Du gamète à l'avortement précoce. Désordre génétique et
pathologie de la reproduction.
Benkhalifa M (1), El Mouatassim S (1), Ménézo Y (1), Munné S (2)
(1) Genetics and FIV. LMM, Mérieux Foundation.Avenue Tony Garnier
BP 7322. 69357 Lyon Cedex France.
(2) The Institute for Reproductive Medicine.101 Old Short Hills Road
suite 501.West Orange, New Jersy 07052 USA.
Correspondance: Benkhalifa, Tél: 33472801007; Fax: 33472801700
INTRODUCTION
Dans l'espèce humaine, les aberrations chromosomiques
représentent la cause la plus importante de perte foetale (Chard et al, 1991). Elles sont
responsables de la moitié des avortements spontanés survenus au delà de la huitième
semaine de grossesse. En effet, 5% des "mort-nés" ont un caryotype anormal et
0,5% des nouveaux-nés sont porteurs d'aberrations chromosomiques (Jacobs PA, 1990).
Pour comprendre les faits pathologiques, il est nécessaire
d'étudier le génome des gamètes et des embryons afin de mieux définir la
contribution pré et post-zygotique à la genèse des aberrations chromosomiques.
L'étude du sperme humain a été entreprise il y a quelques
années dans l'espoir d'expliquer certains phénomènes biologiques conduisant
aux avortements spontanés, aux retards du développement, aux malformations ou à
l'infertilité masculine. Grâce à la cytogénétique, il a été alors possible de
mettre en évidence le rôle important des aberrations chromosomiques dans divers types
d'échecs de la reproduction rencontrés en pratique médicale.
Généralement, après stimulation hormonale et une ponction ovarienne,
en moyenne, 30% des ovocytes collectés ne se clivent pas 48 heures post-insémination.
Ces oeufs constituent un matériel de choix pour les études cytogénétiques du gamète
femelle (BenKhalifa et al, 1996).
Les embryons humains obtenus après une FIV présentent 30% à 50%
d'anomalies chromosomiques essentiellement, l'aneuploïdie, le mosaïcisme et la
polyploïdie (Munné et al, 1994a; Munné et al, 1995).
La culture d'embryons et la cytogénétique ont permis
l'estimation de la mixoploïdie au stade préimplantatoire à 28% (Benkhalifa et al,
1993). L'application de la FISH aux embryons bloqués, aux embryons avec un retard de
segmentation ou fragmentés et aux embryons normaux a permis la détection de plusieurs
aberrations chromosomiques (aneuploïdie, polyploïdie, mosaïcisme).
Les embryons mosaïques haploïdes et diploïdes sont souvent
générés lors de la première division, alors que les mosaïques diploïdes
monospermiques sont générés à 97% des cas, lors de la seconde ou pendant les divisions
plus tardives (Munné et al, 1994b).
Nous présentons les résultats de nos travaux pour comprendre la
contribution pré et post-zygotique des anomalies chromosomiques en pathologie de la
reproduction.
Matériel et méthodes
Les spermes de 5 donneurs normaux, âgés entre 25 et 37 ans, ont été
étudiés. Le choix des 5 sujets à été réalisé en tenant compte des taux élevés de
fécondation héterospécifiques obtenus par leurs spermes. Deux translocations
réciproques ont été étudiées: la première translocation t(3;7)(q25;q36) a été
détectée après 4 avortements spontanés et la seconde translocation t(4;12)(p11;p11) a
été identifiée lors d'un test de fertilité avant la fécondation in vitro.
Huit cent vingt-cinq ovocytes classés selon la présence ou l'absence
du premier globule polaire, provenant de 227 patientes, âgées entre 21 et 44 ans,
entrant en FIV pour différentes étiologies ont été analysés. Parallèlement, 155
zygotes bloqués et 524 embryons ont été étudiés par analyse cytogénétique classique
et par FISH. Les 524 embryons provennant de zygotes 2 Pn monospermiques ont été
analysés et classés en trois groupes: Bloqués, avec un retard de segmentation ou
fragmentés et normaux.
