Quand l'accouchement n'y est pour
rien : les lésions cérébrales antepartum
Bruno CARBONNE, François GOFFINET
Introduction
Les séquelles neurologiques font partie des
conséquences redoutées de l'accouchement compliqué d'asphyxie per-partum.
La surveillance ftale par l'enregistrement du rythme cardiaque (RCF) pendant le
travail, devenue pratiquement systématique en France, a sans doute contribué
à faire pratiquement disparaître les morts per-partum. Cependant, la généralisation
de cette technique n'a été accompagnée d'aucune diminution des séquelles
neurologiques à distance, en particulier l'infirmité motrice cérébrale
(IMC).
De nombreuses atteintes du cerveau
ftal peuvent survenir au cours de la vie ftale avant le travail, qu'elles soient
d'origine infectieuse, ischémique, hémorragique, ou génétique
ou encore sans étiologie mise en évidence. Les données épidémiologiques
semblent de plus en plus concordantes pour n'attribuer qu'une part modeste des IMC,
probablement inférieure à 10 %, à des accidents survenus pendant
le travail.
Origine de l'infirmité motrice cérébrale
Au cours de années 70-80, la survenue de
séquelles neurologiques chez le nouveau-né ou l'enfant était rapportée
à un accident asphyxique ftal au cours du travail dans 30 à 50 % des
cas, soit près de la moitié des IMC (Hagberg et al. 1984, Rantakalio et
al. 1988). Cette allégation portait à conclure que la réduction des
IMC passait par une amélioration de la surveillance ftale au
QUAND
L'ACCOUCHEMENT N'Y EST POUR RIEN : LES LéSIONS
CéRéBRALES ... 411
cours du travail et par une augmentation des
interventions pour « souffrance ftale ». Or depuis plus de 30 ans, la
très large introduction de techniques de surveillance ftale - en particulier
le rythme cardiaque ftal (RCF) - s'est accompagnée d'une augmentation
importante des césariennes et extractions instrumentales mais n'a eu aucune
incidence sur la fréquence des IMC (Rumeau-Rouquette et al. 1992 ; Rumeau-Rouquette
et Bréart 1996 ; Bréart et Rumeau-Rouquette 1996) (tableau 1).
Plusieurs explications pourraient être avancées
pour rendre compte de cette absence de modification de l'incidence de l'IMC :
• l'origine
de l'IMC est sans doute multifactorielle ;
• il existe
une augmentation de la prise en charge des grands prématurés et hypotrophes
avec une réduction de leur mortalité ;
• il existe
une réduction de la mortalité des enfants ayant une encéphalopathie
anoxique-ischémique sévère ;
• enfin, la
majorité des IMC pourrait ne pas être associée à l'asphyxie
per-partum.
L'asphyxie ftale
Bien qu'ils soient les plus rares, seuls les cas
d'IMC d'origine intrapartum pourraient être théoriquement évités
par la surveillance du travail et les interventions qui en découlent. Des critères
permettant de rapporter une infirmité motrice cérébrale à une
asphyxie au cours du travail ont été proposés par le « Cerebral
Palsy Task Force » regroupant de nombreuses associations professionnelles reconnues
(MacLennan 1996). Certains de ces critères sont consi Tableau
1 : évolution de la fréquence des IMC en France à l'âge de 9
ans entre 1972 et 1981 et principales évolutions de la prise en charge obstétricale
au cours de la même période (d'après Rumeau-Rouquette et Bréart
1996).
|
˙Critères
|
˙1972 |
˙1976 |
˙1981 |
|
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙Infirmité motrice cérébrale |
˙1,01 |
˙1,00 |
˙1,08 |
|
˙Origine pré
ou périnatale |
˙0,60 |
˙0,66 |
˙0,63 |
|
˙Origine post-natale |
˙0,12 |
˙0,06 |
˙0,12 |
|
˙Autres origines |
˙0,29 |
˙0,28 |
˙0,23 |
|
˙ |
˙ |
˙% |
˙% |
˙% |
˙Enregistrement du RCF |
˙5,70 |
˙29,00 |
˙69,70 |
|
˙Travail long |
˙6,70 |
˙3,80 |
˙1,50 |
|
˙Césarienne |
˙2,10 |
˙8,50 |
˙10,90 |
|
˙Mortalité
périnatale |
˙2,10 |
˙1,60 |
˙1,20 |
412 B.
CARBONNE, F. GOFFINET dérés
comme essentiels pour affirmer l'origine intra-partum d'une IMC :
1. l'existence d'une acidose
métabolique ftale, à l'artère du cordon ou sur des prélèvements
néonatals très précoces : pH< 7,00 et déficit de base 12
mmol/l ;
2. encéphalopathie
modérée à sévère de début précoce chez un nouveau-né
de 34 SA ;
3. infirmité
motrice cérébrale de type quadriplégie spastique ou diskinétique.
D'autres critères sont considérés
comme secondaires :
1. la survenue d'un
événement « sentinelle » au cours du travail (comme par exemple
une procidence du cordon ou une rupture utérine ;
2. une dégradation
soudaine et persistante du RCF suite à cet événement ;
3. un score d'Apgar
< 7 pendant plus de 5 minutes ;
4. une atteinte multiviscérale
précoce ;
5. une imagerie cérébrale
du nouveau-né évocatrice d'un phénomène hypoxique aigu.
