 |
|
 |
 |
|
DYSMICROBISME
NEONATAL ET PATHOLOGIE DU NOUVEAU-NE
Jean-Charles
PICAUD
Service de Néonatologie,
Hopital Edouard Herriot, Lyon
Après
l'apparition des préparations pour nourrissons à source protéique partiellement
hydrolysée (laits HA) au début des années 90, puis des laits anti-régurgitations,
on voit apparaître actuellement des laits enrichis en probiotiques ou en prébiotiques.
L'émergence de ces laits est l'aboutissement d'un grand nombre de travaux de
recherche dans le domaine de l'équilibre de la flore intestinale chez l'adulte
puis chez le nourrisson.
La flore intestinale a une activité métabolique (dégradation des polyosides,
fermentation des oses, protéolyse, fermentation des acides aminés, métabolisme
des sels biliaires et joue un rôle majeur dans le développement de la barrière
intestinale. A ce titre elle intervient dans les processus d’acquisition de
la tolérance aux antigènes alimentaires et de protection contre une colonisation
intestinale par des germes pathogènes. La composition de cette flore varie avec
l'âge, le type d'alimentation et l'administration de certains traitements (antibiotiques).
La colonisation du tube digestif du nouveau-né est précoce (dès les premières
heures de vie) et massive. Elle dépend initialement de la flore maternelle (vaginale
et fécale), puis du type d'alimentation de l'enfant. Elle dépend aussi du mode
de naissance, de l'environnement. Ainsi, elle est retardée après naissance par
césarienne et chez l'enfant prématuré. Au total, au 10ème jour de vie, les enfants
à terme sont colonisés avec nombreuses bactéries aérobies et anaérobies. A 1
mois de vie la flore intestinale des enfants recevant du lait maternel est presque
exclusivement composée de bifidobactéries (BF) (109/g de selles (BF)). Chez
l'enfant nourri avec une préparation pour nourrissons, les BF sont moins abondantes
et elles sont accompagnées d'espèces appartenant au genre clostridium ou de
bactéroïdes. Dans les deux groupes d'enfants on trouve les genres Escherichia
Coli et Streptococcus (1). Vers 2 ans, la flore intestinale est de type adulte,
c'est-à-dire 1014 bactéries dont 400 espèces différentes, avec prédominance
des bactéries anaérobies. Parmi les facteurs bifidogènes du lait maternel qui
expliquent cette orientation de la flore intestinale du nouveau-né on retiendra
son faible contenu en protéines et en phosphore ainsi que son contenu élevé
en lactose (1).
Actuellement , l’incidence de l'allaitement maternel est extrêmement faible
en France puisque 15 % des mères continuent à allaiter leur enfant à un mois
de vie. Ainsi, la plupart des nourrissons sont amenés à recevoir un lait artificiel.
Il est donc logique d'essayer d'obtenir, chez ces enfants, une flore intestinale
aussi proche que possible de celle qui est observé chez des enfants nourris
au sein. On peut essayer de favoriser la colonisation par des bifidobactéries
en supplémentant le lait artificiel, soit avec des microrganismes vivants (probiotiques),
soit avec des substrats (prébiotiques) qui seront fermentés par les bifidobactéries
présents dans la lumière intestinale.
Il a été démontré qu'un déséquilibre de la flore intestinale est un facteur
favorisant la survenue de troubles digestifs, dont la forme la plus grave est
l'entérocolite ulcéro-nécrosante (ECUN) chez le nouveau-né.
L'incidence de l'ECUN est très variable allant de 1 à 8% des admissions en néonatologie
aux USA. 90% des patients sont des enfants prématurés. La mortalité est de 20
à 40% (2). L'ECUN est due à l’association de trois éléments : une lésion
de la muqueuse intestinale (ischémie, asphyxie, cathéter artériel ombilical,
hyperviscosité sanguine), la présence de substrat dans la lumière (6 à 10 fois
plus d'ECUN avec le lait artificiel qu’avec le lait féminin) et une colonisation
bactérienne par des germes pathogènes.
