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2005 > Médecine foetale > Malformations congénitales  Telecharger le PDF

Pronostic de l'agénésie isolée du corps calleux

V Kieffer , F Kieffer , M. Moutard , J Feingold , F Lewin , C Adamsbaum , J Campistol , Y Plana , D. Valleur-Masson et M Andre

Le corps calleux est la principale commissure inter hémisphérique, composé de 180 millions d'axones unissant des zones homotopiques du cortex cérébral ; il joue donc un rôle important dans le transfert des données entre les deux hémisphères. Il se développe entre la 10e et la 25e semaine et c'est donc à l'échographie prénatale morphologique, à la 22e semaine, que le diagnostic d'anomalie du corps calleux est fait : il peut s'agir d'agénésie partielle ou complète, de dysgénésie. L'agénésie du corps calleux (ACC) est la plus fréquente des malformations cérébrales, et celle sur laquelle le plus de données évolutives sont connues, contrairement aux dysgénésies (corps calleux hypoplasique, ou ayant perdu ses reliefs, ou épais, ou lipomateux) (6, 12).

L'ACC est rarement une anomalie isolée :

elle peut s'associer à d'autres malformations cérébrales (malformation de la fosse postérieure, troubles de la gyration), à des anomalies chromosomiques, faire partie d'un syndrome polymalformatif, être l'expression d'une maladie métabolique (hyperglycinémie sans cétose, déficit en PDH) ou d'une intoxication (fetal alcohol syndrome) (1, 4 12). Dans notre expérience, les ACC associées représentent 51 % et les isolées 49 % des cas. Le pronostic des ACC associées est globalement sombre et dépend en grande partie de l'étiologie sous jacente.

Lorsque l'ACC paraît isolée, c'est-à-dire lorsque tout le bilan à la recherche d'une étiologie est négatif, les patients peuvent être asymptomatiques – condition qui paraît cependant assez rare – ou présenter à des degrés divers et associés de façon variable, un retard intellectuel, des crises d'épilepsie et des troubles du comportement (5, 10). Actuellement, le diagnostic d'ACC est fait bien avant la naissance, et le caractère isolé quoique difficile à affirmer, peut être envisagé si bilan viral, caryotype et IRM fœtale ne montrent pas d'anomalie associée ou d'étiologie.

Pour autant, l'information sur le pronostic reste délicate compte tenu de la variabilité du phénotype et cette incertitude est difficile à accepter pour les couples confrontés à ce diagnostic.

La plupart des études portant sur le devenir des enfants porteurs d'une ACC isolée diagnostiquée en prénatal sont des études rétrospectives et certaines font état d'une évolution favorable dans près de 80 % des cas (2, 3, 13, 14) ; toutefois le suivi limité peut laisser passer des difficultés apparaissant tardivement au cours de la scolarité et les méthodes d'évaluation des enfants ne sont pas homogènes.

Il nous a semblé important de réaliser un suivi prospectif des enfants porteurs d'une ACC isolée diagnostiquée en prénatal dans un triple but : i) préciser l'évolution « naturelle » de la malformation, ii) dépister précocement les difficultés de développement afin d'apporter les aides appropriées, iii) favoriser la recherche sur cette anomalie.

Patients et méthodes

De 1994 à 2000, 21 enfants ont été inclus dans un protocole de suivi après diagnostic prénatal d'ACC en apparence isolée ; la décision de poursuivre la grossesse avait été prise par les couples après information sur la malformation et son pronostic incertain. Le diagnostic d'ACC était fait par échographie et IRM cérébrale fœtale ; le caryotype fœtal était normal dans tous les cas et le bilan viral négatif. Après la naissance, un bilan complémentaire était réalisé au cours de la première année de vie (IRM, caryotype haute résolution, électroencéphalogramme (EEG), fond d'œil) pour confirmer le caractère isolé de la malformation, et le suivi comportait ensuite un examen par un neuropédiatre et une évaluation neuropsychologique (ENP) annuels.

L'ENP était adaptée à l'âge et permettait une détermination du quotient intellectuel (QI) : test de Brunet Lézine révisé premier et deuxième âges, WPPSI-R à partir de 4 ans, KABC pour évaluer les connaissances, test de Dellatolas pour la latéralité et Purdue Pegboard pour la dextérité manuelle. Un QI compris entre 90 et 110 était « normal », un QI entre 80 et 89 était « à la limite inférieure de la normale », un QI entre 70 et 79 indiquait un « déficit léger » et le « retard mental » était défini par un QI inférieur à 70. Enfin le statut socioculturel était distingué en deux niveaux : haut et bas.

Tests statistiques

Les variables continues ont été exprimées en moyenne (+/– déviations standard) ou médiane (extrêmes) lorsque la distribution était trop éloignée de la loi normale. La comparaison entre les groupes a été effectuée par une analyse de la variance à un ou deux facteurs (one or two ways ANOVA) ou un test non paramétrique de Kruskal Wallis. Les calculs ont été réalisés à l'aide du logiciel NCSS 2000 (Statistical Solutions, Kaysville, Utah) ; un p <0.05 était statistiquement significatif.