Cinquante-quatre morula et blastocystes ont été étudiés par FISH en
utilisant des sondes centromériques spécifiques des chromosomes X (14 embryons), Y (13
embryons) et 18 (27 embryons).
Cinquante et un prélèvements provenant de produits d'avortements
(biopsies de peau, de cordon ombilical, ou de placenta) ont été examinés par analyse
cytogénétique classique et par FISH.
Fécondation in Vitro
La fécondation in vitro a été réalisée suivant le protocole
décrit par Benkhalifa et al, (1994).
Analyse cytogénétique classique et Hybridation in situ
fluorescente
Les techniques de FISH de cytogénétique classique ont été
réalisées suivant le protocole décrit par Benkhalifa et al, (1994). Différentes sondes
centromériques ou spécifiques clonées dans des plasmides ou des cosmides (American Type
Culture Cell, USA). Après culture bactérienne et extraction du vecteur, les sondes ont
été marquées directement par une base couplée à un fluorochrome ou indirectement par
une base couplée à la biotine ou à la digoxigénine. Les deux protocoles de marquage
utilisés sont la Nick translation ou le Random Priming. D'autres
sondes commerciales (Vysis et Oncor) avec ou sans marquage direct ont été utilisée dans
cette étude.
Résultats
Les spermatozoïdes
La FISH avec des sondes spécifiques aux chromosomes 1, 3, 4, 7, 9, 12,
X et Y a été appliqué aux spermatozoïdes au stade métaphasique après fécondation
hétérospécifique homme-hamster et au stade interphasique après décondensation du
noyau. 450 caryotypes ont été analysés à partir de 5 donneurs normaux âgés de 25 à
37 ans.
Le taux d'aberrations chromosomiques est de 12% soit 5%
d'aneuploïdie et 6,96% d'anomalies de structure. Sur 10000 spermatozoïdes, la
FISH a révélé un sexe ratio de 46,6% pour le X avec une disomie de 0,3% et 53,4% pour
le Y avec une disomie de 0,4%. L'aneuploïdie est de 0,7% et 0,5% respectivement pour
les chromosomes 1 et 9. Deux spermes provenant de 2 porteurs de translocations
réciproques ont été analysés. La première translocation, t(3;7) révèle 72,1% de
caryotypes déséquilibrés et 10,3% d'anomalies non liées à la translocation. La
deuxième translocation, t(4;12) montre que 49,3% de ségrégations alternent avec 8,9%
d'aberrations non liées à la translocations. Ces résultats peuvent expliquer le
rôle du gamète mâle dans les échecs de conception et/ou dans la mortalité
embryonnaire à différents stades du développement.
Les ovocytes
Sur des critères cytologiques (présence ou absence du premier globule
polaire) et morphologique, parmi les 825 ovocytes analysés, 178 ont été classés en
métaphase I et 647 en métaphase II. Les résultats obtenus par FISH et analyse
cytogénétique classique concernant les ovocytes en métaphase I (178) montre 64 ovocytes
en diacinèse, 52 en prédivision équilibrée, 29 en prédivision non équilibrée et 33
en métaphase II diploïde dont 11 (33%) avec des chromosomes de spermatozoïdes
prématurément condensés.
Parmi les 647 ovocytes bloqués en métaphase II, 18% présentent une
aneuploïdie (hypohaploïdie 11% et hyperhaploïdie 7%), et 4% des anomalies de structure.
De plus, la présence de la condensation prématurée des chromosomes de spermatozoïde,
on a détecté dans tous les ovocytes analysés.
Les zygotes bloqués
L'étude des 155 zygotes bloqués a montré 47 cas présentant des
compléments chromosomiques haploïdes condensés en simples chromatides, 56 avec une
asynchronie de décondensation nucléaire et de l'ADN pulvérisé et 52 arrêtés a
des différents stades de la première division somatique dont le tiers avec des anomalies
chromosomiques.
