La
grossesse après pathologie vasculaire sévère
François
Audibert
Hôpital Antoine Béclère, Clamart
La
survenue d'une complication vasculaire de la grossesse (prééclampsie
sévère, retard de croissance) amène une question évidente,
une fois l'accouchement réalisé : l'avenir. La crainte d'une récidive
est bien légitime pour la patiente, et le rôle de l'obstétricien
est de pouvoir fournir un conseil clair, adapté à la situation
et étayé par des éléments objectifs. Insistons d'emblée
sur l'importance d'un conseil préconceptionnel, et non d'une prise
en charge qui débuterait seulement lors d'une nouvelle grossesse. C'est
pourquoi nous insisterons sur l'importance du " bilan après accident
", c'est-à-dire l'indispensable consultation destinée à
expliquer la pathologie survenue, à répondre à toutes les
questions, et à préparer l'avenir.
Il
est généralement écrit que le risque de récidive
d'une prééclampsie après un premier épisode chez
une primigeste est de l'ordre de 10%. Ce chiffre recouvre en réalité
des situations très hétérogènes, selon le type et
la gravité de la pathologie en cause, et surtout selon le terrain maternel
(néphropathie, HTA persistante, antécédents familiaux,
thrombophilie…). L'idéal serait donc de disposer d'un conseil personnalisé
permettant d'adapter la surveillance et/ou le traitement proposés durant
la grossesse. Cette stratégie comporte plusieurs temps.
1/
Le bilan au décours immédiat de l'accident
La
période du post-partum nécessite une surveillance particulière
au décours d'une pathologie vasculaire, d'autant plus qu'elle était
sévère ou précoce. Si le retour rapide à la normale
de la pression artérielle et des paramètres biologiques est fréquent,
on doit être particulièrement vigilant durant cette période.
Il existe par exemple un risque de HELLP syndrome, voire d'éclampsie
débutant dans le post-partum.[1] La disparition de l'albuminurie et la
normalisation de la fonction rénale doivent être rapides, sinon
on doit suspecter une pathologie rénale sous-jacente, parfois secondaire
à la prééclampsie (hyalinose segmentaire et focale). L'évaluation
et le suivi néphrologique sont d'autant plus importants que certaines
prééclampsies sont liées à l'aggravation d'une HTA
préexistante, et qu'il existe d'autre part un risque accru à long
terme d'HTA chronique.[2] Schématiquement :
-L'HTA persiste sans albuminurie : rechercher une pathologie réno-vasculaire
(kaliémie et Doppler des artères rénales) ;
-Une albuminurie significative (>1g/24h) persiste, éventuellement
avec HTA : une consultation néphrologique s'impose pour discuter d'une
étude histologique rénale, d'autant plus qu'existe une insuffisance
rénale ;
-Une albuminurie modérée (<1 g/24h) persiste sans HTA : cas
fréquent où il faut savoir attendre 3 à 6 mois en surveillant
l'évolution.
2/
Le bilan à distance
Généralement
proposé dans les 3 mois suivant l'accouchement, cette consultation est
fondamentale pour vérifier le retour à la normale des paramètres
cliniques mais aussi pour prescrire un bilan étiologique, lorsque la
pathologie était précoce (nécessité d'un accouchement
avant 34 SA), sévère, ou récidivante. Ce bilan comportera
au minimum :
-Fonction
rénale, ionogramme sanguin ;
-NFS, plaquettes, TP, TCA ;
-Protéinurie des 24 h ;
-bilan immunologique : anticorps antiphospholipides, Ac anti-DNA.
De plus
en plus, la tendance est de rechercher également une thrombophilie
(celles-ci sont associées de façon plus nette à la
survenue d'un RCIU isolé qu'à la prééclampsie.[3].
Cette recherche est impérative en cas d'antécédent personnel
ou familial de thrombose veineuse ou artérielle, de fausses-couches à
répétition, de mort ftale in utero, d'hématome rétro-placentaire.
