L’AMP,
du traitement de l’infertilité aux cellules souches et à la thérapie génique
Yves Ménézo1
et Stéphane Viville 2,3
(1)Institut Rhône
Alpin/ Laboratoire Marcel Mérieux, 1 Rue Laborde 69500 BRON
(2)Service de Biologie de la Reproduction SIHCUS-CMCO, 19, rue Louis Pasteur
BP120, 67303 Schiltigheim - France. (3)Institut de Génétique et de Biologie
Moléculaire et Cellulaire, CNRS/INSERM/ULP, 1, rue Laurent Fries, BP 163, 67404
Illkirch Cedex, C.U. de Strasbourg, France
Introduction
Le premier
objectif de la fécondation in vitro (FIV) était de résoudre le problème des
obstructions tubaires. Après mise en contact des gamètes, la culture des embryons
ne durait que quelques heures. Ceux-ci étaient replacés par voix basse après
2 jours de culture. Les indications suivantes de la FIV furent les problèmes
d’infertilités masculines les moins graves. Avec l’arrivée de la micro-injection
(ICSI) une étape supplémentaire a été franchie, la FIV/ICSI est possible avec
seulement quelques spermatozoïdes, pouvant même être récupérés dans des biopsies
testiculaires ou épididymaires. Pendant longtemps on a cru qu’aussitôt la fécondation
et les toutes premières divisions assurées, le problème était résolu ; ceci
s’est révélé faux. L’avènement des cultures prolongées jusqu’au stade blastocyste
a permis de réussir là où les transferts aux stades précoces se montraient déficients
. Le blastocyste s’est révélé également être un outil diagnostic : toutes
les formes d’infertilité ne peuvent être résolues par la FIV.
Le blastocyste :
facteurs limitants
Le
stade blastocyste est obtenu 5 jours après la mise en contact des gamètes. 20
à 25% des blastocystes arrivent à 6 jours post-insémination. Il s’agit là déjà
d’un facteur négatif, bien que ces blastocystes puissent s’implanter et donner
des enfants après transfert. De fait il existe 3 facteurs limitants majeurs
à la formation du blastocyste : nous allons les passer en revue ici.
1 - Les
facteurs paternels :
Nous avons montré que les mauvais spermes (sur la base des critères de Kruger
et/ou de l’OMS), même s’ils sont fécondants, ont des rendements faibles en termes
de formation de blastocyste. De même, après ICSI, la formation de blastocyste
est sévèrement diminuée. Les facteurs pénalisants peuvent être de type épigénétique
ou génétique.
Composante
épigénétique :
L’impact de la qualité du centrosome, qui est d’origine paternelle, est majeur ;
responsable de la formation du spermaster et du premier fuseau de division,
toute anomalie structurelle provoquera nécessairement un retard et/ou arrêt
dès la première division.
Le facteur d’activation de l’ovocyte est d’origine paternelle, il est apporté
par le spermatozoïde. Sa nature est encore inconnue. Certains penchent pour
une protéine (l’oscilline), d’autres pour des structures de plus petits poids
moléculaire comme l’ADP ribose et des donneurs de NO. Il est en tout cas thermolabile.
Un défaut d’activation diminuera la qualité de la phase de synthèse du premier
cycle cellulaire et entraînera des retards dans les premiers cycles cellulaires :
du fait du turnover des ARN maternels, le blocage embryonnaire est alors inéluctable.
La qualité de la condensation de l’ADN du sperme (« packaging »)
et notamment la relation avec les protamines est primordiale. Il est admis qu’il
existe généralement une relation entre une sous-protamination et l’altération
de l’ADN du sperme.
Les anticorps anti-spermatozoide peuvent à terme induire des délétions . De
plus, quand ils sont orientés contre des facteurs impliqués dans les premières
divisions cellulaires (Clivage signal protein, facteurs de transcription ;
Oct 3/4), il y a arrêt de segmentation.
Enfin, des défauts dans l’élimination de l’ADN mitochondrial paternel est un
facteur d’anomalies de développement .
Composante
génétique :
Toute fragmentation de l’ADN aura un impact à plus ou moins long terme sur le
développement embryonnaire. Si des gènes impliqués dans les premières divisions
font partie de l’ADN fragmenté, l’embryon s’arrêtera très tôt. Certaines délétions
peuvent en plus interférer négativement. Enfin, une aneuploïdie du spermatozoïde
aura nécessairement des conséquences négatives à plus ou moins long terme.
2 - Les
facteurs maternels :
L’âge maternel est un facteur majeur de la diminution de la formation des blastocystes
in vitro Trois points d’impact majeurs permettent d’expliquer cet effet
pénalisant, au-delà de l’effet ovarien.
Les
facteurs de décondensation des noyaux mâles et femelles :
Il s’agit essentiellement du glutathion dont la synthèse est accélérée dans
l’ovocyte sous influence de la LH. Ce facteur de décondensation était jadis
appelé MPGF (male pronucleus growth factor). Les acides aminés soufrés
sont des partenaires indispensables à cette synthèse.
