Dysthyroïdies maternelles : conséquences
fœtales et néonatales
JEAN-LUC VOLUMENIE*
Généralités
Les pathologies thyroïdiennes à l'âge
d'être mère ne sont pas exceptionnelles. 0,2 à 0,4 % des femmes
enceintes sont atteintes d'hyperthyroïdie [1, 2] aux E.-U. La maladie de Basedow
rend compte d'environ 85 % de ces cas. 1,5 à 12 % des fœtus de mères
présentant une maladie de Basedow passée ou présente vont présenter
une dysthyroïdie (plus fréquemment une hyperthyroïdie qu'une hypothyroïdie)
[3]. L'hypothyroïdie fœtale concerne 1 naissance sur 4 à 5 000[4]. La
dysgénésie thyroïdienne est responsable dans 80 % des cas et
le statut thyroïdien maternel est alors fréquemment normal. Hyper comme
hypothyroïdie maternelles peuvent entraîner des complications sévères
durant la grossesse. L'hyperthyroïdie notamment est rendue responsable d'accouchement
prématuré, d'insuffisance cardiaque, d'avortement et plus rarement de
prééclampsie du côté maternel, de prématurité, de
RCIU, d'hyperthyroïdie fœtale ou néonatale, de malformations congénitales
(craniosténose en particulier) du côté de l'enfant [5]. L'hypothyroïdie
quant à elle peut s'accompagner d'HTA gestationnelle, de prééclampsie,
d'avortements. Le risque essentiel pour l'enfant à naître est toutefois
celui d'un déficit cognitif lorsque les besoins en hormones thyroïdiennes
ne sont pas satisfaits aux moments cruciaux du développement cérébral
(en particulier le dernier trimestre ainsi que les 6 à 8 premiers mois de la
vie postnatale) [6]. La mortalité fœtale compliquant l'hyperthyroïdie
in utero pouvait aller jusqu'à 45 % avant l'avènement des antithyroïdiens
de synthèse [2]. Elle avoisine les 15 à 20 % [3] en cas de défaut
de prise en charge, essentiellement par le biais d'une insuffisance cardiaque à
haut débit. En cas de traitement adéquat, il semble persister un accroissement
du risque de MFIU pour certains auteurs (ª 5 %) [2].
Les situations où existe un risque
de dysthyroïdie chez le fœtus doivent être connues. Si le rôle délétère
de l'hyperthyroïdie in utero est bien connu, plusieurs études épidémiologiques
semblent attester que l'hypothyroïdie anténatale peut avoir des conséquences
néfastes en dépit d'un dépistage et d'une prise en charge néonatales
maintenant bien établies [6, 7]. Toutes les pathologies thyroïdiennes
maternelles sont susceptibles d'affecter l'homéostasie thyroïdienne fœtale,
soit parce qu'existe une hypothyroïdie chez la mère, soit parce que l'état
maternel justifie la prise d'antithyroïdiens de synthèse, soit parce que
la pathologie maternelle est imputable à des autoanticorps susceptibles (présents
dans 2 à 3 % de la population et 10 % des femmes [8]) de traverser
la barrière placentaire et d'affecter la thyroïde fœtale (essentiellement
à partir du 2e trimestre de la grossesse), soit enfin parce qu'existe
une carence en iode (estimée à 7 % dans les populations Occidentales
[9] dont les conséquences peuvent s'exercer sur les fonctions thyroïdiennes
maternelle et fœtale. La grossesse constitue un moment privilégié de révélation
de dysthyroïdies maternelle. Deux à 2,5 % des femmes enceintes auraient
une concentration en TSH anormalement élevée en début de gestation
(sans hypothyroïdie patente) [9] et si la grossesse s'accompagne généralement
d'une diminution des taux d'autoanticorps, de nombreux cas de maladies de Basedow
ont néanmoins été diagnostiqués durant cette période de
la vie féminine.