Résultats

21 enfants ont constitué la population de départ ; 4 ont ensuite été suivis par d'autres équipes et n'ont pas été inclus en raison d'ENP différentes ; ils avaient, à la dernière visite, un développement psychomoteur satisfaisant.

17 enfants ont donc été inclus : il y avait 11 garçons et 6 filles âgés de 3 à8 ans lors de la dernière évaluation ; l'ACC était complète dans 11 cas et partielle 6 fois. L'évaluation postnatale de tous les enfants ne retrouvait aucune autre anomalie que l'agénésie calleuse.

Développement psychomoteur

Le développement psychomoteur était normal pour tous les enfants avec acquisition de la marche à un âge moyen de 14 mois ( +/- 4 mois), et mise en place normale du langage.

Épilepsie

Aucune épilepsie n'était notée ; en revanche des crises convulsives fébriles sont survenues chez 3 enfants et un seul a fait l'objet d'un traitement, interrompu au bout de deux ans sans récidive des crises .

Tracés EEG

Chez 5 enfants, le tracé montrait la persistance d'un asynchronisme inter hémisphérique après l'âge de un an ; un enfant présentait des ondes lentes postérieures et un des pointes isolées sans localisation particulière. Aucun de ces enfants n'a présenté d'épilepsie ni de crises convulsives fébriles.

Développement cognitif

Tous les enfants ont été testés à un an et à deux ans (mais un a refusé de coopérer) ; à trois ans, les parents de trois enfants ont décidé d'arrêter le suivi prospectif. Ainsi la population ayant fait l'objet d'un suivi prolongé était de 14 enfants. Dix enfants ont été testés à 4 ans, 7 enfants à 6 ans. Les résultats sont dans le tableau ci-après :Tableau 1 : Évaluation neuropsychologique à 2, 4 et 6 ans.

Âge 2 ans 4 ans 6 ans

Nombre d'enfants 16 9 7

QI

QI total

ÿ93 (84-102)ÿ97 (78-116)ÿ92 (79-120)
ÿ Posture ÿ100 (83-115)ÿ ÿ
ÿ Oculomotricitéÿ95 (75-113)ÿ ÿ
ÿ Langageÿ83 (75-102)ÿ ÿ
ÿ Socialisationÿ86 (71-113)ÿ ÿ
ÿQI verbalÿ ÿ94 (77-118)ÿ89 (83-116)
ÿQI performanceÿ ÿ98 (82-111)ÿ94 (77-121)

K ABC

Vocabulaire 96 (76-117)

Reconnaissancevisages/lieux 102 (79-127)

Lecture 96 (74-117)

Le quotient intellectuel total (QI) médian était normal (entre 90 et 109) et stable aux évaluations successives.

La comparaison du QI aux âges de 2, 4 et 6 ans montrait (tableau 2) :

– à deux ans 81 % des enfants (13/16) avaient un QI normal et 19 % avaient un QI dans la limite inférieure de la normale.

– à quatre ans, 66,5 % des enfants avaient un QI normal ou à la limite supérieure de la normale ; 33,5 % avaient un QI à la limite inférieure (2 enfants) ou un déficit léger (un enfant).

– à six ans, 43 % des enfants étaient à la limite inférieure de la normale ou présentaient un déficit léger (un enfant).

Aucune différence n'était notée en fonction du sexe, du type d'ACC (complète ou partielle), de la survenue de crises convulsives fébriles. Le seul paramètre significativement corrélé à un QI bas chez les enfants de plus de deux ans était le statut socioculturel (p = 0,04).

Tableau 2 : Évolution du QI en fonction de l'âge

ÿQI

ÿ< 80

ÿ80-89

ÿ90-109

ÿ> ou = 110

ÿ

ÿ2 ans (n=16)

ÿ

ÿ19 % (3)

ÿ81 % (13)

ÿ

ÿ

ÿ4 ans (n=9)

ÿ11,5 % (1)

ÿ22% (2)

ÿ55 % (5)

ÿ11,5 % (1)

ÿ

ÿ6 ans (n=7)

ÿ14 % (1)

ÿ29 % (2)

ÿ43 % (3)

ÿ14 % (1)

Dextérité manuelle

87,5 % des enfants étaient droitiers ; la dextérité manuelle qu'il s'agisse de la main dominante comme de l'autre était normale pour tous les enfants sauf un.

Comportement

La lenteur, le déficit attentionnel, et l'instabilité étaient les troubles les plus fréquemment rapportés par les parents ; à 2 ans la lenteur était signalée par 12 % des parents, 55 % à 4 ans et 71 % à 6 ans. À 6 ans, tous les enfants avaient intégré le cours préparatoire mais deux avaient des difficultés scolaires modestes et nécessitaient une aide (orthophonie) (tableau 3).