Les
ARN messagers :
Ils sont stockés lors de la croissance ovocytaire qui peut durer des mois ou
des années. Les premières divisions embryonnaires sont réalisées essentiellement
sous la dépendance des réserves stockées. Dès la métaphase II, les ARN messagers
sont soumis à un turnover. Si le stockage a été insuffisant pour le système
de la machinerie cellulaire ( « house keeping »), au moment
de l’activation génomique, le taux d’ARN risque de passer en dessous d’un seuil
critique ne permettant plus les divisions cellulaires. Mais au-delà de l’aspect
quantitatif, il existe un aspect qualitatif non moins important. Dans les derniers
instants précédant l’ovulation (entre le stade VG et la MII) et lors des tout
premiers stades de division, les ARN subissent des modifications, en 3’ sur
la queue de polyadénylation. Cet aspect est capital car c’est cette polyadénylation
qui rendra l’ARN traduisible (sous forme de protéines actives) ou non. C’est
alors tout le processus du stockage qui peut être réduit à néant si cette régulation
fine de dernière minute fait défaut. Il est probable que l’âge intervienne à
ce niveau, plutôt qu’au niveau du stockage.
Les mitochondries et l’ADN mitochondrial (mtDNA) :
L’ovocyte contient plus de 100000 copies de mtDNA. Toutes les maladies mitochondriales
humaines sont transmises par la mère. Il n’est pas établi que l’ADN mitochondrial
joue un rôle important dans le développement préimplantatoire sauf si le métabolisme
oxydatif mitochondrial devient incontrôlable. Aussi est-il très important de
déterminer clairement la qualité de l’ADN mitochondrial maternel, notamment
ses possibles délétions délétères.
*3-Aspect cytogénétique
Les conditions de culture in vitro, nécessaires à l’obtention de
blastocystes, ont tendance à augmenter les problèmes cytogénétiques. L’âge maternel
influe négativement sur le taux de recueil des ovocytes, mais aussi et surtout
sur leur qualité cytogénétique. Le taux d’aneuploïdie augmente, avec comme corollaire
des arrêts de développement plus ou moins tardifs. Cependant, l’aneuploïdie
peut provenir du spermatozoïde. Aussi un contrôle de la normalité nucléaire
est nécessaire, étant entendu que la culture prolongée peut permettre une certaine
sélection. Cependant, dans certains cas, des chromosomes non impliqués dans
le développement embryonnaire précoce peuvent être en excès dans le blastocyste
(voir trisomie 21).
En conclusion, Il est évident que, comme base de « fourniture » de
cellules souches, il est préférable d’avoir des blastocystes provenant des femmes
jeunes et de spermes à bonne numération et bonne morphologie.
Les cellules
souches
Les
cellules souches embryonnaires, mieux connues sous le terme de cellules ES (Embryonic
Stem), dérivent du bouton embryonnaire d'un embryon au stade blastocyste
(5 à 6 jours chez l’homme).
Les premières divisons de l'embryon le font passer des stades 2, 4, 8, 16 cellules.
À partir du cinquième jour, l'embryon va débuter une première différenciation
et produire deux types cellulaires. Des cellules à la périphérie qui donneront
ultérieurement les annexes extra- embryonnaires et des cellules situées à l'intérieur,
formant la masse interne ou bouton embryonnaire. La masse interne présente deux
types cellulaires, l’endoderme primitif et l’épiblaste. Ce dernier est à l’origine
des trois feuillets embryonnaires. C’est de l’épiblaste, comme cela a été élégamment
démontré par Brook et Gardner, que peuvent être dérivées les cellules souches
embryonnaires . Celles-ci conservent, sous certaines conditions de culture,
un caractère pluripotent.
Que
sont les cellules souches embryonnaires et pourquoi soulèvent-elles un tel intérêt ?
C’est cette propriété de pluripotence qui rend les cellules ES intéressantes,
autant du point de vue de la recherche fondamentale et du point de vue de la
recherche clinique. En effet, cela signifie qu’elles conservent in vitro
leur caractère embryonnaire et sont capables, aussi bien in vitro qu’in
vivo, de se différencier en de multiples types tissulaires, voire tous les
types tissulaires : neurones, cardiomyocytes, cellules musculaires, cellules
hématopoïétiques. Nous avons donc à notre disposition des cellules capables
de s'autorenouveler, quasi indéfiniment, dans un état indifférencié, et dont
il est possible de contrôler la différenciation en divers tissus .
L'idée thérapeutique sous-jacente est la thérapie cellulaire ou thérapie de
remplacement. Celle-ci consisterait à greffer des cellules ES différenciées
in vitro pour remplacer le tissu atteint. Les exemples les plus souvent
cités étant les maladies neuro-dégénératives, le diabète, les infarctus du myocarde.
De telles cellules représentent donc une source infinie de tissus pouvant servir
dans la thérapie de l’ensemble des pathologies liées à la dégénérescence d’un
tissu . De plus, elles peuvent être manipulées in vitro, et de ce fait
elles représentent un excellent vecteur de thérapie génique. Il est à noter
qu’il a été démontré, récemment, l’existence de cellules souches chez l’adulte,
capables elles aussi d’un large spectre de différenciation .