Les Embryons précoces
En total, 3629 blastomères, biospsés le 4ème jours du
développement, sont obtenus à partir de 524 embryons monospermiques. Parmi ces
blastomères, 2796 ont été étudiés par FISH alors que les autres sont, soit perdus
après la biopsie, soit n'ont pas de noyaux et soit n'ont pas été détectés par cette
technique. Pour 1504 blastomères, une analyse avec les sondes des chromosomes X, Y, 18 et
13/21 a été effectuée; les sondes X, Y et 18 ont été étudiés pour les autres
blastomères. Le mosaïcisme diploïde extensif a été observé dans 39,6% des embryons
bloqués, 25,2% des embryons avec un retard de segmentation et 14.1% des embryons normaux.
Ces pourcentages indiquent une augmentation du mosaïcisme diploïde avec le dismorphisme.
Morula et blastocystes
Cinquante-quatre embryons tardifs (13 morula et 41 blastocystes) ont
été étudiés par FISH en utilisant des sondes centromériques spécifiques des
chromosomes X (14 embryons), Y (13 embryons) et 18 (27 embryons). Parmi les 27 embryons
analysés pour le chromosome 18, huit (29,6%) présentaient des mosaïcismes 2n/4n, 2n/8n,
2n/5n et 2n/7n.
Le degré de la polyploïdie varie de 2n/6n à 2n/10n chez
l'embryon mâle et de 2n/3n à 2n/5n chez l'embryon femelle. En somme, parmi les
14 embryons étudiés, 5 étaient mixoploïdes (35.7%). L'étude de l'extension
de la polyploïdie chez les mâles par une sonde spécifique du chromosome Y a montré que
3 embryons sur 13 étaient mixoploïdes (23,1%) avec un mosïcisme 2n/4n, 2n/6n et 2n/8n.
Indépendamment des sondes utilisées, aucune différence statistique
n'a été observée dans la proportion des cellules myxploïdes, entre les morula
(30.8%) et les blastocystes (29.3%).
Les produits d'avortements
Des anomalies chromosomiques concernant les trisomies 21, 16 et 18
(11,8%), le mosaïcisme chromosomique impliquant les chromosomes 8, 16, 18 et 22 (27.4%),
des anomalies gonosomiques (9.8%), trois monosomies 19 (5,8%) et des triploïdies (5,8%)
ont été détecté dans 45% des cas analysés (23/51 prélèvements). Les résultats de
FISH sur coupes histologiques à partir de produits d'avortements montrent une
triploïdie homogènes d'environ 21.2%.
Discussion
Conformément aux données de la littérature, le pourcentage de
spermatozoïdes anormaux se situe aux environs de 13%. Chaque type de translocation semble
posséder un mode spécifique de ségrégation méiotique lors de la spermatogenèse.
Le pouvoir fécondant d'un spermatozoïde n'est pas
systématiquement modifié par la présence d'une anomalie chromosomique. De plus, la
non-disjonction est au tour de 15% et semble revêtir un caractère aléatoire pour la
plupart des paires chromosomiques. Toutefois les chromosomes 1, 9, 21, X et Y sont plus
fréquemment atteints.
La présence du premier globule polaire représente un paramètre
cytologique pour la maturation. Dans notre étude, 178 sur 825 ovocytes étaient
dépourvus de globules polaires. Ils étaient arrêtés à la première division de la
méiose (diacinèse ou métaphase I). Quatre-vingt un de ces ovocytes présentaient une
pré-division équilibrée ou non-équilibrée dont 11 avec des chromosomes
prématurément condensés.
Des études ultérieures ont montré que les aberrations chromosomiques
de l'ovocyte varient de 20 à 59%, avec une dominance significative de l'hypohaploïdie
(Djalali et al, 1988; Wramsby et al, 1987; Martin et al, 1986).
Des études récentes, y compris les notres, remettent en question
cette présomption d'excès de l'hyperploïdie. Almeida et Bolton (1994) ont analysé
293 ovocytes non segmentés après insémination. Ils ont observé 29,5% d'immaturité
cytoplasmique et 58,7% d'anomalies chromosomiques (31,2% de diploïdies et 27,5%
d'aneuploïdie). L'hyperhaploïdie est probablement sous-représentée dans la
littérature à cause de certains facteurs techniques. En effet, certains chromosomes
peuvent être facilement perdus ou non détectés lors des procédures techniques.