Développement thyroïdien normal durant la
vie fœtale
Le développement de la glande et de la fonction
thyroïdienne sont complexes et seules les grandes lignes seront résumées
ici.
La production des hormones thyroïdiennes
par le fœtus est assez immature jusqu'à 18 SA [8]. Avant ce terme, les besoins
du fœtus sont faibles (en particulier au niveau du système nerveux central)
et un certain degré de passage transplacentaire des hormones thyroïdiennes
maternelles existe (ainsi, le taux d'hormones thyroïdiennes au sang du cordon
est égal à 30 % des concentrations maternelles chez les fœtus présentant
une agénésie thyroïdienne [9]). Le fait de savoir si ce transfert
existe à l'état physiologique ou ne se met en place qu'en cas d'incapacité
de la thyroïde fœtale à assurer sa fonction n'est pas résolu. L'équipement
enzymatique en monodésiodases, chargées de la conversion des hormones
thyroïdiennes des formes inactives aux formes actives et inversement selon
le type, permet au cerveau fœtal d'optimiser la production locale de T3,
biologiquement active (monodésiodase de type II assurant la conversion T4
Æ T3). Si la production des hormones thyroïdiennes par le fœtus
devient décelable vers 18 SA, l'axe hypophyso-thyroïdien demeure largement
immature jusqu'au troisième trimestre et même au-delà de la naissance.
Ainsi, les modifications des concentrations de TSH liées au rétrocontrôle
exercé par les hormones thyroïdiennes peuvent être retardées
(ex : persistance d'une TSH basse après hyperthyroïdie alors que les taux
de T3 et T4 sont redevenus normaux [10]). Il n'en reste pas
moins que la mesure du taux de TSH permet, comme chez l'adulte, d'évaluer la
fonction thyroïdienne fœtale, du moins sur le long terme, en sachant qu'elle
est en moyenne plus élevée pour des valeurs des hormones périphériques
T3 et T4 plus basses que chez l'adulte [11].
On rappelle que le placenta est a priori
totalement imperméable à la TSH. La TSH funiculaire comme la TSH amniotique
sont donc d'origine fœtale. Cette particularité est utilisée pour apprécier
le statut thyroïdien fœtal par le dosage de la TSH, avec les restrictions que
l'on vient d'évoquer concernant la réactivité de la TSH aux modifications
des concentrations hormonales périphériques. La mesure de la TSH dans
le liquide amniotique a été utilisée pour apprécier la fonction
thyroïdienne fœtale de façon mois invasive que par le biais de la ponction
de sang fœtal. La corrélation entre TSHamniotique et statut thyroïdien
fœtal est très imparfaite [1, 8] et ne permet donc pas d'utiliser ce marqueur
pour faire le diagnostic positif d'hypothyroïdie ou d'hyperthyroïdie fœtale.
En revanche, l'évolution du taux de cette hormone, en particulier lors du traitement
d'hypothyroïdies fœtales, pourrait permettre de rendre compte de l'efficacité
thérapeutique [12].
Conséquences des hypothyroïdies maternelles
durant la grossesse
Elles sont variables selon l'origine de l'hypothyroïdie.
Les thyroïdites auto-immunes et les carences en iode posent davantage de problème
car les causes de l'hypothyroïdie maternelle peuvent entraîner parallèlement
une atteinte de la thyroïde fœtale. Néanmoins, l'hypothyroïdie maternelle
par elle-même peut être à l'origine d'une hypothyroïdie fœtale
et entraîner des troubles à type de retard de maturation osseuse ou, plus
grave, de diminution de certaines capacités intellectuelles [6]. La possibilité
d'un passage des hormones thyroïdiennes du fœtus vers la mère (à
l'inverse de ce que l'on observe habituellement) a été évoquée
comme mécanisme expliquant le retentissement fœtal d'une hypothyroïdie
maternelle.
