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Titre: Liquide amniotique et médicaments
Année: 1997
Auteurs: - Jacqz-Aigrain E.
Spécialité: Obstétrique
Theme: Liquide amniotique

LIQUIDE AMNIOTIQUE ET MEDICAMENTS

E JACQZ-AIGRAIN*

Unité de pharmacologie clinique, Hôpital Robert-Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris.

I. DEVELOPPEMENT DE LA FONCTION DU REIN FOETAL ET PHYSIOLOGIE DU LIQUIDE AMNIOTIQUE [1]

Chez le foetus les reins commencent à fonctionner vers la 10-12e semaine de vie intra-utérine. La filtration glomérulaire commence entre la 9e et la 12e semaine de gestation chez le foetus humain. Elle augmente progressivement avec l'âge et le poids foetal. L'apparition d'une filtration glomérulaire marque le début de la maturation et du développement des différentes fonctions tubulaires : réabsorption du glucose, sécrétion des ions H+, réabsorption de l'eau, du sodium et de différents électrolytes. A vingt-cinq semaines de vie foetale, une fraction importante du sodium filtré est réabsorbée, elle atteint presque 95 % à 30 semaines, puis plus de 99 % chez le nouveau-né à terme.

Le volume et la composition du liquide amniotique résultent d'un équilibre dynamique entre les unités maternelle, placentaire et foetale. Le liquide amniotique augmente progressivement de 200 cc à 16 semaines à 1 000 cc à 35 semaines pour diminuer ensuite à 800 cc à 40 semaines de grossesse.

Durant les premières 20 semaines, le volume du liquide amniotique croît de manière passive. Après 20 semaines, l'excrétion urinaire foetale devient notable (5 cc/h à 22 semaines et 50 cc/h à 40 semaines). La déglutition foetale qui débute aussi vers 8 à 11 semaines atteint 200 à 400 cc/jour à 40 semaines.

Il est possible d'étudier par ponction la composition du liquide amniotique et plus récemment de l'urine foetale. Ceci permet de détecter des anomalies du filtre glomérulaire qui se traduit par un passage anormal de protéines plasmatiques dans les urines et donc dans le liquide amniotique.

Les autres voies d'échanges foetus - liquide amniotique sont :

- les poumons au niveau desquels les volumes d'échanges sont estimés à 200 cc/jour en milieu de grossesse ;

- la peau dont la kératinisation débute à environ 20 semaines mais qui reste perméable à l'eau et aux électrolytes ;

- les vaisseaux ombilicaux et les membranes amniotiques au niveau desquels les échanges semblent réduits.

II. MEDICAMENTS ET MODIFICATIONS DU LIQUIDE AMNIOTIQUE

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens

Les prostaglandines PGE2 et PGF2, PGD2, PGI2 et thromboxane, ainsi que les leucotriènes sont synthétisées par les tissus foetaux et notamment par le rein foetal. Elles semblent bien intervenir dans la régulation de l'hémodynamique et dans le développement du rein foetal.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens agissent par inhibition irréversible (aspirine) ou réversible (autres anti-inflammatoires non stéroïdiens), de la synthèse des prostaglandines par action au niveau de la cyclo-oxygénase. Ils sont administrés pendant la grossesse pour interrompre un travail prématuré ou traiter un hydramnios. La réduction du volume amniotique serait due à la fois à un effet rénal foetal (réduction de la filtration glomérulaire et de la diurèse) et à un effet utéro-placentaire [2].

Les effets adverses des AINS sur le foetus sont des effets pharmacologiques attendus de ces médicaments : modification du calibre du canal artériel, insuffisance rénale notamment. Il justifient des précautions d'emploi strictes sous surveillance échographique et le respect des contre-indications (membranes rompues, terme dépassant 33 semaines, traitement court).

L'indométhacine est plus largement utilisé dans ces indications, mais d'autres AINS ont été étudiés : ibuprofène, sulindac. Leurs effets secondaires rénaux sont équivalents [3].

Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion

Le système rénine angiotensine est mis en place très tôt durant la vie foetale puisque les cellules synthétisant la rénine ont été mises en évidence dans l'appareil juxtaglomérulaire de foetus de douze semaines et plus tôt dans les vaisseaux préglomérulaires des mésonéphrons. Les différentes protéines du système rénine angiotensine sont présentes dans le sang foetal et détectables dans le rein foetal. Le rôle du système rénine angiotensine n'est pas clairement élucidé. A l'état basal, il ne semble pas indispensable à la régulation de la tension artérielle, puisque les foetus anéphriques se développent normalement. Cependant, ce système est fonctionnel comme en témoignent les accidents foetaux et néonataux observés lors de la prescription maternelle d'inhibiteurs de l'enzyme de conversion.

