Chapitre IV
SYNDROME DES ANTIPHOSPHOLIPIDES ET OBSTETRIQUE
C. GOUJARD et J.F. DELFRAISSY
Introduction
Les anticorps antiphospholipides sont des auto-anticorps capables
d'exercer des effets pathogènes in-vivo en interférant avec les phospholipides
membranaires des cellules endothéliales et des plaquettes ou avec les phospholipides
intervenant dans la cascade de la coagulation.
L'étude des aPL a commencé en 1907 lorsque Wasserman a mis au point un
test diagnostique de la syphilis. Ce n'est qu'en 1941 que la nature phospholipidique de
l'antigène réagissant est démontrée et celui-ci dénommé cardiolipine (CL). Des
observations de patients porteurs de lupus érythémateux disséminé (LES) ayant des
tests biologiques positifs, bien que n'étant pas porteurs de syphilis active, sont
rapportées d'où le terme de fausse sérologie syphilitique positive. En 1952, un
inhibiteur de la coagulation in-vitro, ou anticoagulant circulant, est également
retrouvé chez les patients lupiques, appelé anticoagulant lupique par Feinstein et
Rapaport. L'association d'une fausse sérologie syphilitique positive et d'un
anticoagulant lupique est ultérieurement reconnue.
Actuellement, les méthodes diagnostiques se sont affinées et le terme
d'antiphospholipides (aPL) regroupe une famille d'auto-anticorps de spécificité large,
diagnostiqués soit par la prolongation in-vitro des tests de coagulation dépendant des
phospholipides, soit plus récemment par des méthodes en phase solide utilisant des
tissus riches en phospholipides ou des antigènes phospholipidiques purifiés (9, 13, 22).
Les anticorps de type anticoagulant circulant (Acc) et anticardiolipine (aCL) sont les
mieux étudiés. Leur présence est rapportée dans un nombre croissant de maladies
auto-immunes dont le lupus érythémateux disséminé, dans les pathologies infectieuses
en particulier récemment au cours de l'infection par le VIH 1 et en association avec
certaines thérapeutiques (4, 14, 20). Ils peuvent également être de découverte
fortuite chez des sujets apparemment sains.
Le syndrome des antiphospholipides (SAPL) primitif est une entité
clinique de connaissance récente, associant chez des sujets porteurs d'aPL, un risque
thrombotique élevé, une thrombopénie et chez la femme des avortements à répétition,
après exclusion de toute autre pathologie (1, 3, 15, 16).
II - NATURE BIOCHIMIQUE DES APL ET PHYSIOPATHOLOGIE.
Les phospholipides sont composés d'une molécule de glycérol avec deux
acides gras estérifiés et un groupe phosphodiester lié à une chaine de type alcool
polarisée. Cette dernière structure varie, déterminant ainsi l'état ionique de la
molécule.
Les phospholipides de type phosphatidylcholine, sphingomyéline et
phosphatidylethanolamine sont neutres. La phosphatidylserine, l'acide phosphatidique, le
phosphatidylinositol, les cardiolipines sont anioniques. La structure phospholipidique
détermine leur situation dans la membrane cellulaire. Dans des conditions physiologiques,
les phospholipides anioniques ne sont pas retrouvés sur le versant externe des membranes.
La sphingomyéline et la phosphatidylcholine sont les phospholipides membranaires
prépondérants, sous forme lamellaire, assurant la stabilité de la membrane cellulaire.
Les cardiolipines sont retrouvés exclusivement dans les membranes mitochondriales du
tissu cardiaque (revue dans 17).
III - PHYSIOPATHOLOGIE.
Les mécanismes pathologiques impliqués dans le SAPL sont discutés.