La présence d'autoanticorps anti-thyroïdiens
n'est pas exceptionnelle chez les femmes enceintes puisque estimé à 5-10 %
[9], la présence d'anticorps ne s'accompagnant pas systématiquement d'une
perturbation de la fonction thyroïdienne maternelle. Les anticorps bloquants
peuvent traverser la barrière placentaire à partir du deuxième trimestre
comme l'ensemble des immunoglobulines G et exerceront leur effet maximal au début
du troisième trimestre. Les hypothyroïdies fœtales relevant de cette étiologie
sont très rares (ª 1/180 000, à comparer à l'incidence de 1/4 000
des hypothyroïdies néonatales) [8] La concentration d'anticorps de ce
type est représente à 15 SA chez le fœtus 5 à 8 % des taux de
la mère pour approcher ceci à terme [13]. L'effet des anticorps est rémanent
après la naissance, fonction de la demi-vie d'élimination de ceux-ci (persistance
de l'effet 6 à 8 semaines en général). L'activité des anticorps
transmis peut évoluer au fil de la grossesse, avec passage d'anticorps bloquants
les récepteurs à la TSH initialement puis d'anticorps stimulant ces mêmes
récepteurs ensuite [14]. Le risque d'hypothyroïdie fœtale est corrélé
au taux des anticorps bloquants chez la mère (risque significatif à partir
d'une concentration > 3N [8]). Le taux des anticorps n'exerce en revanche pas
d'influence sur les autres risques associés à l'hypothyroïdie (prééclampsie
notamment) [2].
La carence en iode représente
une situation plus fréquente puisque concernant approximativement 7 %
des femmes dans les pays développés [9]. Les apports journaliers recommandés
sont de 200 μg/j chez la femme enceinte. L'iode traverse parfaitement le placenta
et est utilisé par la thyroïde fœtale pour son hormonogénèse.
La carence affecte donc les fonctions thyroïdiennes maternelle ET fœtale. Il
n'y a dans cette situation pas de possibilité pour que le transfert d'hormones
maternelles vers le fœtus atténue la sévérité de l'hypothyroïdie
fœtale puisque la mère est elle-même en hypothyroïdie. La carence
en iode constitue toujours la première cause de retard mental non génétique
dans de nombreuses régions du monde.
La question du traitement des hypothyroïdies
fœtales de principe a longtemps était débattue. Si en 1997 encore [8],
l'administration de L-thyroxine dans le but de traiter une hypothyroïdie fœtale
n'était préconisée qu'en cas de goitre (présent dans 10 à
15 % des hypothyroïdies seulement [15]), essentiellement pour limiter
les risques mécaniques engendrés par cette tumeur durant la grossesse
(compression trachéo-oesophagienne et hydramnios), pendant l'accouchement (déflexion
de la tête et présentation dystocique) ou en postnatal immédiat (détresse
respiratoire et difficultés d'intubation), les données sur le développement
psycho-intellectuel des enfants nés de mères en hypothyroïdie [6]
ont conduit à élargir les indications, voire à proposer un dépistage
systématique des hypothyroïdies frustres par dosage de la TSH maternelle
en début de grossesse [9]. D'autres envisagent un dépistage ciblé
en fonction de facteurs de risque d'hypothyroïdie (diabète insulino-dépendant,
goitre maternel, antécédent de chirurgie thyroïdienne, antécédents
familiaux, traitement iodé...) [5]. Quoiqu'il en soit, ces propositions n'ont
actuellement pas été validées et ne demeurent donc que des hypothèses
de travail.
