Chapitre VII
LES TRAITEMENTS DE LA MENOPAUSE : MOTIVATIONS ET FREINS FACE AUX
TRAITEMENTS HORMONAUX
M.BUHLER
Introduction
Au cours des consultations sur la ménopause, il est apparu que de
nombreuses femmes venaient consulter en cachette de leur médecin. C'est pour cette raison
qu'une première enquête sur l'attitude personnelle des médecins face aux traitements
hormonaux substitutifs fut menée en 1985.
Les résultats furent les suivants :
* 82% des médecins interrogés pensaient que le traitement hormonal
substitutif n'était pas dangereux,
* 85% que ces hormones étaient bénéfiques,
mais seulement 12% d'entre eux étaient prêts soit à se traiter,
soit à traiter leur entourage.
Ce ne sont donc pas des raisons objectives qui freinent les
prescriptions mais des raisons subjectives probablement inconscientes qui empêchent les
médecins d'être convaincu de l'intérêt du traitement.
Cette discordance entre la raison et la réalité nous a conduit en
collaboration avec la société Insight et le Laboratoire Novo Nordisk à étudier les
résistances des médecins au traitement de la ménopause.
Cette étude est une étude qualitative, sans statistique, ni quota de
médecins représentatifs, etc...
Le but est simplement d'essayer de comprendre où se situent les peurs
et les freins.
Dans le même temps, comme pour étayer en chiffres et en statistiques
les résultats de cette étude, la Sofrès a effectué (Juin 92) une étude quantitative
en interrogeant les femmes non traitées, et a pu montrer la véracité de certaines
conclusions de l'étude ici:
En effet 36% des femmes ménopausées non traitées auraient pris un
traitement si leur médecin le leur avait proposé.
TRAITER OU NE PAS TRAITER ?
Que ce soit pour les femmes ou pour certains médecins, il existe peu de
solutions entre les craintes du traitement et le caractère "obligatoire" qui
lui est associé. Ne pas traiter se vit comme une sanction :
- Pour le gynécologue c'est ne pas être "à la mode" en
retard par rapport à la science.
- Pour la femme : C'est l'exacerbation des symptômes de la ménopause,
et à long terme l'ostéoporose.
Les gynécologues sont souvent plus anxieux que leurs patients,
probablement par la prise des responsabilités que leur confère la prescription.
Les femmes qui prennent ce traitement sont, elles, très prosélytes.
Elles en font souvent un traitement miracle, de jouvence et veulent
convaincre leurs amies du bien fondée du traitement.
Les femmes et la ménopause :
Les symptômes comme bouffées de chaleur, malaises divers et la crainte
de survenue de l'ostéoporose sont vécus de façon différentes en fonction du désir ou
des craintes face au traitement de la ménopause.
1 Les femmes non traitées :
Elles vont minimiser les symptômes. Le traitement leur paraît inutile
sauf éventuellement pour prévenir l'apparition de l'ostéoporose.
Elles valoriseront la ménopause comme l'accès à un état nouveau
permettant l'épanouissement personnel et la sagesse intérieure, la sérénité, le
savoir et la réalisation de soi. Les symptômes seront ressentis mais acceptés par
rapport aux bénéfices qu'elles attendent de la ménopause. Ce sont souvent ces femmes
qui avouent être soulagées de la fin de leur vie sexuelle et "des ennuis de
femmes".
2 Les femmes traitées :
- Les symptômes de carence hormonale seront perçus de façon
tout-à-fait différents et ressentis de façon insupportables.
- La ménopause représente pour elle la perte de la séduction, de la
maternité mais aussi la perte de leur énergie et de leur tonus.
- Un rapport passionnel au traitement s'instaure à ce moment, et il est
surinvestit pour beaucoup d'entre elles.
- Ces femmes ont pour profil d'avoir l'habitude de se prendre en charge.
Elles combattent ce fatalisme et la résignation.
- Elles désirent maîtriser le temps qui leur reste à vivre.
Bien vieillir est un droit et un devoir par rapport à elle-même mais
aussi pour leur entourage.
LE VECU DES REGLES PAR LES FEMMES
Les règles seront vécues de façon très différentes selon que les
femmes seront traitées ou pas. Pour certaines, elles mettront en avant les effets
négatifs, les règles, la douleur, l'inconfort, la contrainte, la corvée et la fin des
règles est vécue pour elles comme un soulagement.
Le retour des règles, conséquence d'un traitement hormonal peut être
un frein à l'instauration de celui-ci, surtout si les règles persistent avec les mêmes
symptômes que ceux qu'elles ont subi pendant toute leur vie.
La fin des règles est vécue au niveau rationnel comme soulagement, la
fin des ennuis et des contraintes, mais au niveau symbolique les choses sont beaucoup plus
ambivalentes. C'est une étape dans la vie des femmes qui est plus ou moins bien
acceptée.
LE VECU DU METIER DE GYNECOLOGUE :
Cette étude a été réalisée auprès de femmes gynécologues.