Cette recherche comporte :
-dosage
de l'antithrombine III ;
-dosage
de la protéine S (au moins 3 mois après toute
grossesse, y compris fausse couche précoce ; en effet cette protéine
s'abaisse physiologiquement et très rapidement lors de toute grossesse)
;
-dosage de la protéine C ;
-dosage de l'homocystéine.
-recherche d'anticorps antiphospholipides et anticardiolipines
-recherche d'anticoagulant circulant (allongement de TCA)
-Recherche de mutations :
-du
gène du Facteur V (mutation Leiden)
-du gène du Facteur II (gène de la prothrombine G20210A)
-du gène de la MTHFR (en connaissant la grande fréquence
à l'état hétérozygote dans la population) si
le taux d'homocystéine est élevé.
3/
La surveillance de la grossesse suivante
En
l'absence de facteur de risque retrouvé, le seul traitement à
discuter est l'aspirine à faible dose (100 mg/j), à débuter
le plus précocement possible au 1er trimestre, et à poursuivre
jusqu'à 34 SA environ. Les discussions sur l'efficacité de ce
traitement préventif ne sont pas closes, mais le bénéfice
attendu est faible dans la population générale. On peut encore
retenir comme indication les formes précoces et sévères
de prééclampsie ou de RCIU, ayant nécessité un accouchement
avant 34 SA ou la naissance d'un enfant de poids inférieur à 1500
g. Il n'y a pas d'indication à débuter un traitement par aspirine
devant la constatation d'un RCIU avéré ou d'une prééclampsie
installée. De même la constatation d'un Doppler utérin pathologique
au 2e trimestre ne doit plus être considérée comme une indication
à la mise sous aspirine. Des études sont en cours pour évaluer
l'intérêt d'un dépistage plus précoce (Doppler utérin
au 1er trimestre, marqueurs sériques…). [4]
En
présence d'une anomalie découverte lors du bilan étiologique
(notamment une thrombophilie), le traitement doit être discuté
si possible avant le début de la grossesse et de façon multidisciplinaire
(hématologue, interniste…). En particulier, en cas de syndrome des
antiphospholipides, il est démontré que l'association aspirine-héparine
apporte la meilleure prévention des complications obstétricales.
[5] Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) offrent l'avantage
d'une seule injection quotidienne et sont désormais largement prescrites
chez la femme enceinte, malgré l'absence d'AMM dans cette indication.
[6]
La
surveillance sera bien sûr rapprochée, avec en particulier la pratique
de Doppler systématique (artères utérines), une surveillance
régulière de la pression artérielle et de l'albuminurie
(bandelettes urinaires à domicile), une surveillance de paramètres
biologiques (plaquettes, hémostase, fonction rénale) dont la fréquence
sera adaptée à la pathologie initiale et aux facteurs de risque.
Cette surveillance sera programmée dans le cadre d'une équipe
de professionnels travaillant en réseau, avec possibilité de transfert
maternel vers une structure adaptée en cas de récidive d'une pathologie
maternelle ou ftale.
Références
1.
Sibai, B.M., et al., Maternal morbidity and mortality in 442 pregnancies with
hemolysis, elevated liver enzymes, and low platelets (HELLP syndrome) [see comments].
Am J Obstet Gynecol, 1993. 169(4): p. 1000-6.
2. Sibai, B., B. Mercer, and C. Sarinoglu, Severe preeclampsia in the second
trimester: recurrence risk and long-term prognosis. Am J Obstet Gynecol, 1991.
165: p. 1408-12.
3. Greer, I., Thrombosis in pregnancy. Lancet, 1999. 353: p. 1258-65.
4. Aquilina, J., et al., Improved early prediction of pre-eclampsia by combining
second-trimester maternal serum inhibin-A and uterine artery Doppler. Ultrasound
Obstet Gynecol, 2001. 17(6): p. 477-84.
5. Walker, I.D., Thrombophilia in pregnancy. J Clin Pathol, 2000. 53(8): p.
573-80.
6. Ellison, J., I.D. Walker, and I.A. Greer, Antenatal use of enoxaparin for
prevention and treatment of thromboembolism in pregnancy. Bjog, 2000. 107(9):
p. 1116-21.
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