Tableau 3 : troubles du comportement

ÿ

ÿÂge

ÿLenteur

ÿInstabilité

ÿTrouble de l'attention

ÿ

ÿ

ÿn (%)

ÿn (%)

ÿn (%)

ÿ

ÿ2 ans

ÿ2

ÿ3

ÿ4

ÿ

ÿn= 16

ÿ(12 %)

ÿ( 19 %)

ÿ(25 %)

ÿ

ÿ4 ans

ÿ5

ÿ4

ÿ4

ÿ

ÿn=9

ÿ(55 %)

ÿ(44 %)

ÿ(44 %)

ÿ

ÿ6 ans

ÿ5

ÿ4

ÿ3

ÿ

ÿn=7

ÿ(71 %)

ÿ(57 %)

ÿ(43 %)

Discussion

Le pronostic des ACC isolées a été rapporté dans des études rétrospectives et prospectives ; lorsque toutes les séries d'ACC isolées sont analysées ensemble, l'évolution est favorable dans 85 % des cas (7, 8).

Cependant il est difficile de comparer les cas en raison d'un suivi souvent trop court (scolarité ?), de méthodes d'évaluation non précisées (tests ?) ; la survenue de crises, leur type, les modifications EEG ne sont pas mentionnés. À notre connaissance, notre étude est la première qui analyse complètement le devenir des enfants porteurs d'une ACC isolée en terme de développement moteur, cognitif et de comorbidité.

Le devenir des enfants est favorable dans notre étude et dans des proportions comparables à ce qui a été rapporté dans la littérature ; cependant nos résultats soulignent l'importance d'un suivi standardisé et prolongé. En effet pour près de la moitié des enfants suivis, on note une baisse progressive du QI qui se situe davantage dans la limite inférieure de la normale à la dernière évaluation. Ceci est différent de que l'on observe dans une population d'enfants ayant fait l'objet d'un diagnostic prénatal d'une ventriculomégalie modérée isolée ; le QI augmente de manière significative à deux évaluations successives (11).

Par ailleurs les troubles de l'attention et la lenteur sont de plus en plus fréquents au fur et à mesure que les enfants évoluent.

En définitive si les enfants porteurs d'une ACC isolée ont un QI dans les limites de la normale, il existe des difficultés, qui apparaissent avec l'âge (et la complexification des tâches) dont on conçoit qu'elles puissent entraîner des problèmes scolaires.

Il n'y a pas de différence entre garçons et filles dans notre série contrairement à ce que rapporte Vergani (14) qui fait état d'un meilleur pronostic chez les garçons en raison de la découverte en postnatal d'un syndrome d'Aicardi chez 2 filles.

Il est clair, et les couples doivent en être avertis en prénatal, qu'on ne peut affirmer de manière formelle le caractère isolé d'une ACC in utero ; pour autant, les maladies métaboliques à côté desquelles on peut passer, les syndromes tel l'Aicardi sont exceptionnels et cette rareté ne doit pas conduire à donner un pronostic plus défavorable en cas de grossesse d'un fœtus fille. On peut en outre penser que l'amélioration des techniques d'échographie fœtale, l'apport de l'IRM peuvent permettre aujourd'hui de retrouver les hétérotopies nodulaires, les troubles de la gyration habituels dans le syndrome d'Aicardi qui ne touche que les filles.

Les crises épileptiques fébriles sont plus fréquentes que dans la population normale (17 % versus 2 à 3 %) ; en revanche il n'y a pas d'épilepsie. Pour Jeret et Goodyear (7, 9), 42 à 50,7 % des enfants porteurs d'une ACC isolée ou associée ont une épilepsie ; il semble cependant que la fréquence de l'épilepsie soit bien supérieure chez ces dernières. Ainsi, si en cas d'ACC isolée la survenue de crises convulsives fébriles semble facilitée, il n'y a pas pour l'instant de corrélation claire avec une épilepsie future.

Conclusion

Les résultats de notre étude confirment que l'ACC, lorsqu'elle est isolée, a un pronostic favorable ; cependant si la majorité des enfants a un développement intellectuel normal, il apparaît des difficultés cognitives modérées avec l'âge, une lenteur et des troubles de l'attention qui rendent compte des problèmes scolaires. Le suivi doit donc être suffisamment prolongé pour dépister ces difficultés souvent tardives et proposer l'aide appropriée.

L'information donnée en prénatal aux parents doit être claire et complète ; elle doit faire état de nos incertitudes (difficulté d'affirmer le caractère isolé de la malformation) comme des problèmes qui peuvent apparaître lors du suivi des enfants, même si ceux-ci ont une intelligence dans les limites de la normale...

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* Services de neuropédiatrie, maternité, radiologie, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Paris, France. Réanimation néonatale, institut de puériculture, Paris, France. Laboratoire de neuropathologie, hôpital Trousseau, Paris, France. Neuropediatria, hospital Sant Joan de Dèu, Barcelone, Espagne. Département de neuropédiatrie, ULB, hôpital Erasme, Bruxelles, Belgique.** Service de néonatologie, maternité régionale, Nancy, France.