Les phospholipides anioniques qui réagissent avec les aPL sont exprimés sur le versant
externe de la membrane après une agression cellulaire ou pour les plaquettes, s'il existe
une activation ou une agrégation de celles-ci. Les aPL peuvent alors initier une
thrombopénie, et probablement des lésions endothéliales. Ils interagissent également
avec les facteurs X et V en présence de Ca et de phospholipides plaquettaires et
allongent les temps de coagulation (activité antiprothrombinase). Il n'existe pas de
preuve directe de la pathogénicité des aPL in-vivo et plusieurs hypothèses sont
proposées (15). Un des mécanismes thrombotiques des aPL serait l'augmentation
d'activité de la thrombomoduline. Celle-ci induirait une inhibition de l'activation de la
protéine C par les cellules endothéliales. Ce déficit fonctionnel en protéine C a
été démontré in-vitro chez certains patients porteurs de SAPL (6). Un autre mécanisme
fait intervenir les prostaglandines (12, 25). Une inhibition de la biosynthèse vasculaire
de protacycline (PG12) est observée in-vivo et peut être reproduite in-vitro avec des
anticorps ayant une spécificité antiphospholipidique. Ce phénomène jouerait un rôle
dans la survenue des thromboses et des accidents obstétricaux. Sa correction par les
anti-agrégants plaquettaires expliquerait le rôle bénéfique de ces thérapeutiques.
Les aPL ont par ailleurs une réactivité croisée avec des molécules associées aux
acides nucléiques.
IV - METHODES DIAGNOSTIQUES DES aPL.
Identification des anticoagulants circulants
L'anticoagulant lupique a été défini en 1983 par un comité
international comme "un anticoagulant qui prolonge le temps de thromboplastine
partielle activée (TTPA ou TCA) et parfois le taux de prothrombine (TP) d'un plasma
normal mais n'inactive de façon spécifique aucun des facteurs de coagulation
connus". Cette définition fait l'objet de nombreuses controverses en raison de
l'absence de standardisation des techniques d'hémostase et de la diversité des
céphalines disponibles. En fait, une activité Acc est suggérée s'il existe un
allongement d'un test de coagulation faisant intervenir des phospholipides. Cette anomalie
doit être clairement rapportée à la présence d'un inhibiteur et non à un déficit en
facteur de la coagulation. Cette étape est vérifiée par l'addition au plasma testé
d'un plasma normal, qui corrigera le test de coagulation s'il existe un déficit en
facteur. Enfin, l'anticoagulant responsable doit être dirigé contre un phospholipide et
non spécifiquement contre une protéine de la coagulation.
En pratique courante, la détection d'un Acc repose sur le temps de
Céphaline Kaolin (TCK) ou le temps de Céphaline activée (TCA), qui présentent la
meilleure sensibilité pour la plupart des auteurs. Le choix du plasma normal est crucial.
L'addition de plasma normal se fait habituellement avec un rapport 1/1 mais une dilution
supérieure du plasma testé est parfois requise. Il est généralement admis que l'effet
inhibiteur de l'Acc est immédiat, rarement il est retardé et une deuxième lecture du
test s'impose à 60 mn. Un deuxième test de coagulation (temps de Russel ou temps
d'inhibition de la thromboplastine tissulaire) peut être proposé pour éliminer ou
confirmer l'existence d'un Acc.
Identification des anticorps antiphospholipides.
L'utilisation de la sérologie syphilitique (VDRL) a récemment reculé
au profit de méthodes plus sensibles et spécifiques permettant d'identifier les patients
porteurs d'anticorps antiphospholipidiques. Les cardiolipines sont fixées au fond des
puits d'une plaque plastique. Les sérums à tester sont ensuite distribués et
l'existence d'anticorps anticardiolipines révélée par une réaction immunologique de
type ELISA (13). Cette technique permet de déterminer l'isotype de l'aCL, IgG, M ou A,
éventuellement associé à une évolution clinique particulière. Par ailleurs, les
résultats sont semi-quantitatifs, permettant de différencier un titre nul (< 5 mg/ml), faiblement positif (5-16 mg/ml), positif modéré (16-80 mg/ml) ou fortement positif (> 80 mg/ml).
Certains auteurs ont développé des tests utilisant d'autres
phospholipides anioniques ou neutres pour essayer de corréler une spécificité anticorps
donnée à l'existence d'anticoagulant lupique ou à un tableau clinique particulier. En
fait, il existe une corrélation étroite entre le titre d'aCL et des autres anticorps
antiphospholipides anioniques. Les résultats d'études prospectives sont en attente.
Autre anticoagulants.