Conséquences des hyperthyroïdies maternelles
durant la grossesse
Outre les possibles complications maternelles
en cas de déséquilibre hormonal important (pouvant aller jusqu'à
l'insuffisance cardiaque congestive), l'hyperthyroïdie expose à certaines
pathologies obstétricales non spécifiques (prééclampsie, jusqu'à
14 % si déséquilibre hormonal non corrigé [13], RCIU). L'essentiel
des hyperthyroïdies maternelles est imputable à la maladie de Basedow
[2]. Elle accompagne 0,2 % des grossesses aux E.-U. [2]. La maladie de Basedow
va exposer le fœtus à trois types de complications thyroïdiennes possibles
:
1. passage transplacentaire
d'anticorps antirécepteurs à la TSH (agents responsables de la maladie
de Basedow chez la mère), à l'origine d'une hyperthyroïdie chez le
fœtus avec une incidence très variable selon les études puisque allant
de 0,6 à pratiquement 20 %
2. passage transplacentaire
des antithyroïdiens de synthèse, aisé pour les deux drogues les plus
utilisées en France (propylthiouracile et carbimazole), à l'origine d'hypothyroïdies
fœtales. L'incidence est liée à la posologie des traitements.
3. freination de l'axe
hypophyso-thyroïdien néonatal avec hypothyroïdie en principe transitoire,
soit par passage excessif d'hormones thyroïdiennes en transplacentaire (mères
non équilibrées durant la grossesse), soit par suite d'une hyperthyroïdie
fœtale induite par les anticorps antirécepteurs lorsque la stimulation cesse
du fait de l'élimination post-natale des anticorps [17].
La présence des anticorps antirécepteurs
à la TSH peut se manifester alors que la mère peut être définitivement
guérie de son hyperthyroïdie voire même en hypothyroïdie à
la suite d'un traitement chirurgical ou par iode radioactif de sa maladie de Basedow.
C'est dire que la maladie de Basedow PASSEE aussi bien que l'affection en cours
peuvent menacer l'équilibre thyroïdien fœtal.
Hyperthyroïdie fœtale par passage transplacentaire
d'anticorps antirécepteurs à la TSH :
Elle est d'autant plus fréquente que la concentration
des anticorps stimulants est élevée (en pratique, risque significatif
au-delà de 3 à 5N [8]). Pour autant, des taux initiaux plus faibles n'excluent
pas totalement le risque. La concentration des autoanticorps dans la circulation
maternelle tend à diminuer au fil de la grossesse et ceci reste vrai pour les
antirécepteurs à la TSH. Le passage transplacentaire s'accroît avec
le terme de la grossesse (concentration des anticorps au cordon = 5-8 % du
taux maternel à 15 SA pour aboutir à une quasi-équivalence à
terme [13]) si bien que la survenue d'une hyperthyroïdie fœtale dans ce contexte
débute en général entre 20 et 30 SA. L'hyperthyroïdie fœtale
peut entraîner un retard de croissance intra-utérin (parfois vasculaire,
la prééclampsie étant plus fréquente chez les mères en
hyperthyroïdie), une tachycardie fœtale (parfois tardif, ce signe n'offre qu'une
sensibilité d'environ 50 %), une avance de maturation osseuse (signe également
tardif) avec dans les cas extrêmes une craniosténose, voire une mort fœtale
in utero (incidence de 5 à 7 % en cas de prise en charge maternelle, de
25 % en l'absence de traitement [13]). Le goitre est possible dans les cas
dus à une stimulation par anticorps antirécepteurs. Il n'est pas constant,
retrouvé dans environ 30 % des cas [16]. Quoique inconstants, le goitre
et la tachycardie fœtale constituent les principaux signes permettant de suspecter
une hyperthyroïdie fœtale à l'échographie. A la naissance, l'hyperthyroïdie
peut se manifester par une insuffisance cardiaque congestive, des arythmies cardiaques,
une possible HTA systémique ou pulmonaire, un ictère, une hépatosplénomégalie,
une thrombopénie, une hyperkinésie, des diarrhées ou vomissements.
L'hyperthyroïdie peut persister tant que se maintiennent les anticorps à
des taux significatifs soit 8 à 20 semaines après l'accouchement [13].
Hypothyroïdie fœtale par passage transplacentaire
d'antithyroïdiens de synthèse
PTU comme carbimazole traversent le placenta.
Le passage se fait dans les mêmes proportions pour les deux produits [18].