La toxicité foetale des médicaments inhibiteurs de l'enzyme de conversion a été rapportée avec le Captopril, l'Enalapril et le Lisinoprol. Captopril et Lisinoprol sont directement actifs, alors que l'Enalapril est une prodrogue. Ils agissent en inhibant l'enzyme de conversion de l'angiotensine I en angiotensine II. Il s'agit du mécanisme principal, mais probablement non unique de l'hypotension artérielle avec diminution des résistances vasculaires périphériques. Les complications rénales seraient plus fréquentes avec l'Enalapril qu'avec le Captopril chez l'adulte. De nombreux cas cliniques uniques d'exposition foetale ont été rapportés avec anomalies morphologiques (développement de la voûte du crâne), complications foetales (retard de croissance intra-utérin, oligoamnios) et néonatales (hypotension, anurie, hypoplasie pulmonaire et prématurité). Ces médicaments pourraient altérer le développement rénal normal [2].

En 1991 une revue des cas publiés analyse 25 publications correspondant à 81 femmes et 85 grossesses (88 enfants). 49 grossesses se sont déroulées sous Captopril et 35 sous Enalapril, 1 sous les deux médicaments en association. Cette revue est basée sur des notifications spontanées et non sur une étude rétrospective, ce qui ne permet pas d'évaluer l'incidence des complications.

Les effets du traitement du premier trimestre ont été analysés à partir de 47 cas (pour 13, le traitement est ensuite interrompu). On déplore 4 fausses couches et 2 ITG (2 foetus normaux, 1 anomalie osseuse, 1 oeuf clair, 2 NR), 3 syndromes malformatifs à la naissance (2 défauts d'ossification de la voûte du crâne, une hypocalvaria), 2 dysmorphies faciales, 1 omphalocèle dans un tableau d'hypotension avec anurie.

Les effets du traitement au cours du 2e et 3e trimestre ont été analysés à partir de 76 grossesses. 11 oligoamnios associés à 5 retards de croissance intra-utérin isolés et 2 associés à une anurie, 3 hypoplasies pulmonaires (dont 2 avec la dysmorphie faciale précédente) ont été rapportées.

Les effets néonataux ont été analysés à partir de 76 enfants. On déplore 11 pathologies pulmonaires dont 3 hypoplasies pulmonaires avec oligoamnios (3 décès), 6 syndromes de détresse respiratoire (ts < 34 semaines), 5 cas de persistance du canal artériel sous Captopril, 9 hypotensions (7 avec anurie), 9 anuries (2 isolées) 7 sous Enalapril et 2 sous Captopril, 4 décès (2 Enalapril et 2 Captopril). La morphologie rénale est normale dans les 5 cas où elle a été faite.

Il s'agit de notifications spontanées et non d'une étude prospective. Les complications néonatales de type retard de croissance intra-utérin peuvent être liées à la pathologie traitée (hypertension artérielle maternelle). Oligo-amnios, hypotension et anurie néonatale sont très suspects sans qu'une incidence puisse être précisée et plus fréquents avec Enalapril que Captopril.

A l'heure actuelle, il n'existe aucun argument pour un risque tératogène des inhibiteurs de l'enzyme de conversion en cas d'utilisation au cours du 1er trimestre. Les anomalies du crâne et rénales compliquent l'utilisation des inhibiteurs de l'enzyme de conversion pendant le 2e et le 3e trimestres par le biais de l'hypotension foetale avec hypoperfusion périphérique et compression par oligoamnios.

III. LE LIQUIDE AMNIOTIQUE : UN COMPARTIMENT PHARMACOCINETIQUE

Durant la grossesse l'augmentation de l'eau totale est importante liée à l'unité foeto-placentaire, mais portant surtout sur l'eau extra cellulaire. Le débit cardiaque et l'épuration rénale maternelle augmentent. Surtout, les médicaments polaires sont éliminés plus rapidement par voie rénale maternelle. Ils traversent le placenta lentement et s'accumulent dans le liquide amniotique. Les médicament lipophiles ont une élimination rénale retardée. Mais ils traversent le placenta rapidement, se distribuant de part et d'autre du placenta en fonction des capacités de liaisons protéiques maternelles et foetales, mais leur passage amniotique est réduit [4]. Ainsi, les médicaments administrés à la mère pendant la grossesse se distribuent dans l'unité foetale et le liquide amniotique selon les règles régissant les transferts transmembranaires, en fonction de leurs caractéristiques physico-chimiques et les liaisons protéiques maternelles et foetales.

Passage des médicaments dans le liquide amniotique

De nombreuses études ont démontré la présence de médicaments dans le liquide amniotique après administration maternelle ou foetale, qu'il s'agisse du diazépam, du phénobarbital, de la méthicilline, par exemple [4].