L'association d'un aPL à d'autres auto-anticorps est fréquente. En
l'absence de lupus, 30 à 50 % des patients sont porteurs de facteurs anti-nucléaires à
titre modéré (1/40 à 1/160). Les anticorps anti-ADN natifs (test de Farr) et
anti-antigène nucléaires solubles (anti-RNP) sont constamment négatifs. Par contre, des
anticorps anti-ADN dénaturé, un Coombs érythrocytaire positif de type IgG ou
complément, des anticorps antiplaquettes, antimitochondries de type M5 peuvent être
associés aux aPL. Il s'agit soit d'anticorps spécifiques, soit d'anticorps ayant une
réactivité croisée avec des phospholipides de cellules endothéliales, de plaquettes ou
associés à l'ADN dénaturé (18). Le complément est normal, sauf s'il existe un
déficit génétique en C4 concommittent.
V - CONDITIONS CLINIQUES ASSOCIEES AU DIAGNOSTIC.
La fréquence des aPl chez le sujet sain est mal connue faute d'études
prospectives sur des échantillons représentatifs. La prévalence de l'Acc se situe
autour de 2 à 10 % dans les séries rapportées. La prévalence d'un aCL serait plus
élevée (5 à 19 %) mais aCL et Acc sont rarement retrouvés conjointement chez un sujet
sain. Ches les sujets âgés, les prévalences augmentent, avec un isotype IgM
prédominant pour l'aCL (17). Les pathologies auto-immunes systémiques, avec en premier
lieu le lupus défini par les critères de l'ARA, son tles plus fréquentes (24). Pour
certains, le SAPL serait une forme inaugurale du lupus, bien que certains sujets soient
suivis actuellement avec plus de 10 ans de recul sans apparition de lupus. Un anticorps de
nature antiphospholipidique (aCL ou Acc) est retrouvé chez plus d'un tiers des patients
lupiques quelle que soit leur origine ethnique et géographique. De nombreuses autres
pathologies induisent des aPL (cf tableau II). Des aPL sont détectés transitoirement au
cours de nombreuses infections bactériennes et virales. Parmi les infections chroniques,
l'EBV et le VIH sont le plus souvent impliqués, probablement à cause de l'hyperactivité
B induite (4). La fréquence d'un aPL au cours du SIDA varie entre 20 et 60 % selon les
équipes, en raison de la grande hétérogénéité des patients et de l'association
éventuelle à une infection opportuniste en particulier parasitaire. Les drogues
induisant des aPL sont les mêmes que celles responsables de lupus induit, essentiellement
la Chlorpromazine et la Procaïnamide. Les oestroprogestatifs semblent se compliquer plus
fréquemment de thrombose lorsqu'il existe un aPL isolé qu'en son absence.
L'exclusion des diagnostics signalés ci-dessus permet de porter le
diagnostic de syndrome des aPL primitif avec une prédominance féminine moins nette que
pour la plupart des maladies auto-immunes.
VI - SYNDROMES CLINIQUES ASSOCIES AUX aPL.
La plupart des études cliniques concernant le SAPL ont été
réalisées de façon rétrospective. Elles ont permis de déterminer l'incidence des aPL
dans certaines pathologies et à l'inverse leurs conséquences cliniques. De façon
paradoxale, les accidents hémorragiques sont rarissimes en présence d'un Acc.
Les trois grandes anomalies associées au SAPL sont : les thromboses, la
thrombopénie et chez la femme, les avortements à répétition (cf tableau 1). D'autres
associations cliniques sont actuellement rapportées dans la littérature, en nombre
croissant en raison de la meilleure connaissance de cette pathologie. Les chiffres donnés
ici montrent de grandes variations entre les études publiées, en raison des techniques
de recherche (test de coagulation ou technique spécifique), du biais de recrutement des
équipes concernées.
A Les thromboses.
L'incidence des thromboses est élevée au cours du SAPL (8, 9, 11, 22).
