D. Dewailly
Service d’Endocrinologie
et de Diabétologie, Clinique Marc Linquette,
Centre Hospitalier Régional et Universitaire de Lille
Le corps
jaune est une structure éphémère dont le rôle est néanmoins capital pour la
reproduction et la survie des espèces mammifères. Outre son intervention capitale
pour le maintien de la grossesse débutante, l’existence et la disparition du
corps jaune sont des éléments indispensables au maintien et à la régularité
du cycle menstruel. Si de réels progrès ont été accomplis ces dernières années
dans notre connaissance de la physiologie du corps jaune, beaucoup d’interrogations
subsistent, en particulier chez les primates et la femme, dont le corps jaune
semble se comporter de façon différente des espèces mammifères inférieures.
On peut
distinguer trois étapes chronologiques :
- Le processus de
lutéinisation.
- Le fonctionnement
du corps jaune mature.
- Le phénomène de
lutéolyse.
I LE PROCESSUS
DE LUTEINISATION
a) Aspect morphologique
:
Après
l’ovulation, le follicule subit d’importants remaniements tissulaires, marqués
par la disparition de la membrane basale et l’invasion centripète de la granulosa
par des axes conjonctivo-vasculaires, amenant à se mélanger les cellules thécales
et les cellules de la granulosa. Ces cellules deviennent alors des cellules
lutéales dont on distingue deux types : les cellules paralutéales, situées en
périphérie et au contact des invaginations thécales, et les cellules lutéales
occupant le centre du corps jaune. D’après des études immuno-histochimiques,
il semblerait que les cellules paralutéales résultent de la lutéinisation des
cellules thécales, tandis que les cellules lutéales seraient des cellules de
la granulosa lutéinisée. Enfin, le corps jaune renferme d’autres types de cellules
non lutéales dont le rôle physiologique est encore très imprécis : cellules
endothéliales vasculaires, très nombreuses compte tenu de la très grande richesse
du corps jaune en capillaires et microvaisseaux, cellules du système immunitaire,
fibroblastes.
b) Mécanismes de la
lutéinisation :
Le pic
ovulatoire de LH joue un rôle fondamental. Plus que son amplitude, il semble
que ce soit sa durée qui conditionne le processus de lutéinisation. Chez les
primates et chez la femme, cette dernière doit être d’au moins 36 heures pour
que le corps jaune puisse acquérir toutes ses fonctions.
Au niveau
cellulaire, l’exposition à de très fortes concentrations de LH va modifier le
phénotype des cellules thécales et des cellules de la granulosa. Certaines activités
enzymatiques vont être fortement amplifiées, en particulier l’activité P 450
SCC et l’activité 3 bêta hydroxystéroïde déshydrogénase. Le corps jaune
des primates et de la femme se distingue des espèces mammifères inférieures
par le maintien et l’amplification des activités 17 hydroxylase et
aromatase.
Tout
récemment, une modification phénotypique majeure fut mise en évidence. Il s’agit
de la perte d’expression de CREB (cAMP-response element-binding protein) qui
est un facteur de transcription jouant un rôle majeur dans l’homéostasie et
la prolifération cellulaire. C’est vraisemblablement la perte de ce facteur
qui explique la disparition inéluctable à terme des cellules du corps jaune.
II LE FONCTIONNEMENT
DU CORPS JAUNE MATURE
a) Activité sécrétoire
:
Outre
la progestérone, le corps jaune sécrète d’autres stéroïdes, en particulier l’estradiol
et des androgènes, mais aussi toute une variété de peptides dont le rôle physiologique
n’est pas encore bien connu pour un certain nombre d’entre eux : inhibines,
relaxine, VEGF, ocytocine, etc... En outre, les cellules non lutéales (cf supra)
sécrètent localement des prostaglandines, des cytokines, des facteurs de croissance
et des agents vaso-actifs tels que l’endothéline.
b) Régulation de l’activité
sécrétoire :
La sécrétion
de progestérone par le corps jaune mature reste sous la dépendance de la LH.
Il existe en effet un parallélisme strict entre les pics sécrétoires de LH et
de progestérone au cours de la phase lutéale. En fin de phase lutéale, la fréquence
des pics de LH diminue, tandis qu’augmentent fortement l’amplitude et la durée
des pics. Les taux plasmatiques de progesterone suivent fidèlement ces pics.
Outre
cette régulation endocrine, la sécrétion de progestérone est sous la dépendance
de facteurs para et autocrines, à commencer par la progestérone elle-même qui
agit via ses propres récepteurs, dont l’expression est intense dans les cellules
lutéales. Un rôle local de l’estradiol et des androgènes est envisagé, mais
encore mal compris. Interviennent également certains neuropeptides, certaines
formes d’inhibines, des cytokines émises par les cellules immunitaires, des
facteurs de croissance émis par les fibroblastes et l’endothélium vasculaire.
Enfin, l’IGF2 et l’IGFBP-1 semblent également intervenir dans la régulation
de l’activité sécrétoire du corps jaune.
L’activité
endocrine du corps jaune ne se résume pas à son action sur l’endomètre, afin
de favoriser la nidation. L’action endocrine de certains peptides vaso-actifs
tels que le VEGF est vraisemblablement importante pour assurer des conditions
de perfusion utérine propices à la nidation. Enfin, par sa sécrétion d’estradiol
et d’inhibine A, le corps jaune exerce un effet feed-back négatif très puissant
sur la sécrétion hypophysaire de FSH.
III LA LUTEOLYSE
a) Aspect
morphologique :
Le phénomène
le plus marquant est la raréfaction progressive des cellules paralutéales tandis
que les cellules lutéales persistent plus longtemps. Les cellules immunitaires
deviennent plus nombreuses.
b) Le signal de la lutéolyse
:
Les
modifications sécrétoires de la LH (cf supra) ne semblent pas être à l’origine
du phénomène de lutéolyse. D’après des travaux récents, il semblerait que les
cellules lutéales se désensibilisent progressivement à la LH. Dès lors, en l’absence
de quantité suffisante de LH ou d’HCG, ces cellules vont entrer inéluctablement
en apoptose et disparaître. Elles peuvent être « rescapées » par des
concentrations croissantes d’HCG en cas de grossesse débutante. Le maintien
en activité du corps jaune gravidique ne serait en fait qu’une mort différée,
les cellules lutéales étant de toutes façons vouées à l’apoptose en l’absence
d’expression de CREB.
Il est
possible que certains facteurs locaux interviennent dans le processus de lutéolyse
mais il est pour l’instant impossible de leur attribuer un rôle primitif ou
secondaire : l’estradiol, les prostaglandines, les cytokines, le stress oxydatif
sont tous impliqués dans le processus de lutéolyse et d’apoptose touchant les
cellules lutéales.