Le risque d'hypothyroïdie est dose-dépendant (en particulier au-delà
de 150 mg/j pour le PTU, 10 mg/j pour le carbimazole). Il n'existe cependant pas
d'effet seuil. Les deux produits entraînent les mêmes risques d'hypothyroïdie
(même si le PTU inhibe la conversion périphérique T4 Æ
T3 contrairement au carbimazole). Des malformations ont été
décrites avec les deux types de produits (aplasia cutis, atrésie des choanes
avec le carbimazole, cryptorchidie, atrésie aortique, hypospadias, luxation
congénitale de hanche, atrésie des choanes, syndactylie avec le PTU [19]).
Les hypothyroïdies fœtales induites par les antithyroïdiens de synthèse
peuvent s'accompagner de goitre mais de façon inconstante (10 à 15 %
en moyenne [15] et jusqu'à 25 % lorsque la TSH maternelle est normalisée
par le traitement [20]). Cette notion conduit à la conclusion que le traitement
de l'hyperthyroïdie maternelle ne doit pas s'attacher à placer à
tout prix la patiente en euthyroïdie mais bien plutôt d'administrer la
doses d'antithyroïdiens de synthèse la plus faible possible, y compris
au prix d'une discrète hyperthyroïdie rémanente. La diminution des
doses d'antithyroïdiens de synthèse constitue le premier traitement des
goitres fœtaux survenant dans ce contexte. En cas de persistance de l'hypothyroïdie
au bout d'une semaine après diminution des doses d'antithyroïdiens de
synthèse, on aura recours à l'administration intra-amniotique de L-thyroxine,
ainsi qu'on le reverra.
Surveillance des fœtus à risque de développer
une dysthyroïdie
La première étape consiste à identifier
les situations à risque de dysthyroïdies fœtales. On peut les résumer
ainsi :
• carence en
iode ;
• maladie de
Basedow maternelle passée ou actuelle ;
• traitement
maternel par antithyroïdiens de synthèse ;
• existence
d'anticorps antirécepteurs à la TSH (bloquants ou stimulants) chez la
mère.
La plupart des hypothyroïdies
fœtales sont imprévisibles puisque survenant chez les enfants de mères
ne présentant pas de pathologie thyroïdienne. L'athyréose constitue
la principale étiologie d'hypothyroïdie in utero (80 %) et est d'autant
moins aisé à dépister qu'elle ne s'accompagne pas de goitre. Le goitre,
bien qu'inconstant aussi bien dans les hypothyroïdies que dans les hyperthyroïdies,
constitue en effet un signe échographique précieux. Les principaux signes
classiques de dysthyroïdie in utero sont :
• pour les hyperthyroïdies
: goitre (ª 30 %), tachycardie fœtale, avance de maturation osseuse voire anasarque
(formes avancées avec insuffisance cardiaque)
• pour les hypothyroïdies
: goitre (ª 10-15 %), hypokinésie fœtale (très inconstante, certains
auteurs retrouvant même une hyperactivité fœtale paradoxale en cas d'hypothyroïdie
[21], retard de maturation osseuse et très rarement bradycardie
Le goitre est un signe pouvant se rencontrer
en cas d'hyperthyroïdie comme d'hypothyroïdie. Même si certains aspects
échographiques ont été retrouvés discriminants par certaines
équipes (signal Doppler au sein du goitre plutôt central dans les hyperthyroïdies,
plutôt périphérique dans les hypothyroïdies [21]), l'échographie
peine à discerner de manière fiable le déséquilibre thyroïdien
fœtal sous-jacent. L'IRM a été récemment testée dans cette situation
mais si elle offre de bonnes possibilités, encore à évaluer toutefois,
pour apprécier le degré de compression des voies aéro-digestives
supérieures, elle ne permet pas d'approcher le diagnostic de la nature de la
dysthyroïdie associée [22]. L'importance des modifications de volume thyroïdien
dans la reconnaissance des dysthyroïdies fœtales a conduit certaines équipes
à proposer un suivi de la croissance thyroïdienne par échographie
chez certains fœtus à risque [1], en particulier afin de guider la posologie
des antithyroïdiens de synthèse pendant la grossesse. Des courbes de croissance
thyroïdienne normale existent [23], permettant d'identifier précocement
les augmentations anormales de volume. Sur une série courte de 20 cas de patientes
présentant un Basedow traité, 5 fœtus ont présenté un volume
thyroïdien > 95e percentile. La diminution des antithyroïdiens
de synthèse a permis la réintégration du volume thyroïdien dans
les limites de la normale dans 3/5 cas. Dans les deux cas où le volume demeurait
élevé malgré la baisse des antithyroïdiens de synthèse,
la ponction de sang fœtal a confirmé l'hyperthyroïdie (par passage d'anticorps
antirécepteurs). Cette étude demande à être confirmée sur
des effectifs plus larges mais présente l'intérêt d'utiliser une
technique non invasive (à la différence de la cordocentèse) pour
guider la thérapeutique [1].