Le vécu du métier par les femmes gynécologues est particulièrement
intéressant.
On se rend compte, en mettant un parallèle patientes/gynécologues
qu'elles sont dans la même situation psychologique :
Les gynécologues ont, elles aussi, besoin d'être encouragées
convaincues du bien fondé médical du traitement, de son innocuité.
Le bien fait "cosmétologique" des hormones n'est pas un
argument acceptable.
Plus le côté "jeunesse" est affirmé, plus l'angoisse de la
transgression face au vieillissement naturel augmente. Cette attitude d'angoisse face à
la transgression se comprend mieux lorsqu'on étudie le vécu du métier par les
gynécologues. C'est en effet un métier très chargé sur le plan imaginaire,
mi-sorcière mi-magicienne, on peut classer les gynécologues en deux groupes :
- Les magiciennes, elles se revendiquent un peu
comme telles.
Elles ont vécu la transgression quotidiennement dans leur métier.
Elles se sont battues pour l'accouchement sans douleur, la pilule, pour l'IVG. Le
traitement hormonal substitutif de la ménopause n'est qu'une transgression de plus, et
plutôt plus facile à assumer que les autres. Les hormones ne leur font pas peur.
- Les gynécologues que nous appellerons les plus "jeunes",
n'ont souvent pas eu, soit par leur âge, soit parce qu'elles ne se
sentaient pas concernées par ces problèmes, à se positionner dans la lutte pour la
contraception et l'avortement.
C'était déjà dans l'ordre social. Le traitement hormonal substitutif
leur apparaît comme la première transgression à assumer. Elles se sentent
"apprentie sorcière". Elles sont donc très ambivalentes face au traitement.
Les plus âgées ont souvent elles-mêmes testées le traitement. Elles
dédramatiseront et savent aussi, par contre, que cela ne fait pas rajeunir. Elles sont
moins angoissées face à ce traitement, mais aussi moins de fantasmes se rattachent à
lui.
Les gynécologues plus jeunes ne se sentent pas concernées et vont lui
conférer un effet de rajeunissement qui va les inquiéter.
LA PERCEPTION DES HORMONES :
Le groupe des gynécologues favorables au traitement a une attitude
beaucoup moins conflictuelle face aux hormones. Elles dédramatisent, ont une perception
plus médicale et scientifique, comparent aux autres hormones (insuline, thyroïde,
cortisone) et ne mettent pas avant l'opposition hormone naturelle, hormone de synthèse.
La perception est relativisée. Ce ne sont pas les hormones qui sont en cause mais leur
mauvaise utilisation qui provoquent des effets secondaires néfastes (veau, poulet aux
hormones, etc...). Il y a moins de fantasmes donc moins de peur.
"Les hormones c'est la vie".
Par contre, pour les gynécologues dites "inquiètes", la
perception des hormones est proche de celle du grand public.
Les hormones représentent l'inversion de l'ordre naturel (toujours les
mêmes exemples, les sportifs qui se dopent aux hormones, le poulet, le veau, etc...).
C'est l'anti-vieillissement, et donc le secret de jouvence. Cette transgression de la
nature et le prix à payer est très cher (c'est peut-être le cancer, la prise de poids,
la pilosité, etc...).
Il existe donc un conflit important entre :
- Le ressenti qui serait de ne pas traiter
- Une pression extérieure qui leur demande de traiter pour être
conforme à la norme, ne pas être "ringard" et aussi pour répondre à la
demande des patientes.
D'où une déstabilisation et une réponse qui sera donc un traitement
à minima le moins "nocif" possible avec comme première attention "primum
non nocere". Notion sur laquelle nous reviendrons en conclusion.
LA PERCEPTION DU TRAITEMENT :
Il se fait autour de deux pôles.
Le pôle MAJEUR qui se vit comme une agression et un danger potentiel,
et un pôle MINEUR sous le mode de la protection qui serait bénéfique sur le plan
cardio-vasculaire et l'ostéoporose.
Les gynécologues percevant surtout le côté "agression du
traitement" ne traitent que s'il y a des symptômes et s'il y a demande des
patientes. Le traitement sera de durée limitée pour "passer le cap" et sera
arrêté au moindre effet secondaire.
Les gynécologues percevant le côté protection traiteront de façon
préventive en dehors de tout symptôme, le traitement sera proposé aux patientes de
façon systématique et il sera prescrit de façon illimitée.
LES CONTRE-INDICATIONS AU TRAITEMENT :
Les gynécologues favorables au traitement citent le cancer du sein
comme une contre-indication essentielle et quasiment unique. Elles considèrent de plus en
plus que le traitement permet de révéler un cancer préexistant.
Les gynécologues moins favorables citent toutes les contre-indications
notées dans le Vidal et surtout ont peur de provoquer un cancer.
D'où la notion de responsabilité/culpabilité pour les uns, et au
contraire la non culpabilité et même une action dans la prévention du cancer pour les
autres.
