La Women's Health Initiative study (WHI), étude d'intervention prospective randomisée contre placebo, débutée aux USA dès 1993, dans le but d'évaluer les bénéfices et les risques du traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause, a été interrompue dans le courant de sa sixième année, les risques imputables au traitement s'avérant supérieurs aux bénéfices escomptés (1). Un des objectifs essentiels de l'étude WHI était d'étudier l'effet du THS sur le risque cardio-vasculaire. L'hypothèse de départ, reposant sur de nombreuses études épidémiologiques ouvertes et des travaux de laboratoire, était celle d'un effet protecteur. Comme nous le reverrons plus bas, le résultat observé a été inverse. 1. Ses résultats étaient-ils prévisibles ? Un ensemble de travaux de laboratoire ayant porté sur des marqueurs intermédiaires du risque cardio-vasculaire avaient conclu à des effets considérés comme favorables du THS (2) : • diminution des fractions lipidiques athérogènes, augmentation du HDL cholestérol, diminution de la Lp(a) ; • amélioration de la tolérance au glucose ; • inhibition des processus d'athérosclérose au niveau de l'endothélium des artères ; • diminution des résistances artérielles ; • etc. Un « syndrome métabolique » de la ménopause avait été décrit, regroupant l'ensemble des modifications biologiques observées après la ménopause attribuées à la carence estrogénique. Les œstrogènes s'opposaient point par point à ces effets. Toutefois, quelques notes discordantes apparaissaient dans ce tableau idyllique : • modifications de certains facteurs de la coagulation ; • augmentation des triglycérides, tout au moins avec la voie orale. Les études épidémiologiques De type cas-témoins ou de cohorte, c'est-à-dire d'observation, elles aboutissaient presque toutes à un RR inférieur à 1, c'est-à-dire à un effet protecteur du THS. C'était notamment le cas de l'étude des infirmières de Boston, vaste étude de cohorte menée depuis une vingtaine d'années chez près de 60 000 femmes, aboutissant à un RR = 0,6 (IC à 95 % : 0,43-0,83) (3). Seule l'étude de Framingham, publiée en 1985, apportait une note discordante, avec une augmentation du risque cardio-vasculaire : RR =1,76, mais la méthodologie de cette étude avait été critiquée (4). L'ère des études en double insu Un certain nombre d'auteurs avaient insisté sur la possibilité de biais épidémiologiques, les populations de femmes traitées n'étant pas identiques à celles non traitées : biais d'inclusion avec déjà une sélection de candidates au THS, biais de comportement, etc. Les femmes traitées semblant, dans l'ensemble, en meilleure santé que celles sans traitement (5). Aussi plusieurs études d'intervention, randomisées en double insu, furent-elles entreprises. La première, l'étude PEPI (6), avait porté sur des marqueurs intermédiaires du risque cardio-vasculaire : ses résultats furent favorables, confirmant les études de laboratoire précédemment effectuées. La première note discordante vint d'une étude d'intervention étudiant les effets du THS en prévention secondaire : l'étude HERS (7), ne montrant aucun bénéfice cardio-vasculaire de l'association 0,625 mg d'œstrogènes conjugués + 2,5 mg d'acétate de médroxyprogestérone (MPA) donnée en continu. Une augmentation du risque de thrombose, déjà constatée lors d'études précédentes, fut observée. Parallèlement, quelques méta-analyses récentes sélectionnant les études épidémiologiques considérées comme les plus fiables, remirent en question l'effet bénéfique attribué au THS en matière de prévention cardio-vasculaire (8). Puis survient l'interruption de l'étude WHI. 2. Résumé de l'étude WHI Cette étude (16 808 femmes de 50 à 79 ans dans 40 centres des USA ont été randomisées entre 1993 et 1998) a comparé 8 506 femmes, traitées par 0,625 mg d'œstrogènes conjugués associés à 2,5 mg de MPA, à 8.102 femmes sous placebo. Les objectifs essentiels étaient de suivre l'incidence de sept affections : la maladie coronarienne, les cancers du sein (les femmes des