Le manque de fiabilité des signes
échographiques, la faible corrélation entre concentrations de la TSH et
des hormones thyroïdiennes amniotiques avec l'équilibre thyroïdien
fœtal aboutissement à considérer la ponction de sang fœtal comme l'examen
de référence de l'appréciation du statut thyroïdien fœtal [8].
Le problème est celui de la iatrogénie de ce geste (1 à 4 %
des pertes fœtales en fonction des opérateurs [13]), ce d'autant qu'on s'adresse
à des fœtus fragilisés (ex : insuffisance cardiaque) et que le suivi thérapeutique
indique des prélèvements itératifs. Il est néanmoins hors de
question de préconiser ce geste chez tous les fœtus à risque. Des techniques
non invasives permettant de réserver la ponction de sang fœtal aux cas litigieux
et permettant également de se dispenser de ce geste dans le cadre du suivi
thérapeutique sont donc nécessaires.
On peut proposer la stratégie
suivante chez les fœtus exposés, en particulier ceux des mères présentant
une maladie de Basedow traitée par antithyroïdiens de synthèse :
• détermination
des taux d'anticorps antirécepteurs à la TSH en début de grossesse
: le risque d'hyperthyroïdie fœtale paraît faible en-deçà d'une
valeur inférieure à 5N, a fortiori < 3N ;
• diminution
des antithyroïdiens de synthèse à la plus faible dose possible et
dosage de la TSHUS chez la mère qui doit demeurer abaissée
;
• surveillance
échographique régulière à compter de 20 SA (/ 15j), avec analyse
de la thyroïde fœtale, de la maturation osseuse, du rythme cardiaque fœtal
et de la mobilité fœtale.
Le dosage itératif des anticorps
antirécepteurs n'apparaît pas indispensable, la tendance étant plutôt
à la diminution durant la grossesse. Cette pratique, comparée aux résultats
de la cordocentèse, a permis de montrer que rares étaient les cas où
la suspicion diagnostique issue du contexte clinique, biologique maternel et échographique
n'était pas confirmée par les dosages sanguins fœtaux [21]. En l'absence
de maladie de Basedow, l'apparition d'un goitre est quasi constamment associée
à une hypothyroïdie fœtale (situation rare au sein des hypothyroïdies
fœtales on l'a vu). La ponction de sang fœtal peut donc être proposée
en première intention :
• en cas de
goitre survenant chez le fœtus d'une mère sans antécédents thyroïdiens
;
• éventuellement
en cas d'association d'anticorps antirécepteurs stimulants à un traitement
par antithyroïdiens de synthèse ;
• dans cette
dernière hypothèse, une alternative consiste à réduire les doses
d'antithyroïdiens de synthèse et de ne pratiquer la cordocentèse
qu'en cas de persistance du goitre.