D'un point de vue de la recherche fondamentale, plusieurs questions peuvent
être soulevées, qui pour la plupart ont un rapport avec la cancérologie.
- Par quels mécanismes, ces cellules conservent-elles leur pluripotence, pourquoi
sont-elles pluripotentes ?
- Qu'elles sont les étapes clés de différenciation vers tel ou tel tissu ?
- Quels sont les évènements qui leur font perdre leur pluripotence ?
Les premières cellules ES furent isolées en 1981 à partir de blastocystes murins.
Elles sont utilisées dans des études de différenciation in vitro, mais
surtout comme instrument de manipulation du génome de la souris. En effet, il
est possible d’injecter ces cellules ES dans la cavité d’un blastocyste où elles
vont coloniser le bouton embryonnaire et participer à la formation de l’embryon.
Il est ainsi possible d’obtenir des animaux chimériques constitués à la fois
de cellules du blastocyste injecté et des cellules souches. La lignée germinale
peut elle- même être chimérique, ce qui permet par croisement d’obtenir une
descendance dérivant entièrement des cellules ES. Cette propriété est largement
exploitée dans l’étude de la fonction des gènes in vivo. En effet, il
est possible de manipuler le génome de ces cellules avant de les injecter, et
ainsi de créer des lignées de souris mutantes pour le gène souhaité. Nous avons
là un instrument d’une incomparable puissance pour l’étude du vivant chez les
mammifères. L’étude des capacités de différenciation in vivo peut aussi
se faire par injection sous-cutanée de ces cellules. Il apparaît après quelques
semaines au point d’injection un tératome dans lequel des tissus dérivant des
trois feuillets embryonnaires sont retrouvés.
Chez l’homme, de telles cellules viennent d’être décrites L’utilisation des
cellules souches embryonnaires humaines en thérapie de remplacement pose le
problème de rejet, problème majeur des greffes. Plusieurs solutions sont envisageables.
La première consiste à créer une banque de cellules ES suffisamment importante
pour subvenir aux demandes des différents (immunologiquement parlant) patients.
Ceci, combiné aux progrès de la thérapie des rejets, nous semble être l’approche
la plus réalisable. La deuxième consiste à manipuler génétiquement une lignée
de cellules ES pour la rendre moins « immunostimulante », et être
utilisable pour une grande variété d’individus. La dernière solution, qui nous
semble la moins réaliste, consisterait à réaliser un clonage thérapeutique et
de dériver des cellules ES des embryons ainsi obtenus. En effet, dans un tel
cas, les cellules ES possèderaient le même génome que le patient à traiter,
il n’y aurait donc pas de problème de rejet. Cette approche présente des difficultés
majeures qui sont liées à la technique de clonage, elle-même loin d’être dominée.
De plus, rien n’est connu quant aux mécanismes de reprogrammation nucléaire.
Il nous semble peu propice d’utiliser une technique dont, pour le moment du
moins, presque rien du phénomène sous-jacent n’est connu. Enfin, dans bon nombre
de cas, la thérapie de remplacement sera proposée à des patients souffrant d’une
maladie génétique. Il nous paraît peu opportun dans de telles situations d’utiliser
un génome pathologique pour réaliser un clonage et dériver des cellules ES des
embryons ainsi obtenus.
L’isolement des cellules souches embryonnaires humaines implique une recherche
destructive sur l’embryon humain, ce qui pose un problème éthique considérable.
En France, une telle recherche n’est légalement pas possible puisque la loi
de bioéthique de 1994 interdit toute recherche sur l’embryon humain. Nous espérons
que le législateur profitera de la révision de cette loi pour autoriser, sous
un strict contrôle, ce type de recherche qui ne concerne pas uniquement l’aspect
cognitif mais peut avoir des retombées de santé publique considérables. En interdisant
ces recherches, nous risquons d’être confrontés à un autre problème éthique
non moins crucial, qui est l’impossibilité de proposer à certains patients des
traitements disponibles ailleurs.
Références
Evans ML, Chan PJ,
Patton WC, King A. 1999 Sperm artificially exposed to antisperm antibodies show
altered deoxyribonucleic acid.J Assist Reprod Genet.,16:443-9.
Janny L. , Ménézo Y. 1994 Evidence for a strong paternal effect on human preimplantation
embryodevelopment and blastocyst formation. Mol. Reprod. Dev., 38 : 36-42
Janny L. , Ménézo Y. 1996 Maternal age effect on early human embryonic development
and blastocyst formation. Mol. Reprod.Develop. 45: 31-37.
Ménézo Y., Hazout A., Dumont M. et al. 1992. Coculture of embryos on vero cells
and transfer of blastocysts in humans. Human Reprod. 7 : 101-106.
St John J., Sakkas D., Dimitriadi K et al. 2000 Abnormal human embryos show
a failure to eliminate paternal mitochondrial DNA. The Lancet, 355 : 200
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