Chapitre 1
transmission verticale du VIH mécanismes au niveau
du trophoblaste
G. CHAOUAT, E. MENU, F.X. MBOPI KEOU,
F. DAVID, G. DELAGE, ET F. BARRE SINOUSSI
Le nombre de femmes infectées dans le monde,
et en France, par le virus de l'Immuno Deficience Humaine (VIH)
est en augmentation constante, et ce plus particulièrement
encore dans les régions de sous développement économique
ou dans les zones, populations ou couches sociales de relative
ou grande pauvreté. L'Organisation Mondiale de la Santé
(OMS) estime en 1993 que plus de 5 millions de femmes sont contaminées
par le VIH de par le monde, plus particulièrement dans
les pays en développement, et que la majorité d'entre
elles a été contaminée par voie hétérosexuelle.
Ce phénomène entraîne l'existence
d'une dissémination de la pandémie par transmission
verticale du SIDA, c'est à dire de la mère à
l'enfant.
Corrélativement, le risque de transmission
verticale du VIH, i.e. de la mère à l'enfant,
est devenu un véritable problème de santé
publique, l'OMS estimant à plus de 500 000 le nombre de
cas cumulés d'infection par le VIH chez les enfants de
moins de 13 ans en 1993. A l'aube de l'an 2000, 5 à 10
millions d'enfants seront contaminés par le VIH dans le
monde, principalement par voie verticale, et le plus souvent dans
les pays d'Afrique sub-saharienne (OMS, 1993).
La majorité des femmes touchées par
ce virus, agent causal du SIDA, est en âge de procréation
active (Center for Disease Control. 1989; D.J. Gloeb, M.J. Sullivan,
et J. Efantis, 1988.).La transmission verticale du VIH est
effectivement observée dans environ 15 à 20% des grossesses
en Europe et en Amérique du Nord ( A.E. Ades, M.L.ÊNewell,
C.S. Peckham, 1991; S. Blanche, C. Rouzioux, M.L.G. Moscato et
al, 1989. ; C. Rouzioux, M. J. Mayaux, S. Blanche, et al.
1992.).
Il semble que ce taux puisse atteindre 45% en Afrique
et en Amérique du Sud (Ryder N.W. and Hassig S.E. 1998;
Ryder R.W, Nsa W, Hassig S.E, et al. 1989.), cette différence
restant actuellement inexpliquée.
Le phénomène de transmission verticale,
existe pour VIH-1, et pour VIH-2 (G.H. Morgan, A. Wilkins,
J. Pepin, et al, 1992.) mais la fréquence de transmission
de ce dernier virus semble plus faible.
Le mode de contamination de l'enfant par la mère
semble multiple.
Il est indiscutable qu'il peut se produire lors de
l'accouchement, lors des effractions sanguine provoquées
par les mécanismes de parturition, ou peut-être via
les sécrétions vaginales (Gloeb et coll,
1988).
La contamination post natale via le lait maternel
existe en particulier dans les pays démunis mais elle est
peu empruntée dans les pays industrialisés où
l'allaitement des enfants par les mères séropositives
est fortement déconseillé.
Enfin le risque de contamination pendant la gestation,
c'est à dire par voie transplacentaire ou trans annexielle,
ne doit pas être écarté puisque le passage
du virus semble plus élevé chez les enfants nés
avant 34 semaines que chez les enfants issus de gestation de durée
normale (V. Courgnaud , F. Laur, A. Brossard, et al. 1991 ;
S. Lindgren, B. Anzen, A-B. Bohlin and K. Lidman. 1991. M.L.
Newell, D. Dunn, C. S. Peckam et al 1991).
Notre groupe a émis l'hypothèse du
rôle de l'infection directe des cellules trophoblastiques
dans la transmission transplacentaire du VIH (Chaouat, 1988).
Ce sont ces mécanismes que nous allons détailler
plus loin.
Parmi les autres éléments à
citer dans cette revue, signalons que chez les femmes infectées
par le VIH, plus leur charge provirale cellulaire est élevée,
et plus l'enfant risque d'être infecté par le VIH
à la naissance (European collaborative study, 1992; Roques
et coll, 1993).
Récemment, Roques et collaborateurs ont mis
en évidence une relation linéaire entre le risque
de transmission materno-foetale chez 51 mères infectées
par le VIH-1 et le nombre de copies d'ADN proviral du VIH établi
par PCR, qui pourrait ainsi constituer un marqueur biologique
quantitatif prédictif de contamination foetale (Roques
et coll, 1993).