Prise en charge thérapeutique des dysthyroïdies
fœtales
L'hyperthyroïdie fœtale, en raison de ses
risques vitaux (25 % de MFIU en l'absence de traitement [3]) impose le traitement.
Il consiste en l'administration d'antithyroïdiens de synthèse à la
mère à des doses initiales d'environ 300 mg/j de PTU par exemple ou 40
mg/j de carbimazole. L'hyperthyroïdie fœtale est due essentiellement au passage
transplacentaire d'anticorps antirécepteurs stimulants (plus rarement mutation
activatrice du récepteur thyroïdien à la TSH ou activation des G
protéines dans le cadre d'un syndrome de McCune et Albright [13]). Ces anticorps
pouvant persister après guérison du Basedow (après chirurgie ou iode
radioactif) donc le fœtus peut présenter une hyperthyroïdie alors que
la mère est eu- ou hypothyroïdienne. L'administration d'antithyroïdiens
de synthèse peut donc induire ou aggraver une hypothyroïdie maternelle.
Une «add-back therapy» par L-thyroxine est alors possible, sachant le
faible passage transplacentaire des hormones thyroïdiennes (et leur fréquente
inactivation par les monodésiodases placentaires). L'efficacité thérapeutique
se juge sur la décroissance du volume thyroïdien ainsi que, le cas échéant
sur la réduction de la tachycardie fœtale, le recours à la PSF itérative
devant si possible être limité [24].
Le traitement de l'hypothyroïdie
fœtale a fait l'objet de davantage de controverses. Si les études anciennes
ne considéraient le traitement justifié qu'en cas de goitre susceptible
d'entraîner des complications mécaniques à l'accouchement ou en post-natal
immédiat [25], les études plus récentes portant sur le devenir des
enfants incitent à compenser toute hypothyroïdie diagnostiquée dès
la période fœtale [6]. L'essentiel des hypothyroïdies fœtales survenant
chez des mères présentant des pathologies thyroïdiennes est dû
à l'effet des antithyroïdiens de synthèse. Le premier traitement
est dès lors de diminuer voire d'interrompre le traitement en cause. En cas
de persistance du goitre ou de l'hypothyroïdie à la cordocentèse,
l'administration intra-amniotique de L-thyroxine donne de bons résultats [2,
4]. Les injections peuvent être répétées (jusqu'à 10 fois
dans certains cas ! [15]), de façon à satisfaire les besoins fœtaux estimés
à 6 à 10 μg/kg/j au 3e trimestre [2, 4], à raison
de 250 à 500 μg/injection. Le suivi thérapeutique se fait là
encore sur le volume du goitre et éventuellement sur les ponctions de sang
fœtal itératives. Pour certains auteurs, le dosage de la TSH amniotique, s'il
ne permet pas de poser le diagnostic du type de dysthyroïdie chez le fœtus,
pourrait être adapté au suivi thérapeutique [12].
Conclusion
L'équilibre thyroïdien fœtal est important
à un développement harmonieux de l'enfant dès avant sa naissance
et le système nerveux central en apparaît particulièrement dépendant.
Les mères présentant une pathologie thyroïdienne susceptible de retentir
sur le fœtus doivent faire l'objet d'une surveillance particulière. Leur identification
repose sur les données de l'anamnèse et sur certains dosages biologiques
(anticorps antirécepteurs, éventuellement TSH maternelle). Le suivi fœtal
utilise l'échographie au premier chef, éventuellement les dosages au sang
du cordon en cas d'ambiguïté diagnostique ou d'inefficacité des thérapeutiques.
Le traitement passe par l'arrêt ou la réduction des thérapeutiques
iatrogènes, les antithyroïdiens de synthèse au contraire (en cas
d'hyperthyroïdie) ou les injections intra-amniotiques de L-thyroxine. Une démarche
rigoureuse reposant sur une analyse précise des facteurs de risque permet dans
la plupart des cas de limiter les conséquences délétères des
dysthyroïdies en évitant la répétition des examens invasifs.
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