Des modifications quantitatives et qualitatives de la flore intestinale précèdent
la survenue de l'ECUN. Le nombre d'espèces diminue, avec une orientation vers
des entérobactéries (3). CHAN trouve 36% de prélèvements bactériologiques positifs
avant antibiothérapie chez les enfants présentant une ECUN. Entérobacter (29%),
E. Coli (15%) et Kliebsiella (13%) sont les genres les plus fréquents (4).
Les bifidobactéries peuvent jouer un rôle préventif sur la survenue d'ECUN.
Elles inhibent la croissance de souches pathogènes (Escherichia Coli) soit en
réduisant le pH dans la lumière intestinale (production d'acide lactique), soit
en sécrétant des substances anti-bactériennes spécifiques. De plus les BF stimulent
peu la libération de médiateurs de l'inflammation (IL-1, IL-6, TNF,...)
car elles libèrent moins d'endotoxines que des souches telles que E. Coli (5).
Enfin les BF dégradent moins le mucus gycoproteique intestinal que d'autres
bactéries. L’administration de probiotiques (bifidobactéries, lactobacilles
, ...) a été proposée pour prévenir la survenur e des troubles digestifs sévères
chez les nouveau-nés.
Pour ce qui concerne les nouveau-nés et les nourrissons, il existe beaucoup
plus d'études dans le domaine des probiotiques que dans celui des prébiotiques.
Parmi des critères de sélection les plus importants d’un probiotique, on retient
sa capacité de survivre dans l'intestin et à adhérer aux cellules intestinales,
deux conditions indispensables pour une implantation satisfaisante et pour une
modification de la flore intestinale. Un certain nombre d’études ont montré
que la colonisation par des probiotiques est possible chez le nouveau-né et
le nourrisson. Dans une étude randomisée, Langhendries a démontré que la supplémentation
d'une préparation pour nourrissons par bifidobactéries bifidum (106 / g de poudre)
chez les enfants entre la naissance et 2 mois permet d'obtenir une réduction
du pH fécal ainsi qu'une colonisation par bifidobactéries chez 65% des enfants,
ce qui était significativement supérieur aux enfants alimentés avec du lait
artificiel standard (20% de colonisés) et équivalent à ce qui était observé
chez les enfants nourris avec du lait maternel (57% de colonisés) (6). Par ailleurs,
d'autres études ont mis en évidence qu'il était possible d'obtenir une colonisation
par des lactobacilles (7 - 9) et par bifidobactérium breve (10 - 12) chez l'enfant
prématuré, même de très faible poids à la naissance.
Cependant, l'obtention d'une colonisation doit être considérée comme un critère
intermédiaire d'appréciation de l'efficacité des probiotiques et il est indispensable
de pouvoir disposer d'études démontrant l'effets positifs de l'administration
de tels produits sur la santé. A ce titre, les 2 études qui ont utilisé des
lactobacilles chez l'enfant prématuré (7, 8), malgré une réalisation correcte,
n'ont pas été en mesure de mettre en évidence le bénéfice sur la santé des enfants.
La première étude qui a permis de mettre en évidence un bénéfice chez le nouveau-né,
est une étude colombienne (13). Il s'agit d'une étude cas-témoins sur un grand
nombre de sujets (2519). La moitié de ces enfants (1237) ont reçu une supplémentation
combinée par les lactobacilles et des bifidobactéries, jusqu'à leur sortie de
l'hôpital. L'incidence de l'ECUN a été comparée à celle observée chez 1282 témoins
hospitalisés l'année précédente. On observe alors une réduction significative
de 6,9 à 2,6% (p inférieur à 0.002), ainsi qu'une diminution de moitié du nombre
de décès par ECUN.
