L'intimité anatomique entre la filière uro-génitale et le canal anal explique les conséquences potentielles de l'accouchement sur la continence anale. La fonction sphinctérienne dépend de l'intégrité musculaire anatomique, mais aussi de l'innervation pelvienne. Ces deux éléments peuvent être lésés ensemble ou séparément. 1. Rappel anatomique Deux systèmes assurent la continence : • l'un dit « capacitif » : c'est l'ampoule rectale dont les capacités élastiques permettent le stockage ; • l'autre dit « résistif » est constitué par le système musculaire sphinctérien : ƒ le sphincter interne est musculaire, lisse, sous la dépendance du système nerveux autonome ; ƒ le sphincter externe est un muscle strié, composé de 2 parties : F un faisceau superficiel ; F un faisceau profond étroitement lié aux muscles releveurs et en particulier au faisceau pubo-rectal. L'innervation du sphincter anal externe est assurée par le nerf honteux interne (pudental) issu de S2 - S4, cheminant dans le canal d'Alcock. De plus, un système « cohésif » composé de fascia plus ou moins lâches, rendent les divers viscères solidaires. C'est ce dernier type de système qui peut être altéré par la grossesse elle-même ou le début du travail, expliquant la protection imparfaite de la continence par une césarienne de principe. Enfin, la sensibilité de la muqueuse intra-anale participe à la continence volontaire. Évolution des éléments anatomiques pendant la grossesse et l'accouchement Pendant la grossesse La pression tend à s'exercer plus en avant vers la fente vulvaire Lors de l'accouchement • le périnée postérieur se distend pendant la descente et la rotation. Le faisceau coccygien du sphincter externe est étiré par la rétro pulsion du coccyx ; • à l'effort de poussée, le faisceau pubo-rectal du releveur se contracte entraînant une élévation du noyau fibreux central du périnée qui attire le canal anal vers le haut et dilate l'anus. Cette distension a des limites liées à la durée de l'expulsion et à des facteurs propres à l'accouchement (taille fœtale, présentation dystocique) ; • lors de la déflexion finale de la tête, le noyau fibreux central est aplati et la distance ano-vulvaire s'allonge provoquant des déchirures plus ou moins graves du périnée. En résumé, l'accouchement est une dure mise à l'épreuve de tous les systèmes de la continence musculaire ou nerveuse. Les lésions peuvent être des déchirures, des étirements nerveux, mais les compressions musculaires provoquées par la présentation peuvent réaliser des micro-traumatismes avec lésions nerveuses terminales directes et ischémies musculaires, elles-mêmes responsables de lésions évolutives. Ces éléments seront détaillés plus loin. Les faits Place de l'incontinence fécale clinique • 6 semaines après l'accouchement : 13 % des primipares et 23 % des multipares rapportent une incontinence fécale ou des urgences sphinctériennes [1] ; • 10 mois après l'accouchement, SULTAN a présenté une série de 906 femmes dont 4 % seulement se plaignaient des mêmes troubles [2] ; • ces taux sont donc relativement faibles comparés aux lésions échographiques. Les lésions détectées par l'échographie • 6 semaines après l'accouchement, 35 % des primipares présentent des lésions échographiques des sphincters. Parmi ces femmes : ƒ 20 % sont incontinentes ; ƒ 37 % présentent des urgences sphinctériennes. [1- 3 -4 -5]. La dénervation périnéale La latence motrice distale du nerf honteux augmente chez 35 % des primipares qui accouchent par voie basse et chez 50 % des multipares. Elle redevient normale à 2 mois, sauf chez 10 % des multipares. A cinq ans, cette perturbation persiste et évolue pour son propre compte avec apparition d'incontinence anale chez un certain nombre de patientes [6, 7]. Le rôle de l'épisiotomie Apparaît sans action préventive sur cette pathologie. De plus, l'épisiotomie médiane a plutôt tendance à aggraver les lésions [8]. Si l'on veut protéger le faisceau pubo rectal, élément essentiel de la continence fécale, il faut faire l'épisiotomie très tôt bien avant que le périnée ne bombe en espérant que l'accouchement ne se termine pas par une césarienne... Le choix de l'instrument a son importance le forceps apparaît plus délétère que la ventouse dont beaucoup d'auteurs préconisent actuellement l'emploi. [6, 9]. Cet instrument permet de mieux contrôler le périnée lors des efforts expulsifs. En résumé, les incontinences anales d'origine obstétricale se répartissent de la manière suivante : • 57 % sont mixtes ; • 29 % relèvent d'une rupture sphinctérienne isolée ; • 14 % relèvent d'une neuropathie isolée. C'est le premier accouchement qui est le plus traumatisant pour le système de continence anale. Seul un tiers des femmes qui présentent des lésions échographiques est symptomatique, 40 % d'entre elles s'améliorent à 6 mois alors que les lésions échographiques persistent... Le devenir à long terme de ces patientes est l'objet d'études en cours. Rôle de la mécanique obstétricale Sa place apparaît évidente à la lumière des connaissances précédentes. Deux facteurs sont essentiels dans la genèse de l'incontinence[10] : Les déchirures Donc plus les diamètres sont grands, plus les risques augmentent ; c'est le cas de : • la macrosomie ; • des présentations défléchies ; • des extractions