Parmi les antibiotiques récents, les études portant sur l'imipenem/cilastatine ont permis d'étudier la cinétique d'apparition de cet antibiotique dans le liquide amniotique. Après administration intraveineuse maternelle, le transfert transplacentaire des deux molécules est rapide. Son apparition dans le liquide amniotique est retardée, les concentrations variant de 0,07 ± 0,01 à 0,72 ± 0,85 entre le 1er et le 3e trimestre de la grossesse [5]. Les concentrations dans le liquide amniotique varient de 47 % ± 39 % du taux maternel à 16 % ± 25 %, 30 minutes après la perfusion en fin de grossesse.

De nombreux autres antibiotiques ont été étudiés. Par exemple, pour le cefazoline, le rapport des concentrations liquide amniotique/foetus est de 0,07 ± 0,08 pour un rapport foetus/mère de 0,20 ± 0,15 dans les 2 heures suivant l'administration maternelle [6]. Durant le même temps, la pipéracilline n'apparaît pas dans le liquide amniotique, alors que le rapport des concentrations foetus/mère est identique (0,19 ± 0,13) [6]. Ainsi, de façon équivalente au passage transplacentaire, le passage des médicaments dans le liquide amniotique dépend des caractéristiques du médicament et présente d'importantes variations interindividuelles liées à la grossesse (terme, états pathologiques).

Accumulation des médicaments dans le liquide amniotique

La cinétique d'apparition des médicaments dans le liquide amniotique est lente, décalée par rapport à la circulation foetale. Elle dépend essentiellement de la diurèse foetale. Une accumulation progressive dans le liquide amniotique est possible lors de traitements prolongés, les concentrations dans le liquide amniotique excédant alors les concentrations foetales. Ceci a été démontré pour de nombreux médicaments : anti-épileptiques [7], antibiotiques, acyclovir.

Le liquide amniotique peut donc être un compartiment dit de stockage à partir duquel le médicament en concentration élevée peut être résorbé et se redistribuer dans l'unité foetoplacentaire.

Absorption foetale des médicaments à partir du liquide amniotique

L'étude du transfert liquide amniotique/unité foetoplacentaire a été effectuée en comparant l'administration intra-amniotique des 2 beta bloquants : le propranolol très liposoluble et le sotalol très peu liposoluble [8].

Les expérimentations conduites chez la brebis gestante montrent que le propanolol et le sotalol, injectés dans le liquide amniotique exercent un effet beta bloquant sur le coeur foetal. Le délai pour observer l'effet beta bloquant dépend du médicament utilisé et de l'âge gestationel. Ainsi, un effet =A7bloquant rapide (15 min) est observé quel que soit le terme avec le propranolol très liposoluble. L'effet =A7bloquant est retardé et inconstant chez les foetus proches du terme par rapport aux foetus jeunes, avec le sotanol très peu liposoluble.

Les voies de réabsorption restent encore mal définies. En effet, la déglutition foetale porte sur des volumes amniotiques importants. Cependant, elle ne peut rendre compte de délais d'action très courts entre l'administration intra-amniotique du médicament et l'effet observé. La cinétique de déglutition est irrégulière, ceci étant aussi valable pour une éventuelle absorption par voie pulmonaire. La peau foetale reste une voie de pénétration de choix en raison de la surface d'échanges étendue, en contact direct avec le liquide amniotique. Les processus de kératinisation réduisent probablement la perméabilité cutanée à l'eau et aux électrolytes. Cependant, il est largement admis que le nouveau-né et a fortiori le foetus présentent des barrières cellulaires (cutanées, méningées) immatures plus perméables que celles de l'enfant plus grand. Les observations de " bébé bleu " après l'utilisation de bleu de méthylène témoignent de la réalité de l'absorption cutanée foetale [9]. Enfin, l'hypothèse d'échanges directs à travers les membranes amniotiques est fortement discutée, comme pour le métoclopramide [10]. Elle reste cependant difficile à démontrer.

IV. LE LIQUIDE AMNIOTIQUE : UNE VOIE THERAPEUTIQUE ?

Chez l'animal, l'administration intra-amniotique de digoxine a permis de réduire les troubles du rythme supraventiculaire du foetus [11].

L'administration intra-amniotique de thyroxine chez la femme enceinte, augmente de façon significative le taux circulant de T4 dans le liquide amniotique, le sang du cordon et la circulation maternelle à la naissance (césarienne programmée 24 heures après l'administration) [12]. De plus l'injection intra-amniotique d'hormone thyroïdienne a pu être utilisée pour le traitement d'une hypothyroïdie avec goitre diagnostiquée au cours du 3e trimestre de grossesse.

Mis à part ce cas exceptionnel, la voie amniotique n'est pas utilisée en thérapeutique, et elle ne peut constituer une voie alternative à la voie maternelle. Lorsqu'elle est possible, en raison de nos connaissances insuffisantes sur les modalités d'absorption directe des médicaments par le foetus.

Elle pourrait être une alternative aux administrations médicamenteuses foetales répétées. Cependant, à notre connaissance, aucun traitement foetal ne le justifie à l'heure actuelle pour des raisons techniques, scientifiques et éthiques.

BIBLIOGRAPHIE

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