Le rôle éventuel des anticorps anti-VIH
sur le risque de transmission materno-foetale du VIH a été
étudié. La glycoprotéine gp120 présente
des domaines relativement conservés et cinq boucles hypervariables
parmi lesquelles se trouve la région codant pour l'épitope
majeur de neutralisation, encore dénommé boucle
"V3" (Putney et coll, 1986; Rusche et coll,
1987; Rusche et coll, 1988). Des titres élevés
en anticorps sériques anti-gp120 (réponse globale)
ou anti-boucle "V3" exerceraient une protection contre
la transmission materno-fetale (Rossi et coll, 1989; Goedert
et coll, 1991), mais ces observations ont été
réfutées par d'autres auteurs (Parekh et coll,
1991; St. Louis et coll, 1994). Pourtant, un possible effet
protecteur des anticorps neutralisants pour l'enfant a été
récemment rapporté (Devash et coll, 1990;
Scarlatti et coll, 1993).
Ainsi, en utilisant un test ELISA permettant à
la fois de détecter les anticorps dirigés contre
le site de neutralisation du VIH, et de déterminer si ceux-ci
sont de haute ou basse affinité, Devash et collaborateurs
ont démontré la présence chez la mère
et/ou chez l'enfant de moins de 4 mois d'anticorps de haute affinité
pour cet épitope, uniquement lorsque le virus n'a pas été
transmis in utero (Devash et coll, 1990). Scarlatti
et collaborateurs ont confirmé que les femmes ayant des
anticorps sériques neutralisants contre des isolats primaires
de VIH-1 avaient un risque réduit de transmettre le VIH
à leurs enfants (Scarlatti et coll, 1993a, b).
Récemment, Scarlatti et collaborateurs ont
mis en évidence une relation entre le phénotype
de virulence des souches de VIH isolées chez des femmes
enceintes infectées par le VIH-1 et le risque de transmettre
l'infection au foetus (Scarlatti et coll, 1993c). Ainsi,
les femmes dont les isolats viraux sont de phénotypes hautement
replicatifs ("rapid/high"), pour différentes
lignées lymphoïdes T ou pour des cellules mononucléées
périphériques, ont un risque significativement supérieur
d'avoir un enfant infecté que les femmes dont les isolats
viraux sont de phénotype peu réplicatifs ("slow/low")
(Scarlatti et coll, 1993c).
Revenons aux mécanismes d'infection pendant
la gestation.
L'hypothèse d'une voie d'infection transplacentaire
s'appuie à présent sur les données obtenues
par de nombreuse équipes montrant une infection de cellules
trophoblastiques, essentiellement le syncytiotrophoblaste, de
cellules de Hoffbauer, et de macrophages placentaires in vivo
in situ.
Ont été en effet mis en évidence
par divers groupes sur des produits d'avortements précoces
de femmes infectées par VIH-1 et VIH-2 une infection de
cellules placentaires, en particulier les cellules du syncytio
trophoblaste, les cellules de Hoffbauer, et les macrophages placentaires
(Sprecher et coll, 1986).
De plus, des cellules fetales, essentiellement le
thymus, se sont révélées positives pour HIV
1 ou HIV 2 que ce soit par PCR, hybridation in situ, ou détection
de particules virales.
Nous avons été parmi les premiers à
étudier ce phénomène in vitro.
Nous avons ainsi démontré la permissivité
des trophoblastes primaires à l'infection par par VIH-1
et VIH- 2.
Les cellules trophoblastiques du placenta ont été
obtenues par la méthode de Klinman, qui réalise
une séparation des cellules trophoblastiques après
digestion ménagée à la trypsine sur gradient
de Percoll.
L'infection des cellules trophoblastiques s'est révélée
détectable uniquement par coculture avec des cellules révélatrices
hautement sensibles à l'infection par VIH-1 et VIH-2, à
savoir des blastes lymphocytaires obtenus après stimulation
par la Phytohémaglutinne A (PHA).
De plus, nous avons vérifié que les
cellules trophoblastiques pouvaient être infectées
environ tout au long de la gestation que ces cellules soient issues
de placentas précoces (IVG) ou à terme.
Ces cellules toutefois ne présentaient pas
un degré de pureté suffisamment satisfaisant pour
nous permettre d'affirmer une infection directe des cellules trophoblastiques.
Aussi ces données ont été confirmées
par nous mêmes et d'autres auteurs sur des cellules de choriocarcinomes,
JEG, JAR et BeW0, dépourvues sans ambiguïté
de tout contaminant non trophoblastique ( N. Amirhessami-Aghili,
et S.A. Spector. 1991; E. Backé, E. Jimenez, M. Ungen,
A. Scchafffer et al. 1992; David et al, 1991, 1992 a, b;
G.C. Douglas, G.N. Fry, T.Thirkill, et al 1991; S.H. Lewis, C.