instrumentales ; • de l'épisiotomie et des déchirures. La durée de l'expulsion Elle est responsable de micro-traumatismes musculaires, nerveux et aussi d'ischémie. On conçoit dans ces conditions que le facteur temps soit déterminant. Le cas des variétés postérieures Il illustre parfaitement le rôle de la genèse des lésions musculaires liées à la mécanique. La rotation peut s'effectuer à différents niveaux, le plus couramment, c'est par glissement de l'occiput sur le bord libre du releveur qui impose la rotation amenant la tête dans un axe antéro-postérieur. Si la tonicité musculaire est insuffisante, la rotation ne se fait pas, ce qui explique la plus grande fréquence des occipito-sacrées chez les multipares [12]. • la multiparité est également un facteur de risque indiscutable [11] ; • l'expulsion est le moment le plus délétère pour le système de continence : le sommet, en descendant, bute sur le coccyx. La tête refoule le coccyx vers l'arrière. Cette rétro pulsion est freinée par les muscles releveurs et en particulier les ischio-coccygiens. La lutte entre la pression céphalique et la résistance périnéale entraîne lors des efforts expulsifs une ouverture anale et un allongement du périnée postérieur. La tête finit par être fixée par la racine du nez au niveau du coccyx et ne remonte plus entre les contractions utérines. La rétro pulsion de la pointe du coccyx fait passer le diamètre du détroit inférieur de 9,5 à 11 cm. La tête se cale par le sous-occiput au bord inférieur de la symphyse. Dès lors, l'axe de progression va changer. La tête va se défléchir en parcourant le périnée. Elle repousse en avant le périnée qui subit des lésions parfois considérables : • laminage du noyau fibreux central • étirement des muscles profonds et superficiels. Les mêmes phénomènes vont se reproduire à l'expulsion des épaules et les dégâts seront proportionnels au degré de macrosomie, surtout dans les macrosomies segmentaires comme on peut le voir chez les enfants de mères diabétiques. Dans les variétés postérieures, le front arrive sous la symphyse. Lorsque l'occiput arrive à la fourchette, la tête se défléchit et laisse apparaître successivement le bregma, le front, le nez, la bouche, le menton. Ce mouvement d'ensemble en « S » surdistend encore plus le périnée que dans les variétés antérieures expliquant les lésions [13]. conclusion L'accouchement par voie basse est indiscutablement générateur de lésions du système de continence féminin anal. La systématisation de la césarienne n'annule pas ce risque. Les facteurs favorisants sont facilement identifiables et s'expliquent aisément par la mécanique obstétricale. L'obstétricien peut réduire le risque en acceptant de remettre en question certaines habitudes, comme l'épisiotomie ou le choix de l'instrument. Le choix éclairé de la patiente est particulièrement délicat. Que dire, en effet, à une patiente qui réclamera une césarienne programmée avec pour unique argument la protection de son périnée. Tant que les conséquences supposées à long terme des utérus cicatriciels (ruptures utérines, placenta accreta) resteront des hypothèses non argumentées par des études avec des niveaux de preuves suffisants, les arguments de cette patiente seront parfaitement recevables. Bibliographie [1] SULTAN, A.H., et al., Anal sphincter trauma during instrumental delivery. Int J Gynaecol Obstet, 1993. 43(3): p. 263-70. [2] SULTAN, A.H. and M.A. KAMM, Faecal incontinence after childbirth. Br J Obstet Gynaecol, 1997. 104(9): p. 979-82. [3] ALEXANDER, A.A., et al., Fecal incontinence: transvaginal US evaluation of anatomic causes. Radiology, 1996. 199(2): p. 529-32. [4] FALTIN, D.L., et al., Diagnosis of anal sphincter tears by postpartum endosonography to predict fecal incontinence. Obstet Gynecol, 2000. 95(5): p. 643-7. [5] WILLIAMS, A.B., et al., Anal sphincter damage after vaginal delivery using three-dimensional endosonography. Obstet Gynecol, 2001. 97(5 Pt 1): p. 770-5. [6] SNOOKS, S.J., et al., Injury to innervation of pelvic floor sphincter musculature in childbirth. Lancet, 1984. 2(8402): p. 546-50. [7] SNOOKS, S.J., M.M. HENRY, and M. SWASH, Faecal incontinence due to external anal sphincter division in childbirth is associated with damage to the innervation of the pelvic floor musculature: a double pathology. Br J Obstet Gynaecol, 1985. 92(8): p. 824-8. [8] Routine vs selective episiotomy: a randomised controlled trial. Argentine Episiotomy Trial Collaborative Group. Lancet, 1993. 342(8886-8887): p. 1517-8. [9] MACARTHUR, C., D.E. BICK, and M.R. KEIGHLEY, Faecal incontinence after childbirth. Br J Obstet Gynaecol, 1997. 104(1): p. 46-50. [10] BENIFLA, J.L., et al., [Postpartum sphincter rupture and anal incontinence: prospective study with 259 patients]. Gynecol Obstet Fertil, 2000. 28(1): p. 15-22. [11] FALTIN, D.L., et al., Does a second delivery increase the risk of anal incontinence? Bjog, 2001. 108(7): p. 684-8. [12] ATIENZA P.., Conséquences sphinctériennes anales de l'accouchement.CNGOF, mises à jour en gyn.obst.-XXIII –1999 [13] ROGER V., COULOM P., CRAVELLO L., BRETELLE F., BLANC B. Existe-t-il une corrélation entre les lésions sphinctériennes en échographie endo-anale et la mécanique obstétricale ? http://pro.gyneweb.fr/sources/congres/jta /99 /divers/roger.htm. |