L'étude de Kitajima est la première a montrer un bénéfice clinique évident chez
le prématuré (10). Les enfants recevant une supplémentation par bifidobactérium
breve durant 8 semaines ont été comparés à des témoins recevant un lait pour
prématuré standard. A partir de la 4ème semaine on voit apparaître une différence
significative de gain pondéral en faveur des enfants appartenant au groupe supplémenté
en bifidobactéries. Il semblerait que cette amélioration du gain pondéral soit
en rapport avec une meilleure tolérance alimentaire (alimentation plus précoce,
moins de vomissements, volume de lait ingéré plus important). Enfin, Rubaltelli
(14) a observé une réduction significative de l'incidence de l'ECUN (3,3% à
1,6%) et de l'incidence des infections urinaires (5,8% à 3,6%) chez un grand
nombre d'enfants prématurés de très faibles poids à la naissance supplémentés
en lactobacilles GG, en comparaison d'un groupe recevant du placebo (14). Aucune
des études effectuées chez le nouveau-né ou chez l'enfant prématuré n'a mis
en évidence d'effets adverses (10-12). L'acceptabilité et la tolérance de ce
type de supplémentation ne sont pas significativement différents entre le groupe
recevant la supplémentation et le groupe témoin (6).
En somme, les données recueillies lors des études cliniques randomisées effectuées
chez le nouveau-né à terme ou d'enfants prématurés (13, 14) sont concordantes.
Elles objectivent une réduction de moitié de l'incidence des entérocolites ulcéro-nécrosantes
chez le nouveau-né sous l'effet de l'administration de probiotiques dans le
lait. Ces résultats sont en accord avec les résultats des études animales. Dans
un modèle de caille nouveau-né axénique, l'importance du facteur bactérien dans
la survenue de l'entérocolite a été démontrée (15, 16).Dans un modèle de rat
nouveau-né soumis à un "protocole entérocolite" (lait artificiel +
asphyxie + froid), la supplémentation en bifido-bactéries permet une réduction
de l'incidence de l'ECUN qui passe de 70 à 30%. L’acide butyrique joue probablement
un rôle important dans la génèse des lésions intestinales caractéristiques de
l'entérocolite ulcéro-nécrosante. L'acide butyrique qui est un acide gras à
chaîne courte présent au niveau de la lumière intestinale, favorise la prolifération
des colonocytes et est une source d'énergie pour les entérocytes. A forte concentration
il peut avoir une toxicité intestinale et les travaux chez la caille nouveau-né
ont montré que c'était le principal facteur à l'origine de la diminution d'épaisseur
de la paroi de l'intestin qui est caractéristique de l'entérocolite ulcéro-nécrosante.
Les germes de type clostridium fermentent les sucres pour aboutir à la formation
d'acide butyrique en quantité élevée tandis que la présence de bifidobactéries
en grande quantité abouti à une diminution de l'acide butyrique (au bénéfice
de l'acide acétique). Ces données concordent bien avec le fait que l'on retrouve
plus d'acide butyrique dans l'intestin des enfants nourris avec du lait artificiel
que les enfants nourris avec du lait maternel et on retrouve plus d'acide butyrique
chez les enfants prématurés que chez les nouveau-nés nés à terme.
Il exite moins de données concernant l’utilisation des probiotiques chez les
enfants. Il s’agit en général de sucres non digestibles qui seront fermentés
par les bifidobactéries présentes dans la lumière intestinale. Ces produits
ne seront donc actifs que si il existe préalablement une flore de "type
bifidobactérie" dans l’intestin.
Certaines données recuiellies sur le modèle de caille nouveau-né axénique (16)
objectivent un intérêt de l'utilisation des Fructo-Oligo-Saccharides (FOS) dans
l'apparition d'une flore intestinale équilibrée, prédominante en bifidobactéries.
Il n'existe pas de données cliniques chez le nouveau-né et le nourrisson confirmant
ces données chez l'animal. Il n'existe pas non plus de données cliniques démontrant
un bénéfice sur la santé de ces enfants après supplémentation en prébiotiques.
En conclusion, le dysmicrobisme intestinal est clairement un facteur important
de la survenue de pathologies sévères telles que l'entérocolite ulcéro-nécrosante.
Un nombre croissant d'études animales et humaines tentent à montrer le bénéfice
d'une supplémentation en probiotiques (bifidobactéries, lactobacilles) sur la
santé des nouveau-nés et de nourrissons.
REFERENCES
1 - Yoshioka H, Iseki
K, Fujita K. Development and differences of intestinal flora in the neonatal
period in breast-fed and bottle-fed infants. Pediatrics 1983;72(3):317-21.