En réunissant les résultats de 21 études concernant 1428 patients atteints de lupus
érythémateux disséminé. Mac Neil et coll. ont retrouvé une fréquence
significativement plus élevée de thrombose en présence d'aPL (42 %, extrêmes : 11 % -
74 %) qu'en son absence (13 %, extrême : 0 % - 32 %) (17). Dans le SAPL primitif,
l'incidence de thrombose veineuse est de 50 à 60 %, de thrombose artérielle de 30 à 45
%.
Les thromboses touchent des troncs artériels ou veineux à n'importe
quel site. Les lésions artérielles peuvent atteindre les artères axillaires,
brachiales, ilio-fémorales, viscérales, rétiniennes et même coronariennes. La
recherche systématique d'anticardiolipine au décours d'infarctus du myocarde a retrouvé
une incidence variant de 11 % à 80 % selon les auteurs chez des patients sans pathologie
auto-immune antérieure connue. Des syndromes neurologiques à type de thromboses
cérébrales constituées et d'accidents ischémiques transitoires ont été récemment
individualisés en association avec les aPL (2).
Des thromboses veineuses profondes sont rapportées, associées ou non
à des embolies pulmonaires ou plus rarement à une hypertension artérielle pulmonaire
secondaire (1, 3). L'incidence d'aPL au cours des thromboses veineuses des membres a été
étudiée prospectivement avec des fréquences allant de 3,2 % à 30 %. L'aPl peut être
responsable d'un syndrome de Budd Chiari, d'une thrombose de la veine cave inférieure,
des veines rénales. Les thromboses sont spontanées, récidivantes dans le même
territoire ou dans des territoires différents. Thromboses artérielles et veineuses
surviennent dans 5 % à 10 % des cas chez le même patient.
Parmi les patients porteurs d'un aPL, il semble y avoir des sous-groupes
à haut risque de thrombose avec en premier lieu le lupus et des sous-groupes à plus
faible risque dont la pathologie auto-immune induite par des médicaments, les pathologies
infectieuses et en particulier le syndrome des aPL lié au VIH. L'isotype IgG de l'aPL et
le titre de celui-ci sont corrélés avec la présence de complications
thrombo-emboliques. L'isotype IgM expose peu au risque de thrombose.
B Thrombopénie.
L'existence d'une thrombopénie chez les patients lupiques est connue de
longue date. A partir de 1983, on note dans les publications une incidence plus grande de
la thrombopénie chez les patients porteurs de lupus ou de syndromes apparentés avec aPL
(entre 14 % et 57 %, en moyenne 38 %) que chez les mêmes patients sans aPL (entre 3 % et
24 %, en moyenne 11 %). Lorsque les données sont analysées en fonction du type d'aPL, on
retrouve une incidence de thrombopénie de 51 % dans le sous-groupe lupique avec
anticoagulant lupique versus 14 % dans le sous-groupe sans anticoagulant lupique, de même
31 % avec aCL versus 12 % sans aCL. Dans le SAPL primitif, la fréquence d'une
thrombopénie est de 40 % (1). A l'inverse, différents auteurs retrouvent des aCL dans
environ 30 % des purpuras thrombopéniques idiopathiques. Des syndromes d'Evans sont
rapportés lorsque la thrombopénie s'accompagne d'une anémie hémolytique auto-immune.
C Avortements à répétition.
Nilsson signale pour la première fois en 1975 la fréquence anormale de
morts in-utero chez les femmes porteuses d'un anticoagulant circulant (19). Soulier et
Boffa définissent en 1980 un syndrome associant des morts in-utero à répétition, des
thromboses récidivantes et un anticoagulant lupique (23). Dans la série de Godeau et
coll., l'aPL au cours du lupus majore le risque d'avortements. Ainsi, sur 25 femmes
lupiques ayant eu 61 grossesses, 38 de celles-ci (60 %) se sont terminées par un
avortement spontané. Il faut noter que ce sont toujours les mêmes malades qui ont
présenté des accidents obstétricaux, ceci dès la première grossesse. Ces chiffres
doivent être comparés à la fréquence moindre, quoiqu'anormalement élevée
d'avortements chez la femme lupique entre 25 % dans la plupart des séries jusqu'à 40 %
au cours des LES actifs contre 12 % environ dans la population générale. Dans la série
d'Asherson, 34 % des patientes porteuses d'un SAPL isolé présentent des avortements à
répétition, ce qui en fait la 3ème complication clinique (3).