Vingt pour-cent des ovocytes en métaphase ont montré des chromosomes
paternels prématurément condensés sous forme de simples chromatides.
Les chromosomes du spermatozoïde seraient condensés avant la
duplication, à cause d'une activation prématurée des facteurs ovocytaires impliqués
dans la condensation.
Le taux élevé de PCC concourt à une re-évaluation des critères de
maturation des ovocytes et de la fécondation. Les taux élevés de PCC pourraient être
dus à un retard de fécondation. Le fait qu'aucune corrélation n'a été
observé entre la maturité nucléaire de l'ovocyte et la qualité du cumulus, laisse
supposer qu'il y aurait peu de liaison entre la maturité cytoplasmique de l'ovocyte
et la qualité nucléaire et la maturité.
On peut enfin conclure que le quart des ovocytes provenant d'un échec
de FIV aurait perdu leur maturité cytoplasmique ainsi que leur développement et non pas
de problème de fécondation. L'étude de 155 zygotes bloqués montre 47 cas avec des
chromosomes d'ovocytes sous forme condensés (deux chromatides chacun) et des
chromosomes du spermatozoïde sous forme de simples chromatides; 56 cas avec une
asynchronie nucléaire et une décondensation et/ou un ADN pulvérisé; et 52 cas bloqués
à la première division mitotique. A partir des ces données et de celles décrites
ultérieurement (Ménézo et al, 1995; Benkhalifa et al, 1993), il parait clair que les
anomalies cytogénétiques peuvent contribuer à la formation d'un embryon anormal à
cause d'une parthénogenèse, d'une immaturité cytoplasmique, de divisions
asynchrones ou de non disjonction après fécondation conduisant ainsi à un échec de
développement embryonnaire.
L'asynchronie nucléaire et l'ADN pulvérisé ou fragmenté détecté
dans les zygotes bloqués pourraient être associés aussi à la fragmentation cellulaire
(Bongso et al, 1991). Il est possible que le facteur de condensation reste actif à partir
de la métaphase I, jusqu'aux stades zygote ou embryon précoce (Papadopoulos et al,
1986).
Les embryons avec un retard de segmentation et/ou dysmorphiques
(fragmentés) présentent des anomalies chromosomiques dans 57% des cas.
L'hybridation in situ a révélé 30,8% de mixoploïdie
(mosaïcisme/polyploïdie) dans le morula et 29,3% dans le blastocyste humain. Cette
mixoploïdie apparaît de manière précoce lors du développement pré-implantatoire de
l'embryon en parallèle de l'aneuploïdie. La présence de cellules polynuclées
dans les blastocystes humains a été décrite par Winston et al (1991).
La signification physiologique et biologique de la myxoploïdie reste
à élucider. Les cellules 4n et 8n, observées dans les morula compactées et les
blastocystes humains peuvent résulter d'une endo-duplication des cellules diploïdes
donnant ainsi des cellules tétraploïdes, suivie par un second cycle
d'endo-duplication pour produire des cellules octaploïdes comme il a été décrit
par Barlow et Sherman (1972) et Bower DJ, (1987) dans le trophoblaste de souris.
En ce qui concerne les produits d'avortement, parmi les anomalies
chromosomiques les plus souvent rencontrées on compte les trisomies, impliquants les
chromosomes 8,16, 18, et 22, le syndrome de Turner (45XO) en mosaïque et le mosaïcisme
46XX/46XY. De plus, le taux d'aneuploïdie semble être lié à l'âge de
l'embryon et semble plus élevé lors des avortements précoces. Les études des
trisomies détectées dans les avortements spontanés ou chez les nouveau-nés ont montré
que la majorité des aberrations chromosomiques sont d'origine maternel et sont dues à
une non-disjonction (Mattei et al, 1979; Boué et al, 1975). Ces résultats démontrent le
rôle du désordre chromosomique dans la pathologie de la reproduction.
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