2 - Holman RC, Stehr-Green
JK, Zelasky MT. Necrotizing enterocolitis mortality in the United States, 1979-85.
Am J Public Health 1989;79(8):987-9.
3 - Millar MR, MacKay
P, Levene M, Langdale V, Martin C. Enterobacteriaceae and neonatal necrotising
enterocolitis. Arch Dis Child 1992;67(1 Spec No):53-6.
4 - Chan KL, Saing
H, Yung RW, Yeung YP, Tsoi NS. 125 patients with necrotizing enterocolitis.
Acta Paediatr Suppl 1994;396:45-8.
5 - Caplan MS, Miller-Catchpole
R, Kaup S, Russell T, Lickerman M, Amer M, Xiao Y, Thomson R Jr. Bifidobacterial
supplementation reduces the incidence of necrotizing enterocolitis in a neonatal
rat model. Gastroenterology 1999;117(3):577-83.
6 - Langhendries
JP, Detry J, Van Hees J, Lamboray JM, Darimont J, Mozin MJ, Secretin MC, Senterre
J. Effect of a fermented infant formula containing viable bifidobacteria on
the fecal flora composition and pH of healthy full-term infants.
J Pediatr Gastroenterol Nutr. 1995;21(2):177-81.
7 - Reuman PD, Duckworth
DH, Smith KL, Kagan R, Bucciarelli RL, Ayoub EM. Lack of effect of Lactobacillus
on gastrointestinal bacterial colonization in premature infants. Pediatr Infect
Dis. 1986;5(6):663-8.
8 - Millar MR, Bacon
C, Smith SL, Walker V, Hall MA Enteral feeding of premature infants with Lactobacillus
GG. Arch Dis Child. 1993;69(5 Spec No):483-7.
9 - Stansbridge EM,
Walker V, Hall MA, Smith SL, Millar MR, Bacon C, Chen S. Effects of feeding
premature infants with Lactobacillus GG on gut fermentation. Arch Dis Child.
1993;69(5 Spec No):488-92.
10 - Kitajima H,
Sumida Y, Tanaka R, Yuki N, Takayama H, Fujimura M. Early administration of
Bifidobacterium breve to preterm infants: randomised controlled trial. Arch
Dis Child Fetal Neonatal Ed. 1997;76(2):F101-7.
11 - Akiyama K, Shimada
M, Ishizeki S, Takigawa I, Imura S, Yamauchi K. Effects of administration of
Bifidobacterium in extremely premature infants ; development of intestinal microflora
by orally administered Bifidobacterium longum in comparison with Bifidobacterium
breve. Acta Neonatol Japonica 1993;30:257-63.
12 - Akiyama K, Hosono
S, Takahashi E, Ishizeki S, Takigawa I, Imura S. Effects of oral administration
of Bifidobacterium breve on development of intestinal microflora in extremely
premature infants. Acta Neonatol Japonica 1993;30:130-7
13 - Hoyos AB. Reduced
incidence of necrotizing enterocolitis associated with enteral administration
of Lactobacillus acidophilus and Bifidobacterium infantis to neonates in an
intensive care unit. Int J Infect Dis. 1999;3(4):197-202.
14 - Rubaltelli,
Firmino F, Roberto Biadaioli, Carlo Dani Probiotics Feeding Prevents Necrotizing
Enterocolitis in Preterm Infants: A Prospective Double-Blind Study. Pediatr
Res 2000; 47(4) : 346A.
15 - Butel MJ, Roland
N, Hibert A, Popot F, Favre A, Tessedre AC, Bensaada M, Rimbault A, Szylit O.
Clostridial pathogenicity in experimental necrotising enterocolitis in gnotobiotic
quails and protective role ofbifidobacteria. J Med Microbiol 1998;47(5):391-9.
16 - Catala I, Butel
MJ, Bensaada M, Popot F, Tessedre AC, Rimbault A, Szylit O. Oligofructose contributes
to the protective role of bifidobacteria in experimental necrotising enterocolitis
in quails. J Med Microbiol. 1999;48(1):89-94.
|
|