Les aPL sont rarement présents au cours d'une grossesse normale (moins
de 2 %). L'existence d'un aPL, qu'il y ait ou non d'autres stigmates de maladie lupique,
semble bien favoriser les accidents obstétricaux récidivants. Ceux-ci surviennent
habituellement au deuxième trimestre de la grossesse mais non exclusivement (5, 21).
Le mécanisme de ces accidents reste indéterminé. Trois facteurs ont
été discutés : la thrombose placentaire, la toxicité directe des auto-anticorps et le
rejet foetal. La situation clinique et l'observation anatomique plaident en faveur de
thromboses placentaires responsables des décès in-utero. L'étude placentaire révèle
des infarctus extensifs, des lésions vasculaires oblitératives et un vieillissement
prématuré des villosités. Cependant, ces lésions sont non spécifiques, superposables
à celles retrouvées dans l'HTA gravidique, l'éclampsie, le diabète. Les aspects
polymorphes en immunofluorescence vont contre l'existence d'une pathogénicité
placentaire des auto-anticorps. Enfin, il n'existe pas de corrélation entre l'étendue
des lésions, l'atteinte clinique maternelle et le pronostic foetal.
La toxicité directe des antiphospholipides sur l'unité
foeto-placentaire reste hypothétique. Elle peut être discutée par analogie aux autres
auto-anticorps connus pour être responsables de pathologie périnatale. La
responsabilité des anti-Ro (SSA) dans les BAV congénitaux et des anti-RNP dans les lupus
néonataux est admise. Cependant, les données concernant la valeur pronostique des aCL
sont controversées ; alors que pour Lockshin, les aCL d'isotype IgG et leur titre (>
16 mg/ml) représentent un marqueur quantitatif prédictif de la viabilité foetale,
d'autres auteurs ne retrouvent pas de tels résultats. Pour les antiphospholipides, les
résultats sont également contradictoires.
Une étude canadienne récente de type cas-témoin conclut que les aPL
et les aCL ne représentent pas un facteur de risque de mort in-utero chez des femmes
primipares (10). Leur fréquence est identique entre les femmes ayant présenté une mort
in-utero et celles ayant mené leur grossesse à terme : 5,1 % contre 3,8 % pour l'aPL,
1,2 % contre 1,5 % pour un aCL de type IgG. A l'inverse, lorsqu'on teste des femmes ayant
des avortements à répétition, la fréquence de détection d'un aPL varie entre 5 et 15
%, indépendamment de l'âge maternel.
D Autres manifestations cliniques.
De description récente, les thromboses cérébrales artérielles ou
veineuses deviennent une entité critique dans la mesure où elles touchent des patients
jeunes (39 ans en moyenne dans la série d'Asherson) et où leur présentation clinique
est excessivement polymorphe (2). Les manifestations rapportées sont les migraines, les
accidents ischémiques transitoires cérébraux ou rétiniens, la chorée, les accidents
vasculaires constitués en territoire sous-cortical. Une atrophie corticale est notée
chez les patients lupiques. Dans le syndrome de aPL, des infarctus cérébraux volontiers
récidivants peuvent conduire à une démence dans le cadre d'un syndrome lacunaire.
Ainsi, la survenue d'un événement neurologique chez un patient jeune sans facteur de
risque cardiovasculaire habituel doit faire systématiquement rechercher un SAPL.
Des lésions valvulaires cardiaques sont également individualisées en
association avec un aPL (7). Les valves mitrales sont les plus souvent atteintes (37 %)
avec un dysfonctionnement valvulaire de type régurgitation (27 %). Les atteintes
aortiques tricuspidiennes et pulmonaires, les anomalies sténosantes, les thromboses
intracavitaires sont plus rarement en cause. Un cas d'endocardite mitrale de Libman-Sacks
a été publiée. En fait, le développement de nouvelles techniques d'investigation
cardiologique comportant des échograhies bidimensionnelles avec Doppler permet de
détecter actuellement une fréquence accrue de valvulopathies au cours du LES ; les
atteintes du SAPL primitif sont superposables à ces dernières. L'existence d'une
atteinte valvulaire mitrale augmenterait le risque d'accident neurologique.