Ces critères sont extrêmement
sévères, en particulier pour les majeurs. Ils ont cependant été
élaborés en collaboration avec les néonatologistes et ne devraient
sans doute pas être interprétés comme un argument de défense
systématique des obstétriciens vis-à-vis du risque médico-légal
lié à l'accouchement. En revanche, la présence de ces signes majeurs
signe pratiquement l'existence d'un accident au cours du travail.
L'infirmité motrice cérébrale d'origine
antepartum
L'absence de diminution de l'incidence d'IMC en
dépit des efforts de surveillance déployés pendant le travail rend
vraisemblable le fait que la majorité de séquelles neurologiques n'est
pas associée à des événements autour de la naissance ou à
l'asphyxie per-partum. Les autres raisons principales sont une origine probablement
multifactorielle de l'IMC et une augmentation du nombre d'enfants prématurés
et de faible poids de naissance pris en charge à la naissance avec une amélioration
de leur survie.
Les études disponibles portent
sur des enfants nés à terme car dans les autres cas l'âge gestationnel
et le poids de naissance semblent déterminants dans le risque neurologique
(Blair & Stanley 1993 ; Gaffney et al. 1994 ; Richmond et al. 1994).
Environ 10 % seulement de l'ensemble des IMC seraient dus à l'asphyxie
QUAND
L'ACCOUCHEMENT N'Y EST POUR RIEN : LES LéSIONS
CéRéBRALES ... 413
périnatale et cette proportion serait
proche de 15 % si l'on considère uniquement la population des enfants nés
à terme (Blair & Stanley 2001). Il faut souligner que la relation causale
entre l'asphyxie et la paralysie cérébrale est rarement démontrée
et que ces pourcentages pourraient être encore plus faibles (Perlman 1997).
D'un autre côté, les marqueurs de SF disponibles sont imprécis et
ne permettraient d'identifier que 50 % nouveau-nés qui vont développer
une paralysie cérébrale d'origine per-partale (Perlman 1997). Ainsi, si
le risque de paralysie cérébrale est de 3 , l'origine per-partum de la
paralysie cérébrale de 10 % (soit 3 paralysies cérébrales pour
10 000 naissances), les marqueurs de la SF ne pourrait identifier que 3 paralysies
cérébrales sur 20 000 naissances.
Ainsi, l'asphyxie per-partum définie par
des critères sévères de souffrance ftale ne contribuerait que pour
9 % de l'ensemble des IMC pour une population d'enfants nés à terme. Si
on fait l'hypothèse d'une relation causale, la prévention de l'asphyxie
perpartum dans ces cas aurait permis d'éviter l'IMC dans 91 % des cas. Cependant,
cela n'implique pas qu'une intervention en cours de travail aurait éviter la
paralysie cérébrale. En effet, il est possible que certains cas d'asphyxie
perpartum soient une conséquence d'un état pathologique antepartum ce
qui limiterait l'efficacité des interventions pendant le travail sur la survenue
d'une IMC. Dans une étude cas-témoins portant sur des naissances à
terme dont tous les cas présentaient une encéphalopathie néonatale,
Badawi et al. (1998) retrouvent des facteurs de risque avant le travail dans 94
% des cas, le nombre de cas avec uniquement des facteurs d'asphyxie per-partum étant
rares (4 %).
Par ailleurs, les critères utilisés
pour définir l'asphyxie per-partum sont souvent des indicateurs de souffrance
périnatale (nécessité d'intubation, transfert en réanimation
néonatale...) plus que d'asphyxie per-partum.
La prématurité apparaît
comme un facteur de risque plus important que l'asphyxie per-partum puisque 41 %
de l'ensemble des IMC seraient liés à la prématurité à
partir des données du registre d'Oxford (Annual Report 2000). Dans l'enquête
de Newcastle, les auteurs rapportaient un risque relatif de 8 pour la prématurité
avec un pourcentage de risque attribuable de 28 % (Richmond et al. 1998).
Ainsi, les variations du nombre de grands prématurés (< 32 et même
28 SA) auront une influence plus marquée sur le nombre d'IMC, d'autant que
la mortalité néonatale est en constante diminution dans ce groupe d'enfants
à très haut risque. Un certain nombre de données montrent d'ailleurs
une augmentation du 414 B.
CARBONNE, F. GOFFINET nombre
de paralysies cérébrales pour les enfants de poids inférieur à
1.500 grammes (Bréart et Rumeau-Rouquette 1996).
L'action des obstétriciens pour diminuer
le risque de paralysie cérébrale dans la population ne se limite pas à
la prise en charge de la souffrance ftale pendant le travail. D'autres facteurs
de risque, en particulier antepartum, sont dans leur « champ d'action »
comme la prise en charge des grossesses multiples, de la prématurité,
de la rupture prématurée des membranes, du RCIU, des malformations congénitales,
ou encore de l'hématome rétroplacentaire. Cependant, si l'asphyxie per-partum
ne semble pas être la cause principale de paralysie cérébrale, elle
est fortement liée à l'IMC et une prise en charge inappropriée en
cas de signes de souffrance ftale ou néonatale l'est également. Ainsi,
parmi les causes reconnues de paralysie cérébrale, l'asphyxie fait partie
des rares causes potentiellement évitables grâce à une prise en charge
adaptée.
En conséquence, dans l'analyse
du dossier obstétrical d'un enfant atteint de paralysie cérébrale,
si il existait des marqueurs sévères d'asphyxie per-partum ou si la prise
en charge de cette souffrance ftale a été suboptimale, la relation causale
est probable.
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