Reynolds-Kohler, H.E. Fox and J.A. Nelson. 1990; W.B. Maury, J.
Potts and A.B. Rabson. 1989 a, b; D.M. Phillips et X. Tan. 1992.;
V. Zachar, B. Spire, I. Hirsch, J.C.ÊChermann and P. Ebbesen.
1991.). Outre l'infection des lignées monoclonales d'origine
trophoblastique classiques, et malignes, nous avons infecté
une nouvelle lignée que nous avons développée
dans le laboratoire, FD 25.
Les taux de réplication du virus dans les
cellules trophoblastiques et de choriocarcinomes sont faibles
qu'il s'agisse de VIH-1 ou de VIH-2. Cependant, entre les souches
de laboratoire, nous avons constaté que la multiplication
du VIH2/ROD était plus importante que celle du VIH-1/NDK,
elle même supérieure à VIH-1/LAI.
Une molécule CD4 ou apparentée à
CD4 est détectée sur sections histologiques de placentas
précoces ou à terme, sur placentas de macaques,
et par cytométrie de flux sur trophoblastes primaires isolés.
Cette molécule semble bien jouer un rôle primordial
dans l'infection trophoblastique puisqu'un anticorps monoclonal
dirigé contre le domaine D1 de la molécule CD4 (oKT4a)
bloque le processus d' infection in vitro. Le traitement des cellules
par du CD4 soluble inhibe également l'infection.
Des récepteurs pour le fragment Fc des IgGs
(Récepteurs à Fc, RFc) ont été également
identifiés sur le syncytiotrophoblaste (récepteur
de type Poly IG) et le cytotrophoblaste : Fc gamma RIII (CD
16) et Fc gamma RII (CD 32) (David et al, 1992) et un sérum
humain polyclonal anti VIH-1 de référence à
action facilitante (Gras et Dormont, 1990, 1991) s'est révélé
capable d'augmenter fortement l'infection des cellules JAR par
le VIH-1/ LAI d.
En présence de ce sérum, la multiplication
du virus dans les cellules JAR est détectable directement,
sans avoir recours à une amplification par coculture avec
des cellules indicatrices.
Nous nous focalisons à présent sur
les mécanismes réglant l'entrée du virus
et la sélection des variants VIH dans la cellule trophoblastique.
En effet, deux points sont plus particulièrement
importants selon les données actuelles de la littérature:
a) les données cliniques et biologiques suggèrent
fortement un rôle des anticorps maternels anti VIH-1 dans
la régulation de l'infection précoce du foetus c'est
à dire avant 34 semaines de gestation (S.C. Kliks, M.B.
Fadem, D.W. Wara & J.A. Levy, 1992; T.R. Kollman, A. Rubinstein,
W. Lyman, R. Soeiro and H. Goldstein. 1991; P. Rossi, V. Moschese,
P.A. Brolinden, et al 1989; G. Scarlatti, J. Albert, P. Rossi,
et al. 1992; K.E. Ugen, J.J. Goedert, J. Boyer, et al).
Le rôle des récepteurs à Fc,
déjà démontré dans cette régulation
de l'infection d'autres lignées cellulaires ( J.C. Gluckman,
T. Jouault, F. Chapuis et al, 1990; A. Takeda, C. U. Tuazon and
F.A. Ennis; 1988) est à envisager puisque de tels récepteurs
existent au niveau des cellules placentaires (G. Wood, J. Reynard,
E. Krishnan and L. Racela. 1978 et nous mêmes David et al,
1992 a, b -cf supra-).
b) L'étude comparative des souches virales
maternelles et des souches virales présentes chez l'enfant
constitue un argument solide en faveur d'une sélection
des souches virales lors du passage transplacentaire ( C.M. Wike,
B.T.M. Korber, M.R. Daniels, et al. 1992Ê; S.M. Wolinsky,
C.M. Wike, B.T.M. Korber et al 1992; R. Soeiro, A.ÊRubinstein,
K. Rashbaum, 1992). Ce phénomène de sélection
est sans doute complexe, mais pourrait être lié à
la fois à des mécanismes de régulation intra
cellulaire dans les trophoblastes, et au rôle régulateur
des anticorps anti VIH neutralisants et facilitants.
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de Gynécologie/Obstétrique,
Hôpital Antoine Béclère. Avenue de la Porte
de Trivaux. 92140. Clamart
Institut Pasteur. Unité de Biologie des Rétrovirus.
28 rue du Dr Roux. 75015. Paris
: JOURNÉES
DE TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE
ET PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 12 - 19 Janvier 1995
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