Le livedo reticularis est une manifestation dermatologique retrouvée au
cours du SAPL primitif. L'association à des manifestations cérébrovasculaires réalise
le syndrome de Sneddon. Un syndrome de Raynaud peut également coexister avec un SAPL.
VII - GENETIQUE DU SAPL.
Quelques études ont été réalisées dans les familles de lupiques et
de patients porteurs de SAPL primaires. Il existe une augmentation de l'incidence d'aPL
(Acc ou aCL) dans la fratrie et dans la descendance des patients porteurs d'aPL.
Alarcon-Segovia et coll. ont étudié 72 familles avec 89 sujets lupiques et 378
apparentés. 45 % des malades et 17 % des sujets sains apparentés ont un aCL. Alors que
les premiers ont des isotypes IgG et M, les seconds ont plutôt un isotype IgG. Ces
patients sont par ailleurs porteurs d'haplotypes anormaux pour le complément.
Un haplotype HLA dominant, HLADR7, a été retrouvé chez les patients
lupiques ayant un aCL et chez les patients porteurs de SAPL primaire.
Il semble donc exister des facteurs génétiques associés au SAPL,
faisant intervenir un déficit allélique pour le complément et/ou des haplotypes HLA
favorisant.
VIII - TRAITEMENT
Dans la mesure où aucun élément prédictif des complications
cliniques du SAPL n'est reconnu, aucun traitement préventif n'est recommandé. Lorsqu'il
existe une expression clinique, deux types d'approche sont envisageables. La première est
un traitement symptomatique adapté. La deuxième approche vise à diminuer l'activité de
la maladie sous jacente et/ou le titre des auto-anticorps.
Après la survenue d'un accident thrombo-embolique, le traitement suit
les règles habituelles comportant des anticoagulants par voie intraveineuse puis orale.
Dans certains sites, en particulier coronarien, un traitement thrombolytique est indiqué.
La durée de traitement demeure controversée. Il est logique de le proposer tant que les
aPL sont présents. Les antivitamines K semblent efficaces dans la prévention de
récidive des thromboses veineuses. L'utilisation d'antiagrégants plaquettaires tels
l'Aspirine et le Dipyridamole préviendrait les thromboses artérielles au cours des SAPL.
Dans les situations d'échec de traitment anti-thrombotique préventif, des traitements
immuno-suppresseurs sont proposés (corticostéroïdes, cyclophosphamide, azathioprine)
sans que leur efficacité ne soit prouvée à ce jour dans le SAPL primitif. En cas de
pathologie auto-immune sous-jacente, le traitement de celle-ci ne sera en général pas
modifié par l'existence d'un aPL non compliqué. Les critères thérapeutiques sont les
critères d'activité retenus pour la pathologie de fond. Ainsi, le traitement des
thrombopénies sévères est le même que dans le purpura thrombopénique idiopathique,
basé sur la corticothérapie et les immunoglobulines par voie intraveineuse. La prise en
charge des accidents obstétricaux n'a pas fait l'objet d'un consensus en raison du petit
nombre de femmes concernées, faute d'études prospectives et comparatives (21). Le rôle
bénéfique de la corticothérapie est discuté à la fois pour son efficacité sur le
titre d'aPL et en raison des effets secondaires. Les antiagrégants plaquettaires seuls,
en particulier l'Aspirine, semblent être efficaces, avec des taux de succès obstétrical
passant de 18 % à 93 % et 10 à 88 % dans deux séries de respectivement 37 et 42
patientes. D'autres auteurs proposent un traitement anti-thrombotique par l'Héparine
sous-cutanée, par analogie à la prévention des thromboses veineuses. Des tentatives
isolées de traitement par immunoglobulines à fortes doses par voie intraveineuse,
plasmaphérèse, autres immunosuppresseurs ont également été rapportées avec un
bénéfice variable et discutable, dont le risque pour l'enfant n'a pas été évalué.