CONCLUSION
Toutes ces résistances expliquent en partie pourquoi seulement 10% de
femmes sont traités, pourquoi la durée du traitement n'excède pas 18 mois, et enfin
l'utilisation essentiellement en France des formes transdermiques, qui sont considérées
comme moins agressives par rapport aux formes per os.
En France, 80% des femmes sont traitées en transdermique, gel ou patch,
et seulement 20% par voie per os. On peut se poser la question de savoir ce qu'il se
passerait si on ne disposait que des formes orales ?
"PRIMUM NON NOCERE"
Atteindrions-nous moins de 2% de femmes traitées ?
Cette notion qui est mise en avant en permanence mérite qu'on s'y
arrête un instant. Car ne pourrions nous pas, dans l'avenir, être attaqués par des
femmes à qui nous n'aurions pas proposé de traitement et qui seront victimes, soit d'une
fracture du col du fémur, soit d'un infarctus ou d'autres pathologies. Et nous pouvons
quand même nous poser la question où est le "non nocere" de l'avenir ?
Enfin va t-on attendre comme pour la pilule et l'avortement que ce
soient les femmes qui nous imposent ces traitements? Dans ce sens, la diminution de la
responsabilité du médecin nous soulagera peut être, mais si nous pensions que ce
traitement est un traitement médical préventif et non pas uniquement un traitement de
confort pour éviter quelques symptômes désagréables, c'est à nous de prendre nos
responsabilités médicales et convaincus nous même de l'intérêt préventif et médical
du traitement de le proposer à toute femme arrivant à la ménopause.
TABLEAU 3a
LA FIN DES REGLES
Au plan rationnel : soulagement, fin des ennuis, des contraintes
Au plan symbolique : une étape de la vie de la femme plus ou moins
acceptée
BONNE ACCEPTATION
Les femmes hantées par les grossesses, ayant eu plusieurs avortements
Femmes ayant décisé la ligature des trompes
Femmes ayant accepté leur stérilité ou celle de leur mari
TABLEAU 3b
LA FIN DES REGLES
Au plan rationnel : soulagement, fin des ennuis, des contraintes
Au plan symbolique : une étape de la vie de la femme plus ou moins
acceptée
DIFFICULTES D'ACCEPTATION, NOSTALGIE
- "J'ai pas osé le dire à mon mari"
- "Certains hommes n'ont plus de désir pour une femme qui n'a plus
ses règles..."
- "Si j'avais plus du tout de règles, je me sentirais
inutile"
- "Ca serait formidable d'avoir à nouveau ses règles"
TABLEAU 4a
PERCEPTION DU TRAITEMENT
POLE MAJEUR
AGRESSION
* Danger potentiel
* Effets néfastes : cancer - coeur
TRAITEMENT justifié si symptômes précis
Ex: après densitométrie
TRAITEMENT CURATIF pour faire
disparaître les symptômes
SUR DEMANDE de la patiente
DUREE LIMITEE pour aider à passer une étape. On diminue
progressivement la doseTABLEAU 4b
PERCEPTION DU TRAITEMENT
POLE MINEUR
AGRESSION
ACTION BENEFIQUE
* Protection cardio-vasculaire
* Ostéoporose
* Amélioration du bon cholestérol...
TRAITEMENT PREVENTIF en dehors des symptômes apparents
==> Préparer une bonne vieillesse
Traitement PROPOSE PAR LE MEDECIN
DUREE ILLIMITEE : "Si on traite pas pendant
longtemps, ça sert à rien."
TABLEAU 1
FEMMES 48-58 ANS
"La génération sacrifiée"
Partage d'un certain nombre de traits communs :
- Une coupure avec les femmes nées après guerre.
- Education religieuse ==> la sexualité, péché, tabou.
- Le poids de la famille, morale rigide.
- Peu ou pas d'éducation sexuelle.
- Règles et sexualité = sujet tabou.
EDUCATION GENERAIT L'ACCEPTATION, LA RESIGNATION ==> NON
ENTENTE PHYSIQUE, AVENTURES DU MARI, UN CERTAIN FATALISME.
VIEILLIR = UNE FATALITE
TABLEAU 2
FEMMES 45-50 ANS
"La génération de la conquête"
- Femmes nées pendant ou après la guerre
- Ont vécu une période d'expansion économique et de progrès
scientifique
- Période de lutte et de conquête pour les libertés de la femme =
mouvements féministes :
- Droit aux études, au travail, aux responsabilités professionnelles,
- Droit à la contraception, à l'avortement, droit au plaisir...
- Femmes beaucoup plus informées et émancipées que leurs aînées :
- Sexualité non tabou
- Maternité hors mariage
etc...
DES HABITUDES DE PRISE EN CHARGE ET DE COMBAT A L'OPPOSE DU FATALISME ET
DE LA RESIGNATION.
BIEN VIEILLIR = UN DROIT UN DEVOIR
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