deux groupes ont bénéficié d'une mammographie tous les ans), les accidents vasculaires cérébraux, les accidents thrombo-emboliques, les cancers de l'endomètre, du colon et enfin les fractures ostéoporotiques avec, en particulier, les fractures du col du fémur. Les auteurs avaient initialement fixé des limites concernant les risques des différentes affections étudiées, en particulier, pour le cancer du sein. Ces limites ayant été franchies, après 5,2 années de suivi moyen, le comité de surveillance a décidé d'interrompre l'étude, la balance bénéfice-risque penchant plutôt du côté des risques. Les principaux résultats de cette étude sont les suivants : • relations THS-risque cardio-vasculaire : légère augmentation du risque, RR = 1,29 (I.C. 95 % : 1,02-1,63), soit 7 cas supplémentaires pour 10.000 femmes suivies pendant un an (10 000 années femmes (AF). Il en est de même pour le risque d'accident vasculaire cérébral : RR = 1,41 (I.C. 95% : 1,07-1,85), soit 8 cas supplémentaires pour 10 000 AF ; • risque d'embolie pulmonaire : légèrement augmenté, RR = 2,13 (I.C. 95 % : 1,39-3,25), soit ici encore, 8 cas en excès pour 10 000 AF ; • relation cancer du sein - THS : légère augmentation de fréquence, RR = 1,26 (I.C. 95 % : 1,00-1,59) correspondant en risque absolu à 8 cas supplémentaires de cancer du sein pour 10 000 AF ; • risque de cancer du colon : diminution de près de 40 %, RR = 0,63 (IC à 95 % : 0,43-0,92), soit 6 cas de cancer du colon en moins pour 10 000 AF ; • risque de cancer de l'endomètre et des cancers en général : non modifié ; • risque de fractures ostéoporotiques : globalement diminué, RR = 0,70 (IC 95 % : 0,69-0,85), avec diminution du risque de fractures vertébrales : RR = 0,66 (IC 95 % : 0,44-0,98) et surtout de fractures du col du fémur : RR = 0,66 (I.C. 95 % : 0,45-0,98) soit 5 fractures de moins pour 10 000 A.. Il n'y eut pas de différence significative en ce qui concerne la mortalité globale pour les deux groupes : RR = 0,92 (IC 95 % : 0,74-1,14). Commentaires L'étude WHI est, en réalité, une vaste étude ayant inclus au total plus de 160 000 femmes. Seule la partie concernant les femmes traitées par œstrogènes + progestatifs a été interrompue, le comité de surveillance ayant décidé de continuer l'étude chez les femmes hystérectomisées qui prennent des œstrogènes seuls (10 700 femmes incluses et randomisées en deux groupes recevant soit 0,625 mg/j. d'œstrogènes conjugués équins seuls, soit un placebo). En définitive, la décision d'arrêter l'étude a été justifiée par l'observation de 170 événements graves dans le groupe THS contre 151 dans le groupe placebo, soit une augmentation du risque absolu de 19 événements graves pour 10 000 AF. Sachant qu'un délai prolongé (7 à 10 ans) pourrait être nécessaire pour observer avec certitude les effets bénéfiques potentiels du THS (sur l'os par exemple, mais également les fonctions cognitives, voire un véritable effet de prévention primaire sur l'athérosclérose), il faut s'interroger sur le pourquoi de cet arrêt prématuré et rappeler qu'aux USA la menace médico-légale peut influencer les auteurs de telles études. Un des objectifs essentiels de l'étude WHI était l'effet du THS sur le risque cardio-vasculaire. La déception est de taille puisque l'hypothèse de départ, reposant sur de nombreuses études épidémiologiques ouvertes et des travaux de laboratoire, était celle d'un effet protecteur du THS. Or, le résultat observé fut inverse, avec une légère augmentation du risque cardio-vasculaire. Mais, en ce qui concerne le risque cardio-vasculaire, peut-on accepter sans réserve les conclusions de l'étude WHI et les extrapoler à la France ? La réponse n'est pas évidente. Contester les résultats d'une telle étude, qui a comparé en double insu 8 506 femmes, traitées par 0,625 mg d'œstrogènes conjugués associés à 2,5 mg de médroxyprogestérone acétate (MPA), à 8 102 femmes sous placebo, serait ridicule ; remarquons, toutefois, que la levée du double insu chez 40,5 % des femmes sous THS en raison de