CONCLUSION
Des études prospectives en cours semblent actuellement confirmer la
majorité des données rétrospectives accumulées depuis une dizaine d'années. Les
critères diagnostiques proposés pour le syndrome des antiphospholipides associent un ou
plusieurs évènements cliniques (c-à-d thrombose, thrombopénie ou morts in-utero
récidivantes) et l'existence d'un aPL de type anticoagulant circulant ou
anticardiolipine. Environ 30 à 40 % des patients lupiques ont des aPL. Le diagnostic de
syndrome des aPL est porté chez 25 % d'entre eux. Les patients ne présentant pas les
critères complets de lupus ou d'une autre maladie auto-immune ou non sont désignés
comme syndrome des aPL primitifs. La meilleure connaissance de ce syndrome et le
développement des méthodes sensibles et spécifiques pour la détection d'anticorps
antiphospholipides vont permettre de mieux l'individualiser et peut-être de mieux
approcher ses mécanismes physiopathologiques.
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anticoagulant circulant antithromboplastine. Nouv. Presse Med. 1980, 9, 359-864.
24 TAN E.M., COHEN A.S., FRIES J. et coll. The 1982 revised criteria for
classification of SLE. Arthritis Rheum., 1982, 25, 1271-1272.
25 WATSON K.V., SCHORER A.E. Lupus anticoagulant inhibition of in vitro
prostacyclin release is associated with a thrombosis-prone subset of patients. Am. J.
Med., 1991, 90, 47-53.
RESUME
Si l'existence d'anticorps dirigés contre des phospholipides est connue
de longue date, les études cliniques ont permis l'individualisation récente du syndrome
des antiphospholipides. Il associe des manifestations cliniques : thromboses veineuses
et/ou artérielles, morts in-utero récidivantes, manifestations cardio-vasculaires et
neurologiques, des anomalies biologiques : essentiellement thrombopénie à la présence
d'un ou plusieurs anticorps de type anticoagulant circulant, anticardiolipide ou autre
spécificité antiphospholipidique de membrane cellulaire. Ce syndrome peut s'intégrer
dans une maladie de fond, en particulier auto-immune, ou accompagner certaines pathologies
infectieuses. Lorsqu'il reste isolé, il réalise le syndrome des antiphospholipides
primitif. La prise en charge thérapeutique encore mal codifiée est dictés par
l'existence de complications cliniques ou d'une thrombopénie. Elle repose sur le
traitement anti-thrombotique et/ou antiagrégant plaquettaire, associé à un traitement
immuno-suppresseur en cas de manifestations auto-immunes parlantes.
C. GOUJARD et J.F. DELFRAISSY Service de Médecine Interne et
d'Immunologie Clinique Hôpital Antoine Béclère 157, rue de la Porte de Trivaux 92141
CLAMART CEDEX Correspondance : J.F. DELFRAISSY
TABLEAU I
Etude de la fréquence des complications cliniques chez des patients
porteurs de lupus ou de pathologies auto-immunes apparentées selon la présence ou
l'absence d'aPL.
Patients atteints
Nombre aPL + aPL -
patients n % n %
Thrombose 1428 233/554 42 113/874 13
Morts in-utero 391 62/165 38 36/226 16
Thrombopénie 869 153/406 37 49/463 11
Données regroupant les principales séries publiées dans la
littérature entre 1974 et 1989, d'après H.P. Mc Neil et al.
TABLEAU II
Circonstances pathologiques associées à un aPL
Autoimmunité LES, polyarthrite rhumatoïde, connectivites mixtes,
syndrome de Sjögren, sclérodermie,
syndrome d'Evans, syndrome de Raynaud, myasthénie.
Néoplasies Maladie de Behçet, LLC, lymphomes, tumeurs solides,
syndromes myéloprolifératifs.
Infections Enfant : pathologie ORL virale ou bactérienne, maladies
éruptives.
Adulte : VIH, EBV, mycoplasme, plasmodium, salmonelle, rickettsie,
hépatite A, EBV, Lyme.
Neuropathies Guillain-Barré, sclérose multiple.
Hépatopathies Hépatite chronique active, cirrhose.
Médicaments Chlorpromazine, procaïnamide, quinidine, hydralazine,
amoxicilline, propranolol, oestroprogestatifs.
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