ou ne pas l’entreprendre ? on peut parler d'itinéraire moral.

S'il a forme de stratégie médicale, c'est qu'il s'inscrit dans une société qui ne peut l'entendre et l'autoriser que comme tel. La science a développé une telle idéologie autour d'elle-même que le recours à la médecine paraît à certains parents comme ce qu'ils ont de mieux à offrir à leur enfant rejoignant en ceci la notion de médicalisation de l'existence développée par E. Zarifian. Sa réflexion s'applique à l'usage des psychotropes pris dans le but d'effacer la souffrance morale. "Il ne s'agit pas de laisser souffrir si l'on peut soulager, dit Zarifian, mais il faut analyser les raisons existentielles de cette souffrance et permettre de tirer un bénéfice pour l'avenir. On ne doit pas gommer systématiquement et pharmacologiquement les expériences maturantes de la vie".(7)

Faut-il conclure à la médicalisation de l'existence par l’hormone de croissance ? ce traitement est avant tout la réponse adaptée et obligatoire aux graves défaillances hypophysaires prouvées. Dans les autres situations cliniques de petite taille où le recours à l’hGH peut être envisagé, la ligne de démarcation est, pour chaque cas, à établir dans l'échange entre le clinicien et la famille. Sur ce « borderline », il n'y a que des hommes et des femmes responsables - parents et praticiens - qui réfléchissent ensemble à la bonne décision à prendre dans un buisson de questions, selon l'expression de René Char.

En matière de traitement par hormone de croissance, il est temps de reconnaître qu'il n'y a pas toujours maladie quand le traitement s'avère pourtant tout à fait nécessaire, et de faire valoir, y compris auprès des pouvoirs publics, que ce traitement peut être tout à fait justifié en dehors de raisons médicales, pour des raisons simplement sociales. C’est d’ailleurs ce que reconnaît le texte officiel de référence, la Fiche d'Information Thérapeutique, concernant le traitement des RCIU : « le retard de croissance intra-utérin constitue un handicap sévère pour l'enfant, au même titre que les autres retards staturaux de l'enfant ». Ce texte témoigne de la prise en compte de l’amélioration du service médical rendu au même titre, puisque ouvrant aux mêmes droits, que les indications clairement pathologiques comme le déficit en hormone de croissance.

 

1 - GOFFMAN, Erving, Les Rites d'Interaction, Paris, Minuit, 1974

2 – DURKHEIM, Emile, Les Règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1968

3 –DUBET, François, Sociologie de l'Expérience, à paraître

4 - GOFFMAN, Erving, Stigmate, les Usages Sociaux des handicaps, Paris, Minuit, 1975

5 -BRUCHON-SCHWEITZER, Marilou, Une Psychologie du Corps, PUF, 1990

6 - LEBRETON, David, Anthropologie du Corps et Modernité, PUF, 1990

7 - ZARIFIAN, Edouard, Des Paradis plein la tête, Paris, Odile Jacob, 1994