saignements a pu constituer un biais. D'autre part, l'âge moyen des femmes de l'étude WHI était de 63,3 ans, 66 % avaient entre 60 et 79 ans ; 69,5 étaient en surpoids dont 34,2 % franchement obèses, 35,7 % suivaient un traitement antihypertenseur, 6,9 % prenaient des statines, 19 % de l'aspirine et 4,4 % étaient diabétiques. Dans ces conditions, s'agit-il de prévention primaire ou secondaire, sachant que le THS n'est pas efficace dans ce dernier cas, comme l'ont prouvé l'étude HERS (7) et les études de Clarkson (9) sur les guenons castrées, les travaux de ce dernier ayant mis en évidence un effet préventif coronarien à condition de commencer le traitement avant la constitution de plaques d'athérosclérose. La population de femmes françaises traitées est différente de la population américaine de l'étude WHI : elles sont en moyenne plus jeunes, moins grasses et en meilleure santé. En ce qui concerne le cancer du sein, l'augmentation du risque observée dans l'étude WHI est identique aux données fournies par la méta-analyse du Lancet parue en 1997 (10) et de l'étude plus récente de Schairer et coll. (11). Remarquons simplement que cette augmentation porte essentiellement sur les femmes ayant suivi un THS préalablement à leur inclusion dans l'étude WHI. Pour celles jamais traitées auparavant, l'augmentation n'est pas significative : RR = 1,06 (I.C. 95 % : 0,81-1,38). D'autre part à partir et au-delà de 6 années de THS, le RR diminue, passant de 2,64 la 5e année à 1,12 par la suite ; ces constatations semblement en faveur d'un effet promoteur et non initiateur ; lors de la méta-analyse du Lancet, l'augmentation du risque sous THS s'effaçait en 5 années, dans l'étude des infirmières de Boston l'augmentation disparaissait au-delà de la 2e année suivant l'arrêt du traitement (12). La diminution du risque de cancer du colon est également en accord avec les données de la littérature (2). Si l'effet protecteur osseux du THS était déjà connu, l'étude WHI constitue la première étude d'intervention prouvant une diminution du nombre de fractures du col du fémur. La légère augmentation du risque de thrombose veineuse est, également, conforme aux données de la littérature. Soulignons également que l'étude WHI n'a pas pris en compte d'autres avantages procurés par le THS : soulagement des symptômes vaso-moteurs, effets bénéfiques cutanéo-muqueux, amélioration de la qualité de vie, effets sur les fonctions cognitives, etc. Même la diminution du nombre total de fractures et du nombre de fractures vertébrales n'a pas été comptabilisée. Des publications ultérieures sont annoncées sur ce sujet, mais on peut craindre que la durée de l'étude ne soit trop courte pour évaluer l'effet du THS sur la fréquence de la maladie d'Alzheimer. Enfin, les produits utilisés en Europe, et plus particulièrement en France sont différents : 17 b œstradiol per os ou par voie cutanée plutôt que les œstrogènes conjugués, œstrogènes presque exclusivement prescrits aux femmes américaines. De même, les progestatifs sont également différents. Rappelons à ce propos que la poursuite du bras de femmes hystérectomisées sous œstrogènes seuls dans l'étude WHI doit faire discuter, aussi bien pour l'augmentation du risque cardio-vasculaire que pour celle du risque de cancer du sein : • soit la responsabilité des progestatifs en général ; • soit celle du MPA en particulier ; • soit le schéma combiné continu utilisé lors de cette étude. Il est urgent d'entreprendre des études avec les stéroïdes utilisés en Europe. 4. Bibliographie [1] WRITING GROUP FOR THE WOMEN'S HEALTH INITIATIVE INVESTIGATORS Risks and benefits of estrogen plus progestin in healthy postmenopausal women : principal results from the women's health initiative randomized controlled trial. JAMA, 2002 ; 288 : 321-333. [2] ROZENBAUM H. Ménopause aspects actuels. Eska édit., Paris 2000, pp. 71-118. [3] GRODSTEIN F., MANSON J.E., COLDITZ G.A., WILLETT W.C., SPEIZER F.E., STAMPFER M.J. 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